Contenu éducatif sur le Web, création et structures

Contenu éducatif sur le Web, création et structures

4. Repenser la création de contenus éducatifs sur le Web

4.1 Introduction

Le chapitre précédent nous a permis d’observer comment le Web et les technologies hypermédias ont été utilisés à des fin éducatives dans un contexte d’usage constructif. Notre étude a mis l’accent sur diverses approches issues principalement de la recherche centrée sur les domaines des hypermédias appliquées à l’éducation.

À travers notre analyse, nous avons observé qu’une problématique tout à fait importante a souvent été négligée dans le domaine de l’éducation. Il s’agit de la structuration du contenu, un constituant qui nous engage d’ailleurs sur une possible voie vers la concrétisation des objets techniques hypermédia.

En effet, une grande partie de la problématique de la structuration de contenus a été abordée en ajoutant une couche semi-sémantique aux ressources dispersées sur le Web, tel que le fait le design pédagogique ou la folksonomie du Web 2.0. Par ailleurs, lorsqu’un système se centre sur la structuration de contenus textuels, c’est le format qui prédomine.

Bien que le langage HTML soit né au sein d’une communauté s’intéressant à la structuration de documents, il a été influencé par des aspects propres à la présentation et au formatage. S’il est vrai que des efforts ont été faits afin de rendre les documents HTML plus strictement en accord avec les standards XML (XHTML, par exemple) et de séparer la forme et le contenu (en distinguant entre la couche d’exécution et la couche d’informations), le contenu reste toujours orienté vers le format, plus que vers la structuration sémantique.

Ce chapitre introduit notre approche vers une nouvelle forme de création de contenus pédagogiques liée aux aspects sémantiques des hypermédias. Comme nous le verrons, les études les plus représentatives menés sous cette rubrique relèvent particulièrement du domaine documentaire. Néanmoins, au carrefour des sciences de l’information et de la communication, d’autres domaines nous fournissent des méthodes enrichissantes, tel le design de l’information ou le génie logiciel, sans oublier la perspective sémiotique suivi dès le départ notre travail.

4.2 Contenu, création et structures

L’usage constructif des hypermédias, comme il a été signalé, considère les hypermédias comme un outil de création pour élaborer un corpus d’information. Afin de repenser la création de contenus, il est nécessaire tout d’abord de clarifier les concepts de « contenu » et de « création », clarification dont la principale conséquence est une complexification de la notion de signe que nous avons employée pour étudier les objets techniques.

4.2.1 Contenu

Le terme « contenu » est souvent employé pour faire référence à un résultat réel d’une production. Dans ce sens, contenu peut s’associer à objet média; à ce qui se trouve à l’intérieur d’un nœud hypermédia.

Cependant, nous désirons aller au-delà cette acception car elle semble insuffisante pour aborder la question de la création. En effet, lorsqu’on parle de contenu, on ne peut pas laisser de côté le travail (productif ou créatif) réalisé par l’individu – comme nous l’avons fait pour démontrer l’existence d’éléments syntaxiques et sémantiques inhérents aux codes hypermédias -.

La nouvelle conception du « contenu » qui nous occupe dérive de la définition de « signe » proposée par Louis Hjelmslev et abordée sommairement dans [§ 2.2.3]. Hjelmslev proposait : « il semble plus adéquat d’employer le mot signe pour désigner l’unité constituée par la forme du contenu et la forme de l’expression et établie par la solidarité que nous avons appelée fonction sémiotique » [HJE 71 : 77].

Hjelmslev refaçonne la conception de signe de Pierce (le signe est l’expression d’un contenu extérieur au signe lui-même), pour établir plutôt une relation de dépendance entre deux concepts clés : expression et contenu; le contenu représente la « masse amorphe de la pensée » et l’expression représente un objet, une chaîne linguistique, par exemple.

La solidarité entre expression et contenu est tellement étroite qu’il est impossible d’envisager l’existence d’un contenu sans expression ou d’une expression sans contenu, d’où leur appellation de fonctifs. De plus, tout contenu et toute expression opèrent sur un même socle : les formes et les substances. « Le sens devient chaque fois substance d’une forme nouvelle et n’a d’autre existence possible que d’être substance d’une forme quelconque » [HJE 71 : 70].

