La détention et l’insuffisance de la prise en charge dans les prisons

La détention et l’insuffisance de la prise en charge dans les prisons

Paragraphe 2 : L’insuffisance de la prise en charge dans les prisons

En 2012, à l’issue de l’examen des 3e, 4e et 5e rapports périodiques combinés de l’État togolais par la commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, la commission avait recommandé au gouvernement de « prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’améliorer les conditions de détention et la qualité des repas servis aux prisonniers » et de « respecter les normes minimales acceptables au niveau régional et international en matière de logement des détenus152 ».

En effet, il se pose un problème de prise en charge efficiente des détenus dans les prisons. Entre autres, la prise en charge alimentaire est insuffisante (A) et la prise en charge sanitaire lacunaire (B).

A. Une prise en charge alimentaire insuffisante

Au Togo, c’est l’administration pénitentiaire et de la réinsertion qui est la structure chargée de la gestion des prisons. Elle est rattachée au ministère de la justice depuis le décret n°92-40/PMRT du 12 février 1992 portant rattachement de l’Administration pénitentiaire au ministère de la justice. C’est elle qui se charge de la prise en charge alimentaire de tous les détenus.

Le droit à une bonne alimentation est reconnu à tout détenu par la règle 22.1 des règles Nelson Mandela : « Tout détenu doit recevoir de l’administration pénitentiaire aux heures habituelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces. Chaque détenu doit pouvoir disposer d’eau potable lorsqu’il en a besoin ».

Selon le diagnostic du milieu carcéral togolais en 2019, présenté par madame KODJOLO Koudjoukalo Eugénie, chargée du suivi de la population carcérale, de l’action sociale et de la réinsertion au Togo ; il apparait que la prise en charge alimentaire des détenus au Togo a connu des fluctuations au fil du temps.

152 CADHP, Observations finales et recommandations relatives aux 3e, 4e et 5e rapports périodiques cumulés de la République du Togo, 51e session ordinaire, 18 avril – 2 mai 2012, Banjul, Gambie, § 73(xv)

Le tableau153 se présente comme suit :

Budget annuel alloué à l’alimentationEffectif moyen des détenusMontant quotidien alloué à la restauration de chaque détenu
Avant 2011300 millions F CFA4000208 F CFA
2011330 millions F CFA4163220 F CFA
2012330 millions F CFA4053226 F CFA
2013380 millions F CFA3994260 F CFA
2014400 millions F CFA4134265 F CFA
2015300 millions F CFA4300191 F CFA
Depuis 2015300 millions4450 à 5000166,66 F CFA

À l’analyse, le constat est que le montant quotidien alloué à la restauration de chaque détenu (166 F CFA en 2019) est insuffisant pour offrir deux repas aux détenus par jours.

Un seul repas est donc assuré aux détenus154 par jour. En 2016, la CNDH dans son rapport dans le cadre de l’examen périodique universel, soulignait au paragraphe 10 que

« Les détenus sont sous alimentés tant sur le plan quantitatif que qualitatif. La ration alimentaire n’est que d’un repas par jour ». Il est évident que l’autorité publique ne fournit pas à l’administration pénitentiaire les moyens suffisants pour une bonne prise en charge alimentaire.

L’administration pénitentiaire consciente de cette défaillance autorise les détenus à faire leur propre cuisine à l’intérieur des prisons avec l’aide extérieur de leurs familles.

153 Informations fournies dans le Diagnostic du milieu carcéral togolais, DAPR, 2019

154 Détenus du genre masculin puisque les détenus du genre féminin font individuellement leur cuisine

Une épicerie est d’ailleurs gérée par l’administration au sein de la prison de Lomé. Il y est vendu des articles tels que du riz, de l’huile, du poisson, des tomates, etc.

Quelques personnes de bonne volonté ainsi que des OSC apportent également aux détenus leur aide en ce sens.

Du coté des femmes détenues à la PCL, la prise en charge alimentaire s’effectue autrement. Périodiquement, l’administration leurs partages des denrées alimentaires tels que du haricot, du riz, des petits poissons, de l’huile, du gari, du piment, etc.

La détention et l’insuffisance de la prise en charge dans les prisons

D’après les informations obtenues auprès d’une détenue155, la prise en charge alimentaire a régressée au fil des années.

Au cours des années 2014 à 2016, la répartition de la ration alimentaire aux détenues se faisait chaque quinzaine. Les denrées étaient ensuite reparties par bâtiments quel que soit le nombre de détenues.

