Les 5 défis de la réglementation marocaine en crise sanitaire

Section 3 : Absence de textes règlementaires

La législation et réglementation marocaines en vigueur demeurent déficientes et lacunaires voire inadaptées notamment en l’absence de textes réglementaires.

Par conséquent, la pratique judiciaire n’a pas mesuré l’importance des outils de prévention et de traitement des difficultés ce qui accélèrent la détérioration des entreprises en difficultés au détriment des intérêts de toutes les parties en présence.

Comme pour de nombreux textes en vigueur, les décrets règlementaires de la loi 73-13 n’ont toujours pas été promulgués.

Le plus attendu des textes réglementaires est celui relatif aux qualifications requises pour l’exercice des missions du syndic. Il est à préciser que les fonctions qui lui sont dévolues sont d’une importance extrême.

Ce décret pourrait mieux organiser la formation du syndic, les modalités de sa rémunération, ses incompatibilités et le régime de sa responsabilité.

Est également attendu , le décret réglementaire relatif aux formalités faites par voie électronique mentionné aux articles 545 et 609 du code de commerce, qui ne semble pas non plus être d’actualité ; il s’agit d’une limite conséquente à l’application de la loi 73-17 en ces temps de crise sanitaire.

68 En d’autres termes, entre confinement, interdiction de déplacement, et arrêt partiel de la justice, seule la voie électronique pouvait être une alternative de traitement des entreprises en défaillance.

69 S’ajoute à cela , l’inadéquation des lois marocaines promulguées avec les réalités juridiques, sociales, et financières. En effet la loi marocaine relative au traitement des entreprises en difficultés a été calquée sur la loi française, mais il ne suffit pas de reprendre des dispositions étrangères, il faut qu’il y ait une adéquation, une adaptation avec toute crise éventuelle telle est le cas de la COVID-19.

C’est dans ce cadre que le législateur français a modifié temporairement le droit des entreprises en difficulté en vue de limiter la vague des faillites des entreprises et ce en publiant plusieurs ordonnances dont l’ordonnance du 20 mai 2020 n° 2020-596, l’ordonnance du 27 mars 2020 n°2020-341, loi n° 2020-1379, ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020….. ces ordonnances « COVID-19» modifient les techniques préventives, les conditions d’ouverture des procédures collectives ainsi que les délais du droit des entreprises en difficulté.

Et donc, il aurait été souhaitable que le législateur marocain procède en ces temps de crise à une adaptation du droit des entreprises en difficulté aux fins de limiter l’impact négatif du confinement sur le tissu entrepreneurial marocain.

En attendant l’avenue de nouvelles réformes législatives. Nous déplorons l’attitude du législateur Marocain, qui s’abstient jusqu’au jour d’aujourd’hui de prévoir des textes règlementaires. Cette réticence était constatée lors de l’entrée en vigueur de l’ancienne loi 15- 95.Le livre V était abrogé en l’absence d’un texte d’application qui le réglementait quand il était en vigueur, aujourd’hui une nouvelle loi est mise en place et ne fait toujours pas objet d’un texte la règlementant.

Lorsque les dispositions législatives sont floues, et le cadre réglementaire régissant la matière est approximatif ; il s’en découlera des jugements erronés, incohérents qui affecteront négativement les droits des entreprises en difficulté.

Section 4 : Marginalisation des salariés lors de la procédure de sauvegarde Outre les trois limites susmentionnées, la marginalisation des salariés lors de la procédure de sauvegarde constitue aussi une limite à l’application de la loi 73-17 en ces temps de pandémie internationale.

Malgré, l’adoption d’une nouvelle loi 72 en matière de droit des entreprises en difficulté au Maroc, les salariés restent toujours marginalisé, et n’ont aucun rôle actif durant la procédure. Il

72 La loi 73-17 relative au traitement des difficultés des entreprises

70 s’est avéré que, le lien de subordination et leurs contrats sont la raison pour laquelle aucune considération n’a été prévue à leur égard.

Le salarié ne peut donc intervenir en tant que membre actif durant l’apparition de difficultés susceptibles de compromettre la continuité de l’activité. Mais Toutefois, il est représenté par le comité de l’entreprise ou le cas échéant par le représentant du personnel.

D’ailleurs, les salariés sont les premières – victimes du déclenchement d’une procédure collective du fait de la perte totale ou partielle de leur emploi, par l’effet du licenciement pour motif économique, financier et technologique.

Prenons le cas de la crise sanitaire actuelle, la majorité des entreprises en difficultés ont pris plusieurs mesures pour faire face à cette dernière, telles que :

Imposer des départs en congé

Négocier avec les Salariés des congés sans soldes ou des «congés payés» complémentaires

La réduction du temps de travail pour faire face à la crise sanitaire

Suspension du contrat de travail

Rupture du contrat de travail : licenciement 73 pour « motifs technologiques, structurels ou économiques» : comme le prévoit le code du travail dans ses articles 66 et suivants, le licenciement pour motif économique est entouré d’un certain nombre de conditions drastiques de sorte qu’il est difficile de le mettre en œuvre en ces temps de crise sanitaire. Ce type de licenciement ne concerne tout d’abord que les entreprises employant habituellement plus de 10 salariés et ayant à connaître des difficultés économiques d’une telle acuité qu’elles rendent impossible le fonctionnement normal de l’entreprise. La procédure applicable à ce type de licenciement se caractérise par sa complexité.

En effet, du fait de la gravité des conséquences économiques escomptées et afin de garantir les droits des salariés licenciés massivement ou individuellement, le code de travail prévoit une série de démarches administratives externes et certaines mesures internes.

