Université de Lorraine

Institut national
supérieur du professorat
et de l’éducation INSPE

Les savoirs expérientiels de la personne en situation de polyhandicap

Master Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation – MEEF

Spécialité Pratiques et Ingénierie de Formation
Parcours Ingénierie de Formation de Formateurs

Mémoire de Master
Ecrit de Clôture

Les savoirs expérientiels de la personne en situation de polyhandicap
Les savoirs expérientiels de la personne en situation de polyhandicap

Régis FENDER

Sous la direction de Jean-Christophe VILATTE

2021/2022

Remerciements :

En préambule de l’exposé de ce travail de recherche, je tiens à remercier sincèrement Jean-Christophe Vilatte, et son admirable disponibilité, pour avoir apporté un autre regard, un regard autre indispensable à l’achèvement de mes travaux.

Je remercie vivement aussi l’ensemble des professionnels et des personnes en situation de polyhandicap de la Maison d’Accueil Spécialisée de Rosselange pour m’avoir si bien accueilli et permis de réaliser ma recherche de terrain.

Et enfin, je remercie affectueusement mes proches pour l’extrême patience et la générosité dont ils ont fait preuve.

Quatrième de couverture

Les savoirs expérientiels de la personne en situation de polyhandicap
Régis FENDER

Résumé

En introduisant les savoirs expérientiels des personnes vulnérables dans la définition du travail social, le décret n° 2017-877 du 6 mai 2017, relatif à la définition du travail social, refonde l’action sociale tandis qu’il associe les savoirs expérientiels des personnes vulnérables à la construction des réponses à leurs besoins.

Désormais, la formation en travail social ne repose plus exclusivement sur les savoirs universitaires et les savoirs des professionnels, mais requiert les savoirs expérientiels des bénéficiaires de l’action sociale.

C’est pourquoi ce travail de recherche se propose d’explorer les savoirs issus du vécu et de l’expérience des personnes en situation de polyhandicap afin de pouvoir les intégrer à la formation des travailleurs sociaux à l’Institut Régional du Travail Social de Lorraine.

By introducing the experiential knowledge of vulnerable people into the definition of social work, Decree No. 2017-877 of 6 May 2017 on the definition of social work reshapes social action by involving the experiential knowledge of vulnerable people in the construction of responses to their needs. From now on, social work training no longer relies exclusively on academic knowledge and the knowledge of professionals, but requires the experiential knowledge of the beneficiaries of social action.

This is why this research work proposes to explore the knowledge resulting from the experience of people with multiple disabilities in order to be able to integrate it into the training of social workers at the Regional Institute of Social Work of Lorraine.

Mots clés

Savoirs expérientiels – personne polyhandicapée – vulnérabilité – dépendance – participation – interaction – formation – travail social

Experiential knowledge – multi-disabled person – vulnerability – dependence – participation – interaction – training – social work

Table des matières

Introduction3

Préambule5

Contexte et enjeux9

Fondement juridique9

De la discrimination à la participation de la personne polyhandicapée11

Les savoirs issus des situations de polyhandicap dans la formation12

Les savoirs expérientiels15

L’avènement des savoirs expérientiels16

Emergence et reconnaissance des savoirs expérientiels17

Des savoirs axiologiques20

L’usage du monde22

Des savoirs subjectifs22

La sémantisation de l’expérience25

Des savoirs-agissants27

Des savoirs en interaction : la question de l’apprentissage27

Des savoirs transformateurs29

Méthodologie croisée33

L’émergence de la méthodologie33

Des prémisses méthodologiques34

La méthodologie36

Photographies et observations avec prise de notes37

Photographies et entretiens40

Approche du terrain et mise en œuvre de la démarche43

Le déroulement de la recherche46

Observations photographiques47

Emergence des pensées réflexives47

Une observation mise en scène ?50

Photographie des entretiens57

Entretiens et analyse de pratiques professionnelles57

Intentions58

Ecueils et réflexions58

Analyse de pratiques60

Le recueil des savoirs expérientiels62

Approche méthodologique62

Des savoirs pour faire savoir65

Des savoirs empathiques71

Des savoirs « filous »77

Conclusion83

Bibliographie86

Quatrième de couverture93

Annexes

Annexe A : Décret no 2017-877 du 6 mai 2017 relatif à la définition du travail social

Annexe B : Plan d’action en faveur du travail social et du développement social

Annexe E : entretien 1

Annexe F : entretien 2

Annexe G : entretien 3

Annexe H : entretien 4

Annexe I : entretien 5

Annexe J : Photos A

Annexe N : extraits tapuscrits du carnet d’observation.