À partir des années 2017 à 2020, l’administration a réduit la fréquence des répartitions de rations alimentaires et les détenues ne recevaient plus qu’une ration par mois. De façon générale, certains besoins primaires et fondamentales tels que l’accès à l’eau potable ne sont pas garanties dans toutes les prisons.

Récemment, avec l’apparition de la pandémie mondiale du COVID- 19, la crise sanitaire a démontré une capacité de réaction du gouvernement togolais quant à la prise en charge alimentaire des détenus.

En effet, par un communiqué en date 09 avril 2020, le ministre de la justice a annoncé la suspension des visites dans l’ensemble des treize prisons civiles du Togo, au cabanon156 et à la brigade pour mineurs de Lomé à partir du lundi 13 avril 2020157.

En guise de mesures d’accompagnement, il a été observé que l’administration pénitentiaire s’est réorganisée afin d’offrir un second repas à tous les détenus dans l’ensemble des lieux de détention touchés par la restriction.

Même si ces mesures ont été prises dans un contexte particulier158, c’est bien une preuve que des efforts peuvent être effectués en faveur d’une meilleure prise en charge alimentaire des détenus au Togo.

155 Au cours des visites de monitoring avec le CACIT

156 Le Cabanon est une unité de soins dédiée à la prise en charge des détenus malades de la prison civile de Lomé. Ce centre est situé au sein du Centre hospitalier universitaire Sylvanus Olympio

157 Pour prévenir la propagation du COVID-19 dans les lieux de détention, il était important de limiter les contacts avec le milieu extérieur.

158 Avec l’appui des partenaires techniques et financiers

B. Une prise en charge sanitaire lacunaire

Le droit à la santé est un droit fondamental pour tout être humain, quel que soit sa condition. L’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus dans les meilleures conditions.

Le droit à la santé des détenus est proclamé par la constitution togolaise en son article 16159. Il en est de même à la règle 24 des règles Nelson Mandela160. L’administration pénitentiaire prend les mesures idoines pour mettre en œuvre l’accès aux soins de santé.

Pour ce faire, l’article 41 du code de la santé publique du Togo dispose que « Les établissements pénitentiaires et autres locaux de détention doivent être dans un bon état d’hygiène, bien aérés et éclairés. Ils sont soumis à un contrôle sanitaire permanent ».

En général, s’agissant de l’accès des détenus aux soins de santé, trois observations peuvent être faites. Premièrement, chacune des 13 prisons civiles ne dispose pas d’infirmerie.

C’est le cas de la prison civile de Tsévié et celle de Kanté. Lorsque les détenus sont malades, ceux-ci doivent le signaler à l’administration qui selon leur constat requiert les services d’un infirmier à l’externe.

Ce dernier après consultation peut prescrire des médicaments dont la prise en charge est attribuée de facto au patient ou demander que le détenu malade soit transféré dans un hôpital à l’extérieur.

Deuxièmement, il y a les difficultés liées à la permanence du personnel soignant ainsi que l’accessibilité des soins en cas d’urgence sanitaire. Il faut relever que des crises de maladies se déclenchent souvent pendant la nuit lorsque les détenus sont « entassés » dans les cellules161.

À la brigade pour mineurs de Lomé comme à la prison civile de Lomé par exemple, les infirmiers ne font pas de garde pendant la nuit.

Lorsqu’un cas urgent de maladie se déclenche en pleine nuit, il est quasiment impossible de l’évacuer avant la reprise du service le lendemain. Ils arrivent ainsi que des détenus piquent des crises d’asthme ou qu’une maladie qui tardait à être prise en charge162 se déclenche violemment la nuit.

159 « Tout prévenu ou détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa dignité, sa santé physique et mentale et qui aide à sa réinsertion sociale »

160 « L’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique »

161 Un détenu à la PCL rapporte qu’à cause de la surpopulation, une chaleur « insupportable » règne pendant les nuits.

Pour tenter de venir en aide au détenu et le faire évacuer à l’hôpital, les codétenus doivent faire assez de bruit163 en espérant alerter les gardes.

Très souvent, le détenu souffrant est extrait de la cellule et placé dans un espace plus aéré. Il ne sera évacué que le lendemain matin. Des détenus rapportent que plusieurs détenus meurent dans ces conditions.