73 Articles 66 et suivants du code de travail

71 Avant d’entamer une procédure externe auprès des autorités administratives en vue d’un licenciement individuel ou collectif, l’employeur doit informer les représentants des salariés de la situation, les consulter à ce propos et négocier avec eux.

La Cour de Cassation a confirmé l’obligation de concertation au moins un mois avant de procéder au licenciement et d’adresser aux représentants des salariés des informations importantes tel que les motifs du licenciement envisagé, le nombre de salariés visés par le licenciement, et la durée d’exécution du licenciement envisagé 74 .

L’employeur doit ensuite adresser une demande d’autorisation de licenciement au délégué provincial chargé du travail.

Cette demande devra être accompagnée de tous les documents pouvant justifier ce licenciement comme :

Le procès-verbal des concertations et négociations avec les représentants des salariés

Un rapport comportant les motifs économiques, nécessitant l’application de la procédure de licenciement ;

Un état sur la situation économique et financière de l’entreprise ;

Un rapport établi par un expert-comptable ou par un commissaire aux comptes.

Le délégué provincial chargé du travail doit effectuer toutes les investigations qu’il juge nécessaires et doit adresser le dossier, dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la réception de la demande, aux membres d’une commission spécifique.

En vertu du décret n° 2-04-514 du 29 décembre 2004, la commission provinciale est présidée par le gouverneur de la préfecture

Le gouverneur de la préfecture ou de la province décidera alors d’accorder ou non l’autorisation : (i) de licencier un ou plusieurs salariés pour des motifs technologiques structurels ou économiques (ii) de fermer totalement ou partiellement l’entreprise au cas où la poursuite de son activité deviendrait impossible.

74 Arrêt rendu par la Cour de Cassation sous le n°521, dans le dossier 2008/1/5/832 en date du 06/05/2009

La décision du gouverneur devra être motivée et fondée sur les conclusions et les propositions de la commission et intervenir au plus tard deux mois après la déposition de la demande d’autorisation.

Ainsi comme précisé ci-dessus le recours à la procédure de licenciement pour «motifs technologiques, structurels ou économiques» ne peut être envisagé pendant cette crise sanitaire compte tenu de sa complexité.

L’employeur peut toutefois envisager une rupture amiable du contrat de travail par conciliation devant l’inspecteur du travail en proposant une indemnité compensatrice au salarié sur la base des indemnités prévues par le code du travail en cas de licenciement.

Malgré cette complexité, plusieurs entreprises marocaines en difficultés ont eu recours au licenciement pour « motifs technologiques, structurels ou économiques», et ce pour faire face aux conséquences causées par la crise sanitaire actuelle ; à titre d’exemple la Royal Air Maroc a licencié plus de 177 membres du personnel dans le cadre du plan de sauvetage enclenché en août 2020. Ce plan de sauvetage prévoit la suppression de plus de 800 postes d’emplois. Ainsi que sa Filiale Atlas Multiservice qui elle aussi suite à la rupture de son contrat de prestation service avec la RAM, était dans l’obligation de licencier plusieurs salariés.

De ce fait, il importe de revoir minutieusement les mesures de licenciement soit pendant la période d’observation soit dans le cadre du plan de redressement en faisant l’harmonisation du code de commerce avec le code de travail et avec la situation de crise actuelle.

Le législateur marocain doit rompre avec cette perception qui est de nature purement financière et qui se traduit par l’exclusion des salariés ; et prendre en considération les intérêts des salariés, mais aussi dédramatiser la procédure en tenant compte de sa composante humaine. D’ailleurs, en France depuis le 25 janvier 1985, a été introduit l’humanisation de la procédure, et la prise en compte de la diversité des intérêts. Le doyen HOUIN a pu dire 75 de la loi relative au traitement des difficultés des entreprises, qu’elle était faite pour les salariés à tous les stades de la procédure, et accorde un « statut dans la procédure, en prévoyant un système de consultation et d’information des représentants du personnel et en instituant un organe

nouveau : le représentant des salariés » 76 . L’objectif prioritaire étant de sauvegarder l’emploi.

75 R.HOUIN Rapp. Introductif, « les innovations », 1986, p. 345.

72 76 V. A. COEURET, « la représentation du personnel dans l’entreprise en difficulté », 1986, p. 651.

73 Ainsi, le comité d’entreprise ou, le cas échéant les délégués du personnel, tout d’abord doivent être constamment associés au déroulement du redressement judiciaire. Ils doivent être entendu par le tribunal dès l’ouverture de la procédure, informé tout au long de la période d’observation sur l’avancement de la préparation du bilan économique et social et du projet de plan. Mais surtout consulter les institutions représentatives avant de prendre des décisions concernant l’entreprise en difficulté, qu’il s’agisse de l’arrêt d’un plan de continuation ou de cession ou d’une décision de liquidation. On peut toutefois aussi, élargir leurs prérogatives comme : exercer des voies de recours contre la décision statuant sur la liquidation judiciaire, arrêtant ou rejetant le plan de continuation de l’entreprise, ainsi que contre les décisions modifiant le plan de continuation.

Le législateur français est parti plus loin, en instituant un « représentant des salariés », élu par le personnel, dès l’ouverture de la procédure, à l’initiative du tribunal et dont le rôle est de contrôler le représentant des créanciers dans les opérations de vérification des créances salariales. 77 Cette démarche démontre sa volonté de ne plus exclure les salariés de la procédure collective.

77 « La représentation du personnel dans l’entreprise en difficulté », op. cit. p. 12. P. 786.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Covid-19 et Traitement des difficultés des entreprises
Université 🏫: Université Hassan II-Casablanca - Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales de Mohammedia
Auteur·trice·s 🎓:
Sara MAHIR

Sara MAHIR
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin d’études pour l’obtention du Master Droit Des Affaires sous le thème - 2020/2021
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