Le suivi des proches jusqu’au décès du patient

Le suivi des proches jusqu’au décès du patient

Un instant, et après ?

Le suivi des proches :

Durant les soins palliatifs, les proches sont écoutés, soutenus, entourés avec la plus grande attention. La démarche soignante les intègre à juste titre jusqu’au décès de celui qu’ils ont accompagnés.

Or la survenue du décès marque la fin des passages infirmiers, qui souvent étaient pluri quotidiens.

Ces temps d’échanges informels autour d’un café, dans un coin de salon, sur le pas de la porte, malgré leur simplicité apparente, avaient une importance non négligeable.

La relation tissée, les mots, l’écoute faisait pleinement partie de la prise en charge des proches.

Les familles sont coupées aussi subitement de cette relation qu’elles le sont du défunt.

Coupure brutale des visites, confrontation à une maison devenue vide, la solitude des survivants est à prendre en compte.

Or aucune place n’est faite à l’infirmière après le décès. Le suivi des proches endeuillés n’existe pas au niveau de la nomenclature des actes infirmiers, dressée par la sécurité sociale. Seul le patient est considéré, et lorsqu’il n’est plus, ses proches ne sont en aucun cas objet de soin.

Il est donc impossible de réaliser ce suivi après le décès, n’ayant plus d’actes infirmiers à prodiguer au sein du foyer. Aucun dispositif ne permet à l’infirmier d’exercer un quelconque rôle auprès des familles à domicile.

Cela pourrait sembler regrettable, sachant la connaissance que celui ci a de la famille, des éléments passés, des différentes problématiques et interactions familiales.

Ce partage commun des événements au sein du foyer aurait été sans doute un atout dans la relation.

Malgré cela, les infirmiers sont souvent amenés à revoir les proches. 48% d’entre eux les revoient assez souvent, 42% parfois, 10% toujours. Les rencontres fortuites sont largement évoquées au sein des commentaires libres. Les infirmiers étant intégrés au paysage urbain, ils exercent dans un secteur géographique bien restreint et défini.

Les occasions sont donc fréquentes de croiser les proches endeuillés. Mais au delà des rencontres aléatoires, un grand nombre d’infirmiers affirment se rendre volontairement auprès de la famille à distance du décès.

Certains précisent programmer cette visite deux semaines, ou un mois plus tard.

Celle ci a sans doute un intérêt partagé, et les infirmiers évoquent deux raisons principales la justifiant :

La première est motivée par la nécessité de boucler la relation, dans la sérénité. Elle permet en quelque sorte de finaliser la prise en charge, à distance de l’intensité émotionnelle suscitée par le décès.

La deuxième est centrée sur l’intérêt du survivant : Dépister sa détresse, son isolement ou ses difficultés éventuelles. Le proche ayant souvent besoin de partager ses ressentis, d’être entendu et reconnu dans sa souffrance, sa légitimité, prenant à témoin celui qui sait, qui a vu, qui ne peut que reconnaître cette réalité. Cela permet de reparler de la période palliative, du décès, du manque.

Nombreux sont les proches ayant besoin de clarifier des éléments précis de la prise en charge antérieure. Ayant parfois des questions restées sans réponses, il est important pour eux de trouver des éléments leur permettant d’apaiser certaines inquiétudes.

Les infirmiers évoquent à maintes reprises le soulagement de la douleur, ou encore l’acceptation de la mort par le patient.

La culpabilité des survivants est souvent présente lors de ces échanges. Certains ayant besoin d’être confortés, rassurés sur le fait d’avoir agit au mieux.

Le tissu familial et amical parfois très pauvre ne leur permet pas toujours d’exprimer suffisamment leurs difficultés.

« La solitude de l’endeuillé privé de l’aide des autres est préjudiciable pour son équilibre psychologique.»