Hjelmslev emprunte la distinction entre forme et substance à Saussure pour distinguer entre les constantes (la forme, le type en anglais) et les variables (la substance, les occurrences, le token en anglais) d’une sélection parmi différentes hiérarchies et sous-hiérarchies de classes d’objets.

Lorsqu’on produit une expression, on fabrique une occurrence en suivant des règles de conformité à un type abstrait. La figure 8 présente les relations du signe chez Hjelmslev d’après cette analyse.

fonction sémiotique

Ainsi, le contenu devra donc être conçu comme un composant associé à une expression. Cette extension du concept n’est pas sensée effacer la définition antérieure, mais nous fournit plutôt un moyen de penser le contenu comme un fonctif associé à un processus sémiotique développé par l’individu lorsqu’il lit ou produit des expressions.

Dans cette perspective, un « contenu pédagogique » sera le produit de la sémiose d’une expression, même si la seule chose perceptible à première vue n’est que de l’expression.

Autrement dit, un objet média (que ce soit un texte, une image, un son, ou tout autre élément d’articulation des hypermédias) devient contenu seulement lorsqu’il a été actualisé sous forme d’expression sur l’écran de l’ordinateur et, peut-on même dire, il ne s’actualise pas sur l’écran mais dans la pensée de l’individu, ce qui lui donne son essence de contenu.

4.2.2 Création

Une fois élargie la notion de signe, il est possible d’aborder les manières dont un signe est utilisé, c’est-à-dire les opérations que l’enseignant et l’apprenant doivent mener pour produire et interpréter des signes.

Suivant la ligne de notre investigation, le modèle le plus pertinent pour une telle entreprise est la classification des modes de production sémiotique proposée par Umberto Eco [ECO 79, 88, 92] car il a la particularité de ne pas être liée exclusivement aux catégories linguistiques, mais aussi aux catégories autonomes qui définissent des phénomènes de sémiose à l’œuvre dans différents systèmes de signes.

La classification d’Eco des modes de production sémiotique se fonde sur quatre paramètres.

  • * le travail matériel nécessaire à la production des expressions;
  • * le rapport entre type abstrait (type) et son occurrence concrète (token);
  • * le genre de continuum matériel manipulé en vue de produire l’expression;
  • * le mode d’articulation et sa complexité. Cela va des systèmes où les unités sont bien codifiées (textes linguistiques) à ceux que l’on appréhende à travers des textes dont les unités sont malaisément repérables (textes iconiques).

Bien que ces quatre paramètres soient en interaction permanente, il semble pertinent d’approfondir la question des tâches que l’on doit réaliser aussi bien pour reconnaître que pour créer, pour produire que pour communiquer, pour lire que pour écrire. Ces tâches sont les catégories se référant au travail matériel. Quatre types peuvent être observés :

  • * La reconnaissance : un objet ou un événement donné, produit par la nature ou par l’action humaine, est mis en relation avec un certain contenu par un interprète humain qui n’a pas lui-même produit matériellement cet objet.
  • * L’ostension : elle a lieu lorsqu’un objet préexistant est choisi et désigné comme représentant de la classe à laquelle il appartient.
  • * La réplique : on l’obtient lorsque l’on produit une occurrence d’un type abstrait.
  • * L’invention : on parlera d’invention dans les cas où l’expression ne peut être produite par la référence à un type expressif, parce que ce type n’a pas encore d’existence, et ne peut non plus être associé à un type stable de contenu, parce que ce dernier n’a pas encore été défini par la culture.

À travers ces catégories, on peut dire que lors de l’utilisation de signes s’effectue un passage d’un modèle perceptif à un modèle d’articulation sémantique. Pour utiliser une expression, le producteur doit d’abord répondre aux stimuli de la substance par le biais de l’abstraction (les reconnaissant et les associant à une forme définie culturellement), puis sélectionner un code arbitraire pour donner naissance à une transformation (en sélectionnant des formes existantes pour les associer à une substance).

Ces catégories nous indiquent aussi que même pour une fonction sémiotique relativement peu complexe, interfèrent des modes de production aussi variés.

