Le logement indigne au cœur de la préoccupation marseillaise
École Supérieure des professions immobilières, France
Bachelor “Gestionnaire d’Affaires Immobilières”Le logement indigne au cœur de la préoccupation marseillaise
Présenté par :
Yacin Zoubir
Directeur :
Madame Corinne Toledano
Année Universitaire :
2019 – 2020
Synthèse
Le logement indigne est un sujet récurrent dans la cité phocéenne. Depuis l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne, il y a de cela tout juste un an, la portée médiatique de ce drame ne fait que s’amplifier. Sur les 600 000 habitations indignes recensées en France, 40 000 sont à déplorer à Marseille.
Entre le marché florissant des marchands de sommeil et les fastidieuses démarches administratives pour pouvoir peut être occuper un jour un habitat sain, les victimes ont le sentiment d’être prises dans un étau, un piège sans fin.
Désespérées, elles ne savent où se tourner et finissent par perdre espoir (en plus de perdre leur santé physique et morale) :
« Tu te sens prise au piège. L’étau ne se referme pas sur toi, mais en toi. Toute la poitrine se compresse »1
Au fil de ce mémoire, nous aborderons lors d’une première partie le défi de la population marseillaise face à la lutte contre l’habitat indigne en évoquant les enjeux de cette lutte ainsi que les dysfonctionnements plurifactoriels rencontrés à Marseille, qui ont entre autres mené à ce drame mortel survenu le 5 Novembre 2018 et coûtant la vie à 8 de nos concitoyens.
La seconde partie sera quant à elle consacrée aux mesures déjà mises en place par les pouvoirs publics, à celles à venir, mais aussi et surtout, à des pistes de réflexion sur la manière de remédier plus efficacement à cette situation qui ne doit pas être une fatalité, en combinant le professionnalisme à la simplification des démarches, en passant par une politique de sensibilisation.
1 Anaïs Barbeau-Lavalette, La femme qui fuit, éditions Marchand de feuilles, Montréal, 2015, page 332
Table des abréviations
ALUR : Accès au Logement et un Urbanisme Rénové
ADIL : Agence Départementale pour l’Information sur le Logement
AFP : Agence France Presse
ANAH : Agence Nationale de l’Habitat
ANIL : Agence Nationale pour l’Information sur le Logement
ARS : Agence Régionale de la Santé
ARA : Aide à la Rénovation Énergétique
AME : Aide médicale d’état
BMPM : Bataillon des Marins Pompiers de Marseille
CAF : Caisse d’Allocation Familiale
CEREMA : Centre d’étude et d’expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement
CSTB : Centre scientifique et Technique du Bâtiment
CCH : Code de la Construction et de l’Habitation
CSP : Code de la Santé Publique
CGCT : Code Général des Collectivités Territoriales
CMU : Couverture Maladie Universelle
CITE : Crédit d’Impôt pour la Transition Énergétique
DUP : Déclaration d’Utilité Publique
DIHAL : Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au logement des personnes
DDT : Direction Départementale des Territoires
DDTM : Direction Départementale des Territoires et de la Mer
DREAL : Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement
DALO : Droit Au Logement Opposable
EPCI : Établissement Public de Coopération Intercommunale
ELAN : Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique
Filocom : Fichier des logements par commune
Fideli : FIchiers DEmographiques sur les Logements et les Individus
FAP : Fondation Abbé Pierre
GOU : Grand Opération d’Urbanisme
HLM : Habitation à Loyer Modéré
HBM : Habitation Bon Marché
HCLPD : Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées
INSEE : Institut National de la Statistique et des Études Économique
LHI : Lutte contre l’Habitat Indigne
MDS : Marchand de Sommeil
MOLLE : Mobilisation pour le Logement et la Lutte contre l’Exclusion
MSA : Mutuelle Sociale Agricole