Un exemple tragique est celui d’une détenue qui a perdu ses deux jumeaux à la prison civile de Lomé le 11 décembre 2015 faute d’assistance, en pleine journée. Le site internet164 qui a relayé l’information rapporte le témoignage d’une codétenue sur cette affaire165.

L’indifférence des agents de l’administration pénitentiaire a eu raison de la vie de ses « deux jumeaux ». Selon le bilan établi par le greffe de la prison civile de Lomé, treize détenus serait mort courant l’année 2019. Les causes du décès ne sont pas spécifiées.

Le troisième constat, sans doute le plus tragique pour l’accès aux soins de santé des détenus en droit positif togolais est la prise en charge des frais médicaux par les détenus.

Il faut préciser que la prise en charge est gratuite dans l’infirmerie du lieu de détention. La difficulté se pose lorsque le détenu malade doit être transféré dans un hôpital à l’extérieur.

En effet, vu la faible capacité de prise en charge sanitaire des infirmeries mises en place à l’intérieur des prisons, la plupart des détenus malades sont évacués dans de plus grands hôpitaux à l’extérieur de la prison pour une ample prise en charge sanitaire.

Les frais occasionnés sont à la charge du détenu. Par exemple, à la prison civile de Lomé, le détenu malade doit lui-même payer le bon de consultation de l’hôpital avant d’être évacué. S’il ne paye pas, il n’est pas évacué, quel que soit la gravité de son état de santé. Le bon de consultation varie entre 2000f et 3000f.

162 Parfois, soit parce que le détenu n’a pas de quoi payer le bon de consultation nécessaire avant toute évacuation ou soit parce que les agents de l’administration minorent le mal en pensant que le détenu n’est pas véritablement malade.

163 En cognant les portes avec du métal et en criant « à l’aide ! »

164 https://www.27avril.com/blog/culture-societe/societe/togo-nouveau-drame-a-la-prison-civile-de-lome- agouze-kafui-une-detenue-accouche-et-perd-ses-jumeaux-nouveau-nes-par-manque-de-soutiens, consulté le 20 février 2020 à 21h51

165 « C’est depuis le matin que nous avons alerté les Surveillants de l’administration pénitentiaire parce qu’une de nos camarades codétenues était sur le point d’accoucher. Mais ils ne sont pas venus voir ce qui se passe. Ils nous ont dit qu’il n’y a pas d’essence dans la voiture pour conduire la détenue à l’hôpital. On s’est débrouillé pour faire sortir les bébés ».

Également, la prise en charge des soins, c’est-à-dire le paiement des analyses et des produits pharmaceutiques est à la charge des détenus166. La plupart des détenus qui n’ont pas leur famille dans la circonscription de la prison où ils sont incarcérés sont pris dans cet étau, incapable de prendre en charge leurs soins.

Il faut également préciser que « Aucune des prisons visitées ne dispose d’ambulance. Exceptée celle de Lomé, aucune ne dispose de réfrigérateur pour la conservation des produits pharmaceutiques.167 »

166 Qui se font aider souvent par leur famille ou par des organisations de défense des droits de l’Homme, telles que le CACIT, la SMPDD

167 Rapport d’activités, Exercice 2019, CNDH, p. 124

Il a également été observé que les détenus ne sont pas soumis à un bilan de santé à leur entrée et à leur sortie de la prison. Ainsi, les porteurs de maladies contagieuses contaminent d’autres détenus.

Récemment, dans le contexte de l’épidémie du COVID- 19, cette pratique a facilité la propagation du virus au sein de la population carcérale au Togo.

Les détenus devraient se faire analyser par un médecin avant leur admission dans un établissement pénitentiaire. Ceci permettra de lutter contre la contamination et la propagation des maladies épidermiques (gale, poux, etc.) et pestilentielle.

Également l’équipement des prisons devraient être revus afin que des sanitaires soient installés dans chacun des bâtiments. En l’état, les détenus de la prison civile de Lomé par exemple n’ont pas accès aux toilettes entre 17 heures et 6 heures du matin, lorsqu’ils sont enfermés dans les cellules.

En droit positif togolais, d’importantes garanties de protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive sont prévues. Toutefois, comme nous avons pu le constater, des défis demeurent. Au regard de ces lacunes, il urge d’y apporter solutions.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais
Université 🏫: Université de Parakou - Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP)
Auteur·trice·s 🎓:
M. KPAKOU Panis Roger

M. KPAKOU Panis Roger
Année de soutenance 📅: École doctorale sciences juridiques, politiques et administratives (SJPA) - 2019-2028
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