Modalités d’alerte en entreprise : efficacité et contraintes légales

Sous-Section 2 : Les Modalités de l’Alerte et ses effets

Le Respect du Formalisme

L’efficacité du processus préventif repose sur la célérité de son déclenchement.

En effet, l’article 547 de la loi 73-17 rappelle cette obligation de promptitude en précisant que l’alerte doit se faire dans les 8 jours de la découverte des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’activité de l’entreprise.

Bien que cet article concerne toutes les personnes habilités à déclencher l’alerte à savoir le CAC ou associés, mais en pratique , il ne s’applique qu’aux CAC. Il est cependant le seul à être tenu par un devoir d’alerte, et donc, la responsabilité des associés dans ce cas n’est point engagé et on ne peut leur imposer un quelconque délai. Et donc, l’exigence du délai de 8 jours pour le déclenchement de l’alerte ne s’impose qu’aux CAC.

L’alerte doit se faire par l’envoi d’une LRAR ; ceci donne à la procédure un caractère solennel et permet aussi de dégager la responsabilité du CAC en prouvant que ses diligences ont été accomplies conformément à ce qui a été prévu par la loi.

Cette lettre est destinée tout d’abord au CDE en vue de l’aviser des difficultés préoccupantes qui impactent son entreprise dans l’objectif de stimuler sa réactivité. D’ailleurs, ce processus semble être absurde , voire futile. Quel est donc l’intérêt d’informer le CDE qui lui-même gère d’un point de vue moral, juridique et financier son entreprise et élabore les stratégies de fonctionnement et de développement face à toutes difficultés ou crise touchant son entreprise ?

Mais, la réalité en dit autrement, car ce dernier est amené à faire des analyses qui sont souvent biaisées et ce dû à sa fonction permanente de gestion quotidienne de l’entreprise. Nous pouvons dire que le CDE n’a pas suffisamment de recul pour pouvoir différencier entre les simples difficultés et les difficultés complexes. D’où l’importance de cette alerte.

Aussi , Les dirigeants des entreprises en difficultés vivent souvent très mal la période de crise et développent pour certains, un vrai syndrome traumatique qui peut induire une stratégie de fuite en avant, redoutable pour l’entreprise, cette dimension psychologique demeure importante. De nombreuses études révèlent que les dirigeants sont souvent réticents aux procédures préventives. Ils attendent souvent que la situation soit irrémédiablement compromise pour réagir. C’est ce qui justifie l’intervention d’acteurs externes à la gestion à savoir le CAC et les associés dans le déclenchement du protocole préventif.

Par ailleurs, dès réception de l’alerte, le CDE dispose d’un délai de 15 jours pour prendre et appliquer les mesures nécessaires au traitement des dysfonctionnements de l’entreprise. Il est à noter que dans les SA, cette phase est confiée au dirigeant social mais aussi aux organes de gouvernance à savoir le CA ou le CS. Ces organes disposent de plusieurs pouvoirs leur permettant de prendre les mesures nécessaires pour résoudre en interne ses difficultés.

Toutefois, il y a eu de s’interroger sur le processus de la prévention interne, relativement à son efficacité, dès lors que dans une situation sans précédent causée par la pandémie, il est difficile de se prononcer.

Les Effets relatifs au déclenchement de l’alerte

Le délai à respecter et formalités à observer, et après information par le CDE ou par le CAC ou tout associé dans un délai de 8 jours 8 de la découverte des faits par LRAR, l’invitant à redresser la situation, 2 situations demeurent envisageables :

Le CDE ou les organes de gouvernance arrivent à paralyser la crise en apportant une solution rapide, et donc, la procédure s’arrêtera à ce stade. Elle sera restée entièrement confidentielle et aura surtout permis à instaurer un dialogue entre le dirigeant, le CA, le CAC ou les associés le cas échéant.

Au cas où le CDE ne répond pas dans un délai de 15jours après réception de la notification ou ne parvient pas à un résultat bénéfique personnellement ou après délibération du CA, il est tenu de convoquer une AG dans le délai de 15jours 9 afin de délibérer à ce sujet après audition du CAC s’il en existe. On ne peut que saluer la nouvelle législation d’avoir imposé un délai de 15jours au CDE. Dans l’ancien livre 5, le CDE n’était tenu que de faire délibérer la prochaine AG pour statuer sur le rapport du CAC.

