La violation du droit à une détention brève

Chapitre 2 : Une faible protection en pratique

Le placement en détention préventive ne doit être ordonné par le magistrat qu’après le recours ou la tentative de recours sans succès au maintien en liberté ou à l’une des obligations du contrôle judiciaire.

La protection du droit à la liberté s’étend également à la phase de la détention préventive. En effet, la protection légale doit garantir à la personne placée sous mandat de dépôt, la pleine jouissance de certains droits en respect de son statut de « présumé innocent ».

La première est naturellement le droit à une détention brève. Ce droit lui est garanti par la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples en son article 7.1.d « … le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale… ».

Il est en effet, inadmissible qu’une personne voit son droit à la liberté aliéné de façon prolongée, voir indéfinie avant le procès.

Le législateur togolais est le premier à minorer la question puisqu’il a prévu des maximums légaux extrêmement longs pour la détention préventive. Cette insensibilité au temps est décuplée en pratique par les multiples cas de détentions arbitraires observables.

La situation des prévenus est également inquiétante eu égards aux conditions dans lesquels ils sont détenus. Entre autres considérations liées au droit des détenus à la dignité humaine, le prévenu est confronté à une insuffisance de la prise en charge alimentaire et à l’inefficacité de la prise en charge sanitaire.

Le prévenu s’en trouve considérablement affecté et son droit au procès équitable est lui aussi entamé. Il convient d’aborder dans le cadre de ce chapitre les durées de détention longues (section 1) et la contrariété des conditions de détention avec le droit à la dignité (section 2).

Section 1 : Des durées de détention longues

Dans le volume 1 du rapport final rendu public en 2012, la CVJR a fait des recommandations à l’Etat togolais. La 50ème s’énonce comme suit « La commission rappelle l’obligation générale qui pèse sur l’Etat, d’améliorer les conditions de détention au Togo, de respecter les délais de détention préventive et de garantir les droits fondamentaux de toute personne détenue ».

À côté de cette obligation faite aux autorités judiciaires de respecter les délais de la détention préventive, l’analyse du cadre normatif persuade que les délais légaux prescrits par le législateur pour la détention préventive sont extrêmement longs, surtout en matière criminelle.

Il convient d’étudier à ce titre, la violation du droit à une détention brève (paragraphe 1) et les effets du placement en détention préventive (paragraphe 2) sur l’individu et la procédure.

La violation du droit à une détention brève

Paragraphe 1 : La violation du droit à une détention brève

Le philosophe BECCARIA affirmait que « L’emprisonnement est donc uniquement le moyen de s’assurer du citoyen jusqu’à ce qu’il soit jugé coupable, et cette mesure étant essentiellement pénible doit durer le moins de temps possible et être le moins rigoureux qu’il se peut »105.

Il est fondamental que la détention préventive soit utile et brève. En pratique, les délais ne sont pas respectés.

La lenteur judiciaire en est une cause. Dans un premier temps, la notion de détention préventive sera abordée (A) et dans un second temps, il sera développé l’insensibilité au temps des délais de la détention préventive (B).

105 C. BECCARIA, Des délits et des peines, ibidem, p. 33

A. La notion de droit à une détention brève

En droit positif togolais, le droit de toute personne d’être jugée dans un délai raisonnable est un droit constitutionnel, prévu au premier alinéa de l’article 19 qui proclame : « Toute personne a droit en toute matière à ce que sa cause soit entendue et tranchée équitablement dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale ».

L’intention du législateur est d’éviter de garder des personnes en incarcération préventive dans un état d’incertitude et de façon prolongée.

Comme le clame une maxime célèbre dont l’origine remonte à la Magna Carta106 « Justice delayed is justice denied107 ».

Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable est une composante du droit à un procès équitable. Elle ne vise pas seulement la protection du prévenu. L’on peut lui trouver trois bienfaits.

La première est dans l’intérêt de la victime, afin de lui faire droit et de permettre une réparation de son préjudice (par la sanction de l’auteur et le paiement éventuels des dommages et intérêts).

La seconde est dans l’intérêt de la justice, en faveur d’une bonne administration de la justice pour ce qui concerne la collecte des preuves par exemple108.

