L’ambiance de l’instant qui suit le décès

L’ambiance de l’instant qui suit le décès

Cette ambiance, si particulière

L’ambiance de l’instant est au centre de l’attention. 71% des infirmiers pensent avoir un rôle à jouer concernant l’ambiance qui régnera dans la pièce où se trouve le défunt, ou plus largement, au domicile.

97% des infirmiers estiment que leur attitude globale est importante.

Plusieurs mots clés qualifiant l’ambiance idéale ont été largement cités : Le calme, l’apaisement, la sérénité.

Les infirmiers s’en référent aux différents sens permettant de percevoir cet instant clé :

La vision sur la scène est envisagée : l’apparence du défunt, son installation, l’aspect de la pièce, la disparition des objets médicaux, la luminosité, semblent autant d’éléments qui prennent de importance lorsqu’ils sont soumis aux regards des proches. L’odeur régnant dans la pièce est citée à quatre reprises.

Le bruit est également pris en compte, avec le souci de le limiter au maximum, et la volonté de certaines familles d’associer une musique particulière à cet instant.

La relation au défunt est entrevue : Beaucoup d’infirmiers relatent le fait de dégager le pourtour du lit, et d’y placer plusieurs assises. Un détail ayant son importance, permettant aux proches de s’approcher du défunt, à différents niveaux, et de s’asseoir à ses cotés.

Enfin apparaît l’accompagnement des proches, avec la notion d’écoute : De la famille, des amis, présents ou juste arrivés. Les infirmiers ayant le souci d’accueillir les proches au fur et à mesure de leur arrivée au domicile. La juste place de l’infirmier est évoquée, avec un souci de disponibilité, tout en sachant faire preuve de discrétion.

118 Bensaid.C, La musique des anges, s’ouvrir au meilleur de soi, op.cit., p.75.

Un instant empreint d’engagement

Les commentaires infirmiers concernant cet instant laissent percevoir un réel engagement. Leur disponibilité, leur présence, le souci porté aux proches sont des éléments qui révèlent une volonté d’être pleinement engagés dans cet instant clé de la vie des familles.

Cet aspect, largement mis en lumière par l’enquête exploratoire peut susciter un questionnement.

Cet engagement important de l’infirmier libéral pourrait être mis en lien avec la rareté d’une telle situation dans sa pratique. En effet, les décès à domicile étant occasionnels, nous pourrions émettre l’hypothèse que l’investissement au sein d’une situation ponctuelle, isolée, soit plus important que si celle ci se présentait fréquemment.

Autre facteur pouvant influencer cet engagement, la connaissance ancienne du patient, et le fait d’avoir établie une relation de longue date. Les liens tissés avec la famille peuvent être un élément déterminant cette volonté de l’infirmier à répondre présent.

Au delà de ces simples suppositions, quel peut être le mouvement psychique qui presse l’infirmier à se déplacer, à donner de son temps ?

Au delà de sa conception du métier, du strict cadre de ses compétences, pourquoi cette présence ?

Le philosophe Damien Le Guay évoque à ce propos le concept de vocation humaine :

« Ce qui se révèle dans cette vocation humaine, c’est bien ce moment particulier ou quelque chose en nous nous dit que la souffrance de l’autre est au dessus de nos propres intérêts. »

Quelque chose bascule, et les priorités ne sont plus identifiées de la même manière.

Cette vocation humaine est convoquée lorsque le soignant se retrouve face au mourant, mais nous pouvons penser qu’une telle conception soit engagée dans l’instant qui suit le décès.

La souffrance vécue par les proches peut être un appel profond et cette présence s’impose, se pose, indiscutable, incontournable. Levinas quand à lui, parle d’une épreuve d’humanité.

Face à la souffrance des proches, l’infirmier pourrait passer en quelque sorte cette épreuve d’humanité.

D’après André Comte-sponville, « il y a place ici pour un nouvel humanisme, qui ne serait pas jouissance exclusive d’une essence ou des droits qui y sont attachés, mais perception exclusive_ jusqu’à preuve du contraire d’exigences ou de devoirs que la souffrance de l’autre, quel qu’il soit, nous impose. »

119 Le Gay Damien,
120 Comte-Sponville André, Petit traité des grandes vertues, presses universitaires de France, Paris, 1995,p.149.

