La détention préventive et les réformes: les groupes vulnérables

Paragraphe 2 : Les pistes de réformes envisageables

Le législateur togolais est avisé. Il a consacré plusieurs mesures pour renforcer la protection du droit à la liberté lors de la détention préventive.

Il s’agit notamment des alternatives à l’emprisonnement instituées par le nouveau code pénal, et dont la mise en œuvre sera effective avec l’adoption du nouveau code de procédure pénale.

Néanmoins, certaines pistes de solutions méritent une attention particulière du législateur. Il s’agit notamment de l’institution du juge des libertés et de la détention (A) et de la protection des groupes vulnérables en détention préventive (B).

A. L’institution du juge des libertés et de la détention

L’institution d’un juge des libertés et de la détention en droit positif togolais est une nécessité. Le rôle principal du juge d’instruction dans la procédure pénale avant jugement est de procéder en toute impartialité181, « conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité182».

C’est dans l’accomplissement de cette mission qu’il a le pouvoir de prendre des mesures contraignantes. Il est nécessaire de recentrer le juge d’instruction dans sa fonction originelle d’« enquêteur de la justice ».

Il faut obligatoirement une séparation entre la fonction de d’investigation et celle chargée d’apprécier la nécessité d’un placement en détention préventive.

Il a pu être observé que les cabinets d’instruction font parfois usage du placement en détention préventive dans l’intention d’obtenir des informations utiles à l’enquête qu’ils mènent.

Dans le « Rapport sur le respect et la mise en œuvre des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans l’administration de la justice au Togo », publié en 2013, le HCDH-Togo a fait remarquer que « le mandat de dépôt devient parfois un moyen de pression sur les justiciables pour régler certains litiges pour lesquels d’autres procédures sans placement sous mandat de dépôt sont parfaitement adaptées ».

Il s’agit là d’une limite fonctionnelle. Le juge d’instruction est amené à assumer deux fonctions, non contradictoire en soi mais ; dont la conjonction est inéluctablement nocive à la protection du droit à la liberté.

À cette limite pratique, l’analyse a relevé le caractère fortement inquisitoire de la procédure actuelle, laissant très peu de place aux droits de la défense.

Il est urgent que le législateur togolais mette en place un débat contradictoire au moment de l’appréciation de la nécessité du placement en détention préventive.

C’est l’une des multiples raisons pour lesquels le droit positif togolais doit évoluer vers la création d’un juge indépendant chargé de l’appréciation in concreto de la nécessité d’un placement ou d’un maintien en détention préventive.

181 Ce qui est une lourde charge lorsqu’on considère que le même magistrat a la charge de mener l’enquête à charge et à décharge sans prendre partie

182 Art 64 CPPT

Toutefois, il ne faut pas se voiler la face : la création du juge des libertés et de la détention n’est pas la panacée. L’expérience du JLD dans les législations qui l’ont mis en place a révélé des failles. L’un des exemples notables de cette décennie est le scandale de l’affaire dite d’Outreau en France.

Cette affaire débute en l’an 2000 et se transforme vite en un fiasco judiciaire à cause d’un dysfonctionnement attribué dans une large mesure au JLD.

C’est au total de 18 personnes qui sont placés en détention préventive, dont une majorité clame leur innocence. L’une de ces personnes183 se suicidera en prison, n’ayant pas supporté la pression médiatique avilissante.

Les conséquences de cette affaire sont terribles : seulement 4 personnes sont condamnées et 13 personnes sont innocentées après près de trois ans de détention préventive. La plupart d’entre eux auront perdu leur emploi, la garde de leurs enfants, leur bonne réputation, etc.

Le « double regard » impartial du JLD n’avait pas fonctionné. Le ministère de la justice de France a chargé une commission de faire des recommandations sur le traitement judiciaire de l’affaire d’Outreau.

Il a conclu qu’il fallait modifier le statut du juge d’instruction pour valoriser sa fonction au sein des juridictions. Il s’agit entre autres de la consécration d’une fonction permanente au JLD au sein des juridictions.

La détention préventive et les réformes les groupes vulnérables

Un ou plusieurs magistrats seront affectés à cette fonction exclusive. Cela permettra au JLD de « se concentrer sur le contentieux de la détention provisoire et suivre de façon permanente l’instruction préparatoire184 ».

Des pistes de solution existent pour parfaire le statut du JLD et lui permettre de remplir pleinement le rôle qui lui est assigné par la loi, au lieu de demeurer le « Béni oui-oui » du juge d’instruction comme la plupart le clament.

