Le décès du patient : confrontation à la mort, relation au défunt

Le décès du patient : confrontation à la mort, relation au défunt

2 Les proches

2-1 le parcours de ces familles

Le décès vient marquer le terme d’une prise en charge qui la plupart du temps s’est avérée être longue et douloureuse. La famille, les amis, les voisins, se sont relayés, soutenus, afin de rendre celle-ci possible.

Le décès, attendu dans la majeure partie des cas, n’en demeure pas moins difficile à vivre, bien qu’un sentiment de soulagement soit parfois perceptible. La peine, la tristesse, se mêlent à l’apaisement, au terme d’une souffrance physique, psychologique, tant pour le défunt, que pour ses proches, fragilisés par la mobilisation qui a été la leur.

Ceux ci manquent de sommeil, sont affaiblis, épuisés, ayant souvent mis leurs propres besoins et exigences entre parenthèses durant de longs mois, afin d’assumer davantage de contraintes, de responsabilités.

Lorsque survient le décès, la marge d’épuisement est souvent largement franchie.

Au delà des conséquences physiques, de nombreuses modifications dans la dynamique familiale ont eu l’occasion de se dessiner.

Ainsi, les proches se trouvent parfois unis, rapprochés comme jamais, par les instants d’entraide, de solidarité qu’ils ont eu à tisser à l’occasion d’une telle expérience.

Tandis que d’autres familles auront la désillusion de voir s’exacerber les tensions, les conflits, les difficultés, se fissurer les liens, les soutiens, l’unité qui était la leur.

17Jankélévitch V, La mort, Op.cit., p.465.

Ce cheminement unique donnera une tonalité singulière au sein de chaque foyer, de chaque cœur, de chaque mémoire.

La durée de la prise en charge antérieure, les conditions de survenue du décès, la libre circulation de la parole, l’entente avec les soignants, sont des éléments ayant une portée non négligeable sur le psychisme de chacun.

L’ambiance régnant au sein de chaque foyer sera donc bien empreinte de ces facteurs, inhérents à chaque prise en charge.

2-2 La confrontation à la mort

La vision du mort

La vue du corps sans vie de l’être aimé est un choc pour la plupart des proches.

Bien que douloureuse, cette confrontation est essentielle, et revêt une importance dans l’élaboration du travail de deuil :

« Etre situé ainsi devant la réalité du corps permet aux uns et aux autres de « faire le deuil », c’est à dire ce travail d’intégration de l’événement. »

Ce regard porté vers celui qui n’est plus est sans doute un premier pas dans ce long cheminement. Les soignants, ayant connaissance de cet aspect, peuvent essayer de mettre en place les conditions les plus favorables à son déroulement.

D’après Elisabeth Kubler Ross, cet instant devrait bénéficier d’un temps conséquent :

« Je pense qu’il est important de laisser aux proches suffisamment de temps pour rester avec leur parent décédé »

18Mattheeuws Alain, Accompagner la vie dans son dernier moment, Edition parole et silence, Paris, 2005, p.66.
19 Kubler-Ross Elisabeth, Accueillir la mort, Editions du Rocher, Paris, 2002, p.107.

Le regard se porte alors sur ce corps. Or dans la littérature concernant la mort, la vision du corps reste peu traitée :

« Il est curieux de constater que, parmi les nombreux ouvrages consacrés aux problèmes de la mort, le cadavre se trouve quasi-systématiquement escamoté. S’agit-il d’un oubli pur et simple ? Nous ne le pensons pas, car le cadavre par définition est là ; ‘rien’ peut être pour beaucoup, mais surtout ‘pire que rien’ puisque le fait d’être là souligne que celui qui l’animait n’est précisément plus là. »

D’après louis Vincent thomas, cet oubli est une conduite de fuite, et l’homme, face au cadavre, se retrouve en quelque sorte face à son destin, d’où des conduites diverses, telles que peur, répugnance, abandon.

Il est vrai que cette vision du défunt peut susciter des réactions très ambivalentes, qui parfois s’opposent diamétralement. Le ressenti pouvant ainsi aller de la terreur à la fascination :

« Le corps est une chose, une chose sacrée, à la fois qui provoque la répugnance et qui oriente vers le sublime. »

Georges Bataille évoque ce vacillement entre deux registres réactionnels différents :

« D’un côté l’horreur nous éloigne, liée à l’attachement qu’inspire la vie ; de l’autre, un élément solennel, en même temps terrifiant, nous fascine qui introduit un trouble souverain. »

Ce trouble face au corps est bien souvent partagé par les proches, ainsi que l’infirmier présent au domicile.

Le regard se porte vers le corps, qui revêt à présent un caractère sacré, faisant l’objet de prévenance et d’hommages.

« En bref, la dépouille mortelle n’est pas une chose, elle fait l’objet d’une piété de la part des autres, c’est vers elle que se dirigent les hommages qui lui ont parfois été contestés de son vivant. »

L’aspect du corps semble avoir un impact réel aux yeux des survivants. Pour Louis Vincent Thomas, la vision d’un corps « idéal », calme, et non altéré par la souffrance, atteste d’un refoulement de ce qui touche à la perte. En effet, la vision d’un corps abimé rajouterait à la douleur de la perte de l’être cher celle de la vision du saccage subi par le corps en souffrance.

