Les difficultés liées aux immunités de l’ONU

Section 2 Les failles des mécanismes onusiens

Si l’ONU dispose bel et bien de mécanismes de réparation, il apparait que ce système repose entièrement sur le bon vouloir de l’ONU à reconnaitre sa responsabilité ou non (§1) et que, par ailleurs, les victimes des actes commis par les Casques bleus n’ont souvent qu’un rôle secondaire dans le processus de règlement (§2).

§1. Les difficultés liées aux immunités de l’Organisation des Nations Unies

S’agissant des difficultés liées aux immunités de l’Organisation des Nations Unies, cette dernière peut être tenue responsable au regard du droit international.

Charte des NU, op. cit., art. 105 (1).

Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Avis consultatif, [1949] CIJ rec. 174.

Cette possibilité a été évoquée dans l’avis consultatif de la Cour internationale de justice affirmant que l’organisation était responsable des actes commis par ses agents dans le cadre de leurs fonctions.

Il faut alors distinguer les différends de nature contractuelle et ceux de nature extracontractuelle.

Pour ce qui est des contrats, l’ONU peut renoncer unilatéralement à se prévaloir de son immunité. C’est notamment le cas pour ses polices d’assurance.

Lorsque l’ONU se défait de son immunité, le tiers lésé a la possibilité d’agir devant les juridictions étatiques et c’est l’assureur de l’organisation qui agira en tant que défendeur.

La pratique veut que l’ONU utilise souvent cette technique lorsqu’elle se trouve dans une situation bilatérale. Or, traditionnellement, pour qu’un contrat soit signé, les deux parties doivent avoir trouvé un terrain d’entente.

Ainsi, l’ONU trouve un certain intérêt à renoncer à son immunité dans cette situation.

En revanche, pour les différends qui l’opposent à une personne privée (différends extracontractuels), les tribunaux n’ont pas compétence pour juger de l’affaire.

Qui plus est, puisqu’ils sont incompétents, ils ne peuvent ordonner à l’ONU de renoncer à ses immunités, d’autant plus que, comme il a été mentionné plus haut, l’organisation est beaucoup plus encline à utiliser le règlement à l’amiable pour ce genre de différends, évitant ainsi la sur-médiatisation d’un sujet déjà sensible et tabou.

Dès lors que l’arrangement à l’amiable n’est pas satisfaisant pour la personne privée, celle-ci devrait pouvoir se tourner vers un juge.

Toutefois, les immunités créent un vide juridique et une violation du droit d’accès à un juge, un principe de droit coutumier, ce qui entraine une violation aux droits de l’homme et notamment à l’ensemble des règles liées au droit au procès équitable.

Or, en 2005, l’Assemblée générale de l’ONU a rappelé l’importance du droit à la réparation et donc à la possibilité pour les victimes d’avoir un recours.

L’idée ici n’est pas de rejeter les immunités dont bénéficie l’ONU. Leur utilité est indéniable pour assurer l’indépendance de l’organisation et la mise en œuvre des différentes missions qu’elle doit exercer, comme c’est notamment le cas pour les OMP.

Le problème qui se pose réside dans l’étendue de ces immunités qui sont assez larges pour couvrir la diversité des activités mises en œuvre au cours d’une OMP.

L’ONU ne doit néanmoins pas confondre immunité et impunité et pour cela, il conviendrait donc plutôt de limiter ces immunités au cadre strict des actes nécessaires à la réalisation de sa mission, comme c’est le cas par exemple des chefs d’Etats ou pour les membres des OMP.

Qui plus est, ce droit d’accès au juge est sujet à des inégalités selon que la personne lésée est liée à l’ONU par un contrat ou non.

Dans le premier cas, lorsqu’en contradiction avec les dispositions prises par le contrat, l’ONU fait valoir son immunité et qu’il n’y a pas possibilité de recourir à des modes alternatifs de règlement des conflits, la personne liée par un contrat peut saisir le juge national.

Par contre, s’agissant de la responsabilité extracontractuelle de l’ONU, la jurisprudence est beaucoup plus ferme : il n’appartient pas aux juges nationaux de traiter des différends entre une personne privée et une organisation internationale.

Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la commission des droits de l’homme, Avis consultatif, [1999] CIJ rec. 62 au para. 66.

ASCENSIO, op. cit., p. 1128.