NCBI : National Center for Biotechnology Information
NOTRe : Nouvelle Organisation Territoriale de la République
ORI : Opération de Restauration Immobilière
OGCV : Opération Grand Centre Ville
OPAH RU : Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat et de Renouvellement Urbain
Orcod IN : Opération Rénovation des Copropriétés Dégradées (à Intérêt National)
ORSEC : Organisation de la Réponse de Sécurité Civile
ORSEC NoVi : Organisation de la Réponse de Sécurité Civile Nombreuses Victimes
ONU : Organisation des Nations Unies
ORTHI : Outil de Repérage et de Traitement de l’Habitat Indigne
PACS : PActe Civil de Solidarité
PPPI : Parc Privé Potentiellement Indigne
PGI : Péril Grave et Imminent
PDALPD : Plans Départementaux d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées
PDLHI : Pole Départemental de Lutte contre l’Habitat Indigne
PNLHI : Pole National de Lutte contre l’Habitat Indigne
PTZ : Prêt à Taux Zéro
PPA : Projet Partenarial d’Aménagement
RDA : Règlement Départemental d’attribution
RSD : Règlement Sanitaire Départemental
Soleam : Société Locale d’équipement et d’Aménagement de l’Aire Métropolitaine
SPLA IN : Société Publique Locale d’Aménagement (à Intérêt National)
SRU : Solidarité et Renouvellement Urbain
Tracfin : Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins
VMC : Ventilation Mécanique Contrôlé
Table des matières
Sommaire
Synthèse
Table des abréviations
Table des matières
Introduction
Partie 1: Défi de la population marseillaise face à la lutte contre l’habitat indigne (LHI)
Titre 1 – Les enjeux de la lutte
Chapitre 1 – Les différents facteurs faisant face à la LHI
1.1- Causes et responsabilités
1.2- Évolution de la démographie et des ménages
Chapitre 2 – L’économie, fer de lance menant à l’habitat indigne
Chapitre 3 – Conséquences sanitaires et sociales
3.1- Exclusion sociale liée au logement
3.1.1- Le cas des étrangers en situation irrégulière
3.2- Impact sanitaire
Titre 2 – État des lieux marseillais : conséquence de dysfonctionnements plurifactoriels
Chapitre 1 – Contexte
1.1- Cauchemar et frustration permanente des délogés
1.2- De la crise du logement à une crise humanitaire
1.3- Acteurs publics montrés du doigt
1.4- Marseille sous tutelle ?
Chapitre 2 – Habitat en péril et ingérence dans la panique
2.1 – Des immeubles signalés depuis des années
Chapitre 3 – Dires d’experts
3.1- Rapport partenarial avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment
3.2- Rapport « Nicol » à la demande de la ministre du logement
Partie 2 – Mesures mises en place pour la LHI
Titre 1 – Outils et mesures entreprises par les pouvoirs publics
Chapitre 1 – Moyens juridiques pour la LHI
1.1- la police administrative générale
1.2- la police administrative spéciale
1.3- Parmi les prérogatives efficaces
Chapitre 2 – politique de lutte contre l’habitat dégradé
2.1- Intervention de l’Etat pour éradiquer le phénomène
2.2- Grand opération d’urbanisme : dans la lignée d’Euroméditerranée ?
2.2.1- Projet Partenarial d’Aménagement (PPA)
2.2.2- Société Publique Locale d’Aménagement à Intérêt National (SPLA-IN)
2.3- Expropriations pour cause d’utilité publique
2.4- S’attaquer au fléau des marchands de sommeil (MDS)
2.5– Organismes d’accompagnement pour les propriétaires
Chapitre 3 – Surveillance accrue du parc immobilier
3.1- Le permis de louer
3.2- Immatriculation étendue à toutes les copropriétés
Titre 2 – Poursuivre les efforts de lutte : L’après « rue d’Aubagne »
Chapitre 1 – Repenser la lutte pour favoriser l’occupant
1.1- Optimiser l’identification : Outils de détection
1.2– Optimiser les processus et outils opérationnels
1.3- Simplifier les polices spéciales de l’habitat indigne
1.4– Se focaliser sur le droit des occupants
Chapitre 2 – La question du relogement
2.1- Quid des Logements vacants ?
