L’effet de la détention préventive procédure et présumé innocent

Paragraphe 2 : L’effet de la détention préventive

Décider de priver un individu de sa liberté dans le cadre d’une procédure judiciaire est une mesure grave. Au-delà des motifs que peut avancer la jurisprudence pour légitimer le recours au placement en détention préventive, il est indéniable que le prévenu se retrouve dans une condition singulière comparativement à l’accusé demeuré en liberté.

La doctrine s’est abondamment intéressée à la question de savoir quelle est la répercussion du placement en détention préventive sur la suite de la procédure (A).

De nombreuses études effectuées en ces sens, ont apporté la preuve d’une différence de traitement entre le prévenu et l’accusé en liberté, notamment lors du procès. A ces études, il faut ajouter celles qui ont fait état de l’effet destructeur de l’incarcération avant jugement sur le prévenu (B).

A. Les effets sur la suite de la procédure

Le placement en détention préventive peut avoir des incidences sur la suite de la procédure pénale jusqu’au procès. De nombreux chercheurs ont sonné l’alarme en révélant le lien étroit qui peut exister entre le placement en détention préventive et la décision finale à l’issu d’un procès.

En recoupant différentes études réalisées sur la question, la sociologue canadienne Marie-Luce Garceau, a relevé le fait suivant : au Canada les personnes qui font l’objet d’une mise en liberté provisoire ont des issues plus favorables à leur procès que celles détenues préventivement au moment du procès123.

Une étude similaire a été réalisée en France par le statisticien Guillaume Vaney.

À partir des chiffres du ministère de la justice, le statisticien a recensé les peines prononcées dans leur ensemble, puis les a comparés en fonction du fait que la condamnation fait suite soit à une comparution immédiate courte, soit à une détention préventive courte ou longue, ou encore à une absence de détention préventive.

Il a pu observer que les personnes ayant fait de la détention préventive sont le plus souvent condamnées à des peines d’emprisonnement fermes. Il a également relevé une relative sévérité de la peine lorsque la détention préventive a été longue124.

Selon une étude de Marie-Marthe COUSINEAU « le fait pour un prévenu de se présenter devant un juge risque fort de lui être préjudiciable »125.

Selon les données de ses recherches, au Canada près de 62% des accusés libres seraient reconnus coupable à l’issu de leur procès ; tandis que le pourcentage se chiffrerait à près de 86,2% pour les accusés détenus au moment de leur jugement.

Cela s’expliquerait par le fait que la détention avant jugement parait inconsciemment comme un premier jugement où le suspect aurait été reconnu coupable puisse qu’on ne doit normalement recourir au placement en détention préventive qu’en dernier recours.

123 M. L. GARCEAU, « La détention provisoire au Québec : une pratique judiciaire courante », in Criminologie,

1990, p. 19

124 G. VANEY, La détention provisoire des personnes jugées en 2014, Ministère de la justice, 2016, note 346, p. 4

125 M-M COUSINEAU, « Détention provisoire au Québec : éléments de connaissance et propositions de réflexions », in Criminologie, Tome 2, 1995 , pp.15 et suivants

Les jurés partiraient alors sur la base erronée que l’accusé placé en détention préventive serait vraisemblablement « une mauvaise personne », sinon elle aurait bénéficié d’une remise en liberté provisoire avant le jugement.

Le verdict de culpabilité serait donc plus facile à émettre. Il faut ajouter à ce qui précède ce que le doyen Carbonnier a appelé « le facies carceraria », autrement dit un changement d’apparence physique, conséquence des conditions de la détention.

Cette apparence antipathique influerait négativement sur la perception que peuvent avoir les jurés sur l’innocence du prévenu.

Le placement en détention préventive porte également atteinte aux droits de la défense. Le prévenu a plus de difficultés pour préparer efficacement sa défense.

