L’évolution de systèmes hypermédias : Domaines et Systèmes

L’évolution de systèmes hypermédias : Domaines et Systèmes

2.4.5 Évolution de systèmes hypermédias

Comme tout objet technique, les hypermédias ont suivi une ligne évolutive. Cette ligne est importante à étudier afin de découvrir les nouveaux fonctionnements et les nouveaux usages qui se sont formés au sein des objets hypermédias, ainsi que la manière dont ils se sont implantés.

En ce qui concerne la naissance des hypermédias, un regard historique nous apprend que le premier système technique à vocation hypertextuelle a été conçu par Vannevar Bush en 1945. Dans son célèbre article « As we may think » [BUS 45], Bush décrivait la machine Memex, capable d’associer des documents entre eux afin que l’utilisateur puisse les consulter de manière associative.

Bien que le format de documents supportés, le format microfilm, n’était pas électronique, il s’agissait de montrer comment un accès rapide aux documents pouvait augmenter les capacités cognitives humaines.

La deuxième tentative visant à réaliser les idées de Bush a été présentée une vingtaine d’années plus tard avec le projet NLS/Augment de Douglas Engelbart. Enfin, le premier système hypertexte de type numérique a été Xanadu, développé par Theodor Nelson.

Dans les années 70 et 80, plusieurs systèmes sont apparus mettant l’accent sur les structures associatives, sur ce qui est nommé couramment le « domaine de la navigation » (navigational domain) des hypermédias. Parmi ces premiers systèmes, on peut citer KMS, NoteCards et Intermedia.

Depuis ces travaux, les hypermédias se sont rapidement développés. La communauté scientifique a vu dans les hypermédias un champ particulièrement intéressant pour aborder deux grands axes de recherche : d’une part, des problèmes liés au design des systèmes, c’est-à-dire l’assistance au travail réalisé par les usagers avec les structures hypermédia et, d’autre part, la manière dont les usagers utilisent les structures dans différents domaines et le type de représentation qui conviendrait à ces structures.

Ainsi, le premier axe est couramment nommé « recherche centrée sur les systèmes », en raison de l’accent mis sur les architectures, tandis que le deuxième est appelé « recherche centrée sur les domaines ».

Un autre regard sur l’évolution des hypermédias propose de se situer du point de vue de la lecture hypertextuelle et des formes d’interaction adaptées aux usagers. Ce regard analyse l’hypertexte à base de couches, allant de l’hypertexte minimal à l’hypertexte à modèle utilisateur.

2.4.5.1 Recherche centrée sur les domaines

Les lignes évolutives associées à la recherche sur les domaines constatent le fait que les applications des hypertextes se sont démultipliées. Désormais on parle de l’existence de plusieurs domaines, chacun ayant sa terminologie et son contexte propre. De fait, chaque domaine peut être compris comme un type d’hypermédia, car tous partagent une focalisation sur les structures, mais chaque type est unique, car tous présentent des caractéristiques individuelles. Quelques exemples de structures hypermédias sont :

  • * les structures basées sur des problèmes (issue-based structures), qui supportent des tâches d’argumentation;
  • * les structures taxonomiques (arborescences), qui supportent des tâches de classification;
  • * les structures spatiales, qui supportent des tâches d’analyse de l’information, ainsi que des flux de travail, des structures d’annotation, etc.;
  • * les structures séquentielles, qui supportent des tâches de présentation multimédia, les tours guidés les visites virtuelles, etc.
  • * les structures littéraires, qui supportent des tâches de lecture et d’écriture littéraire;
  • * les structures artistiques, qui supportent des tâches d’expression de contenus poétiques;

2.4.5.2 Recherche centrée sur les systèmes

De manière générale, le développement de l’architecture des systèmes hypermédias se produit par étapes. Dans chaque étape, une fonctionnalité a été abstraite du « cœur » des systèmes hypermédias monolithiques.

Le plus souvent, chaque abstraction consiste dans le remplacement d’une partie du système hypermédia par un ensemble de processus, permettant l’interaction avec le reste de l’environnement hypermédia au travers d’interfaces bien définies, comme le montre la figure 4 (traduite et adaptée de [WII 00]).

Évolution de l'architecture de systèmes hypermédias

Évolution de l’architecture de systèmes hypermédias

Ainsi, la première abstraction de systèmes hypermédias a commencée par le frontend, remplacé par les « services ouverts de lien » (open link service). Cette étape symbolise une première concrétisation des hypermédias.

En effet, à la fin des années 80 les systèmes ont abouti à la définition d’un standard de facto pour la navigation : le modèle Dexter, qui d’ailleurs a influencé d’autres modèles tel que le modèle Trellis et le modèle Amsterdam.

