Les organismes d’aide à l’exportation du théâtre français

Les organismes d’aide à l’exportation du théâtre français

Partie II : L’exportation du théâtre français dans les institutions théâtrales européennes : des difficultés malgré une volonté affirmée

Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères a affirmé le besoin de lutter contre l’uniformisation : « La question culturelle est aussi, et peut-être avant tout, une question d’identité. Pour un peuple, pour un pays, mieux faire connaître ses forces créatives et artistiques participe d’un combat pour son existence et sa dignité.

Face aux menaces de repli identitaire, nous avons besoin d’un monde qui sache préserver ses différences culturelles, un monde soucieux de faire tomber les barrières et de promouvoir les conditions d’un dialogue équilibré entre les cultures1. »

Des initiatives significatives dans la politique culturelle internationale de la France sont allées dans ce sens, notamment dans le courant de l’année 2005, avec entre autre l’adoption à l’Unesco le 20 octobre de la convention sur la diversité des expressions culturelles, dont la France a été l’un des principaux initiateurs du texte, aux côtés du Canada et de l’Union européenne.

Mais, force est de constater que la ‘balance’ des échanges concernant les spectacles est fortement déficitaire. Et cela a peu évolué depuis l’étude de F. Jannelle en 1998, comparativement à l’accueil des productions étrangères en France…

1 Rézo International n° 19, hiver 2006. AFAA.

1. Les organismes d’aide à l’exportation du théâtre français

Les aides financières et/ou logistiques sont importantes et capitales pour la diffusion du théâtre français à l’étranger.

En effet, lors de son étude de 1998, Fabien Jannelle dénote que 66% des compagnies qui se sont exportées à l’étranger ont bénéficié d’une aide. Les principales institutions d’aide à l’exportation sont l’AFAA et les centres culturels français.

1.1 Le rôle de l’Association Française d’Action Artistique

1.1.1 Les missions de l’AFAA

Créée en 1922, l’Association française d’action artistique (AFAA) est l’opérateur délégué du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Culture et de la Communication pour les échanges culturels internationaux et l’aide au développement dans les domaines des arts de la scène (théâtre, arts du cirque et de la rue, danse, musiques), des arts visuels, de l’architecture, du patrimoine et de l’ingénierie culturelle (grands projets, saisons culturelles étrangères en France).

Présidée par Robert Lion et dirigée par Olivier Poivre d’Arvor, l’AFAA est largement financée par les pouvoirs publics français, représentés au sein de son Conseil d’administration aux côtés de personnalités qualifiées.

Avec le concours des ambassades et établissements culturels français à l’étranger, l’AFAA mène des actions de diffusion (circulation des œuvres, des créateurs et des professionnels) et met en œuvre des projets de coopération, de coréalisation, de formation et de résidences dans le monde.

Elle participe tout à la fois aux échanges culturels internationaux, au soutien aux industries culturelles, à la présence de la scène artistique française à l’étranger et accompagne les artistes dans leur processus de création.

L’AFAA, en tant qu’agence autonome, n’a pas d’équivalent dans les autres pays (qui ont certes des services culturels intégrés dans le ministère comme le British Council).

1.1.2 L’AFAA en matière de théâtre

La politique de l’AFAA en matière de théâtre s’articule autour de :

  • La mise en valeur des écritures contemporaines, à partir desquelles était fondé le programme Tintas Frescas en Amérique latine ;
  • L’art de l’acteur, avec le programme Un acteur, un auteur ;
  • Le renouvellement de la diffusion théâtrale.

Ces trois directions constituent un levier de l’écriture, de la parole, du signe et du répertoire du théâtre contemporain.

Depuis cinq ans, la promotion et la diffusion des écritures dramatiques contemporaines françaises sont le fer de lance de la politique théâtrale conduite par l’AFAA.

Le théâtre français contemporain est, selon l’AFAA, reconnu comme exceptionnel par sa richesse, sa diversité et sa capacité à expérimenter de nouvelles formes. En 20 ans, les auteurs dramatiques ont généré des courants d’écritures diversifiées.

Alors inconnus pour certains, reconnus tardivement pour d’autres, des auteurs tels que Bernard-Marie Koltès, Valère Novarina, Michel Vinaver, Philippe Minyana, Serge Valletti… sont aujourd’hui lus, traduits, mis en création sur les plus grandes scènes françaises et internationales.

