5 stratégies de survie des PME face à la loi 73-17 durant la COVID-19

Partie 1 : L’application de la loi 73-17 à l’épreuve de la COVID-19

Considérées comme cellules principales, les entreprises, particulièrement les petites et moyennes, jouent un rôle crucial dans la structure économique du royaume. L’intervention du législateur est devenue nécessaire pour faire face aux difficultés de nature à menacer la continuité de ces entreprises. Et ce à travers l’institution d’une culture de bonne gouvernance dans la gestion de l’entreprise, et la prise de mesures efficaces permettant la détection précoce et la prévention des difficultés avant le recours au règlement judiciaire .

Chapitre 1 : Les procédures Préventives comme mesures palliatives à la défaillance

D’emblée, les procédures préventives peuvent être scindée en 2 types, en premier la prévention interne, suivis par la prévention externe, les deux formes constituent des mesures palliatives à la défaillance d’une entreprise en difficultés.

Section 1 : La prévention interne : Serait-elle envisageable en ces temps de pandémie du Covid-19 ? Comment se déroulerait-elle ?

Régies par les articles 547 et suivants du Code de commerce, les procédures préventives constituent une aide précieuse aux entreprises fragilisées par la crise sanitaire.

La prévention se définit comme : « l’ensemble des mesures destinées à empêcher la survenance d’un état de cessation des paiements ». C’est une méthode qui permet de désamorcer les difficultés rencontrées par les CDE, de façon précoce, pour les aider à passer un cap difficile de la vie de leur entreprise et également de préserver l’emploi. Il s’agit de trouver un remède au mal pour provoquer une prise de conscience chez les CDE. 1

Les procédures préventives sont plus efficaces lorsqu’elles sont appliquées de manière anticipée, elles offrent de nombreux atouts, permettant de les différencier des autres procédures prévues par le livre V.13 Constituent des procédures confidentielles, libérales, souples et moins complexes, elles ont pour objet de détecter, prévenir les difficultés en vue d’offrir toutes les chances de sortie de crise.

1Nahid LYAZAMI,op.cit., page P44

Elles concrétisent une vision proactive du droit commercial, teintée par le pragmatisme économique, puisqu’il s’agit d’intervenir avant même la cessation de paiement, c’est-à-dire avant que les créanciers ne soient confrontés à la carence de leur débiteur. Elles doivent être envisagées à partir de l’examen de son mode de déclenchement et de son mode de déploiement 2 .

Sous-Section 1 : Le Déclenchement de l’alerte

En vertu de l’article 547 de la loi 73-17 , le déclenchement de l’alerte se fait par le CDE, à défaut par le CAC ou tout associé dans la société.

Le Rôle du Chef de l’entreprise

La prévention interne a pour objet d’attirer l’attention du CDE sur les indicateurs révélateurs des premières difficultés financières.

En effet, une crise financière peut être causée suite à un manque de trésorerie, souvent indispensable à la continuité de l’exploitation. Elle peut avoir été dévoilée avant la crise sanitaire , car il est très rare que la crise soit soudaine, ou avoir été déclenchée par cette dernière.

Les difficultés de trésorerie se traduisent par le fait que l’entreprise sur le court terme ne puisse remplir ses obligations salariales ou encore le paiement des fournisseurs, des échéances d’emprunts bancaires, ou encore pouvoir obtenir auprès des banques de nouveaux financements pour assurer la continuité de l’exploitation.

La législation marocaine a adopté une prévention interne tournée préalablement vers le CDE en justifiant ceci par le fait qu’il lui incombe de prendre les décisions nécessaires au redressement de sa situation. Confirmé par l’article 547 du nouveau livre 5 du code de commerce qui vise expressément et directement le CDE précisant que «Si le chef d’entreprise 14 n’intervient pas spontanément pour redresser le déséquilibre qui peut influencer négativement son exploitation… »

2 Selma El Hassani Sbai, op cite, page 4

Mais la véritable question à se poser, c’est de savoir si le CDE qui lui a « la tête dans le guidon » pourrait-il-prendre les bonnes décisions de restructuration?

En outre, la vraie difficulté à laquelle le CDE sera confronté au niveau de la prévention interne est la qualification de « tous fait de nature à compromettre. » On peut citer à titre d’exemple la perte du principal fournisseur ou client, l’arrêt des facilités accordées à l’entreprise, les problèmes sociaux, les pertes financières considérables, perte de licence ou de brevets, les dépenses sans intérêts…

C’est dans ce cadre que le CDE doit analyser le type de difficultés auxquelles il doit faire face et faire appel aux personnes du métier.

Il est à noter que toute la difficulté pour le CDE réside dans l’appréhension du moment où il doit s’ouvrir à des tiers. Trop souvent il évoque tardivement ses difficultés, altérant parfois définitivement les possibilités de redressement de l’entreprise.