Damien Le Gay explique cette vocation proprement humaine, qui est celle du désintéressement et du souci de l’autre. L’homme, interpellé dans son humanité, a la faculté de se décoller de lui-même, vivre pour l’autre, prendre en charge celui qui est davantage dans l’épreuve qu’il ne l’est lui même. Cela passe par le visage, ce visage qui appelle, qui regarde.

Cette vocation réquisitionne le soignant, et semble dépasser le raisonnement.

Ce mécanisme à lieu, même « en position d’inconfort, et même si la reconnaissance sociale n’est pas là » Damien le Gay.

Cet aspect qu’est la reconnaissance sociale est à souligner. L’infirmier libéral n’étant pas forcement reconnu dans ses actions discrètes, singulières, et souvent peu ébruitées. Cet aspect a d’ailleurs été relaté par plusieurs infirmiers.

Les infirmiers interrogés évoquaient différentes valeurs semblant teinter leurs actions : le souci du prochain, la gentillesse, la compassion.

Ces valeurs sont individuelles, et sont plus ou moins développées, en fonction du parcours de chacun. Le Dalaï-lama définit ce qu’il appelle « la spiritualité élémentaire » :

« Il s’agit des qualités humaines de base, la bonté, la gentillesse, la compassion, le souci des autres…En tant qu’êtres humains, en tant que membres de la famille humaine, nous avons tous besoin de ces valeurs spirituelles élémentaires. »

Cette compassion a été largement citée par les infirmiers. En effet, comment approcher celui qui souffre sans être sensible à ce qui l’atteint, le touche ? Ce sentiment est sous doute un moteur fort de l’engagement en cet instant :

« Une fois admis que la compassion n’a rien d’infantile ou de sentimental, qu’elle est réellement digne d’intérêt, une fois perçue sa valeur profonde, alors cela vous donne immédiatement la volonté de la cultiver. »

Sans doute l’approche infirmière est elle empreinte de cette compassion.

121 Le Dalaï-lama, et Cutler .H, L’art du bonheur, op.cit., p.273.
122 Ibid. p.68.

Gratuité : Pour une majorité de soignant, l’aide apportée aux familles ne donne lieu à aucune rémunération. C’est le cas pour 68% des infirmiers interrogés, qui agissent toujours gratuitement. 26% répondent assez souvent à cette même question.

Certains d’entre eux considèrent cela comme tout à fait normal, cette démarche étant volontaire et ne répondant à aucune prescription. En effet, le soutien effectué auprès des familles ne donne lieu à aucune prescription médicale.

Effectuer cette aide demeure un choix personnel, qui se veut être en lien et en accord avec certaines valeurs. Cette logique de don présente dans la démarche infirmière peut susciter la curiosité, faisant indéniablement écho aux fondements historiques de la profession, initiée par les religieuses.

Mais cette démarche peut être en partie expliquée par la grande réciprocité de l’échange ayant lieu en cet instant.

« L’idée de générosité n’est jamais très loin lorsqu’on évoque le don. Et elle peut être objet de gratitude, perçue comme étant un supplément d’âme ajouté au professionnalisme, elle est aussi objet de méfiance : quand elle s’accompagne par exemple d’un débordement affectif suscitant un positionnement professionnel déviant. »

Bien que le don puisse sembler suspect dans une société qui valorise bien plus le profit ou l’échange de bons procédés, il peut aussi sembler louable, dans une situation si délicate et douloureuse.

L’empathie vis à vis des familles, l’hommage rendu au défunt semblent être des moteurs forts à cette forme d’entraide et de soutien. Cet acte gratuit évoque une forme de don de soi, dans un instant d’une intensité que l’on peut qualifier d’exceptionnelle.

L’ambiance de l’instant qui suit le décès

Le plaisir

La question « aimez vous être présent auprès des proches à cet instant » a fait réagir certains soignants. Quelques uns m’ont interpellée au sein du questionnaire, précisant que ce mot n’était pas celui qu’ils auraient choisi.