L’absence de limitation dans le temps pour convoquer l’AG en dehors des délais légaux fixés par le droit des sociétés contribuait à l’aggravation de la situation qui risque de se détériorer dans l’absence d’un délai précis.

L’article 548 du nouveau livre 5 du code de commerce précise que faute d’une délibération de l’AG à ce sujet ou si il a été constaté que malgré les décisions prises par l’AG, la continuité de l’exploitation demeure compromise, le PTC informé par le CAC 21 ou le CDE ou tout associé. Il est à saluer l’initiative de saisir le tribunal de commerce à tout associé et pas qu’au CAC.

8 Article 547 de la loi 73-17 relative aux difficultés de l’entreprise

9 Faute d’exécution par le chef d’entreprise dans un délai de 15 jours de la réception ou s’il n’arrive pas personnellement « ou après délibération du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, selon le cas, à un résultat positif, il est tenu de faire délibérer, dans un délai de 15 jours, l’assemblée générale pour y statuer sur rapport du commissaire aux comptes, s’il en existe.

Sous-Section 3 : La Prévention interne en France

« Organiser la détection de possibles difficultés devrait être un réflexe chez le chef d’entreprise….il doit être à même de faire la différence entre une difficulté ponctuelle et un secteur d’activité en déclin » 10

La prévention repose sur la détection anticipée des difficultés des entreprises qui impose une information économique.

Toutefois, une meilleure information est tout d’abord donnée aux dirigeants et aux tiers sur la situation financière de l’entreprise.

  • Information des dirigeants : outre l’obligation de tenir une comptabilité et de produire les comptes annuels, l’exigibilité de plusieurs documents dont : – un document relatif à la situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible établi chaque semestre dans les 4 mois qui suivent la clôture de l’exercice. – un tableau de financement établi dans les 4 mois de clôture de l’exercice – le compte de résultat prévisionnel – plan de financement prévisionnel

Ces différentes pièces sont analysées, établis deux fois par an par les dirigeants et communiqués au conseil de surveillance, au comité social et économique (CSE) et aux commissaires aux comptes ; ces deux derniers pouvant déclencher une procédure d’alerte. Ces documents permettent aux dirigeants d’anticiper sur les difficultés économiques et d’adopter toutes les mesures adéquates.

  • Information des tiers : les tiers peuvent obtenir des renseignements sur la situation comptables et financières de leurs partenaires économiques.

A l’exemple de la législation française, le législateur marocain, en matière de prévention des difficultés des entreprises, s’est basé sur un principe des plus simples: « prévenir les difficultés des entreprises, afin de mieux les maîtriser ». Néanmoins, contrairement au législateur français, il a omis d’organiser la prévention par l’information prévisionnelle indiquée en supra.

10 Gérard MEAUXSOONE, président du tribunal de commerce de Lille. Colloque sur « L’entreprise et les juridictions commerciales en France et Europe ». 18-19 novembre 2010.paris.

Les procédures d’alerte 11 interne ont pour objet de provoquer une certaine réactivité, voire un dialogue avec la direction au sein de l’entreprise avant que les difficultés rencontrées deviennent insurmontables.

Les procédures d’alerte sont donc à l’initiative du CAC, du comité d’entreprise ou encore aux associés, tout comme la législation marocaine.

En effet, l’alerte par le CAC se fait lors de la constatation de « tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation » 12 .

Cette procédure d’alerte s’applique non seulement aux sociétés commerciales mais aussi aux personnes morales non commerçantes ayant une activité économique 13 comme :

  1. Les sociétés civiles
  2. Les sociétés coopératives
  3. Les GIE non commerçants

Elle s’applique aussi aux associations ayant reçu des subventions de l’état, et aux entreprises publiques ayant désigné un CAC spontanément, ce qui n’est pas le cas dans notre pays, dans la mesure où le champs d’application de la loi 73-17 est plus restreint.

Toutefois, le processus d’alerte se déroule en plusieurs phases et diffère selon qu’il s’agisse d’une SA ou les autres personnes morales.