Annexe O : Document remis au terrain pour préciser la recherche..

Annexe P : Grille d’analyse n°.

Annexe Q : Grille d’analyse n°.

Annexe R : grille d’analyse n°3

Introduction

En convoquant les savoirs expérientiels des personnes vulnérables dans la définition du travail social, en complément des savoirs universitaires en sciences sociales et des savoirs des professionnels du travail social, le décret n° 2017-877 du 6 mai 2017 (annexe A) associe les savoirs expérientiels des personnes vulnérables à la construction des réponses à leurs besoins.

Pourtant, la validité de ces savoirs d’expérience, issus des interactions de la personne vulnérable avec son environnement, « ne s’est pas imposée d’elle-même mais a été promue par des groupes d’acteurs, des organisations, s’est jouée dans des conjonctures sociales, cognitives et politiques particulières. » (Lochard, 2007, p.81). Leur histoire témoigne effectivement en ce sens, puisque leur reconnaissance au début des années quatre-vingts a coïncidé avec l’apparition du SIDA (Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise) et une pénurie de connaissances sur la maladie (Tourette-Turgis, 2013).

Les patients ont alors partagé avec les chercheurs leurs savoirs sur les symptômes de la maladie inconnue et sur les effets des traitements, légitimant ainsi les savoirs issus de leur expérience de la maladie.

La récente pandémie a d’ailleurs produit les mêmes effets, puisque les travaux des chercheurs ont dû s’appuyer, en partie, sur l’expérience des malades en l’absence de connaissances sur le Covid-19.

Les savoirs expérientiels des personnes vulnérables apparaissent donc, aujourd’hui, indispensables à la formation en travail social pour favoriser la participation des personnes accompagnées à l’élaboration des réponses à leurs besoins quotidiens. D’autant que les métiers de l’action sociale reposent avant tout sur l’exercice quotidien de la relation, d’aide ou d’accompagnement, entre une personne vulnérable et un travailleur social.

« À ce titre, l’apport du savoir expérientiel des usagers1 dans la mise en œuvre d’une telle alliance, et plus globalement la reconnaissance d’un tel savoir, est de plus en plus démontré … » (Morin et Lambert, 2019, p. 196).

Cependant, et à l’exception de témoignages occasionnels des bénéficiaires de l’action sociale auprès des étudiants, ces savoirs expérientiels ne sont pas convoqués dans les instituts de formation en travail social.

Par conséquent, et en qualité de responsable pédagogique de la formation des éducateurs techniques spécialisés à l’IRTS de Lorraine, nous nous proposons d’explorer les savoir expérientiels des personnes en situation de

1 Le terme « usager » renvoie à un statut juridique accordé à une personne vulnérable, bénéficiaire de l’action sociale.

polyhandicap afin de les intégrer à la formation des travailleurs sociaux. Nourrie de l’intuition d’un lien originel entre savoirs expérientiels et participation, notre recherche s’attachera à explorer spécifiquement les savoirs expérientiels des personnes en situation de polyhandicap, car les situations de polyhandicap, du fait de l’état de dépendance qu’elles impliquent, radicalisent et essentialisent l’enjeu participatif par les savoirs expérientiels.

En effet, les personnes polyhandicapées sont précisément restreintes dans leur participation en raison de la nature de leur handicap.

D’ailleurs, « certains déficits cognitifs, certains handicaps, notamment dans l’expression peuvent permettre de comprendre que … le partage des savoirs et des compétences est très limité » (5èmes rencontres scientifiques du CNSA, 2018, p.14). Leur degré de dépendance requiert, par conséquent, la médiation d’un dispositif pour identifier et documenter leurs savoirs expérientiels, acquis dans l’expérience de leur situation de polyhandicap comme dans l’interaction avec leur environnement institutionnel et, en particulier, avec les professionnels qui les accompagnement au quotidien.

Pour ce faire, et après une première partie qui contextualisera notre travail de recherche tout en exposant les enjeux qui y sont liés, nous nous attacherons, dans une seconde partie, à établir le lien originel entre savoir expérientiel des personnes et participation à l’élaboration des réponses à leurs besoins, en convoquant l’histoire et l’origine des savoirs expérientiels.

Nous consacrerons également cette seconde partie à un inventaire de la littérature scientifique sur les savoirs expérientiels afin de démontrer que les savoirs expérientiels sont des savoirs concrets, enracinés dans l’expérience quotidienne du polyhandicap, qui permettent à la personne polyhandicapée de se situer dans le monde, de se diriger et d’agir dessus.