La deuxième abstraction a été le backend, auquel ont été substitués les « systèmes à bases ouvertes » (open hyperbase systems). Quant à la troisième abstraction, elle a conduit des calculs transversaux aux « systèmes hypermédias ouverts » (open hypermedia systems ou OHS), cela au milieu des années 90.

Les systèmes OHS sont basés sur l’emploi de diverses structures facilitant le travail collaboratif et l’accès de multiples utilisateurs. Wiil note dans cette étape une deuxième concrétisation des systèmes hypermédias.

Plus tard, dans une quatrième abstraction, les OHS ont évolués vers des « systèmes hypermédias ouverts basés sur des composants » (component-based open hypermedia systems ou CB-OHS) et vers des « services multiples ouverts » (multiple open services) dont l’architecture a de particulier qu’elle est basée sur des services de structures au niveau du middleware.

Plus récemment, cette dernière étape dans l’évolution des hypermédias a instauré une nouvelle discipline du génie logiciel nommé « informatique structurale » (structural computing).

Les systèmes créés sous selon optique ont introduit une approche modulaire des systèmes ouverts afin de rendre possible leur utilisation dans plusieurs domaines ou structures de l’hypertexte.

Aujourd’hui, les efforts de la communauté hypermédia semblent se diriger vers un point de convergence où les experts des domaines et les experts des systèmes travaillent ensemble. La perspective à futur est la création d’environnements donnant plus d’importance aux structures qu’aux données. Pour Wiil [WII 05], un environnement informatique idéal serait donc celui qui :

  • * supporte plusieurs types de systèmes à travers des applications performantes, ces applications pouvant se développer comme des applications individuelles ou comme des applications intégrées à l’environnement informatique général,
  • * permet la visualisation et la manipulation de structures entre des applications différentes et spécialisées dans des domaines distincts,
  • * supporte plusieurs types de workflow,
  • * est ouvert et supporte la séparation fondamentale des données, structures et comportements (behavior),
  • * peut être adapté à des plateformes mobiles.

2.4.5.3 De l’hypertexte minimal à l’hypertexte à modèle utilisateur

Le regard porté sur l’évolution des hypermédias à base de couches situe à l’utilisateur au centre de la problématique, en analysant les formes de son accès et de son interaction avec l’information.

L’importance de cette approche réside dans sa perspective orientée vers le développement de systèmes sur le Web, à la différence des autres perspectives qui prennent en considération d’autres systèmes que les navigateurs, y compris le middleware et les applications third-party.

Tout comme la recherche sur les systèmes, le parcours par couches commence avec le modèle Dexter, qui est considéré comme un type d’hypertexte minimal, ou hypermédias monolithiques. Les trois couches qui se dégagent du modèle Dexter sont :

  • * la couche d’exécution (représentation) qui gère la présentation d’un réseau hypertexte c’est-à-dire les aspects de l’interface utilisateur et les outils de navigation;
  • * la couche de stockage qui est le noyau du système. Elle modélise le système hypertexte et fournit les fonctionnalités nécessaires à sa gestion;
  • * la couche du contenu informatif (information) représente et gère le contenu des nœuds hypertextes. Elle encapsule plusieurs éditeurs appropriés à la gestion des éléments multimédias (texte, images, sons, etc.).

Notons ici une différence majeure sur le concept d’« ouverture » entre l’approche systèmes et l’approche par couches. La première considère ouverts les systèmes permettant l’utilisation de diverses structures et services par des applications externes (traitements et éditeurs de texte, navigateurs, outils d’auteur des hypertextes, etc.). Au contraire, la deuxième utilise le terme pour faire référence à l’état d’une couche qui n’est pas fixe.

Par exemple, lorsque la couche d’information est ouverte, il faut contrôler en permanence le maintien d’une correspondance entre la couche d’information et celle de représentation.

Le fait que la couche de représentation soit ouverte ou hétérogène oblige à concevoir non plus une couche de représentation unique mais une démultiplication de ce niveau en diverses couches de façon à tenir compte de la diversité de profils possibles des utilisateurs imaginés.

C’est la situation des hypertextes pédagogiques, comme nous le verrons dans les parties suivantes, où les parcours d’information diffèrent suivant les niveaux de connaissances supposés de l’utilisateur.

Une nouvelle notion apparaît, celle de « modèle d’utilisateur », c’est l’éclatement de la couche de représentation en un nombre indéterminé de sous couches dont l’ensemble constitue la métaconnaissance sur les informations (figure 5).

Modèle de l’utilisateur [SAL 05]

Modèles à quatre couches [SAL 05]

L’étape suivante dans l’évolution de systèmes hypermédias débouche sur les hypertextes automatiques, aussi nommés « hypertextes adaptables ».