Ainsi, sans trahir la réalité de la mort, la présentation d’un corps serein, apaisé, peu endommagé permettrait d’adoucir cette confrontation.

Malgré cela, l’image du corps ne devrait pas être considérée avec plus d’importance qu’elle n’en représente vraiment pour le survivant. Celui ci voit au delà de l’apparence.

20 Thomas Louis-Vincent, Anthropologie de la mort, Payot 1975, p.250.
21Baudry ,P, La place des morts, op.cit., p.153.
22Bataille Georges, L’érotisme, Minuit, 2011, p.51
23R.Mehl, le vieillissement et la mort 1956, p.119

Patrick Baudry met l’accent sur ce regard: « Devant le cadavre, les gens ne voient pas strictement un corps. Ils ne cherchent pas à fixer le mieux possible dans leur mémoire la dernière vue de l’être aimé. On le voit sans le voir. On le regarde au delà de ce que l’on voit. »

L’aspect du corps revêt une importance, certes, mais celle ci demeure relative, le survivant voyant sans doute bien au delà.

La vision de la mort

Si l’infirmier, de par sa profession, est amené à côtoyer régulièrement la mort, cela n’est bien entendu pas le cas des familles

La mort, et plus particulièrement la vision de la mort, est étrangère à beaucoup d’entre elles.

« Le plus grand nombre de nos contemporains, à l’exception de certains professionnels, atteignent la cinquantaine sans avoir vu quelqu’un mourir. »

Nombreux sont ceux n’ayant jamais vu la mort de près. Pourtant, jamais celle-ci n’a autant été montrée, affichée, exposée.

En effet, les medias proposent quotidiennement des faits ayant traits à la mort : accidents, guerres, assassinats, attentats. L’être humain actuel, par le biais de nombreux vecteurs d’informations, est en contact étroit avec le décès de l’autre, de la personnalité, et bien souvent, de l’anonyme à ses propres yeux.

Cette vision familière et parfois banalisée de la mort d’autrui contraste avec la vision de celle d’un proche, souvent encore étrangère au cheminement personnel.

De ce fait, la mort d’un parent, et la vision de sa dépouille est souvent une première fois dans le parcours des familles.

Le décès du patient  confrontation à la mort, relation au défunt

2-3 La relation au défunt

Le proche ne va pouvoir s’approcher du corps du défunt qu’en un temps limité. Entre le décès et l’enterrement, ou la crémation, le temps imparti sera court. Cette dernière permission au toucher, ces derniers face à face, n’en demeurent que plus précieux.

Ils ont d’ailleurs une fonction bien particulière pour l’endeuillé, comme l’explique Louis Vincent Thomas : « Il importe de comprendre le jeu d’émotions que le corps présentifié permet d’extérioriser.

24Baudry, P, La place des morts, op.cit., p.132.
25 Cornillot, P et Hanus, M, op.cit., p.12.

Cette ultime relation d’un genre particulier provoque en effet une abréaction qui dénoue l’angoisse et peut aider au travail de deuil. »

Auprès du défunt, le proche peut exprimer pleinement son chagrin et ses émotions :

« Le survivant, dans les heures qui suivent le décès, parle au mort à défaut de parler avec lui. Il lui dit sa peine, lui adresse des reproches, car il y a dans l’expérience décisive de la mort du prochain quelque chose comme un sentiment d’une infidélité tragique de sa part.

Il se remémore les joies et les peines vécues avec lui ou a cause de lui, il multiplie les aveux et les pardons, explique ses décisions, promet de se souvenir de lui. »

Cette relation paraît être bénéfique au proche, lui permettant d’exprimer pleinement ses ressentis, en présence de celui qui n’est plus en capacité d’interagir avec lui.

Avant de faire face à l’absence, cette étape est essentielle. Prendre conscience de la réalité de la mort ne peut se faire qu’en présence du corps du défunt.

«Par le contact même, le chagrin de l’endeuillé s’exprime dans toute son authenticité à la faveur de cette ‘ pseudo ‘relation à la mort. Il faut pour cela que chaque parole qu’il n’entend pas, que chaque baiser qui ne suscite plus de désir, s’adresse à une réalité corporelle qui donne l’illusion d’être corps vivant sans cesser d’être reconnu comme mort véritable. »

La présence du corps permet cette confrontation avec la réalité, et les gestes et paroles adressés au défunt ont une fonction précieuse dans l’élaboration du travail de deuil.

C’est autour de ce corps sans vie que va s’articuler le rite.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’instant d’après
Université 🏫: Université Joseph Fourier - Faculté de Médecine de Grenoble
Auteur·trice·s 🎓:
Isabelle Gaillard

Isabelle Gaillard
Année de soutenance 📅: Mémoire Pour le diplôme inter-universitaire « Soins palliatifs et accompagnement » - 2011-2013
Infirmière libérale .
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