En effet, le choix de cette formulation n’est sans doute pas neutre, et la question soulevée par leurs commentaires est tout à fait légitime. Certains d’entre eux ont spécifié préférer l’usage d’autres termes: plaisir d’un travail bien fait, devoir vis à vis des proches, être en accord avec ses valeurs.

Un devoir, sans doute, au regard de la majorité des interrogés : 78% d’entre eux estiment que l’aide apportée aux proches en cet instant fait partie intégrante de la profession d’infirmier.

Bien que divisés concernant la sémantique de la question, « aimer vous être présent » auprès des proches en cet instant », 70% d’entre eux ont répondu oui, et 24% non. 6% se sont abstenu de répondre. Une abstention à considérer avec grand intérêt, en lien direct avec l’aspect déstabilisant de la question, et sans doute de sa formulation.

Pour autant, la notion de plaisir, bien que nuancée, est semble t il à prendre en compte dans l’exercice de la profession.

123 Marmilloud.L, Soigner, un choix d’humanité, op.cit., p.77.

L’infirmier peut il aimer, ressentir du plaisir au travers de son exercice, et plus particulièrement dans un moment si difficile pour son prochain ?

Dans l’affirmative, peut il l’admettre sans être suspecté de se réjouir du malheur d’autrui ?

Face à la souffrance, apporter une aide, un réconfort, donne du sens à la présence soignante. Cette quête de sens est intimement liée au cheminement intérieur des infirmiers, qui sont au plus près du patient, de ses proches.

Ce rapport perpétuel et récurent à la mort, la maladie, ne peut être que le terrain fertile d’un questionnement permanent sur le sens, et la qualité de la relation entretenue avec les patients.

Avoir plaisir à soutenir le prochain, l’aider, porte parfois une large connotation négative, le regard critique pouvant n’y voir qu’une forme de perversion, ou de don suspect.

« Le plaisir des soignants à donner de soi fût largement perverti par l’histoire religieuse dont la profession a encore bien du mal à s’émanciper. »

En effet, l’implication soignante est sans doute corrélée au plaisir de donner, d’aider, d’accompagner. Donner de la valeur, du sens à son métier, ses mots, ses gestes.

Face aux patients en fin de vie, puis aux proches endeuillés, l’infirmière, au cœur d’une intensité affective, émotionnelle, plus forte que jamais, donne du sens à sa profession.

« Même s’il est rarement évoqué, il faut bien parler de ce plaisir sans lequel la profession infirmière ne serait qu’un métier épouvantablement ingrat et probablement impraticable. » Mais il peut y avoir une forme malsaine à cette approche, décrite par J.D Causse :

« Le geste moral peut avoir quelque chose du rapace qui se nourrit de la détresse et de l’angoisse de l’autre en y trouvant une consistance ou une légitimité. »

Il est possible que cet aspect soit un élément ayant suscité les remarques des infirmiers. Le terme de plaisir, d’amour du métier, au cœur de cet instant, évoque sans doute autant ce qu’il peut révéler de noble que de pervers. Ces notions, n’étant pas neutre, peuvent prêter à toutes sortes d’interprétations diamétralement opposées.

Cet aspect met d’autant plus en lumière la nécessité de clarifier ses intentions, sa démarche, en faisant preuve d’une réelle introspection.

124 Perraut-Soliveres Anne, Infirmières, le savoir de la nuit, Presses universitaires de France, 2002, p.243.
125 Ibid., p243.
126 Causse.Jean-Daniel, L’instant d’un geste. Le sujet, l’éthique et le don, Labor et Fides, 2004, p.27.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’instant d’après
Université 🏫: Université Joseph Fourier - Faculté de Médecine de Grenoble
Auteur·trice·s 🎓:
Isabelle Gaillard

Isabelle Gaillard
Année de soutenance 📅: Mémoire Pour le diplôme inter-universitaire « Soins palliatifs et accompagnement » - 2011-2013
Infirmière libérale .
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