L’après décès : la mémoire d’un instant transitoire, d’un lieu

L’après décès  la mémoire d’un instant transitoire, d’un lieu

2-6 La mémoire d’un instant, d’un lieu

« D’instant en instant un souvenir vous tombe sur le cœur et le meurtrit…et on retrouve mille petits riens qui prennent une signification douloureuse parce qu’ils rappellent mille petits faits »

La vision du corps :

La vision du corps laissera sans doute une empreinte dans la mémoire des proches. Certaines photographies de cet instant pouvant être gardées en mémoire.

Louis Vincent Thomas évoque cette mémorisation par les proches, avec cette image du défunt, qui reste ancrée de manière forte, au détriment parfois du souvenir vivant de celui ci :

« En effet, les proches, singulièrement les enfants, conservent souvent de la mort le souvenir du mort en présence duquel ils se trouvent. Cette prime vision du cadavre, ils peuvent l’immobiliser, la cristalliser au point qu’elle prédominera ensuite sur l’image même de l’être qu’ils ont aimé. Au point de l’occulter parfois. »

42 Bensaid Catherine, La musique des anges, s’ouvrir au meilleur de soi, Robert Laffont, Paris, 2003, p.30.
43Maupassant Guy, une vie, p.195.
44Cornillot, P et Hanus, M, op.cit. , p.49.

Ils se remémoreront un visage, un corps, une expression, qui peut être apaisante, angoissante ou effrayante.

Dans cet instant transitoire de l’après décès, le corps n’est pas encore confié aux services funéraires, qui ont en charge les soins de thanatopraxie : Soins qui permettront d’apaiser les survivants, en donnant au corps une image fidèle à ce qu’était le défunt.

La présentation du corps revêt donc une importance non négligeable pour les proches présents au domicile, sachant que d’autres membres de la famille s’y présenteront ensuite.

Le contexte :

Au delà de l’événement en lui-même, le contexte peut être intégré à la mémorisation de la scène.

Le contexte extérieur, imprégné de l’ambiance générale, du fait qu’il fasse jour, ou nuit, des personnes en présence, des événements concomitants, des bruits extérieurs.

Mais aussi le contexte intérieur de chacun, influencé par l’état d’esprit, la stabilité psychologique du moment.

D’après Jean-Yves et Marc Tradié, la mise en mémoire est étroitement liée à la charge affective associée à l’événement, et la volonté n’intervient que très peu dans ce phénomène.

« Certains faits ordinaires de l’existence peuvent rester en mémoire, mais le plus souvent c’est parce qu’ils ont fait parti du contexte, de l’environnement d’un fait plus important ou répété qui les a engrammés dans son aura »

Cela expliquerait pourquoi certains détails paraissant anodins sont mémorisés à plus ou moins long terme. Un parfum, une ambiance, un mot, un objet, associés à la scène qui suit le décès, peuvent prendre une toute autre dimension au sein de la mémoire du proche.

La mémoire affective :

D’après Anne Muxel, la mémoire intime, très personnelle, est basée sur les émotions, les ressentis et les perceptions sensorielles telles que les odeurs, les décors, les ambiances, les sons. Cette forme de mémoire est en lien direct avec la sphère affective.

D’après Jean-Yves et Marc Tradié, l’acquisition des souvenirs est nettement conditionnée par les affects. Ainsi, toute perception sensorielle va entrainer une décharge neuronale proportionnelle à la charge affective qui y est associée. Cette décharge neuronale va ensuite stimuler les neurones de l’hippocampe, afin que l’événement soit mis en mémoire.

45 Tradié Jean-Yves et Marc, Le sens de la mémoire, Gallimard 1999,p.120.

La charge émotionnelle et affective liée à l’événement détermine donc la mémorisation de celui-ci, ce mécanisme demeurant involontaire.

« La décharge affective face à une situation présente donnée est indépendante de notre volonté et c’est elle qui conditionne en grande partie le fait que nous allons nous souvenir, parfois toute notre vie, de telle ou telle scène. »

Les supports de la mémoire :

Pour jean-Hugues Déchaux, la mémoire ne peut pas être considérée comme une entité purement spirituelle. En effet, pour exister au niveau mental, elle a besoin de supports matériels.

Il distingue ainsi deux supports à la mémoire : le « support narratif », utilisant la parole, et le « support choses », qui intègre les lieux, les objets, et les images.

Les lieux seraient donc supports de mémoire, chargés d’une aura particulière et symbolique ; Le lieu serait un appel au souvenir. Parmi ces lieux, la maison, cœur de la vie familiale, rappelle le vécu avec le défunt, mais aussi ses derniers instants. Le salon, la chambre ayant recueillis la souffrance, portent en eux le poids du souvenir :

« Mais cette évocation des lieux peut aussi faire surgir des fantômes hostiles, venant rappeler des souffrances, des rancœurs difficiles à contenir. Les maisons sont parfois hantées de mauvais souvenirs et peuvent rester à tout jamais associées à des épisodes de douleurs. Là mort, la maladie, peuvent imprimer les murs et éloigner durablement les souvenirs heureux. »

Les objets du quotidien sont également un support de mémoire. Le lien de l’objet avec le défunt le rappelle dans ce qu’il était, vivant. Ainsi, les objets apparaissent être bien plus que des choses inertes, une mémoire s’inscrivant en eux, qui rappelle le défunt.