Le proche a besoin de parler du passé, de faire revivre devant témoin ce qu’était la personne qui s’est éteinte :

« Comme l’irréversible ne sera jamais revécu, la conscience, souffrant de ce vide qui se creuse derrière elle, cherche à redonner un corps et une consistance au passé vaporeux. »

Face à la solitude des endeuillés, il est possible que certains soignants veuillent remplir un rôle qu’il leur est impossible de tenir :

« La loi du 9 juin 199 …peut parfois renforcer l’illusion chez certains « palliatologues » d’être investis d’une mission de prise en charge du patient et de son entourage avant et après la mort. »

136 Thomas-V, Que sais-je, la mort, op.cit., p.108.
137 Jankélévitch, l’irréversible et la nostalgie, op.cit., p.271.
138Richard Christian, Accompagnement de l’entourage, valeurs et limites, Objectif Soins, art.cit., p.20.

Cela peut être le cas lorsque l’infirmier est face à un proche isolé. Il est compréhensible qu’il s’investisse au delà de son champ d’action, percevant la grande difficulté de certains proches. Où se situe la frontière entre le rôle infirmier et le rôle social. Puisque de toute évidence, l’infirmier rempli une tâche pour laquelle personne n’est officiellement assigné ?

Palier à un manque, hors du contexte de son domaine de compétence, devient un problème de société. Cela met l’accent sur certaines insuffisances, la société peinant peut être à prendre en compte les proches endeuillés.

Le suivi des proches jusqu’au décès du patient

« L’accompagnement des familles, c’est aussi de la responsabilité de la société. Entraide, compréhension, solidarité envers celui qui souffre et se sent différent, sont à développer et à faire entrer dans la culture, voir l’éducation. »

A distance du décès, les infirmiers relatent l’isolement des proches, certains ayant le sentiment que la société ne prête guère attention au suivi du deuil et aux difficultés qui en découlent.

Les associations existantes peuvent être d’une aide précieuse, permettant à l’endeuillé d’être soutenu et accompagné dans son cheminement. Restent plusieurs questions qui peuvent être la base d’une réflexion à plus long terme :

Ces associations sont elles suffisamment connues du grand public ?

Notre société devrait elle prendre davantage en compte le suivi des personnes endeuillées ?

Devrait-elle aller au devant de leurs besoins, les solliciter, leur tendre la main, ou au contraire attendre que cela soit une démarche purement volontaire de leur part ?

Est-ce le rôle de la société dans son ensemble, devant définir une prise en charge précise, rigoureuse, administrative ? Ou cela doit il rester une démarche solidaire, individuelle, basée sur l’entraide mutuelle, et assurée par le réseau relationnel du survivant ?

Quelle place pourrait être faite à l’infirmier, qui, une fois les soins terminés, ne peut plus exercer aucune aide auprès de ceux qu’il a soutenus et qu’il connaît parfaitement ?

Conclusion

Par ce travail, je souhaitais approcher et comprendre ce qui se jouait pour les proches en cet instant particulier qui suit le décès. Je voulais percevoir l’incidence que pouvait avoir la présence et l’attitude de l’infirmier.

Tout d’abord, la recherche théorique, basée essentiellement sur la bibliographie, m’a permis de mettre en lumière les différents aspects de ce temps si particulier.

139 Plon F, Questions de vie et de mort. Soins palliatifs et accompagnement des familles, op.cit., p.106.

Cet instant m’a semblé cristalliser à lui seul un large panel d’émotions, d’interrogations, et de sentiments.

Bien qu’il soit éphémère, il semble suspendre le temps, laissant aux proches la sensation étrange d’être dans une dimension particulière, parfois inexplicable.

L’intensité des émotions face à la perte, à la vue du corps, se mêle aux questionnements sur le sens, le mystère de la vie. Cette scène suscitant des sentiments aux nuances infinies, à l’image de la personnalité de chacun, de son histoire, de ses croyances, de sa force, de ses fragilités.

Les pensées se succèdent, se contredisent, se précipitent. La colère, la tristesse, la révolte côtoient le soulagement, la culpabilité, les remords, ou les regrets. Les larmes se retiennent, pudiques, ou s’expriment, inconsolables.