Le cadre conceptuel qui en découlera nous permettra alors d’engager la méthodologie de terrain et le recueil des savoirs expérientiels des personnes polyhandicapées pour, dans une troisième partie, rendre compte de notre dispositif de recueil des savoirs expérientiels destiné à appuyer la formation en travail social « sur les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement social … » (décret n° 2017-877 du 6 mai 2017).

Préambule

En préambule à notre travail de recherche, nous souhaiterions dévoiler ci-après le récit de notre cheminement autour et avec l’objet de recherche, ainsi que l’exposé de nos déplacements au cœur de cet objet, pour rendre compte de notre démarche jusqu’à l’émergence de notre méthodologie. Le préambule de la troisième partie de notre mémoire s’attachera à présenter l’émergence de cette dernière2.

Nos premières lectures nous ont porté vers la littérature scientifique canadienne et, en particulier, un projet de collaboration franco-québécoise (2016-2018), entre le Conservatoire National des Arts et Métiers et l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, qui « vise à développer la participation des personnes accompagnées au titre de leurs difficultés dans la formation au travail social ».

Les résultats des travaux menés démontrent la double nécessité de valoriser et de s’appuyer sur les savoirs expérientiels des bénéficiaires3 pour garantir leur participation. Nous découvrions alors, pour la première fois, la notion de savoir expérientiel sans, toutefois, nous y arrêter.

L’exploration théorique nous a ensuite permis d’appréhender l’évolution de la notion de participation à travers ses représentations depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à ramener, une nouvelle fois, la notion de savoirs expérientiels dans son champ. Si la question de la participation intéressait grandement notre objet, celle des savoirs issus du vécu et de l’expérience des personnes en situation de polyhandicap, ou savoirs expérientiels des personnes en situation de polyhandicap, nous ouvrait, cette fois-ci de nouvelles perspectives de recherche jusqu’à devenir l’objet même de notre travail de recherche. Elles nous invitaient, certes à explorer la nature de ces savoirs, mais également à étudier le lien entre les savoirs expérientiels des personnes en situation de polyhandicap et l’effectivité de leur participation à la réponse apportée à leurs besoins. De nouveaux territoires de recherche s’ouvraient à notre exploration fécondant en chemin des imaginaires inédits et l’intuition d’un lien originel, consubstantiel, entre savoirs expérientiels et participation.

Au même moment, nous avons décidé de rédiger un carnet de recherche afin de documenter cette recherche naissante. Nourri de questionnements, de perspectives, de citations ou encore d’évocations, celui-ci rend compte de nos errements, de nos joies et de nos avancées dans la représentation et l’écriture du travail de recherche. Nous y relevions d’emblée :

Occupé par le sujet, j’y ramène, presqu’à mon insu mon récit de vie. Ces différents niveaux que la recherche engage lui donne sens et profondeur, et qui sait (?), pourrait me donner sens et profondeur », en notant par ailleurs la réflexion de Kilani (1992) cité par Borel (1995) qui évoque « la place de l’épistémologue “du dehors” [ce qui] lui permet de se regarder agir en suspendant provisoirement les urgences pratiques imposées par un certain travail et comprendre sa propre façon de construire son objet. Voilà donc la question épistémologique de la construction d’un savoir qui est posée et qui ne peut contourner celle de son point de départ » (Kilani, 1992, p. 39).

2 3.1 L’émergence de la méthodologie

3 Un bénéficiaire de l’action sociale est une personne qui bénéficie d’un service social. Les personnes polyhandicapées bénéficient en France d’un accueil et d’un accompagnement en structure médicosociale.

Partie intégrante de la recherche, jusque dans notre subjectivité de chercheur, nous étions prévenu dès le départ, qu’il nous fallait maintenir la distance nécessaire à l’examen de notre objet d’étude (Saada-Robert et Leutenegger, 2002).

Conforté par la lecture du décret du 06 mai 2017, qui précise que le travail social « s’appuie sur des principes éthiques et déontologiques, sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et sur les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement social, celles-ci étant associées à la construction des réponses à leurs besoins … », nous réalisions un premier inventaire de la littérature scientifique sur les savoirs expérientiels. Ce premier inventaire faisait rapidement apparaître trois grands axes de recherche, l’un sur la nature des savoirs expérientiels, un autre sur les espaces de production de ces savoirs, et enfin un troisième sur les dispositifs qui les convoquent. Nous décidions, dès l’entame de nos lectures, de les concentrer sur les savoirs issus de l’expérience rare du polyhandicap et du handicap mental (Gardien, 2019) sans toutefois nous priver de lectures périphériques sur d’autres savoirs expérientiels, afin de saisir la notion de savoirs expérientiels dans son acception générale tout en l’investiguant plus précisément au regard des situations de polyhandicap. Nous découvrions, à la suite des travaux de Wynne (1999), que ce savoir expérientiel est situé, qu’il est « plus local que la connaissance produite au sein du laboratoire, mais qu’il est tout aussi rationnel ». Barthe (1999) précise d’ailleurs qu’un nouveau champ de recherche s’ouvre avec la participation des profanes à l’élaboration de la connaissance. Pour autant, nous notions que leur reconnaissance, particulièrement dans le champ du polyhandicap, reste compliquée.

