Les réformes engagées pour la protection du droit à la liberté

Seconde partie : Un renforcement nécessaire

La première partie de l’analyse a permis de présenter le dispositif de protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais. D’importants acquis ont pu être relevés.

Il est apparu que le législateur togolais accorde une grande importance à la condition des personnes en conflit avec la loi, surtout, lorsque ces derniers risquent de perdre leur droit à la liberté dans le cadre d’une procédure avant jugement.

La règle qui prévaut en la matière est le principe d’exception de la privation de liberté. Dans le cas où le recours à une mesure restrictive de liberté s’avère nécessaire, le législateur a consacré des mesures de contrôle judiciaire pour servir d’alter moyen au placement en détention préventive.

La protection du droit à la liberté demeure toutefois limitée. En effet, des limites sont observables tant au plan normatif que dans la pratique.

Il appert qu’un renforcement du régime de la détention préventive permettrait une meilleure protection du droit à la liberté dans la procédure pénale avant jugement en droit positif togolais.

Aussi, il sera abordé dans un premier temps les axes de réformes envisageables (Chapitre 1) puis dans un second temps, le renforcement du contrôle du respect des garanties de protection du droit à la liberté (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Les axes de réformes envisageables

Le régime de la détention préventive souffre de l’absence d’un dispositif de réparation de la détention préventive injustifiée. En effet, les détentions préventives injustifiées sont courantes. Il est urgent que le législateur mette en place un régime de réparation de la détention injustifiée.

C’est en effet un droit auquel doivent pouvoir prétendre toutes les victimes de détention injustifiée, sous certaines conditions. Sur le champ des réformes, d’importants acquis sont à relever. Certaines pistes de solution nécessitent cependant une attention soutenue et particulière du législateur.

Dans cet ordre des idées, il sera abordé dans un premier temps le renforcement du cadre légal et institutionnel (Section 1) puis dans un second temps, la nécessité d’un régime de réparation de la détention préventive injustifiée (Section 2).

Section 1 : Le renforcement du cadre légal et institutionnel

Le régime de la détention préventive mérite d’être réformé afin de renforcer la protection du droit à la liberté ainsi que son effectivité à l’épreuve de la détention préventive. Le législateur togolais est conscient de cette nécessité. Pour y pallier, des réformes sont d’ores et déjà engagées et d’autres sont annoncées.

Toutefois, à lumière des bonnes pratiques dans les législations voisines, certaines pistes de solutions méritent une attention particulière. À cet effet, il sera abordé dans un premier temps, les réformes engagées pour la protection du droit à la liberté (Paragraphe 1) et dans un second temps les pistes de solutions envisageables (Paragraphe 2)

Paragraphe 1 : Les réformes engagées pour la protection du droit à la liberté

Le législateur est instruit des limites observables dans le dispositif de protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies en général. Les autorités publiques en ont conscience également. Elles ont acté progressivement en faveur de l’amélioration du régime de la détention préventive.

Comme il le sera analysé, ces réformes concourent en majorité à la mise en place progressive des conditions requises pour une meilleure protection du droit à la liberté de toute personne poursuivie en droit positif togolais.

Toutefois, des avancées restent attendues. En faveur de la protection du droit à la liberté lors de la détention préventive, des avancées notoires (A) sont identifiables tandis que d’autres restent attendues (B).

A. Des avancées notoires

Pour renforcer la protection du droit à la liberté, le législateur a procédé à l’adoption de la loi n° 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénale au Togo.

En ce qui concerne l’amélioration du traitement des personnes poursuivies, le nouveau code pénal togolais a le mérite de criminaliser les actes de torture en ses articles 198.168 et suivants.

Il faut rappeler qu’en 2012, la commission africaine des droits de l’Homme avait recommandé au gouvernement togolais de « veiller à ce que tous les auteurs des actes de torture soient poursuivis169 ».

Cette réforme est aujourd’hui effective en droit positif togolais. La torture de toutes personnes, notamment celles en détention, est un crime imprescriptible en droit positif togolais. Une autre réforme majeure est également l’adoption de la loi n° 2019-015 portant code de l’organisation judiciaire du 30 octobre 2019.