Il peut être difficile pour les proches de vivre à nouveau le quotidien dans un foyer rappelant chaque jour la fin de vie et le décès d’un être cher. Le lit conjugal en est une illustration :

« Les proches, également, se risquent dans cet accompagnement dont ils savent qu’il va les mener jusqu’à accepter le corps mort de celui ou celle qu’ils aiment dans le lieu même ou ils ont vécu ensemble, peut être dans le lit ou ils continueront à dormir après. »

La mémoire sensitive est la moins contrôlable, en témoigne le pouvoir d’évocation d’une odeur précise, d’une atmosphère, d’un air de musique.

46 Ibid., p.125.
47 Muxel Anne, Individu et mémoire familiale, éditions Nathan, Paris, 2002, p.47.
48Centre Francois-Xavier Bagnoud – Mourir à la maison – Laennec, Janvier 2002, n° 1

Marcel Proust évoquait la mémoire dite involontaire, qui s’impose à l’être, sans qu’il n’ait l’intention de retrouver une séquence mémorielle particulière. Cette mémoire porte en elle l’émotion de l’instant, et le flot de sensations qui y étaient associées.

Ce souvenir ne se recontacte pas délibérément. Ainsi, il peut ressurgir au hasard d’une odeur, d’une musique, perçue de façon fortuite, aléatoire:

« Il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas.»

Chaque odeur, chaque son, chaque décor, peut être rattaché à une expérience vécue, donnant lieu à sa réminiscence.

Dans l’instant qui suit le décès, nombre de facteurs relatifs au corps et à l’environnement sont susceptibles d’être enregistrés par les proches.

« L’activité des sens imprime la mémoire de repères plus ou moins identifiables, plus ou moins enfouis, mais toujours présents, pour se situer dans le temps, dans l’espace, et dans l’univers de ses relations affectives. »

D’après Marie Christine Haman, psychologue, spécialisée en neuropsychologie, une image possédant une charge émotionnelle forte sera davantage retenue qu’une image neutre. De ce fait, ce qui touche affectivement le sujet est d’autant mieux mémorisé.

Malgré cela, les éléments associés à une émotion négative seraient moins bien retenus que ceux liés à une émotion positive : « ce phénomène serait une forme de protection mentale, le négatif étant en quelque sorte écarté pour privilégier le positif. Un mécanisme similaire expliquerait qu’au fil du temps les informations négatives auraient tendance à être progressivement oubliées. »

Cependant, des informations à charge négative extrêmement intense et traumatisantes, telles que les deuils, les accidents, sont mémorisés durablement.

Les supports de la mémoire 

« Parmi les objets, certains présentent un statut particulier : ceux qui ont touché de près le défunt. Tantôt on s’en débarrasse au plus vite, soit pour confirmer l’anéantissement du mort tout en libérant l’agressivité du survivant à son endroit, soit parce que leur présence souligne l’absence douloureuse de l’être aimé. »

49Proust Marcel, du coté de chez Swann, p.44.
50Muxel A, Individu et mémoire familiale, op.cit., p.99.
51Art rédigé d’après la conférence présentée à l’IRIPS le 19 février 2009 par marie Christine haman
52Thomas .L-V, Anthropologie de la mort, op.cit., p.164.

Les objets de soins ont un statut particulier, car ayant touché le défunt au plus près de son intime, ils sont le reflet des derniers soins, douloureux, invasifs, ou plus doux, voués au confort.

Les familles sont souvent pressées de faire disparaitre ce matériel au plus vite, voulant neutraliser tout ce qui reste de cette période douloureuse.

L’après décès  la mémoire d’un instant transitoire, d’un lieu

Mémoire du corps, mémoire du contexte.

Tout de cet instant, même un détail, peut être important.

Un corps, serein ou apaisé.

Une odeur, celle d’un savon utilisé pour la dernière toilette, d’un parfum, d’une crème, d’un produit de soin.

Un bruit, celui d’un lit que l’on remonte, du mobilier, si souvent déplacé, rangé.

Un objet : le dernier livre lu par le défunt, la tablette sur laquelle reposaient ses effets personnels, le matériel de soins, les derniers vêtements portés.

Une ambiance : la luminosité d’un lever ou d’un coucher de soleil, une veilleuse, une bougie, une musique.

Un échange : un regard, un mot, un geste.

Tout de cet instant peut être fixé, immobilisé dans la mémoire du proche, plus réceptif que jamais à des détails pouvant paraître peu signifiants. Cette sensibilité exacerbée serait sans doute à prendre en compte.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’instant d’après
Université 🏫: Université Joseph Fourier - Faculté de Médecine de Grenoble
Auteur·trice·s 🎓:
Isabelle Gaillard

Isabelle Gaillard
Année de soutenance 📅: Mémoire Pour le diplôme inter-universitaire « Soins palliatifs et accompagnement » - 2011-2013
Infirmière libérale .
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