2.2- Insuffisance en matière de logements sociaux
Chapitre 3 – Politique de sensibilisation
3.1– Démarchage auprès des occupants
3.2– Campagne médiatique
3.2.1– Éducation Nationale
3.2.2– Professionnels de l’immobilier
Conclusion
Bibliographie & Annexes
Introduction
« La santé est un état complet de bienêtre physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité 2 ». Cette définition résume la préoccupation majeure de tout un chacun.
Concise et claire, elle regroupe l’ensemble des éléments que l’être humain se doit de posséder. Ces trois éléments, condition sine qua non pour atteindre cet objectif de bien être, ne pourront se dissocier et se doivent d’être, à défaut, plus ou moins équilibrés.
Il est également mentionné dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen que :
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (…)3
Et pourtant, force est de constater que ce droit fondamental est bafoué…
En effet, selon la fondation Abbé Pierre, il y aurait en France 600 000 logements indignes, soit 1,3 millions de personnes concernées. A Marseille seule, qui est pourtant la deuxième ville de France derrière Paris, il y est recensé plus de 40 000 foyers, avec plus de 100 000 victimes qui mènent un combat quotidien pour pouvoir y faire face.
C’est pourquoi, la question du logement sera au cœur de ce mémoire.
Bien qu’il s’agisse d’un emplacement physique composé entre autre de murs et d’un toit, le logement permet l’épanouissement complet d’un individu. C’est « une matrice existentielle », indispensable qui, si elle fait défaut, aura des conséquences sur la santé, la sociabilité, la sécurité, ainsi que la sûreté.
Au sens de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (loi SRU) et de son décret d’application du 30 janvier 2002, une distinction doit être faite entre le logement indigne et le logement indécent.
Les équipements essentiels doivent être aux normes et en bon état de fonctionnement : coin cuisine, eau chaude, chaudière… Il doit être exempt de nuisibles et parasites et garantir une aération suffisante. A défaut, ce logement sera considéré comme « indécent ».
2 Partie de la définition par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) des objectifs de la santé publique, citée en préambule
3 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) article 25 alinéa 1
En revanche, selon l’article 84 de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (dite « loi MOLLE ») : « Constituent un habitat indigne les locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé. »
L’agence départementale sur l’information et de logement (ADIL) apporte une définition plus large qui est : « la notion d’habitat indigne recouvre l’ensemble des situations d’habitat qui sont un déni au droit au logement et portent atteinte à la dignité humaine ».
Cette notion englobe par exemple le logement insalubre (exposé au plomb…), dégradé, ainsi que l’habitat suroccupé. Il faudra donc faire une distinction entre ces deux définitions car en fait, le logement indécent est le signe précurseur, le point de départ d’un processus de dégradation qui peut mener à des situations extrêmes (cf annexe 1).
Il faut souligner également que les procédures sont différentes : le logement indécent revient au droit privé alors que l’habitat indigne appelle à une procédure faisant appel à des pouvoirs de police spéciale.
Enfin, le cas du logement insalubre est également englobé dans notre étude sur le logement indigne. Selon le Code de la Santé Publique, un logement dit « insalubre » est : « tout immeuble, bâti ou non, dangereux pour la santé des occupants ou des voisins du fait de son état ou de ses conditions d’occupation »
Ces différents aspects sont au cœur de l’actualité.
En effet, la ville de Marseille a subi il y a un an un drame mortel qui a éveillé nos consciences et surtout, suscite grandement la colère des habitants.
Les huit personnes qui ont trouvé la mort dans des logements définis comme « indignes » sont la conséquence entre autre de procédures politiques et ce drame a mis en lumière ce phénomène du logement indigne et insalubre à Marseille, dont nous avons évoqué plus haut les chiffres alarmants communiqués par la FAP.
Pourtant, la question n’est pas récente…
La première loi contre l’insalubrité est apparue durant la seconde république, le 13 Avril 1850 4 et s’intéressait aux locaux nuisibles pour la santé.