La principale plus-value de l’adoption de cette loi est sa contribution à la lutte contre la lenteur judiciaire au Togo. En effet, le législateur crée des tribunaux criminels170 et des cours criminelles d’appel171 qui sont des juridictions compétentes pour juger en premier ressort et en appel toutes les infractions qualifiées de crime.

Les réformes engagées pour la protection du droit à la liberté

Le droit positif togolais tourne ainsi la page des cours d’assises. Avec la création de ces nouvelles juridictions, les affaires criminelles seront traitées avec plus de célérité. Cette réforme permettra de lutter contre les détentions prolongées et de fixer les détenus sur leur sort dans un délai raisonnable.

168 Art 198 NCPT « Le terme «torture» désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit.

Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. »

169 CADHP, Observations finales et recommandations relatives aux 3e, 4e et 5e rapports périodiques cumulés de la République du Togo, 51e session ordinaire, 18 avril – 2 mai 2012, Banjul, Gambie, § 73(xv)

170 Art 67 et 68 de la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire du 30/10/2019

171 Art 67 et 68 de la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire du 30/10/2019

Il faut également relever les efforts en faveur de l’amélioration des conditions de détention, notamment la construction de la nouvelle prison de Kpalimé172 ; la rénovation de certaines prisons civiles173, la rénovation et l’agrandissement du cabanon avec la création d’un quartier pour femmes, etc.

Les acteurs du monde judiciaire sont également impliqués dans l’effectivité de la protection du droit à la liberté.

Ainsi, le tribunal de Lomé a adressé au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale, un courrier en date du 02 février 2019 en vue de la fixation d’une heure limite pour les déferrements au parquet d’instance Lomé.

Aux termes de cette missive, l’heure limite de déferrement au parquet de Lomé est fixée à 15h au plus tard, sauf en cas de nécessité de service. La raison de cette préoccupation est fondée sur la volonté de lutter contre les détentions arbitraires, le phénomène dit du « double mandat de dépôt » et celui du « vendredi soir174 ».

Cette mesure vise à laisser suffisamment de temps au parquetier et ensuite au juge d’instruction pour connaitre de l’affaire dans les horaires de service et éviter qu’un individu ne soit incarcéré pour cause d’un déferrement tardif.

L’administration pénitentiaire s’est également dotée d’un logiciel de gestion des prisons (application permettant l’enregistrement biométrique des détenus au niveau du greffe de chaque établissement pénitentiaire ainsi que les enregistrements de stock alimentaires, etc.175).

L’une des raisons du recours abusif à la détention préventive est le manque de garantie de représentation. Pour lutter contre le défaut de garantie de représentation, les travaux d’adressage effectués dans certaines villes du Togo constituent un grand atout.

Également, la mise en œuvre du projet d’identification nationale biométrique (e-ID Togo) annoncé par le PND sera une plus-value pour une meilleure garantie de représentation des personnes.

172 Le 21 septembre 2016

173 Par exemple, réhabilitation de la prison civile de Dapaong en février 2017

174 Hormis les cas de flagrants délits, seul le juge d’instruction a le pouvoir de placer le suspect en détention préventive. Mais en pratique, le procureur décerne mandat de dépôt même dans les affaires ne constituant pas des flagrants délits. Plus tard, lorsque le prévenu est appelé devant le juge d’instruction, ce dernier l’inculpe formellement en antidatant le mandat de dépôt à la date où le procureur avait ordonné le placement en détention préventive de ce dernier. C’est le phénomène du double mandat de dépôt.

175 https://togopresse.tg/les-acteurs-se-familiarisent-avec-le-logiciel-de-gestion-informatique-des-prisons-a- kpalime/, consulté le 22 juin 2020 à 19h43

B. Des réformes attendues

L’écrivain et philosophe français Voltaire écrivait « Le mieux est le mortel ennemi du bien176 ». Loin de se contenter des réformes réalisées, il est important que la dynamique soit renforcée.

Le ministre chargé des droits de l’Homme dans son allocution devant le comité contre la torture en juillet 2019 a affirmé que « Le gouvernement de la république togolais n’est pas dans le déni, il n’est pas dans l’autosatisfaction et il n’est pas non plus dans l’autocongratulation… Il mesure les progrès qu’il accompli, s’efforce de maintenir un rythme constant et continuel de réforme pour renforcer la jouissance pratique des droits de l’Homme dans une démarche sûr qui consolide les acquis tout en faisant de nouveaux progrès. ».