Le programme de diffusion des écritures dramatiques françaises en Amérique latine « Tintas frescas » commencé en 2002 a permis de valoriser ces écritures.

Du 19 au 28 novembre 2004 a eu lieu dans la capitale argentine un festival de théâtre de France et d’Amérique latine conçu et réalisé pour marquer l’épilogue du programme triennal “Tintas Frescas”.

Au cours des 10 jours de la manifestation, 16 spectacles ont été proposés pour un total de 65 représentations auxquelles ont assisté 14 000 spectateurs.

Il est cependant à noter que cette promotion s’effectue davantage hors des frontières européennes.

Concernant l’art de l’acteur, le programme Un acteur, un auteur a été mis en place de 2001 à 2004. Proposé dans le monde entier, ce programme fait des acteurs les messagers des écritures dramatiques contemporaines françaises et francophones.

Un acteur ou une actrice lit un texte de théâtre (qui a été traduit) devant un public d’amateurs éclairés ou de professionnels susceptibles de se saisir artistiquement de ces textes, en duo avec un acteur du pays où a lieu ce programme et qui lit dans sa langue natale des fragments du même texte.

Ce programme a été décliné dans 52 villes de 38 pays, avec la participation de 29 acteurs et l’exploitation de 55 textes.

Il a permis l’invitation à l’étranger de 16 acteurs dont 6 européens : Dominique Blanc à Barcelone ; Robin Renucci à Édimbourg ; Judith Magre à Prague ; Stanislas Nordey à Oslo ; Denis Lavant à Vilnius ; Christine Angot à Barcelone.

En outre, chaque partenaire organise autour de l’acteur invité des rencontres, des ateliers, des projections de films.

Enfin, l’AFAA s’attache à promouvoir et valoriser de façon pertinente la création théâtrale française contemporaine à l’étranger en s’appuyant notamment sur :

  • le Fonds Etant Donnés, ouvert en 1999. Il a permis à une quinzaine de textes dramatiques français d’être mis en scène chaque année par des artistes américains.

Grâce au fonds franco- américain pour les Arts de la scène, des pièces d’auteurs français, Marguerite Duras, MichelVinaver, José Pliya, Bernard-Marie Koltès, Nathalie Sarraute, Philippe Minyana et Jean- Michel Ribes ont été créées aux États-Unis par des metteurs en scène américains.

  • le Fonds d’aide au surtitrage, soutenu par le ministère des Affaires étrangères depuis 2000. L’attention de l’AFAA s’est notamment portée sur la question de la langue théâtrale en introduisant un programme systématique de surtitrage aux spectacles diffusés à l’étranger (entre douze et quinze spectacles sont traduits chaque année, dans la langue du pays qui l’accueille).

Grâce au surtitrage, une plus large présence des productions françaises dans les festivals internationaux a pu être constatée, ainsi qu’une augmentation de 20 à 30% de fréquentation des publics.

Les projets les plus représentatifs parmi les 16 recensés sont hors des frontières européennes : La Bête dans la jungle de Marguerite Duras, mise en scène d’Éric Vigner (Washington / Printemps français) ; La Vie parisienne de Jacques Offenbach, mise en scène de Jérôme Savary (Washington / Printemps français) ; Les Règles du savoir vivre de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de François Berreur (Amérique latine) ; Le Bourgeois gentilhomme de Molière, mise en scène d’Éric Vigner (Corée du Sud et à Lorient)…

L’AFAA a également aidé à la diffusion de spectacles majoritairement présents en Europe :Faim, écrit et mis en scène par Hubert Colas (Pologne / Cracovie) ; La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Kristian Fredric (Canada, Europe de l’est) ; Médée de Max Rouquette, mise en scène de Jean-Louis Martinelli en Afrique de l’ouest (Burkina Faso, Niger, Mali) ; Les Sublimes conçu et mis en scène par Guy Alloucherie (Washington, Porto, Rome) ; La Scène de Valère Novarina en Italie (Festival des Collines) ; Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène d’Olivier Py (Écosse, Festival d’Édimbourg) ; Le Malade imaginaire de Molière, mise en scène de Claude Stratz, Comédie-Française (Canada, St John, Chicago, New York)…

Des metteurs en scène ont été invités à créer des spectacles, parmi lesquels François-Michel Pesenti : Phèdre de Racine (Slovénie / Ljubljana et Syrie / Damas)…

Ce soutien à la diffusion est amplifié par l’édition d’outils de promotion (vidéos, CD-rom…), par la présence de l’AFAA sur les grands salons et marchés du spectacle et par l’accueil de professionnels étrangers invités, chaque année, à venir observer la scène française.