La troisième est encore dans l’intérêt de la politique criminelle, en ce qui concerne la sanction du prévenu. Très souvent, lorsque la peine est infligée longtemps après la commission de l’acte, le condamné peut peiner à faire le lien entre la sanction et le comportement incriminé.

La société peut elle aussi peiner à « comprendre, surtout s’il a été remis en liberté provisoire, comment il se fait qu’il peut jouir d’une longue période de liberté sans avoir eu à subir de procès »109.

Sur ce dernier point, la conséquence peut être une suspicion de corruption ou de collaboration mafieuse entre les juges et le mis en cause. Ceci contribue à une perte de confiance des justiciable en la justice.

Certaines considérations pertinentes peuvent toutefois justifier un retard dans le traitement d’une affaire. Le comité des droits de l’Homme et la cour européenne des droits de l’Homme en dresse une liste non exhaustive.

Le retard peut s’expliquer par la complexité des questions juridiques déterminées110, la nature des faits à établir111, le nombre de personnes accusées ou des parties dans les procédures civiles et de témoins apportant des preuves112, ou être le résultat de toute procédure d’appel113.

106 La grande charte en Angleterre en 1215

107 Justice différée est justice refusée

108 Par exemple, la qualité des témoignages peut être dégradée après un trop long temps écoulé depuis la commission de l’infraction

109 M. GIROUX et E. O’SULLIVAN, procédure pénale, Ed. Yvon Blais, 1999, p. 76

110 Deisl c. Autriche, Comité des droits de l’homme (HRC), Communication 1060/2002, UN Doc CCPR/ C/81/D/1060/2002 (2004), par. 11.2-11.6

111 Triggiani c. Italie [1991] CEDH 20, par. 17 (partie « En droit »)

112 Angelucci c. Italie [1991] CEDH 6, par. 15 (partie « En droit »)

113 Deisl c. Autriche, Comité des droits de l’homme (HRC), ibidem

Le délai raisonnable est appréciable à compter du moment à partir duquel une personne est arrêtée jusqu’à ce que le jugement soit rendu et que tous les appels ou les révisions applicables soient effectués.

Certains critères jurisprudentiels peuvent être cités pour évaluer le caractère raisonnable de la durée de la détention avant jugement.

Le Comité des droits de l’homme a considéré dans l’affaire « Teesdale c. Trinité-et-Tobago » qu’il y avait une violation au droit d’être jugé dans un délai raisonnable114.

Dans une autre affaire, « Boodoo c. Trinité-et-Tobago », le Comité a également conclu que la période de 33 mois entre l’arrestation et le procès sur une accusation de vol simple, constituait un délai injustifié et ne pouvait pas être considérée comme compatible avec les dispositions de l’article 9.3 PIDCP115.

Le droit à un procès rapide est plus important dans le contexte où l’accusé est privé de sa liberté.

B. L’insensibilité au temps des délais de la détention préventive

Le code de procédure pénale prévoit des délais au-delà desquels la détention avant jugement perd sa légalité. Le premier alinéa de l’article 113 CPPT énonce que l’inculpé domicilié au Togo ne peut être détenu plus de dix jours après sa première comparution devant le juge d’instruction, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur à deux ans d’emprisonnement.

Le second alinéa prévoit que le prévenu est mis en liberté d’office lorsque la durée de la détention préventive atteint la moitié du maximum de la peine encourue.

Précisément, ces deux alinéas méritent une analyse approfondie. Il est évident que le premier alinéa prescrit une détention préventive brève en cas de commission d’infractions de faible gravité.

Il doit en être ainsi pour toute personne domiciliée au Togo et qui est poursuivie par exemple pour abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse116 ; violences volontaires légères117, blessures involontaires118, acte de discrimination en matière d’emploi et de profession119, etc. Le second alinéa est le plus inquiétant.

114 En effet, la retranscription du procès dans cette affaire a montré que toutes les preuves du dossier de l’accusation avaient été recueillies avant le 1er juin 1988 et qu’aucune autre enquête n’avait été menée après cette date. Toutefois, le procès n’avait commencé qu’à partir du 6 octobre 1989.