Plusieurs réformes ont été annoncées et restent très attendues. Ces réformes viendront renforcer la protection du droit à la liberté lors de la détention préventive. Il s’agit d’abord de l’adoption d’un nouveau code de procédure pénale.

En effet, cette adoption permettra au législateur de revisiter les dispositions légales de protection du droit à la liberté lors de la détention préventive pour y adjoindre des garanties supplémentaires (motifs de la détention préventive, motivation spéciale de l’ordonnance de placement en détention préventive, etc.), et renforcer les garanties existences (réformer les délais de la détention préventive, etc.).

L’adoption d’un nouveau code de procédure pénale favorisera également la mise en œuvre des alternatives aux poursuites judiciaires, prévus par le nouveau code pénal : la médiation pénale177 et de la composition pénale178.

Ces mesures de substitution à l’emprisonnement viennent s’ajouter au contrôle judiciaire et à la remise en liberté provisoire pour donner des moyens pluriels de protéger le droit à la liberté des personnes poursuivies.

Une autre réforme, très attendue est l’adoption d’une nouvelle loi portant organisation du régime pénitentiaire. Le régime pénitentiaire était encadré par l’arrêté du 1er septembre 1933 organisant le fonctionnement des centres de détention au Togo.

Il a été abrogé en 1992 sans être remplacé. Un avant-projet de la nouvelle loi portant organisation du régime pénitentiaire a été déposé en 2010 devant les parlementaires.

176 Voltaire, « Contes en vers », in La Bégueule, Ed. Garnier, 1877, p. 50

177/178 Art 59/60 et 61/62, NCPT

L’adoption de cette loi viendra réorganiser le régime pénitentiaire au Togo. Il aura sans doute l’avantage de consacrer en droit togolais l’ensemble des droits fondamentaux reconnus aux détenus par les instruments internationaux de droits de l’Homme.

Outre l’adoption de la nouvelle loi sur le régime pénitentiaire, l’amélioration des conditions de détention au Togo reste un défi à relever.

Lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019, le ministre Christian TRIMUA avait affirmé que le gouvernement a mis en réflexion la conception et la mise en œuvre d’un programme d’amélioration des infrastructures pénitentiaires, ce qui résoudrait de facto la question de la surpopulation carcérale par l’agrandissement des infrastructures et la précarité des conditions de détention.

Dans ce sens, le ministre garde des sceaux a affirmé qu’un projet de construction d’une nouvelle prison était à l’étude dans les environs de Lomé179.

Selon l’information relayée sur le site officiel de la république togolaise le 07 avril 2020, le site de la nouvelle prison aurait déjà été identifié.

Le projet de construction d’une nouvelle prison à Lomé intervient après que le CAT ait recommandé au gouvernement, d’envisager la fermeture définitive de la prison civile de Lomé180.

Sa « structure même n’est plus adaptée au temps, aux exigences des conditions modernes de détention et du respect des droits de l’Homme, tant des détenus que du personnel pénitentiaire ».

179 https://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Justice/Construction-d-une-nouvelle-prison-a-Lome, consulté le 22 février 2020 à 16h43

180 Recommandation formulée par Claude HELLER ROUASSANT, expert et rapporteur du CAT lors du passage du Togo en juillet 2019

C’est un signal fort pour démarrer une modernisation globale des infrastructures pénitentiaires au Togo, dont la plupart datent de l’époque coloniale et sont dans un état de délabrement avancé.

Il faut aussi rappeler qu’en février 2019, un nouveau registre de garde à vue uniformisé et standardisé conforme aux lignes directrices Luanda a été adopté.

Légitimement, la prochaine étape sera l’adoption d’un registre de détention préventive uniformisé, standardisé et conforme aux lignes directrices Luanda.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais
Université 🏫: Université de Parakou - Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP)
Auteur·trice·s 🎓:
M. KPAKOU Panis Roger

M. KPAKOU Panis Roger
Année de soutenance 📅: École doctorale sciences juridiques, politiques et administratives (SJPA) - 2019-2029
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