Le mouvement No Gender et le Streetwear

1.1.4 Le mouvement No Gender

Nous allons nous pencher sur le concept de « no gender ». Bien entendu cette remise en question des clichés du genre se retrouve dans plusieurs domaines tels que dans la beauté, les jouets, le sport, … mais nous allons nous concentrer principalement sur le domaine de la mode.

De plus, cette question du genre est également en lien avec le mariage étant donné que la loi du mariage pour tous a été établie chez nous depuis 2003.

Même si cela reste encore un sujet tabou, le fait que plusieurs marques prennent position aide à changer les mentalités face à cela.

1.1.4.1 Définition

Avant toute chose, le mouvement no gender n’a pas de lien direct avec l’orientation sexuelle (gay, lesbienne, bisexuel) ni avec la transidentité (personne née dans un corps masculin qui se définit de genre féminin et inversement).

De façon plus générale, no gender signifie littéralement « aucun genre ». Cela signifie d’être libre d’être ce que l’on veut être.

Il existe plusieurs termes qui expriment ce phénomène comme « genderless », « genderfluid », « gender free » ou également « unisexe » en français.

Tous ces termes font globalement référence à la même chose dans le domaine de la mode : la liberté de porter ce que l’on a envie, de se sentir libre de piocher des pièces dans toutes collections confondues.

Comme l’a si bien dit Maroussia Rebecq, la créatrice de la marque de vêtements basée sur l’upcycling, Andrea Crews, « j’ai choisi de créer des vêtements unisexes, tout simplement car ce qui est important c’est comment la personne habite le vêtement »16.

16 FRANCE CULTURE, interview de Maroussia Rebecq dans Les Carnets de la création, 2017

Alice Pfeiffer, rédactrice en chef du magazine Antidote et titulaire d’une maîtrise en gender studies à la London School of Economics, détermine le terme « no gender » comme le fait de « passer de la fille au garçon – et vice versa – pour embrasser une multitude d’identités.

Aujourd’hui, le no gender n’est pas une revendication, c’est juste l’histoire d’une génération, celle des millennials (15-25 ans), qui a grandi avec Internet et le mariage gay et pour qui le X ou le Y n’est pas un curseur, ni une problématique »17.

17 DUPUIS, M., Le « No Gender » ou quand la mode s’affranchit des sexes sur Madame Figaro, https://madame.lefigaro.fr/style/le-no-gender-ou-quand-la-mode- saffranchit-des-sexes-130117-129083

Le concept de no gender est en effet en pleine croissance au vue de la nouvelle génération qui est en recherche constante de liberté.

C’est ainsi que de plus en plus de marques confectionnent des collections basées, entre autre, sur ce concept afin de laisser le libre choix de s’habiller comme on l’entend selon notre humeur, notre personnalité, notre envie.

C’est donc sortir des catégories de genres binaires instaurées par la société qui deviennent d’ailleurs de plus en plus désuètes.

Stéphane Hugon, sociologue et fondateur d’Eranos, mentionne lui, un vagabondage entre les genres. « Les expériences de notre vie quotidienne ont été tellement quantifiées et normées qu’on est fasciné aujourd’hui par une dimension magique, presque irréelle, où il est plus facile d’assumer différentes polarités.

Il existe en effet une infinité de manières d’exprimer sa féminité ou sa masculinité. D’ailleurs, on ne cherche plus son identité à l’intérieur de soi, intrinsèquement.

On met en avant telle ou telle part de son identité en fonction du contexte, des expériences sociales, des modes. »18

18 VERLEY, F., Pourquoi peut-on parler de véritable révolution no gender dans l’univers de la beauté ? sur Vogue, https://www.vogue.fr/beaute/article/pourquoi-peut-on-parler-de-veritable-revolution-no-gender-dans-lunivers-de-la-beaute

1.1.4.2 Historique

On pense plus facilement aux femmes qui piochent dans les vestiaires de l’homme mais quand on fait un bond en arrière, Antoine Leclerc-Mougne, rédacteur du magazine Antidote nous fait remarquer finalement que « tout au long de l’Histoire, l’homme a bel et bien eu affaire aux atours « féminins » : les robes, les toges et le maquillage dans l’Égypte Antique tout comme les perruques, les talons ou les broderies à la cour de Versailles, pour ne citer qu’elles »19.

19 LECLERC-MOUGNE, A., Comment l’homme est devenu une femme comme les autres sur Magazine Antidote, https://magazineantidote.com/mode/comment-l- homme-est-devenu-une-femme-comme-les-autres/

Ce mouvement no gender dans la mode ne date pas d’aujourd’hui même si auparavant il n’était pas revendiqué de telle manière, dans ces termes.

Comme le souligne la rédactrice du journal français, Alice Pfeiffer, « à travers l’Histoire, la mode – et, de façon plus large, le vêtement – a toujours servi de terrain d’expérimentation et de questionnement identitaires »20.

