Fonctions des hypertextes : primaires et secondaires

Fonctions des hypertextes : primaires et secondaires

2.4.4 Fonctions primaires et secondaires

2.4.4.1 Fonctions primaires de l’hypertexte

Il est admis que la fonction principale des hypertextes, ou plus généralement des hypermédias, est d’établir, dans un ensemble de documents, des possibilités de circulations « transverses ».

Cette fonctionnalité rend possible une lecture hypertextuelle où l’on peut « sauter » aussi bien d’un passage à l’autre dans un document que d’un passage d’un document donné à un passage d’un document distinct, à la seule condition que celui-ci soit informatiquement accessible.

Par rapport à l’informatique, la finalité de l’hypertexte est avant tout de mettre les capacités de calcul et de présentation d’un ordinateur au service de l’information, structurée ou non, en réalisant des associations entre des éléments de natures différentes, associations conduites par l’intelligence ou l’intuition de l’utilisateur.

Dans la section précédente, nous avons rappelé des éléments syntaxiques et sémantiques, en proposant une brève description de leurs fonctions primaires.

À présent, nous allons nous intéresser aux fonctions secondaires des éléments hypertextes.

2.4.4.2 Fonctions secondaires de l’hypertexte

Nous avons suggéré que les fonctions secondaires des objets techniques sont celles qui sont connotées : idéologie d’usage, type(s) d’utilisation et de signification.

Afin de découvrir les fonctions secondaires associées aux objets hypermédias, il n’est pas inutile de commencer en considérant l’idée selon laquelle le Web est une entité de la « symbolosphère », notion qui a été introduite par Robert K. Logan et John Schumann.

Le concept de symbolosphère a été proposé par Logan et Schumann comme un néo-dualisme de la dialectique esprit/matière pour comprendre le langage en tant que série de relations de symboles.

Le langage, selon eux, est un système complexe, un artefact invisible et immatériel qui est compris par la symbolosphère, en opposition au monde physique, qui est nommé « physiosphère ».

La forme du langage, objet d’appropriation pour l’homme, suppose trois préadaptations naturelles fondées principalement sur le cerveau humain : les capacités d’attention, les capacités de compréhension des intentions communicatives et les capacités d’apprentissage culturel.

La symbolosphère a affaire à tous les phénomènes qui sont médiatisés par des symboles, par exemple la pensée abstraite et la communication; elle est l’esprit existant non pas seulement dans un cerveau humain, mais surtout dans les constructions partagées entre et avec les autres cerveaux.

Si nous observons le Web comme une partie de ce vaste monde symbolique, nous pouvons affirmer que ses composants ont des intentions communicatives outre leur rôle purement fonctionnel, c’est-à-dire qu’il y a des fonctions communicatives au sein des composants techniques et ces fonctions sont intimement liées aux facteurs constitutifs de tout procès linguistique.

Nous sommes, à présent dans la possibilité de traiter les fonctions secondaires de l’hypertexte.

D’un modèle de communication élémentaire du type : destinateur – message – destinataire, Roman Jakobson dérive six fonctions linguistiques de base qui se manifestent dans toute acte de communication [JAK 63].

L’intérêt méthodologique est d’examiner l’ensemble des six fonctions dans sa totalité, plutôt que d’en favoriser une dans la mesure où il est difficile de trouver des messages qui ne remplissent qu’une seule fonction : « La diversité des messages réside non dans le monopole de l’une ou de l’autre fonction, mais dans les différences de hiérarchie entre celles-ci » [JAK 63 : 214].

En appliquant à l’objet technique hypermédia les six fonctions communicatives énoncés par Jakobson, nous pouvons distinguer:

1. La fonction dénotative (cognitive, référentielle)

Elle se rapporte au schéma communicatif, au contexte; elle indique la tâche dominante de l’objet.

Nous avons déjà signalé que les objets techniques ont une fonction autoréférentielle, qui définit la fonction instrumentale qu’ils assurent, un signifiant dont le signifié est la fonction qu’ils rendent possible.

2. La fonction expressive (émotive)

Elle est basée sur l’émetteur, ou dans les termes de Jakobson, sur le destinateur. Elle tend à donner l’impression d’une certaine émotion.

Dans le cas du Web, nous pouvons imaginer les différentes émotions qui surgissent par le dynamisme des couleurs et des effets spéciaux au contraire des sites plutôt « minimalistes », mais également lors de l’exploration de sites de guerre, pornographiques…

3. La fonction conative (vocative, impérative)

Elle est en rapport avec le destinataire.

Dans un site Web, les éléments qui apparaissent déterminent la manière dont l’usager reçoit et manipule l’information.