Et donc dans la société anonyme, le processus passe par 3 phases :

  • Le CAC après constatation de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il demande des explications au CA ou au directoire.

Le CDE doit dans un délai de 15 jours trouver des réponses à cette information et mettre à la disposition des CAC une analyse de la situation et les mesures afin d’y remédier.

  • Toutefois, si le dirigeant ne fournit pas de réponse fructueuse ou ne répond pas tous simplement dans les délais, la deuxième face est enclenchée. Le CAC invite le CDE à faire délibérer le conseil de surveillance ou le conseil d’administration sur les difficultés soulevés et ce dans un délai de 8 jours de la réception de la lettre recommandée. Le CAC assiste également à cette réunion, un PV est dressé et transmis à la fois au comité social et économique et au PTC.
  • La troisième phase est déclenchée si : défaut de convocation du conseil par les dirigeants – délibération faite en l’absence du CAC- malgré la délibération la situation de l’entreprise demeure compromise : dans cette phase, le CAC exige au CDE de convoquer l’assemblée générale dans un délai de 8 jours. À défaut de convocation, le CAC procède à la convocation par lui-même et fixe l’ordre du jour. Toutefois, si le CAC constate que les décisions ne remédient pas aux difficultés, il informe le PTC et lui communique les résultats.

Il est à noter que ces 3 phases s’appliquent également pour les entreprises publiques.

11 L’essentiel du droit des entreprises en difficultés – Laeticia Antonini-Cochin / Laurence Caroline Henry – 9 ème édition – Gualiano – L’extenso

12 L’essentiel du droit des entreprises en difficultés – Laeticia Antonini-Cochin / Laurence Caroline Henry – 9 ème édition – Gualiano – L’extenso

22 13 Article L.612-1 du code de commerce

Contrairement aux SA, la procédure d’alerte 14 dans les autres sociétés commerciales est moins complexes, elle se déroule en deux étapes :

  1. Une demande d’explication est formulée par le CAC qui dispose d’un délai de 15 jours pour répondre. Sa réponse doit être transmise au comité social et économique et au conseil de surveillance de la société ou du groupement s’il en existe un. Par ailleurs le CAC informe le PTC et peut lui demander à être entendu.
  2. Ensuite, à défaut de réponse du dirigeant ou en dépit de celle-ci le CAC constate que la continuité de l’exploitation demeure compromise, il y a directement rédaction du rapport spécial dont une copie est transmise au PTC. Le CAC invite alors par écrit le dirigeant à convoquer une AG dans les 15 jours. Ce dernier est tenu de communiquer l’invitation et le rapport du CAC au comité social et économique. Si après la tenue de l’AG le CAC estime que les décisions prises sont insuffisantes, il informe le PTC et peut demander à être entendu.

Pour les personnes morales de droit privé non commerçantes (associations, sociétés civiles), la procédure d’alerte applicable est similaire, soit sur celle des sociétés anonymes lorsque la personne morale a un organe collégial chargé de l’administration distinct de l’organe de direction, soit sur celle des autres personnes morales dans les autres cas, sous réserve de la compétence du président du tribunal judiciaire.

Comme précisé en supra, le champs d’application de cette procédure d’alerte est plus restreint au Maroc contrairement à la France, dans la mesure où la loi 73-17 relative aux difficultés de l’entreprise ne s’applique qu’aux sociétés commerciales dont la désignation du CAC est obligatoire. Il s’agit des SA , des autres formes de sociétés commerciales à savoir la SARL, la SNC, la SCS et par actions et la société de participation lorsque son objet est commercial ainsi que les groupements d’intérêt économique à caractère commercial .

14 Mémento LMD – Droit des entreprises en difficulté – Edition 3 – Laetitia Lethielleux – Gualiano – 2012

Sont donc exclus du champ d’application des procédures de prévention interne : les entreprises individuelles, les groupements d’intérêt économique à caractère civil, la société de participation, l’entrepreneur individuel. Il y a lieu de se demander quel est le sort de ces dernières en cas de difficultés étant donné les conséquences actue lles, et qu’elles ont été exclu par le législateur Marocain ?

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