En 2004, le budget global de l’AFAA est d’environ 29 000 000 € dont 6 800 000 € consacrés aux arts de la scène et 1 460 000 € pour le théâtre (soit 5% du budget global et 21% de celui des arts de la scène). En 1999, le Fonds d’aide au surtitrage revenait à 180 000 €.

L’aide de l’AFAA à l’exportation des spectacles représente environ 40% des aides des compagnies. Même s’il ne se veut qu’un ‘moteur auxiliaire’, cet organisme a donc un rôle prépondérant ; il vient compenser le coût élevé des productions françaises.

Il est à noter qu’environ la moitié des metteurs en scène précités proviennent d’institutions théâtrales ou y sont artistes associés. Néanmoins, l’action de l’AFAA est plus présente sur les autres continents qu’en Europe.

Ainsi, au lieu de renforcer plus particulièrement l’Europe culturelle, l’AFAA préfère appuyer l’exportation hors de l’Europe, pour des raisons essentiellement diplomatiques.

Les organismes d’aide à l’exportation du théâtre français

1.1.3 La création du « Comité export théâtre »

Suite à une interrogation commune de l’AFAA et de l’ONDA sur la présence des artistes de théâtre français à l’étranger, un dispositif spécialisé sur la diffusion du théâtre à l’étranger est en train de se mettre en place.

Il s’agit du Comité export théâtre. Ce Comité se veut la réunion de personnes représentatives par leur connaissance et leurs fonctions dans le système de production théâtral français.

Il est composé d’un représentant du ministère de la Culture, d’un auteur (Philippe Minyana), d’acteurs (dont François Perrier), de metteurs en scène (dont Jean-Pierre Vincent), de producteurs publics et privés et de représentants d’organismes de diffusion (dont François le Pillouër, Directeur du TNB).

Ce Comité très réduit procède à des consultations régulières de personnalités du milieu théâtral français et international, en prenant soin d’entendre les opinions les plus diverses des auteurs, metteurs en scène, acteurs, producteurs, programmateurs et des journalistes.

Il a pour ambition finale l’organisation d’un grand Symposium au cours de l’année 2006 qui regrouperait l’ensemble de la profession théâtrale et exposerait les conclusions à retirer des débats. L’enjeu principal est avant tout de dresser un état des lieux autour de la question : «Le théâtre français s’exporte-t-il ? ».

S’agit-il d’un constat univoque ou existe-t-il une polyphonie des positions ? Le but est d’élaborer des propositions concrètes pour améliorer la diffusion du théâtre français à l’étranger.

Le Comité de professionnels se voudrait, comme cela existe au British Council, décisionnaire et pas seulement consultatif, car l’opacité des choix de l’AFAA concernant l’attribution des aides aux compagnies a été souvent décriée.

Néanmoins, selon certains membres du comité, des querelles intestines commencent à naître au sein de ce comité.

En effet, deux théories s’affrontent : le première soutient que les gens de théâtre français ne sont pas demandés à l’étranger et à l’inverse, la seconde prétend, d’après les enquêtes, que le théâtre français est demandé à l’étranger mais qu’il existe des obstacles à sa diffusion. Un compte rendu des enquêtes doit paraître prochainement, affaire à suivre…

1.2 Le rôle des établissements culturels français en Europe

1.2.1 Les établissements culturels français comme interlocuteurs malgré leur déclin

Il existe 89 établissements culturels français en Europe (centres, instituts et alliances françaises soutenues par le Ministère des Affaires étrangères). Dans l’étude de 1998 de Fabien Jannelle, les instituts français représentaient 30 % des structures qui accueillaient les spectacles (70% = opérateur local).

Les établissements culturels travaillent en lien étroit avec l’AFAA et font figure d’interface, de médiateurs entre les différents milieux professionnels culturels étrangers (collectivités, structures culturelles…) et les compagnies françaises, ne serait-ce que pour pouvoir représenter les spectacles.