De cette manière, nous affirmons que la création est un mode de production dans la mesure où, pour faire surgir un sens, elle nécessite de la part de l’individu des travaux matériels.

Précisons les différences entre production et création. Nous avons affaire à de la production lorsqu’on reconnaît un objet, lorsqu’on utilise un objet pour représenter d’autres objets appartenant à sa même classe ou pour représenter des conventions culturelles existantes et, enfin, lorsqu’on structure de nouvelles formes d’expressions et de contenus.

Parmi ces modes de production, la création est en correspondance avec la structuration de nouvelles formes d’expressions et de contenus, c’est-à-dire avec l’innovation plutôt qu’avec les autres modes de production; elle vise à produire de l’inédit que la communauté sera ensuite disposée à reconnaître, accepter, adopter et réélaborer.

Mais nous devons aussi accepter que, parfois, le résultat de la création n’est pas toujours un produit actualisé; ce peut être tout simplement une représentation mentale, une construction de signification chez l’individu qui n’est pas extériorisée mais utilisée comme outil de compréhension d’autres objets.

La principale conséquence d’une distinction plus précise entre production et création à propos des objets techniques hypermédias réside dans les possibilités d’articulation de nouvelles formes d’expression offertes par les systèmes.

Ainsi, afin de proposer des fonctionnalités primaires variables et des fonctionnalités secondaires ouvertes, il est nécessaire d’étudier les structures de codes hypermédias à plusieurs niveaux : leurs règles d’articulation, leurs comportements et surtout le rapport qu’elles établissent entre les formes d’expression et les formes de contenu.

4.2.3 Les structures et les hypermédias

4.2.3.1 Structure

Le concept de structure est une idée complexe revêtue de plusieurs significations dans différents domaines. Une étude approfondie du terme conduit à se plonger dans le courant nommé « structuralisme » et à ses critiques postérieurs portées par le « post-structuralisme ».

Pour l’instant, nous allons nous concentrer sur le premier cadre, tandis que le deuxième sera abordé ultérieurement.

Dans son ouvrage de synthèse Le structuralisme, Jean Piaget [PIA 68] étude d’un point de vue générale le terme de structure. Nous en reprenons les idées essentielles.

Piaget note deux aspects communs à tous les structuralismes : « En première approximation, une structure est un système de transformations, qui comporte des lois en tant que système (par opposition aux propriétés des éléments) et qui se conserve ou s’enrichit par le jeu même de ses transformations, sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fasse appel à des éléments extérieurs.

En un mot, une structure comprend ainsi les trois caractères de totalité, de transformations et d’autoréglage » [PIA 68 : 6].

La seconde approximation considère que la structure « doit pouvoir donner lieu à une formalisation. Seulement il faut bien comprendre que cette formalisation est l’œuvre du théoricien, tandis que la structure est indépendante à lui, et que cette formalisation peut se traduire immédiatement en équations logico-mathématiques ou passer par l’intermédiaire d’un modèle cybernétique.

Il existe donc différents paliers possibles de formalisation dépendant des décisions du théoricien, tandis que le mode d’existence de la structure qu’il découvre est à préciser en chaque domaine particulier de recherches » [PIA 68 : 7].

Quant à la première approximation, Piaget établit que le caractère dynamique des structures est déterminé par trois fondements :

* totalité : les structures sont composées à partir d’éléments indépendants du tout. Une structure est certes une formée d’éléments, mais ceux-ci sont subordonnés à des lois qui caractérisent le système comme tel; et ces lois dites de composition ne se réduisent pas à des associations cumulatives, mais confèrent au tout en tant que tel des propriétés d’ensemble distinctes de celle des éléments;

* transformations : si le propre des totalités structurées tient à leurs lois de composition, elles ont la double propriété d’être toujours et simultanément structurantes et structurées, et c’est cette notion qui assure leur intelligibilité par son exercice même;

* autoréglage : le troisième caractère fondamental des structures est de se régler elles-mêmes, cet autoréglage entraînant leur conservation et une certaine fermeture. Cela veut dire que les transformations inhérentes à une structure ne conduisent pas en dehors de ses frontières, mais n’engendrent que des éléments appartenant toujours à la structure et conservant ses lois.