Idem.

Différend relatif à l’immunité, op. cit.

Stitching Mothers of Srebrenica et autres c Pays-Bas, n° 65542/12, [2013] CEDH 1, 57 EHRR SE10 aux paras. 163-164.

Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., art. 6(1), 13.

ASCENCIO, op. cit. p. 1129.

Voir TAOIT, Klausecker c. OEB, n°2657, 11 juillet 2007, au para. 6 ; Golder c Royaume-Uni (1975), 18 CEDH Sér. A.

Principes fondamentaux et directives, op. cit.

DOMINICIE, op. cit., p. 639, Beer et Regan c Allemagne, n°28934/95, [1999] CEDH 1.

Laure MILANO, « Les immunités issues du droit international dans la jurisprudence européenne » (2008) 76 Revue trimestrielle des droits de l’Homme 1059 à la p.1065.

Affaire relative au mandat d’arret du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c Belgique), [2002] CIJ rec. 3 au para. 61.

Aspects administratifs et budgétaire du financement des opérations de maintien de la paix des Nations Unies : financement des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, Doc. off. AG NU, 1997, Doc NU A/51/967 ; Mémorandum d’accord type relatif aux contributions conclu entre l’Organisation des Nations Unies et l’Etat participant fournissant des ressources à l’opération de maintien de la paix des Nations Unies, Doc off AG NU, 51e sess, Doc NU A/51/967 (1997) art.9.

Justin VANDERSCHUREN, « De quelques considérations sur les immunités octroyées aux organisations internationales » (2014) 9: 6553 Journal des Tribunaux 145.

Différend relatif à l’immunité, op. cit. au para. 67 ; BODE, op cit., p.770.

Egalement, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans la même lignée, affirmé que le refus d’un Etat de lever l’immunité de juridiction de l’ONU pour connaitre des demandes en réparation n’est pas une violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme concernant le procès équitable et le droit à un recours effectif, notamment en raison du fait qu’il existerait des « limitations implicitement admises » à ce droit d’accès au juge, appelant, « de par sa nature même, une règlementation de l’Etat ».

La principale raison du refus des cours internationales de reconnaître tant leur propre compétence qu’une violation du droit d’accès au juge dans le traitement des relations entre les organisations internationales et les personnes privées est qu’elles prendraient le risque de se voir submergées de requêtes, ce qui allongerait la durée des affaires, qui est déjà très longue.

Pourtant, selon Laure Milano, la Cour européenne des droits de l’homme avait établi trois critères pour délimiter l’application des immunités internationales : la spécificité de la fonction, la spécificité de l’emploi couvert par l’immunité et l’existence d’une compensation à l’exonération de responsabilité.

L’objectif était de trouver un équilibre entre les intérêts des organisations à conserver leur immunité et la satisfaction du droit d’accès au juge pour les individus. Ces critères n’ont malheureusement pas mis en pratique.

Mothers of Srebrenica, op cit.

GOLDER, op. cit., aux paras. 36-38.

MILANO, op. cit. p. 1068.

S’agissant des cours de justice des Etats des opérations de maintien de la paix, il convient également de souligner que bien souvent, l’état du système judiciaire ne permet pas d’offrir la possibilité d’un recours aux vicitmes. Voir ZWANENBURG, op. cit. p.39.

MILANO, op. cit. p.1085.

Dyer c Royaume-Uni (1984), CEDH (Sér A) 39 p.246.

Idem.

On peut donc constater que les personnes privées lésées par un acte commis par l’ONU dépendent du bon vouloir de cette dernière à utiliser les modes alternatifs de règlement des conflits et à proposer une solution acceptable.

Toutefois, celles qui souhaitent plutôt utiliser la voie judiciaire sont tributaires de la bonne volonté de l’ONU de se départir de son immunité ou non.

Nous en avons une preuve avec la situation en Haïti où l’ONU a refusé de se départir de son immunité pour reconnaitre sa part de responsabilité dans l’épidémie de choléra qui a infecté le pays après l’arrivée des Casques bleus népalais.

Pour plus de précisions sur cette affaire, voir Gustavo GALLON, Rapport de l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en Haiti, Doc off AG NU, 25e sess, Doc NU A/HRC/25/71 (2014) aupara. 76 ; BODE, op. cit. aux pp. 778 et ss.

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