En effet, si l’initiative vient de la compagnie ou de l’institution française, ou si le cadre d’accueil est un opérateur local, les spectacles ont besoin d’une aide logistique et de conseils avisés que peuvent apporter les établissements culturels français, en lien avec l’AFAA ; des tournées sont ainsi organisées.

Néanmoins, depuis la fin années 1990, la France mène une « politique de redéploiement » : selon le ministère des affaires étrangères, un tiers des centres et des instituts culturels ont été fermés en Europe occidentale, tout particulièrement en Allemagne et l’effort budgétaire a profité à la Russie et, surtout, à la Chine.

Même si le réseau culturel français européen reste un partenaire conséquent qu’il ne faut pas négliger, celui-ci semble décliner et se détourner du théâtre au profit des autres arts de la scène (cirque, danse, arts de la rue…).

1.2.2 L’exemple du bureau du théâtre et de la danse à Berlin

Le Bureau du Théâtre a été créé en 1995 au sein du réseau culturel français en Allemagne par le Ministère des Affaires Etrangères et l’Association Française d’Action Artistique (AFAA).

Il est né du constat fait par le service culturel de l’ambassade à Bonn, au début des années 1990, des potentialités inexploitées du marché théâtral allemand pour les artistes français.

Couvrant initialement le seul champ du théâtre, le Bureau a étendu en septembre 2000 son domaine de compétence à la danse contemporaine.

Le Bureau du Théâtre et de la Danse est l’un des « bureaux spécialisés » du service culturel de l’Ambassade de France en Allemagne.

Structure à vocation fédérale, le Bureau a pour mission de renforcer la présence des artistes contemporains français ou vivant en France sur le territoire allemand, dans les domaines du théâtre, de la danse contemporaine et du nouveau cirque et ainsi de coordonner et d’animer la politique théâtrale des Instituts français.

Il invite donc des programmateurs allemands en France dans le cadre de festivals ou pour des productions qu’il désire présenter en Allemagne. Ce travail permet d’impulser la rencontre et la collaboration entre professionnels et artistes des deux pays.

La mission la plus importante du Bureau consiste à promouvoir les auteurs et les textes du théâtre contemporain français. A cet effet, le Bureau a créé la collection « Scène » dans laquelle sont publié chaque année, en traduction allemande, 5 textes d’auteurs dramatiques contemporains francophones.

Entre 2000 et 2004, il y a eu vingt-huit créations en allemand de pièces d’auteurs français (sans parler de Yasmina Reza qui fait partie des cinq auteurs les plus montés en Allemagne), dix-sept lectures mises en espace, vingt auteurs publiés chez un éditeur allemand.

De plus, dans le cadre du programme « Transfert théâtral » des bourses d’aide à la traduction sont attribuées chaque année pour la traduction de textes français et allemands. Un système de surtitrage, géré par le Bureau, vient compléter ce dispositif.

Le Bureau du Théâtre et de la Danse organise, par ailleurs, des « semaines françaises » en collaboration avec les théâtres allemands. Ces événements permettent de faire découvrir au public allemand ainsi qu’aux professionnels des auteurs inconnus en Allemagne.

Une des finalités de ce travail étant d’inscrire des textes d’auteurs français dans le répertoire des théâtres en Allemagne.

Le Bureau favorise également la collaboration entre les écoles de théâtre françaises et allemandes. Le fonds de documentation du Bureau met à disposition des professionnels 4000 textes dramatiques contemporains de langue française dont un grand nombre en traduction allemande ainsi que des ouvrages de référence et des revues spécialisées en théâtre et en danse.

Enfin, une vidéothèque propose, en complément, des films des pièces des metteurs en scène et chorégraphes français les plus marquants.

Ce dispositif unique en Europe, qui compète le travail du réseau culturel français en Allemagne, porte progressivement ses fruits et permet une reconnaissance du théâtre français en Allemagne1.

1 Voir La diffusion théâtrale française en Allemagne, Marina ZINZIUS, mémoire de DESS de Développement culturel et gestion des projets culturels, A.R.S.E.C./Lyon II, 1997.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Bretagne Occidentale  - UFR Lettres et sciences humaines
Auteur·trice·s 🎓:
Sabrina PASQUIER

Sabrina PASQUIER
Année de soutenance 📅: Master 2 Management du spectacle vivant - Septembre 2006
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