20 PFEIFFER, A., Le boom de la mode « sans genre » sur Le Monde, https://www.lemonde.fr/m-mode/article/2016/03/29/vetements-bon-chic-sans- genre_4891790_4497335.html

Dans le domaine de la mode, déjà dans les années 20, on retrouvait le style garçonne. En 1983, le grand créateur japonais Yohji Yamamoto déclarait déjà au New York Times : « Je pense que mes vêtements pour hommes sont aussi beaux pour les femmes que mes vêtements pour femmes.

Je me demande toujours qui a décidé qu’il devrait y avoir une différence dans les vêtements des hommes et des femmes. »21

21 CORDERO, R., Fashion’s Future Isn’t Genderless Labels, It’s Genderless Shoppers sur Highsnobiety, https://www.highsnobiety.com/p/genderless-fashion- consumers/

On pense aussi aux smokings féminins d’Yves Saint Laurent ou aux jupes pour hommes de Jean Paul Gaultier qui bousculait déjà les codes, en 1985, en remettant en cause les stéréotypes vestimentaires propres à chaque sexe.

Ou encore la marque de chaussures Eram qui, la même année, diffusa un spot publicitaire, « C’est là la question », où la question du genre se posait par la mise en scène d’hommes dansant en jupe22.

22 CHATILIEZ, E., ERAM : c’est là la question [en ligne], 1985, http://www.culturepub.fr/videos/eram-chaussures-c-est-la-la-question/

Dans une autre catégorie, les chanteurs David Bowie et Prince mélangeaient les genres dans leurs costumes de scène leur donnant ainsi un style androgyne.

La mode a toujours aimé jouer avec les codes du genre et l’idée n’est donc pas nouvelle mais « ce qui a réellement changé, explique Pierre-François Le Louët, président de l’agence de prospective NellyRodi et de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, c’est que la fluidité des envies dans la garde-robe est devenue suffisamment forte pour créer un marché destiné aux nouvelles générations, pour qui se définir comme fille ou garçon n’est plus le problème.

On peut s’habiller en femme et rester masculin, et inversement. Les millennials détachent vêtement et sexualité parce qu’ils ont digéré la question et qu’ils s’identifient aujourd’hui par rapport à d’autres valeurs : l’amitié, l’engagement, les relations au travail, l’écologie, par exemple. La mode sans genre n’est que le reflet de l’époque »23.

23 DUPUIS, M., loc. cit.

C’est Rad Hourani, designer canadien, qui a lancé, en 2013, la première collection haute couture unisexe.

Depuis beaucoup de marques appliquent ce concept de no gender dans leurs collections, leurs défilés, même si, comme toujours, certaines y voient un moyen de faire parler d’elles au lieu de le faire par envie de casser les clichés, par pure conviction.

Au final, ce mouvement a explosé également grâce aux réseaux sociaux auxquels les millennials sont fort attachés et comme le déclare Alice de Brito, rédactrice pour le webzine Fais pas genre, grâce à « la forte médiatisation des célébrités qui est un tremplin incontestable pour ce type de mouvement, car cela permet de le légitimer et de le populariser »24.

24 DE BRITO, A., Le règne de la binarité des genres s’achève au monde de la mode sur Fais pas genre, http://faispasgenre.fr/2019/01/28/regne-de-binarite-genres- sacheve-monde-de-mode/

Certains rappeurs mélangent des pièces dites masculines avec d’autres plus féminines. Par exemple, le rappeur américain, Young Thug, a posé dans une longue robe mauve pour sa pochette d’album No, My name is Jeffery, sortie en août 2016.

Cela a évidemment suscité beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux surtout vis à vis d’un monde aussi viril que le rap us.

La même année, Jaden Smith, le fils de l’acteur Will smith, paraissait en jupe pour une campagne féminine de Louis Vuitton. Pour Nicolas Ghesquière, directeur artistique de l’enseigne, cette attitude raconte « quelque chose de tout à fait intéressant sur l’intégration d’un vestiaire global.

Cela lève le voile sur une génération qui a assimilé tous les codes dans une vraie liberté, loin des manifestes et des débats sur le genre »25.

25 PFEIFFER, A., loc. cit.

La mode évolue effectivement bien selon le contexte de son époque.

Campagne féminine de Louis Vuitton, 2016

Figure 2. Campagne féminine de Louis Vuitton, 2016

Pochette d’album No, My name is Jeffery de Young Thug, 2016

Pochette d’album No, My name is Jeffery de Young Thug, 2016

1.1.5 Le Streetwear

1.1.5.1 Définition

Le streetwear est un style vestimentaire qui se définit littéralement par « vêtement de rue ». Comme le dit Emily Oberg, figure du streetwear aujourd’hui, « le streetwear est tout ce qui dérive de la culture de la rue »26.