Le CDE doit donc, dès l’apparition des premiers symptômes des difficultés économiques 3 , sortir de son silence et faire appel à des professionnels pour :

  • Établir un diagnostic de la situation et envisager des solutions.
  • Permettre au CDE de prendre rapidement les bonnes décisions
  • L’accompagner dans la mise en œuvre des modalités de sortie de crise.

Cette analyse avec l’aide de professionnels doit pouvoir mettre le CDE en mesure d’avoir une vision claire de la situation financière de son entreprise pour comprendre les difficultés et appréhender la situation financière à date et à très court terme. Elle doit également permettre d’identifier les éléments qui vont le conduire à choisir les moyens à mettre en œuvre pour la sortie de crise.

Les professionnels peuvent être des experts-comptables, des banquiers d’entreprise, des spécialistes de gestion de crise ou encore des avocats.

3 Le retour à une meilleure fortune : étude en droit des difficultés économiques- David Defrance- L’Harmattan – 2017

L’expert-comptable est un véritable partenaire du dirigeant qui fournira des conseils en matière juridique, fiscale, sociale, comptable voir même patrimoniale.

Il assiste quotidiennement l’entreprise, élabore les comptes, conseille le CDE surtout lorsque ce dernier n’a pas mis en place des tableaux de bord appropriés avec des indicateurs financiers ou d’exploitation.

L’avocat : Le CDE le sollicite souvent dans les contentieux alors qu’il s’avère que son rôle de conseil en amont est primordial, comme : conseiller le CDE sur les procédures à envisager pour éviter de mettre en cause sa responsabilité, l’informer de l’importance du recours aux mesures de prévention ou de traitement des difficultés.

Le banquier est une personne professionnelle ayant accompagnée l’entreprise dès sa création. Il peut être sollicité par le CDE pour quelques conseils relatifs à la mise en place de nouvelles stratégies, sur les modalités de remboursement ou sur la mise en place des lignes de financements moins onéreuses .

Les spécialistes de gestion de crise : le CDE peut faire appel à leurs conseils afin de tenter d’assurer le maintien de son activité. Ces derniers disposent de plusieurs compétences à la fois économiques, juridiques et techniques.

Nous pouvons dire que cette analyse de la situation financière va permettre de déterminer l’endettement global de l’entreprise, qu’il s’agisse d’endettement financier, de retards de règlement envers les fournisseurs, de retards de règlement d’échéances fiscales ou sociales, aussi d’examiner les possibilités de restructuration de l’endettement et d’identifier les solutions dont dispose l’entreprise en termes notamment d’actifs à céder ou à financer (crédit-bail). C’est dans ce cadre que le Maroc a mis en place le 26 mars 2020, un mécanisme de garantie, baptisé « Damane Oxygène », auprès de la Caisse Centrale de Garantie (CCG). Ce nouveau produit de garantie vise la mobilisation des ressources de financement supplémentaires pour les entreprises dont la trésorerie est en difficulté à cause de la baisse de leurs activités occasionnée par la Covid-19.

Le Commissaire aux Comptes et les Associés

Outre le CDE qui doit lui-même régulariser sa situation ou corriger les irrégularités, le CAC ou l’associé sont tenus d’informer le CDE des faits et des difficultés de nature juridique, 16 économique, financière ou sociale susceptibles de compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise dans un délai de 8 jours de la découverte de ces difficultés par LRAR l’invitant à redresser à la situation 4 .

Autrement dit, le droit d’alerte est reconnu aussi pour les associés et commissaires aux comptes. L’objectif est de faire connaître au CDE les faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation en vue de mettre en place dans l’immédiat des mesures adaptées à la situation, à titre d’exemple le confinement drastique décidé par les autorités publiques constitue un risque de nature à compromettre la trésorerie de l’entreprise.

Nous pouvons dire qu’il s’agit d’un procédé purement informationnel visant à réactiver l’immunité interne de l’entreprise et à mettre le CDE et les organes de gouvernance face à leurs responsabilités. Ce dernier permet à l’entreprise de faire un rebond face à un début de défaillance. C’est un révélateur de crise et à la fois un déclencheur de la thérapie qui permettra de l’endiguer.

Le CAC 5 joue un rôle crucial en la matière, en tout cas dans les entreprises qui en sont dotées. En effet, en tant que professionnel du chiffre, il est au cœur de la boite noire qu’est l’entreprise. Il a l’expertise et surtout l’objectivité qui lui permettent en principe, de déceler les indices des difficultés et d’anticiper leurs effets sur l’activité et la pérennité de l’entreprise.

