Chapitre I: Une volonté commune de promotion des droits fondamentaux des peuples autochtones
Section I : La volonté commune de protection et de valorisation de la culture autochtone

B- Les droits collectifs des peuples autochtones sont complémentaires aux droits individuels universels

Dans la démocratie libérale, l’égalité et la liberté individuelle des citoyens sont l’engagement fondamental.

Donc, les droits civils et politiques essentiels sont garantis à chaque individu de l’État, c’est-à-dire à tout citoyen, peu importe son appartenance de groupe. En effet, la démocratie libérale fut une réaction en Europe contre l’Ancien Régime et sa manière de définir les droits politiques et les opportunités économiques des individus selon le groupe auquel ils appartiennent130.

De cette façon nous pouvons nous demander comment les libéraux peuvent accepter les revendications de droits différenciés selon l’appartenance de groupe des minorités ethniques.

À première vue, l’idée d’avoir des droits différenciés peut sembler contraire au libéralisme, qui défend que les individus aient une personnalité autonome, capable de définir leurs propres identités et objectifs de vie. Il est naturel de supposer que les droits collectifs sont opposés aux droits exercés par des individus et que les premiers sont en conflit avec les seconds.

Pourtant, nous pensons que cette perception est fausse. En effet, les « différentes formes de citoyenneté différenciée selon le groupe ethnique »131 sont tout à fait compatibles avec les droits individuels universels.

Il faut souligner que la terminologie « formes de citoyenneté différenciée » est utilisée par l’auteur Will Kymlicka à la place de « droits collectifs » parce qu’il juge que cette dernière terminologie est trop large et qu’elle n’englobe pas les droits individuels exercés de manière différenciée par les personnes qui appartiennent à un groupe minoritaire, ce qui peut amener à une fausse conclusion d’opposition entre ces droits différenciés et les droits individuels universels.

La plupart des droits collectifs n’ont pas de rapport avec la primauté des communautés sur les individus, mais reposent plutôt sur l’idée que la justice entre les groupes exige que des droits différenciés soient accordés aux membres de groupes différents.

Les revendications d’un groupe ethnique, selon Kymlicka, peuvent être de deux types : le premier implique la revendication d’un groupe contre ses propres membres et le deuxième implique la revendication d’un groupe contre la société dans laquelle il s’insère.

Ces deux types de revendications sont appelées « droits collectifs », mais les enjeux de chacun sont très différents.

L’auteur appelle les premières « restrictions internes », puisqu’elles ont l’objectif de protéger le groupe de l’impact négatif d’instabilité du dissensus interne, et les deuxièmes « protections externes », car elles ont l’objectif de protéger le groupe de l’impact des décisions externes, c’est-à-dire de l’État central.

Les restrictions internes impliquent des relations intra-groupes : le groupe ethnique ou national peut chercher à utiliser le pouvoir de l’État pour restreindre la liberté de ses propres membres au nom de la solidarité de groupe.

Cela pose le danger de l’oppression individuelle. Les critiques des «droits collectifs» dans ce sens invoquent souvent l’image des cultures théocratiques et patriarcales, où les femmes sont opprimées, et l’orthodoxie religieuse imposée par la loi comme exemples de ce qui peut arriver lorsque les droits présumés du collectif priment sur les droits des individus. […]

Les protections externes impliquent des relations intergroupes ; c’est-à-dire que le groupe ethnique ou national peut essayer de protéger son existence et son identité spécifique en limitant l’impact des décisions de la société dans laquelle il est inclus.

Cela pose aussi certains problèmes, non d’oppression individuelle au sein d’un groupe, mais d’injustice entre groupes.

Un groupe peut être marginalisé ou séparé afin de préserver la spécificité d’un autre groupe. Les critiques des «droits collectifs» dans ce sens se réfèrent souvent au système d’apartheid en Afrique du Sud comme un exemple de ce qui peut arriver lorsqu’un groupe minoritaire réclame une protection spéciale de la société dans son ensemble132.