C’est le constat que fait le doyen Carbonnier, pour qui « il est certain que l’inculpé détenu est placé, pour l’organisation de sa défense, dans des conditions matérielles et morales beaucoup plus défavorables que l’inculpé libre126 ».

Il a pu être observé que dans la majorité des cas, les accusés détenus ont des difficultés pour trouver un avocat, entrer en contact avec lui et préparer efficacement leur défense. En droit positif togolais, les avocats commis d’office ont très souvent connaissance du dossier peu de temps avant le procès.

Autant de facteurs qui préjudicieraient l’efficacité de la défense du prévenu comparativement à l’accusé demeuré libre. Autre fait marquant, le choc de l’incarcération est tel que certains prévenus sont incités à plaider coupable dans l’espoir que « le cauchemar s’arrête ».

Au Canada où la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est appliquée, certains auteurs ont relevé que « l’incitatif à plaider coupable est d’autant plus grand lorsque l’infraction pour laquelle la personne est détenue préventivement est une infraction mineure car la période de détention provisoire peut souvent être plus longue que celle qui aurait été imposée si elle avait été trouvée coupable de l’infraction : donc si elle plaide coupable, elle pourra être libérée sur-le- champ127 ».

Cette observation indique que le placement en détention préventive a également un impact sur le psychisme du prévenu.

126 D. TERRE, « Jean Carbonnier et la procédure pénale », in L’année sociologique, 2007, Vol. 57, p. 463

127 M-E. SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, « Une peine avant jugement ? La mise en liberté provisoire et la réforme du droit pénal canadien », in Réformer le droit criminel au Canada : défis et possibilités, Ed. Yvons Blais, 2017, p. 219.

B. Les effets sur le présumé innocent

La détention préventive peut avoir des conséquences désastreuses sur le présumé innocent. Il se retrouve au croisé des tensions : la première est externe et la seconde interne. En ce qui concerne les effets de la détention préventive au niveau externe, l’on peut relever en premier lieu le stigmate attaché à l’incarcération.

L’incarcération est perçue dans nos sociétés africaines comme une humiliation publique. Du fait de son caractère humiliant et dégradant, il ne peut être infligé qu’aux pires des criminels. Ainsi, loin d’être présumé innocent par la société, l’incarcération d’une personne avant jugement peut être perçue comme une preuve de culpabilité.

Le déshonneur et l’humiliation sociale qui en découle persiste même après la libération du suspect. Cette confusion dans la perception des populations est compréhensible lorsque l’on considère la similitude des conditions dans lesquelles sont incarcérées les prévenus et les condamnés.

L’effet de la détention préventive procédure et présumé innocent

En effet, au Togo, il n’y a pas de maison d’arrêt pour accueillir uniquement les prévenus. Ils sont donc incarcérés dans des prisons pour peines, ensemble avec les personnes condamnées.

Le lien familial est largement entamé par cette rupture brutale avec le prévenu. Ce dernier perd très souvent, l’appui inestimable de sa famille au fur et à mesure que la procédure perdure.

Sa santé mentale en est affectée. En effet, « Le stress, l’angoisse, les frais d’avocats, les réactions de la famille, la perte d’amis, le sort réservé aux enfants dans la cour d’école, sont tous des facteurs qui font que, lorsqu’on est accusé d’un crime, notre vie n’est plus la même »128.

Pour permettre au détenu de conserver le contact avec le monde extérieur, les règles Nelson Mandela garantissent à l’article 58.1.a : le droit de recevoir des visites.

Force est de constater que dans les prisons civiles du Togo, les visites aux détenus sont payantes129 sauf s’il s’agit des avocats. Il faut alors que les proches du détenu payent le droit de pouvoir rencontrer le présumé innocent incarcéré.

Cette pratique est attentatoire aux droits et libertés fondamentales des personnes incarcérées conformément à l’article 58.1.a des règles Nelson Mandela. Ce « passe payant » contribue à la dégradation du lien entre les détenus et la société, notamment avec leurs familles.