4 Article 547 de la loi 73-17 relative aux difficultés de l’entreprise : « Lorsque le chef de l’entreprise ne procède pas, de son propre chef, au redressement des faits de nature à compromettre l’exploitation, le commissaire aux comptes, « s’il en existe, ou tout associé dans la société informe le chef de l’entreprise des faits ou des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, notamment ceux de nature juridique, économique, financière ou sociale et ce, dans un délai de 8 jours de leur découverte par lettre « recommandée avec accusé de réception, l’invitant à redresser la situation. Faute d’exécution par le chef d’entreprise dans un délai de 15 jours de la réception ou s’il n’arrive pas personnellement ou après délibération du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, selon le cas, à un résultat positif, il est tenu de faire délibérer, dans un délai de 15 jours, l’assemblée générale pour y statuer sur rapport du commissaire « aux comptes, s’il en existe.

5 Audit et Commissariat aux comptes – édition 12 – Alain Mikol – e-theque – 2014

C’est ce qui explique la position de la loi qui met à sa charge non pas un simple droit d’alerte, mais un véritable devoir d’alerte qui lui impose de déclencher l’alerte à chaque fois que l’intérêt de l’entreprise et la continuité de son activité l’exigent.

Toutefois, il est à noter que la notion « continuité de l’exploitation » prévu par l’article 547 de la loi 73-17 pose un réel problème quant à sa définition, puisqu’il s’agit d’un concept comptable qui ne peut faire l’objet d’une définition juridique constante. Cette instabilité ou imprécision constitue réel risque juridique pour le CAC, dans la mesure où sa responsabilité peut être engagée à défaut de déclenchement de l’alerte.

Contrairement au Maroc, les instances ordinales en France ont donné un contenu plus précis au critère de continuité de l’exploitation 6 en vue de guider les commissaires aux comptes dans leurs mission de déclenchement de l’alerte.

Une cartographie des principaux faits pouvant justifier une alerte a été définie. Toutefois, il est à préciser que le risque « COVID-19 » couvre pratiquement l’ensemble des cas de figures identifiés dans cette cartographie ; autrement dit ces procédures sont particulièrement adaptées aux entreprises affaiblies par la crise sanitaire.

Une panoplie de Faits pouvant être considéré comme compromettant l’exploitation de l’entreprise ont été regroupé en plusieurs catégories , à savoir :

  • Faits relatifs à la situation financière : il s’agit de situations assez fréquentes dans la vie des affaires en temps ordinaire, et qui deviennent quasiment systématiques sous le coup de la crise sanitaire, comme : L’insuffisance des capitaux propres; situation dégradée de la trésorerie ; capacité d’autofinancement négative ;
  • Faits relatifs à l’exploitation : comme par exemple absence de système de détection des risques : ratios, plans, prévisions, situations intermédiaires, pertes de marchés importants…..
  • Faits relatifs à l’environnement : Généralement, les entreprises sont amenées à faire face aux complexités de leur environnement , mais certains contextes dépassent le périmètre habituel des difficultés comme : suppression des concours bancaires ; catastrophe naturelle dans l’entreprise ou chez un tiers ; destruction de l’outil de production ; variation des taux de change. Toutefois, la Covid-19 constitue à cet égard un véritable cas d’école dans la mesure où elle illustre parfaitement l’impact global que peut avoir une crise de cette ampleur sur les entreprises, mêmes les plus fortes et les mieux structurées d’entre elles.

6 Droit des entreprises en difficulté – édition 3 – Laurence Caroline, Antonini Cochin – Gualiano – 2020

Nous pouvons dire dans ce cadre, que la mission du CAC doit se baser sur une approche prospective, autrement dit il doit procéder par anticipation en évaluant les risques et leurs conséquences sur l’activité de l’entreprise.

De plus, pour ne pas limiter la prévention interne aux seules sociétés disposant d’un CAC, le législateur marocain a prévu l’intégration des associés dans ce processus préventif. En réalité, l’alerte des associés est peu opérationnelle dans la pratique. Ils sont souvent désintéressés par rapport à la gestion, et ce dû au manque de compétences comptables et financières leurs permettant la détection des risques et la projection de leur impact sur l’avenir proche de l’entreprise.

C’est précisément ce qui explique le faible nombre d’alertes lancé par les associés dans la pratique, non seulement au Maroc, mais aussi dans d’autres pays.

A la différence du législateur français, le législateur marocain n’a pas souhaité intégrer les représentants du personnel dans la procédure de prévention interne 7 , malgré la place qu’ils occupent dans la gestion des conflits sociaux et leurs intérêts pour la sauvegarde de l’entreprise. Sans doute le but, étant d’éviter les conflits entre les dirigeants et les représentants du personnel.

7 L’essentiel du droit des entreprises en difficulté- édition 9- Laurence Caroline – Antonini Cochin – Gualino – 2020

L’intervention de ces derniers pourrait susciter des avis contradictoires qui risqueraient de retarder la mise en route d’une prévention efficace.

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