Cependant, la concession de protections externes et ainsi de droits spéciaux ne crée pas nécessairement une telle injustice.

Cela parce que ces protections externes n’impliquent pas une position de domination sur les autres groupes, au contraire, de tels droits offrent une position d’égalité entre les divers groupes, étant donné la vulnérabilité d’un petit groupe face à un grand.

130 KYMLICKA Will, « Derechos individuales y derechos colectivos », in ORDONEZ María Paz et LEDESMA María Belén (dir.), Los derechos colectivos: hacia su efectiva comprensión y protección, Quito : Ministro de Justicia y Derechos Humanos del Ecuador, 1ère ed., 2009, p. 3.

131 Ibid., p. 4.

132 Ibid., p. 8.

Les droits différenciés ou droits collectifs, donc, aident à réduire la vulnérabilité des groupes minoritaires face aux pressions économiques et aux décisions politiques de la masse de la société.

Dans cette perspective externe, les groupes prétendent s’assurer que l’ensemble de la société ne les privera pas des conditions nécessaires pour leur survie, et non pas contrôler si leurs propres membres adhèrent ou non à des pratiques peu traditionnelles, il n’y a pas de conflit entre les protections externes et les droits individuels des membres du groupe.

Toutefois, les groupes sont aussi intéressés à contrôler le dissensus interne et revendiquent des droits différenciés selon le groupe pour imposer des restrictions internes à leurs membres.

Cette possibilité a été évoquée à plusieurs reprises dans le contexte des revendications d’autonomie des peuples autochtones. Par exemple, dans les nouvelles constitutions de l’Équateur et de la Bolivie, comme vu auparavant, il y a des restrictions aux autonomies autochtones en ce qui concerne le respect aux droits individuels disposés dans les constitutions et dans les traités internationaux.

Ainsi, si un membre considère que son droit individuel a été violé, il peut faire un recours devant la justice autochtone.

Les droits collectifs des peuples autochtonesBien que les droits collectifs prévalent inévitablement sur certains droits individuels, comme le droit collectif à la terre qui restreint la possibilité de la vendre par les membres du groupe, cela ne constitue pas un prétexte pour supprimer une liberté individuelle fondamentale.

Il n’y a pas de raisons qui amènent à soutenir que les droits collectifs excluent ou sont au-dessus des droits individuels. Au contraire, il est plausible de soutenir que les deux sont complémentaires et que les personnes qui font partie d’un peuple autochtone jouissent tant des droits individuels en tant que citoyens d’un État, que de droits collectifs en tant que membres d’un peuple ou nation autochtone.

Les personnes autochtones, selon les deux constitutions (art. 13 de la CPEB et art. de la CRE), jouissent de tous les droits individuels universels.

En ce sens, la théorie libérale (celle contre les droits collectifs) défend l’applicabilité de tous les droits humains à tous les individus, universellement et également, et donc également aux personnes autochtones et pour elle cela est suffisant.

Cependant, cela n’est pas toujours le cas dans la vie réelle, selon les divers rapports internationaux133 sur les conditions des peuples autochtones dans le monde.

133 C.f. Les publication du State of the world’s indigenous peoples (SOWIP) – United Nations Permanent Forum on Indigenous Issues (UNPFII) disponibles sur https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/publications/state-of-the-worlds-indigenous-peoples.html (consulté le 30 juillet 2022).

Malgré le fait que les peuples autochtones ont tous les droits humains individuels universels, ils n’en profitent pas de la même façon que les autres individus, en raison de leur appartenance de groupe, c’est-à-dire en raison des inégalités qui découlent de cette appartenance, car les peuples autochtones sont victimes du racisme et également d’une discrimination culturelle.

Résoudre la question des détails pratiques est lié aux structures institutionnelles, aux systèmes juridiques et aux relations de pouvoir existants, « qui à leur tour sont liés à un système social plus complexe dans lequel les peuples autochtones sont, pour commencer, les victimes historiques des violations des droits humains »134.