Cette technologie permet d’aller au-delà de la représentation fixe d’une métaconnaissance fermée en procédant automatiquement à un calcul de la représentation. Ces calculs automatiques font éclater la couche de représentation en deux sous-couches distinctes [BAL 97a] : une couche de représentation calculée et une couche permettant le calcul de cette représentation. Ils ajoutent ainsi une quatrième couche à la construction des hypertextes : celui de la conceptualisation (figure 6).

Modèles à quatre couches [SAL 05]

Modèles à quatre couches [SAL 05]

Le niveau le plus récent dans cette évolution est l’« hypertexte conceptuel » qui fait référence aux systèmes adaptatifs sur le Web. Comme nous l’avons constaté, l’hypertexte devient plus difficile à gérer lorsqu’aucune couche n’est fixe.

C’est le cas d’Internet, où les informations, en perpétuelle reconfiguration et dispersées sur un espace non descriptible, et le modèle de parcours, réalisé de façon disparate par une infinité mouvante de réalisateurs, sont eux-mêmes en constante transformation.

Dans ce cas, aucun des modèles précédents ne peut réellement fonctionner sauf si un modèle unique de conceptualisation peut être imposé à l’ensemble des réalisateurs.

L’hypertexte conceptuel consiste en fait à ajouter une quatrième couche au modèle hypertexte, une couche de définition modifiant le modèle de conceptualisation en fonction des besoins particuliers et/ou momentanés de l’utilisateur.

Cette méthode d’hypertextualisation, prenant en compte l’état de l’utilisateur, est la seule à introduire une contextualisation puisque, introduisant une relation structurelle à l’extérieur du dispositif hypertextuel proprement dit, elle cherche à prendre en compte les besoins particuliers d’un individu donné, éventuellement à un moment défini, c’est-à-dire en tenant compte d’une dynamique d’évolution.

L’hypertexte idéal étant celui qui, dans un espace informationnel ouvert, répond de façon spécifique à chaque utilisateur particulier, sa technologie doit tendre vers la disparition des graphes préétablis : plus de liens préalables mais une autoconstitution dynamique des liens. Tout ceci se complique alors du fait que l’on se trouve dans des univers d’information à la fois multimodaux et multilingues.

2.5 Conclusion

Nous avons exploré dans ce chapitre diverses notions liées à l’adoption de la technologie par les sphères culturelles et sociales. Dans un premier temps, une attention portée à la pensée philosophique des techniques chez Simondon nous a montré deux situations contradictoires : d’une part, les techniques sont perçues comme des objets purement fonctionnels et, d’autre part, comme des objets représentant un danger envers l’homme.

À l’encontre de ces déterminations, la proposition de Simondon est de penser les techniques autrement, en tant qu’« objets techniques ». L’importance de cette approche nous a permis d’observer les techniques du point de vue de leur évolution, vers des lignes de concrétisation, dans lesquelles il n’y a pas d’un côté des humains, de l’autre des machines, exerçant un contrôle réciproque mais une orchestration de ces deux types d’acteurs.

Nous avons affirmé que si l’on désire comprendre les « objets techniques », il est nécessaire d’étudier d’autres aspects tout aussi importants pour définir leur essence et les manières dont leur évolution se voit influencée. Ces aspects sont essentiellement communicatifs et nous avons emprunté à la sémiotique ses méthodes et ses techniques pour les analyser.

Selon un point de vue sémiotique, les objets techniques constituent aussi des systèmes de signes, composés de codes qui à leur tour sont composés d’éléments d’articulation. Nous avons reconnu dans ces codes l’existence de fonctions primaires et secondaires, les premières référant aux aspects fonctionnels de l’objet, les deuxièmes aux aspects communicatifs.

Dans le cas du Web, qui est un espace hétérogène où des codes propres à la cyberculture et aux différents médias interagissent, nous avons emprunté à Bolter et Grusin le concept de « remédiation » pour expliquer comment ces différents signes convergent. La remédiation est donc liée à la manière dont un média refaçonne un autre.

L’intérêt d’une approche informationnelle-communicationnelle d’objets techniques réside dans son apport aux usages pédagogiques des hypermédias. Tels sont les aspects que le troisième chapitre de cette thèse se propose d’étudier.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’objet technique hypermédia : repenser la création de contenu éducatif sur le Web
Université 🏫: Université De Paris VIII
Auteur·trice·s 🎓:
Everardo Reyes García

Everardo Reyes García
Année de soutenance 📅: Discipline: Sciences de l’information et de la communication - 14 février 2007
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