Par exemple, les sites imposent un espace délimité par les fenêtres du navigateur et, à l’intérieur de celui-ci, par les calques ou les frames.

4. La fonction phatique

Elle sert essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, elle est en rapport avec le contact.

Les objets hypermédia présentent cette fonction à travers des messages tels « Bienvenue sur ce site », « Vous êtes connecté en tant qu’administrateur » ou « Votre session a été bien finalisée ».

Cette fonction peut également être observé à travers les logotypes d’identité, d’une marque ou d’un nom du site, sur le Web.

5. La fonction métalinguistique

Jakobson exemplifie cette fonction lors de tout procès d’apprentissage d’une langue dans lequel les rapports s’établissent avec le « langage-objet », ou avec le langage lui-même, et non avec le « langage-discours ».

Quant au Web, son application s’observe dans les signes linguistiques eux-mêmes, les caractères de la langue utilisée (latin, chinois, arabe, etc.), mais aussi dans les codes d’un objet média quelconque ou, encore, dans le code qui donne forme à un hyperdocument, le HTML étant considéré par beaucoup comme la « langue maternelle » du Web.

La fonction poétique : c’est le message lui-même, ce qu’on veut dire et la manière de le dire, à travers un objet hypermédia.

Cette fonction est associée aux styles rhétoriques utilisés pour la rédaction d’un texte, ainsi qu’aux choix des polices et de la couleur pour le représenter, mais aussi au rythme de montage d’une vidéo, au rythme de la narration d’une ressource audio, etc.

Notre analyse ne peut être complète sans une attention portée à l’idéologie d’usage, autre représentant des fonctions secondaires des objets techniques. Pour cela, nous avons évoqué plus haut que les formes de communication sur le Web répondent à des métaphores et c’est justement celles-ci qui constituent la structure de l’interaction.

Comme cela est bien connu, la métaphore du Web la plus vulgarisée est celle de la navigation. Le terme « navigation » fait référence aux différentes méthodes d’accès et lecture des hypermédias.

Lorsqu’on parle de naviguer dans l’océan du Web, il s’agit de suivre des liens, d’utiliser des menus et des moteurs de recherche.

En tant qu’espace navigable, le Web est aussi un espace subjectif, c’est-à-dire que son architecture répond aux mouvements et aux émotions de l’usager. Manovich affirme que dans le cas des espaces virtuels, « l’espace peut changer littéralement, devenant un miroir de la subjectivité de l’usager » [MAN 01 : 269].

Selon nous, le Web est un espace qui permet de dévoiler la subjectivité des usagers en ce sens que ces derniers peuvent agir sur et interagir avec lui, non seulement en naviguant d’un site à l’autre mais aussi en effectuant diverses actions au sein d’un même site.

Ugo Volli [VOL 03] a étudié ces actions à trois niveaux :

  1. au niveau le plus bas, celui des actions gestuelles, liées aux composants hardware de l’ordinateur (manipuler la souris, diriger le pointeur, cliquer);
  2. au niveau intermédiaire, celui des actions élémentaires des logiciels (saisir et modifier du texte, appuyer sur des boutons pour obtenir un résultat, identifier les conventions des sites, un texte souligné en bleu indiquant par exemple que c’est est un lien);
  3.  au niveau supérieur, Volli classifie les genres des sites à partir de l’auteur (selon diverses figures : d’allocution, de modélisation, d’implication, d’expression, de perception, de la représentation) et du lecteur (comme sujet actif ou passif).

En ce sens, et pour donner un dernier exemple qui nécessiterait plus de réflexion, les liens reflètent bien ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont nommé « désir ».

Au moment précis où un usager clique sur un lien, on peut dire qu’il désire non seulement se déplacer d’un endroit vers un autre, mais il est en train d’établir un « agencement »; un ensemble de contenus et d’expressions se produisant par les mouvements de déterritorialisation 10.

10 En effet, lorsque nous avons proposé de considérer les objets techniques comme signes, nous avons utilisé la distinction faite par Louis Hjelmslev entre « contenu » et « expression », reprise d’une autre distinction, celle entre « langue » et « parole » introduite par Saussure. Deleuze et Guattari, à leur tour, emploient la même distinction pour définir ce qu’est un « agencement ». Voir [HJE 71 : 65- 79], et [DEL 80].

Nous analyserons d’autres cas liés à l’idéologie d’usage du point de vue de son application éducative dans le chapitre suivant.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’objet technique hypermédia : repenser la création de contenu éducatif sur le Web
Université 🏫: Université De Paris VIII
Auteur·trice·s 🎓:
Everardo Reyes García

Everardo Reyes García
Année de soutenance 📅: Discipline: Sciences de l’information et de la communication - 14 février 2007
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