Le manque d’un accès équitable aux droits humains universels en raison de leur appartenance de groupe est une des raisons pour laquelle ces droits se montrent peu satisfaisants pour les peuples autochtones.

Ainsi, pour que le principe d’égalité acquière un sens pour les peuples autochtones, il faut admettre une catégorie de droits qui guide la hiérarchie de valeurs et de droits, qui respecte leur vision du monde (cosmovision) et le système de croyances autochtones et, en même temps, qui ne viole pas le système des droits de l’homme conçu au niveau international.

Cette catégorie est appelée de « droits émancipateurs » par Silvina Ramírez, puisque « c’est un outil généré pour que les peuples autochtones puissent lutter pour leurs droits et ainsi parvenir à une véritable égalité »135.

C’est pourquoi les caractéristiques qui définissent un droit comme émancipateur peuvent être attribuées, selon le sujet sur lequel il est prêché, le contexte et le moment où se développent les relations ou les situations sociales, à différents types de droits qui acquerront cette qualité en raison des exigences et des besoins des peuples autochtones.

Pour bien préciser l’idée, le caractère émancipateur d’un droit est un instrument conceptuel créé pour remplir une fonction précise : celle de résoudre les conflits entre droits.

Ils qualifient un ensemble de droits qui à une place et à un moment déterminés doivent avoir la primauté sur les autres, pour parvenir à une situation qui permette à certains sujets leur jouissance effective136.

Ainsi, lorsqu’il y a un conflit entre un droit collectif et un droit individuel, une possible sortie par le haut serait le principe « pro-émancipation », qui ferait une hiérarchie de valeurs sans prétention d’universalité, mais dans le dialogue interculturel, en évaluant chaque situation dans son contexte et en pointant des critères objectifs fondés dans l’analyse des conditions historiques qui se présentent137 et non le critère classique « pro-persona », qui ne laisse aucun espace aux droits collectifs lorsqu’il exclut de sa portée les conditions nécessaires pour que certains groupes humains acquièrent la possibilité d’avoir une vie digne.

134 STAVENHAGEN Rodolfo, « Los derechos de los pueblos indígenas: desafíos y problemas », Revista IIDH, vol. 48, 2008, p. 260

135 RAMIREZ Silvina, « Igualdad como Emancipación: Los Derechos Fundamentales de los Pueblos Indígenas », Anuario de Derechos Humanos, n. 3, 2007, p. 44.

136 Ibid. p. 45.

137 Ibid., p. 45.

En somme, selon les constitutions bolivienne et équatorienne, le droit autochtone doit respecter les droits individuels universels prévus dans les constitutions et les traités internationaux, ces droits étant prévus en même temps que les droits collectifs, exercés par un groupe ethnique et non pas par un individu, pour engendrer une compatibilité entre les deux et ne pas laisser les membres de ces groupes en dehors du système de protection des droits humains individuels.

Malgré leur compatibilité, ces droits peuvent entrer en conflit dans le cas concret et la solution serait alors l’utilisation du principe « pro-émancipation » formulé par Ramirez, principe qui répond aux exigences de l’interculturalité.

Enfin, la volonté de valorisation de la culture autochtone va au-delà des droits collectifs octroyés aux peuples autochtones, elle peut être vue aussi dans la nouvelle finalité de l’État telle que décrite par les constitutions de la Bolivie et de l’Équateur.

Ces deux constitutions ont consacré la finalité du « vivre bien » comme la finalité ultime de l’État, qui est devenu un État d’émancipation sociale et non plus de régulation sociale. Autrement dit, l’État ne sert plus à réguler la société, mais à la développer ou à l’émanciper, toujours en garantissant l’harmonie entre les divers groupes qui la compose et également entre la société et la nature.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Clermont Auvergne - École de droit - Master 2 Droit public approfondi
Auteur·trice·s 🎓:
Thayenne Gouvêa de Mendonça

Thayenne Gouvêa de Mendonça
Année de soutenance 📅: Mémoire en vue de l’obtention de Master en Droit Public mention Carrières Publiques - 2021-2033
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