128 M. GIROUX et E. O’SULLIVAN, procédure pénale, ibidem, p. 77

129 Les frais de visites sont fixés à 200 FCFA par l’administration pénitentiaire

« Si la privation de liberté impose au condamné une gêne parfois très sensible, elle présente pour sa réadaptation sociale des difficultés certaines 130». Cette condition est également celles des prévenus en droit positif togolais.

L’incarcération plonge le prévenu dans un monde inimaginable131. Il y est exposé à des risques importants pour sa sécurité physique et psychique. La surpopulation est le premier facteur à la base des violences commises dans les prisons.

Le risque sécuritaire est constant pour le prévenu. Il ne peut pas seulement compter sur la sécurité qu’offre l’administration pénitentiaire puisque derrière les portes de chaque prison, les détenus ont leur propre organisation sécuritaire.

Cette organisation défavorise « les faibles 132». Les violations sont légions, pourtant rares sont les dénonciations133.

En ce sens, les efforts entamés par l’administration pénitentiaire et les organisations de protection des droits de l’Homme doivent être renforcés afin d’éviter que la prison ne soit un milieu de non-droit.

Le choc de la détention préventive est surtout au niveau du psychique. Nul ne peut contester l’impact irréversible que l’incarcération a sur la vie d’un individu.

Plus encore, la détention préventive peut engendrer une multitude de sentiments allant de la frustration à un sentiment de colère et d’injustice au fil du temps jusqu’à une volonté de suicide parfois.

Après une longue détention, il a pu être observé un trouble du comportement chez certains ex détenus, allant de la paranoïa, à la schizophrénie et à la folie134.

Les longues incarcérations coupent le prévenu de sa vie et finissent par lui faire perdre tout optimisme en l’avenir étant persuadé qu’il a échoué sa vie.

À terme, le détenu qui « n’espèrent plus rien en dehors de la prison135 » est plus susceptible de sombrer à nouveau dans les voies de la délinquance. La perte de repères sociaux et affectifs peut se traduire par un renfermement sur soi et une dégradation physique du détenu.

130 B. BOULDOC, Pénologie, Ed. Dalloz, 1991, p. 27

131 Dans le sens péjoratif

132 Ceux qui n’ont pas de moyens financiers, ceux qui ne sont pas physiquement fort, etc.

133 Selon les informations reçues à l’issues des échanges avec les détenues, il règle une certaine loi du silence que tous les détenus respectent au risque de subir des représailles de la part de leurs codétenus

134 À titre illustratif, un jeune prévenu mis en liberté provisoire après plus de quatre ans de détention préventive passé à la prison civile de Lomé dans une affaire de meurtre, présente des troubles psychiques avancés. Il est physiquement en bonne santé mais il lui arrive de perdre sa lucidité par moment. La prison a des effets dévastateurs sur les individus. Le recours à la détention préventive doit être solennel.

135 C’est véritablement la pensée de certains détenus rencontrés au cours des actions d’assistance juridique du CACIT à la prison civile de Lomé. La plupart d’entre eux sont condamnés à de longues peines et ont un faible niveau d’éducation scolaire

Plus la détention préventive va durer et plus le prévenu risque de perdre son emploi ou de son activité génératrice de revenus, d’être expulsé de son logement, de manquer de moyens financiers, de vendre des biens pour payer son avocat par exemple, etc. Au-delà du prévenu, c’est sa famille qui est également sanctionnée par l’incarcération.

L’incarcération est vécue par plusieurs détenus comme un bannissement, un oubli de la société. Autant de souffrances qui sont vécus par un individu frappé dans son innocence par un mandat de dépôt avant jugement.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais
Université 🏫: Université de Parakou - Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP)
Auteur·trice·s 🎓:
M. KPAKOU Panis Roger

M. KPAKOU Panis Roger
Année de soutenance 📅: École doctorale sciences juridiques, politiques et administratives (SJPA) - 2019-2026
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