De cette scène, le proche percevra parfois un détail : une image, une odeur, un mot, un geste, qui s’imprimera malgré lui parmi ses souvenirs.

Au cœur de ce temps suspendu, le rituel s’insinue, subtilement, dans une relation nouvelle face à celui qui n’est plus. Les gestes, les mots, les regards adressés à ce corps sans vie sont un premier pas, hésitant, difficile, sur ce long chemin qu’est le travail de deuil.

Face au choc, et à la vulnérabilité de certains proches, l’intervention infirmière pourrait être bénéfique, sous plusieurs aspects.

La présentation et l’apparence du défunt font l’objet de tous les soins, sachant que ce visage, ce corps, vont être exposés aux regards, et sans doute gardés en mémoire.

L’attention portée à chacun est d’autant plus fine que l’infirmier connaît les proches de longue date.

Une confiance permettant l’échange de mots, de gestes, de regards, qui apaisent, soulagent. Une écoute pouvant accueillir le silence, l’infirmier ayant été témoin de ce passé, de la maladie, de ce long parcours, il sait.

Les réponses et commentaires des infirmiers ont apporté un éclairage concernant leurs pratiques et leur approche de cet instant.

Si modeste soit cette première approche, les éléments recueillis permettent l’ébauche d’une réflexion.

Cet instant se présente peu, la mort étant de moins en moins fréquente à domicile. Or lorsque cela survient, les infirmiers s’engagent à accompagner la famille, et font preuve d’une disponibilité importante.

Ils sont un soutien pour les proches en cet instant, et portent attention à leurs attitudes. Pour beaucoup, cela est source de questionnement, de réflexion.

La présence infirmière peut être une aide, pour que chacun puisse s’inscrire en ce lieu, en ce temps limité. Que chaque proche, selon son désir, son ressenti, son cheminement, trouve la place qui sera la sienne, en accord avec sa plus profonde vérité.

Une juste place, qui ne sera empreinte d’aucune idéalisation, et ne sera en aucun cas soumise à l’idée que d’autres se font de cet instant. Rester ou partir. Regarder ou éviter. Approcher ou s’éloigner.

Tenir à distance ses propres croyances, ou certitudes. Approcher chaque membre de la famille, et lui permettre d’être en accord avec ce qu’il est.

Donner à chacun, s’il le désire, la possibilité de vivre pleinement cet instant, ou le regard porté vers le défunt, l’échange, la relation instaurée avec lui, au travers du rite, permettra de mieux se séparer ensuite.

Vivre pleinement sa peine, aller au fond de sa douleur, de ses émotions, pour avoir la possibilité de mieux les dépasser ensuite.

Eviter le regret parfois tardif, d’avoir écarté ou écourté cet instant difficile, mais si précieux.

De ce travail, il découle certainement la nécessité d’approfondir un certain nombre de questions.

Tout d’abord, obtenir le regard des familles serait important. Connaître leur vécu de l’instant, à domicile, et les détails ayant eu de l’importance à leurs yeux.

Recueillir ensuite leurs sentiments concernant l’intervention de l’infirmier, percevoir si celle ci a pu leur être bénéfique sous certains angles.

Enfin, envisager le suivi des endeuillés au sein de notre société. Bien qu’ils puissent obtenir de l’aide, celle ci est elle suffisante au regard de la grande vulnérabilité qui est la leur durant de longs mois ?

Car cet « instant d’après » est avant tout une première page. Celle d’une vie à venir, à reconstruire.

Une première ligne maladroite, que la plume peine à écrire.

Mais un ouvrage sur lequel chacun de nous devra un jour se pencher.

Bibliographie et Annexes

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’instant d’après
Université 🏫: Université Joseph Fourier - Faculté de Médecine de Grenoble
Auteur·trice·s 🎓:
Isabelle Gaillard

Isabelle Gaillard
Année de soutenance 📅: Mémoire Pour le diplôme inter-universitaire « Soins palliatifs et accompagnement » - 2011-2013
Infirmière libérale .
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