26 GUÉRIN, M., Quelle est l’évolution du streetwear ? La réponse d’Emily Oberg sur Elle, https://www.elle.be/fr/228546-levolution-du-sreetwear-par-emily-oberg. html

Le streetwear puise son influence surtout dans la culture Hip- Hop mais également dans celle des skateurs ou encore du côté des surfeurs et des artistes jazz.

Finalement, c’est un style qui reste donc assez difficile à définir étant donné qu’il vient de la rue et qu’il comporte des influences diverses et variées. Le streetwear évolue sans cesse en lien avec son environnement et son époque.

1.1.5.2 Historique

Ce style vestimentaire est apparu dans les années 80 aux États-Unis mais s’est réellement développé dans les années 90.

Comme nous l’avons vu dans le point précédent, le streetwear extrait ses origines de multiples cultures, références, telles que le Hip-Hop, le skate, le surf. Il apparaît donc en une forme d’expression des sous-cultures populaires.

L’influence la plus marquée du streetwear reste le Hip-Hop. Selon Steven Vogel, auteur de l’ouvrage « Streetwear », « les pionniers sont les Beastie Boys »27 qui est un groupe de Hip-Hop américain débutant leur carrière au début des années 80.

27 L’INTERNAUTE, Streetwear : la mode venue de la rue sur www.linternaute.com, http://www.linternaute.com/homme/mode-accessoires/dossier/streetwear/1. shtml

Ce style vestimentaire s’est énormément fait connaître grâce à tous ces rappeurs qui adoptèrent cette mode dans leurs clips vidéos. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.

À l’heure actuelle, la mode de la rue s’est mélangée avec la haute couture. Beaucoup de créateurs renommés s’inspirent et reprennent les codes du streetwear afin de les détourner de façon plus luxueuses.

De grandes marques comme Chanel, Dior, Louis Vuitton, Gucci, … collaborent avec des stars du Hip-Hop comme Asap Rocky, Kanye West, et plein d’autres encore mais on y voit également des collaborations avec des marques de streetwear comme par exemple celle entre Louis Vuitton et Supreme.

Comme le dit bien Charlotte Darnige, chroniqueuse chez Cosmopolitan, « les influences streetwear s’imposent sur les podiums des plus grandes maisons de couture et viennent bousculer les codes »28.

28 DARNIGE, C., Comment les marques de luxe empruntent-elles les codes de la street ? sur Cosmopolitan, https://www.elle.be/fr/228546-levolution-du-streetwear-par-emily-oberg.html

1.1.5.3 Les codes du Streetwear

Le streetwear se compose en grande partie de vêtements amples dit « coupe oversized » mais pas uniquement, on peut y retrouver des vêtements plus près du corps. Ce style vestimentaire mixe les styles, les coupes, les matières.

C’est une mode qui se veut assez décontractée, pratique, confortable et libre. Un élément phare du streetwear reste la paire de baskets.

De nouvelles associations voient le jour avec le mixage du streetwear et de styles plus classiques comme celui des baskets/tailoring, du layering (association de pièces de différentes matières, coupes, volumes et couleurs), …

Tailoring qui a été quelque peu oublié il y a quelques années et qui a bien refait surface mais différemment.

Comme le dit Xavier Chaumette, historien de la mode et auteur du livre « Le tailleur, un vêtement-message », « il n’y a plus de dualité streetwear/tailoring mais un mélange entre l’esprit du streetwear et la tradition des tailleurs »29.

29 DELEBARRE, H., Que signifie le come-back du tailoring ? sur Magazine Antidote, https://magazineantidote.com/mode/come-back-tailoring/

On y retrouve également des éléments techniques caractéristiques comme les poches multiples, le zip, la sangle, le scratch, …

Le détournement et le jeu de logos font également partie des codes du streetwear. Comme dit précédemment, il apparaît en une forme d’expression des sous-cultures populaires qui prône en quelque sorte une mouvance de liberté.

Celle-ci a d’ailleurs favorisé la diversité. Une influence du streetwear au niveau de l’art, qui fait partie de cette mouvance, est le graffiti. Certains designers l’emploient en tant qu’imprimés sur des pièces de leurs collections.

Ceux-ci naissent généralement de collaborations avec des artistes de cette discipline. Les collaborations sont ainsi très fréquentent dans le monde des marques streetwear.

Pour ce qui est de l’hybridité entre le streetwear et la haute couture, elle se marque généralement par l’emprunt du style, de l’esthétique streetwear transcrit dans des matières plus haut gamme comme la soie, le satin, …

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: L'École Supérieure des Arts Saint-Luc de Liège
Auteur·trice·s 🎓:
Lola Nederlants

Lola Nederlants
Année de soutenance 📅: 2019 – 2020 Mémoire de 2e master en Communication Visuelle et Graphique
Graphiste designer . Saint-Luc Liège - École supérieure des arts
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