115 « Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle » 116 Punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02), art 194 et suivants NCPT

117 Punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02), art 226 NCPT

118 Punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02), art 243 NCPT

119 Punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02), art 308 NCPT

En effet, il dispose « La mise en liberté est également de droit lorsque la durée de la détention préventive atteint la moitié du maximum de la peine encourue et que l’inculpé est délinquant primaire ».

Sur la première condition tenant à un délai de la détention préventive correspondant au maximum de la peine encourue, il faut distinguer selon que l’infraction reprochée au prévenu est qualifiée de crime ou délit.

En droit positif togolais, un prévenu poursuivi pour une infraction délictuelle, encourt au maximum cinq ans d’emprisonnement.

Conformément à l’article 113.b, la mise en liberté de droit lui est acquise au terme d’une détention préventive de deux ans et six mois (30 mois). Ce délai est long et ses conséquences sont énormes pour les libertés individuelles.

Il faut remarquer que ce délai légal (30 mois) se rapproche largement de celui incriminé par le comité des droits de l’homme dans l’affaire « Boodoo c. Trinité-et-Tobago » (33mois) pour violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable.

L’atteinte à la liberté individuelle est exacerbée lorsque le prévenu est poursuivi pour une infraction criminelle. Après la révision du code pénal et son adoption en novembre 2015, le maximum de la réclusion criminelle est passé à cinquante ans. Le durcissement de la sanction se justifie par la gravité des infractions reprochées120.

Un accusé encourt donc une peine maximale de cinquante ans s’il est poursuivi pour « complicité d’assassinat » par exemple. Conformément à l’alinéa b de l’article 113, il ne devrait être éligible à la mise en liberté de droit qu’après vingt-cinq ans de détention.

C’est insensé. Heureusement, une atténuation est apportée en matière criminelle par l’article 7 du code de procédure pénale. Au terme dudit article, l’action publique se prescrit si l’infraction n’a pas été déférée à la juridiction de jugement par citation ou ordonnance de renvoi dans un délai de « dix ans en matière de crime ».

Ce délai est prolongé d’un an si l’instruction ouverte avant expiration du délai n’est pas achevée. Cette disposition ramène le quantum requis pour la mise en liberté de droit en matière criminelle à onze ans, ce qui demeure n’en demeure pas moins insensible au temps.

Par devers les délais légaux longs, bien que proscrites par la constitution en son article 13 121, les détentions arbitraires sont courantes en pratique.

Le droit positif togolais ne répond pas clairement à la question de savoir quand est-ce qu’une détention devient arbitraire ? Trois critères ont étés dégagés par le groupe de travail sur la détention arbitraire créé en 1991 par la commission des droits de l’Homme des nations Unies.

120 Entre autres, torture, génocide, etc.

121 Art 13, al 2 de la constitution togolaise : « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa liberté »

D’abord, s’il est manifestement impossible d’invoquer un fondement juridique quelconque qui justifie la privation de liberté.

Ensuite, si la privation de liberté résulte de l’exercice par l’intéressé des droits ou des libertés proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et, pour autant que les États concernés soient partis au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Enfin, si l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États concernés, est d’une gravité telle que la privation de liberté prend un caractère arbitraire.

Les détentions arbitraires sont courantes. À la prison civile de Lomé, un prévenu accusé de complicité de vol aggravé a été incarcéré pendant 08 ans pour enfin être libéré pour défaut de dossier. Son dossier était introuvable122.

Violenté lors de l’enquête préliminaire, ce dernier a été hospitalisé pendant presque toute la durée de sa détention. À la brigade pour mineurs de Lomé en général, les mineurs poursuivis pour délit de droit commun sont le plus souvent victime de détention arbitraire.

En effet, l’article 323 alinéa 2 du code de l’enfant dispose que « la durée du placement provisoire ne peut excéder trois (03) mois pour les délits… ». Ce délai n’est pas très souvent respecté en pratique.

122 Il a été arrêté le 12 octobre 2011 et a été relâché le 15 octobre 2019 après intervention du directeur de l’administration pénitentiaire qui a eu connaissance de son cas lors d’une visite au cabanon

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais
Université 🏫: Université de Parakou - Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP)
Auteur·trice·s 🎓:
M. KPAKOU Panis Roger

M. KPAKOU Panis Roger
Année de soutenance 📅: École doctorale sciences juridiques, politiques et administratives (SJPA) - 2019-2025
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