183 Il s’agit de François MOURMAND, surnommé « la victime oubliée d’Outreau ». Il était ferrailleur de métier, et s’est donné la mort par une surdose médicamenteuse en détention préventive, le 09 juin 2002 à 32 ans. Il a clamé son innocence jusqu’à la fin

184 T. T. L. PHI, La détention provisoire : Étude de droit comparé droit français et droit vietnamien, Thèse de doctorat en droit, Université MONTESQUIEU, France, 2010, p. 146

B. La protection des groupes vulnérables en détention préventive

Selon la définition du doyen Gérard CORNU, la vulnérabilité est la « situation d’une personne en état de faiblesse, en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou encore d’un état de grossesse185 ». Du fait de leur état, les personnes vulnérables sont particulièrement fragilisées lorsqu’elles sont incarcérées.

En effet, les personnes vulnérables ont des besoins spécifiques dues à leur état. La prise en charge de ces besoins devient particulièrement difficile lorsqu’ils sont incarcérés. Ils ont également des capacités réduites pour résister à certaines difficultés liées à l’incarcération.

Les « lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique » encore appelées « Lignes directrices de Luanda » distinguent, à la Partie 7, quatre groupes de personnes vulnérables.

Le premier groupe est composé des mineurs en détention ; le second groupe des femmes en détention ; le troisième des personnes handicapées et le quatrième groupe des non- ressortissants.

La liste est non exhaustive186. Les personnes vulnérables en détention doivent bénéficier de mesures spéciales de protection. Ce traitement spécifique ne peut pas être considéré comme discriminatoire187.

Au Togo, certaines mesures ont été prises pour pourvoir aux besoins spécifiques des personnes vulnérables en détention.

Il s’agit entre autres de la création de deux centres spécialisés : la brigade pour mineurs de Lomé qui accueille les mineurs en situation de conflit avec la loi et l’Hôpital psychiatrique de Zébé qui accueille entre autres, les détenus souffrants de troubles psychiatriques.

Il faut également rappeler l’effort de séparation catégorielle entre hommes et femmes, adultes et mineurs dans les prisons civiles du Togo.

Le droit à la séparation catégorielle de certains groupes de détenus vulnérables (femmes, enfants, etc.) est un acquis des droits fondamentaux des personnes détenues. Comme, il l’a été démontré, ce droit n’est pas effectif dans toutes les prisons au Togo.

Par exemple, il n’existe qu’une seule institution spécialisée au Togo chargée d’accueillir les mineurs en détention.

185 G. CORNU, vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 11e édition mise à jour, p. 1086

186 L’on peut ajouter à la liste, les détenus âgés, les détenus malades, etc.

187 Ligne directrice 30 (a) Lignes directrices de Luanda « Les mesures élaborées pour protéger les droits des personnes ayant des besoins spécifiques, … ne doivent pas être considérées comme discriminatoires ni appliquées de manière discriminatoire. »

Tandis que la plupart d’autres prisons peinent à mettre en œuvre la séparation entre adultes et mineurs en détention, certaines prisons comme celle de Tsévié et Vogan188 n’ont pas de quartiers pour enfants en leur sein. La séparation reste largement dépendante des capacités d’accueil des établissements pénitentiaires qui sont pour la plupart surpeuplées.

La plupart des installations pénitentiaires au Togo ne sont pas adaptés aux femmes et aux enfants. La situation des personnes vulnérables détenues est empirée par les conditions de détention qui restent inhumaines et cruelles au Togo.

La modernisation des infrastructures pénitentiaires permettrait de prendre en compte certains besoins spécifiques des personnes vulnérables en détention. Il s’agit par exemple de la construction des rampes d’accès pour les détenus infirmes.

La problématique est bien plus inquiétante qu’elle en donne l’impression. Nonobstant, le droit au respect de la dignité humaine de tout détenu, prévu notamment à l’article 7 du PIDCP189, les personnes vulnérables en détention sont couramment victimes d’abus, surtout de la part de leurs codétenus.

Ceci s’explique par leur état de vulnérabilité. Il peut s’agir de violences physiques, de harcèlements, de menaces, de marginalisations, d’obligation de faire certains travaux avilissants, etc.

Les plus vulnérables d’entre les détenus sont les non-ressortissants. Cette catégorie de détenus comprend les étrangers, les réfugiés et les apatrides.

Les lignes directrices de Luanda prescrivent que cette catégorie de détenus doit primordialement être informée de son droit de contacter les représentants consulaires dans le pays, etc.

La protection des personnes vulnérables en détention est une nécessité que le législateur togolais doit inscrire à l’ordre de ses priorités. En outre, les établissements de détention devraient être rénovés afin de prendre en compte certains besoins spécifiques des personnes vulnérables en détention.

188 Lors d’une visite de la CNDH à la prison civile de Vogan le 22 mai 2019, il est constaté la détention d’un mineur avec les adultes (Voir CNDH, Rapport d’activités, Exercice 2019, p. 132)

189 « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. »

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais
Université 🏫: Université de Parakou - Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP)
Auteur·trice·s 🎓:
M. KPAKOU Panis Roger

M. KPAKOU Panis Roger
Année de soutenance 📅: École doctorale sciences juridiques, politiques et administratives (SJPA) - 2019-2030
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