Mais cette fermeture ne signifie pas que la structure considérée ne peut pas entrer à titre de sous-structure dans une structure plus large « il n’y a pas d’annexion, mais confédération et les lois de la sous-structure ne sont pas altérées mais conservées, de telle sorte que le changement intervenu est un enrichissement » [PIA 68 : 14].

Quant à la deuxième approximation, Piaget distingue deux paliers possibles de régulations lors de la construction des structures nouvelles. Les unes demeurent internes à la structure et les autres interviennent dans la construction de nouvelles structures englobant la ou les précédentes et les intégrant sous la forme de sous-structures au sein de structures plus vastes.

4.2.3.2 Structures et codes hypermédias

Dans notre travail, nous avons employé le terme de structure en relation aux domaines des hypermédias pour faire référence à la manière dont l’information est représentée sur le Web : structures taxonomiques, structures spatiales… Par conséquent, nous avons parlé d’infrastructures des hypermédias pour dénoter les divers composants et services d’un système hypermédia.

À un autre niveau, nous avons affirmé qu’un objet technique hypermédia peut être considéré comme un signe structuré selon trois dimensions : syntaxique, sémantique et pragmatique. La première définit les différents éléments d’une structure, la deuxième les relations de ces éléments dans le but de signifier, et la troisième se réfère aux pratiques et usages que l’on peut tirer des deux premières.

Ainsi, la dimension syntaxique d’un hypermédia est constituée de nœuds, de liens, d’objets médias, de la GUI… Dans la dimension sémantique, ces éléments forment une série de notions ou d’énoncés, les divers éléments hypermédia fonctionnels s’associent à un contenu; à un certain degré les fonctions sémantiques convoyées sont indépendantes des éléments syntaxiques dans la mesure où un lien peut être exprimé par l’intermédiaire d’un texte, d’une image, d’un icône, etc.

À leur tour, les éléments syntaxiques et sémantiques opèrent selon un cadre pratique, dont les usages éducatifs, par exemple.

C’est dans un tel scénario que nous avons avancé l’existence d’un code propre aux hypermédias. Or, comme nous l’avons déjà signalé, du point de vue sémiotique un code constitue un modèle structural qui est postulé comme une hypothèse théorique fondée sur des constantes déduites à partir de l’observation d’usages communicatifs.

En effet, les codes sont des structures, des systèmes où chaque élément s’établit par différences et oppositions. Comme toute structure, un code peut contenir d’autres structures et il devient un système de structures ou une structure sémantique.

Nous avons mentionné que les codes peuvent subsister indépendamment d’une signification ou d’un propos communicatif de manière à les étudier selon les principes de la théorie de l’information. Néanmoins, dans les sciences sociales, ces structures sont le plus souvent de cas reconnues dans le but de montrer comment elles communiquent avec tous ou une partie des éléments d’un autre système (les fonctions communicatives de Jakobson, par exemple).

La complexité d’un code hypermédia réside dans la diversité d’approches de ses trois dimensions. Selon une approche structurale, il est possible de structurer et de restructurer une expression hypermédia en suivant des règles d’ordre et en fonction d’un besoin donné, mais lorsqu’on doit transformer la structure pour répondre à des besoins d’un autre domaine, il est nécessaire de modifier et adapter les codes aux nouveaux besoins.

De plus, on peut noter que les codes hypermédias opèrent à deux niveaux : d’un côté, au niveau du langage informatique et, d’un autre côté, au niveau de la représentation visuelle de ce même code informatique.

En effet, les systèmes hypermédias requièrent, comme tout autre développement informatique, d’un langage informatique permettant de réaliser ses fonctions, par exemple le système HyperCard et le langage HyperTalk. Dans le cas de systèmes hypermédias sur le Web, les codes informatiques utilisés sont le plus souvent associés aux langages de balisage (mark-up language).

À présent, nous nous situons dans le contexte du Web pour analyser les rapports entre les signifiants et les signifiés de balises par rapport à leur représentation graphique.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’objet technique hypermédia : repenser la création de contenu éducatif sur le Web
Université 🏫: Université De Paris VIII
Auteur·trice·s 🎓:
Everardo Reyes García

Everardo Reyes García
Année de soutenance 📅: Discipline: Sciences de l’information et de la communication - 14 février 2007
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