« Partout où s’élève une grande usine, la population ouvrière se groupe autour d’elle, s’accroît d’une façon désordonnée, se loge mal, se nourrit mal et se trouve assujettie à toutes les chances d’instabilité des profits et des salaires »5
4 Loi du 13 avril 1850 relative au logement insalubre
5 Adolphe Blanqui « Des classes ouvrières en France pendant l’année 1848 » p 105
Des commissions locales étaient chargées de visiter, suite à des plaintes formulées, les habitations dont l’Etat général était de « nature à porter atteinte à la vie ou à la santé des occupants ou des voisins » et obliger les propriétaires à effectuer les travaux pour remédier à cela.
Ces mêmes commissions appliqueront au fur et à mesure du temps des normes et critères liés à la salubrité et la décence des logements (surface habitable, éclairage…), et la loi du 5 Avril 18846 permettra l’assainissement et le raccordement au tout à l’égout.
A la fin du 19e siècle, la loi du 30 Novembre 18947, dite « loi Siegfried » permettra de promouvoir l’habitat social avec l’ « Habitation à Bon Marché » (HBM), précurseur de ce nous connaissons de nos jours « les Habitations à Loyers Modérés » (HLM, créée en 1951).
Ceci aura pour but d’aider à intégrer les plus pauvres et ainsi de relancer l’économie et la prospérité du pays.
Au début des années 1930, la population urbaine dépasse pour la première fois la population rurale et suite à la seconde guerre mondiale, face à la pénurie de logements due aux destructions et à l’exode rural, les conditions d’habitation étaient des plus déplorables.
Il y eu d’ailleurs pour conséquence l’apparition et la prolifération de bidonvilles dans les centre villes et les pourtours et une inflation des prix des loyers par les bailleurs.
La loi du 1er Septembre 19488 viendra alors renforcer et encadrer les rapports entre locataires et propriétaires (devoirs et obligations de chacun) et réglementer le marché privé du logement.
C’est durant cette période d’après guerre que bon nombre de propriétaires de biens mal intentionnés ont profité de la vulnérabilité des personnes pour les exploiter et leur imposer des loyers exorbitants.
Au début des années 50, Le pays connut une crise du logement, d’où la nécessité pour l’Etat de répondre aux besoins de loger le peuple, et dans les années 1960, la construction de grands ensembles immobiliers se poursuit en périphérie des grandes villes (les français et résidents étrangers ayant un niveau social bas se sont retrouvés écartés du reste de la population).
6 loi du 5 avril 1884 sur l’organisation et les attributions des conseils municipaux
7 Loi du 30 novembre 1894 relative aux « habitations à bon marché »
8 Loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement
Ces édifications étaient prévues pour certains types de population (ruraux se rapprochant de la ville, rapatriés d’Algérie, immigrés) afin de répondre à cette offre/demande et permettre aussi, grâce à ces derniers, la reconstruction.
Mais la qualité du bâti sera impactée sur la quantité demandée et les délais de réalisation (problèmes de salubrité lié à l’étanchéité et l’isolation constatés dès la livraison). La construction de ces grands ensembles prendra fin en 1973 afin de changer l’image des quartiers, ternie par cela.
La seconde moitié du vingtième siècle a marqué un tournant pour le droit à un logement viable. La loi Vivien du 10 Juillet 1970 fut instaurée pour combattre « les marchands de sommeil » dont nous verrons par la suite, à travers ce mémoire que c’est malheureusement toujours existant de nos jours.
Les années 1970 et antérieurs ont donné une grande importance aux logements sociaux, et nous voyons que l’après 70, il y a eu nécessité de se tourner vers le parc locatif privé. En 1971, l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) est créée, connue depuis pour apporter un soutien financier afin de répondre à des normes minimales d’habitabilité.
C’est pourquoi, afin de tenter de répondre à la question cruciale de la lutte contre l’habitat indigne et des moyens mis en œuvre pour pouvoir y faire face, nous aborderons dans la première partie du mémoire le défi de la population marseillaise face à la lutte contre l’habitat indigne (LHI) avec ses enjeux et un focus sur la ville suite au drame d’Aubagne.
Nous verrons ensuite en deuxième partie les mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre ce fléau ainsi que des pistes de réflexion sur la manière de remédier plus efficacement à cette situation qui ne doit pas être une fatalité.