D’Arripe et Routier (2013) posent l’hypothèse que leur extrême variabilité les dessert alors que les travaux de Gross et Gagnayre (2017) plaident en faveur d’un discrédit des savoirs expérientiels, associé à un statut subalterne, en raison de leur mode de production accessible à tous quand la science a justement été élaborée contre le sens commun. Gardien (2019), quant à elle, avance que les savoirs issus de l’expérience du handicap n’apparaissent pas comme des savoirs à part entière car ils ne sont pas communs à la majorité des individus.

Si, à ce stade de l’exploration, nous commencions à mesurer les enjeux, ou l’apport des savoirs expérientiels dans la participation à la réponse apportée aux besoins des personnes polyhandicapées, nous relevions également que Wynne met en lumière le caractère partiel du savoir expert, insuffisant pour comprendre le réel et les situations qui y opèrent. Si les savoirs expérientiels ne semblent pas favoriser l’élaboration de connaissances universelles, ils permettent néanmoins, selon Wynne, une négociation avec les contextes variables ainsi qu’une connaissance utile à la compréhension du réel. S’ouvrait alors dans notre cheminement un nouvel axe de problématisation :

Les savoirs expérientiels, issus « de la rencontre d’un individu avec la complexité du réel, au fil des situations » (Wynne, 1996), pourraient lui permettre de négocier avec le réel, d’agir dessus.

Autrement dit, les savoirs expérientiels des personnes en situation de polyhandicap, issus de leurs interactions avec l’environnement institutionnel4, pourraient leur permettre de négocier avec le quotidien, de participer à la réponse apportée à leurs besoins.

Notre intention de recherche se posait alors en des termes, pour nous, éclairants :

Explorer les savoirs expérientiels, en particulier les savoirs expérientiels des personnes en situation de polyhandicap, afin de les restituer sous forme de composantes générales de formation.

Dans le même temps, nous notions dans notre journal de bord :

À mesure que la recherche théorique avance, que les rencontres avec les auteurs se multiplient, j’ai l’impression de faire des bonds prodigieux, à l’instar du petit poucet après qu’il ait enfilé les bottes de sept lieux. Parfois trop grands, les concepts finissent

 

4 L’environnement inclut ici les personnes qui l’occupent, et donc en premier lieu, les professionnels et les autres personnes polyhandicapées.

par s’ajuster à l’objet du mémoire pour permettre de fantastiques enjambés dans sa problématisation : les concepts agissant alors comme les bottes de sept lieux, en favorisant l’accès à un autre niveau de compréhension. Quelques fois, cependant, ces bonds mènent à des impasses, à des paysages troubles ou indéfinis, et les bottes se desserrent.

Et toujours en écho à nos questionnements, à nos discussions, nous mobilisions les réflexions d’auteurs pour tenter de cerner la démarche de recherche, lever ses incertitudes ou approfondir notre étude. En nous demandant avec Cifali (2004), « par quels chemins et avec quel regard fabriquons-nous des hypothèses efficientes, fréquentons-nous des situations, des humains, des textes ? Comment acceptons-nous de nous perdre dans un matériau pour que surgisse une compréhension surprenante, avec une méthodologie qui se fait en chemin, qui n’est donnée pas au départ mais presque toujours à la fin ? » (Cifali, 2004, p. 79).

Notre méthodologie se faisait effectivement en chemin, en écho à nos lectures, ou encore à nos échanges en formation, jusqu’à dévoiler ses traits et ses caractéristiques propres :

Une méthodologie croisée entre observations, photographies et entretiens pour tenter de recueillir les savoirs expérientiels des personnes polyhandicapées en institution médicosociale.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les savoirs expérientiels de la personne en situation de polyhandicap
Université 🏫: Université de Lorraine - Institut national supérieur du professorat et de l'éducation INSPE
Auteur·trice·s 🎓:
Régis FENDER

Régis FENDER
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation - MEEF - 2021/2022
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