Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre

Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre

Lille 2, université du droit et de la santé
Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et de gestion (n°74)

Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales

Droit privé

Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention du Master Droit « recherche », mention « droit du travail »

Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre.

Par Céline REGULSKI

Sous la direction de M. Pierre-Yves Verkindt

Année universitaire
2005-2006

Introduction :
« Tout juriste est un conservateur »1, si tel est le cas le droit également est conservateur à plusieurs titres. Exemple prégnant de cette affirmation : la forme des relations de travail en droit du travail. Notre droit du travail s’est construit sur de nombreux principes. Il s’est notamment construit sur un modèle de la relation de travail : la relation bilatérale. Ne dit-on point que la relation de travail est un « rapport juridique qui lie l’employeur et le salarié et a presque toujours source dans un contrat »2. Mais aujourd’hui se développe de plus en plus de relations de travail tripartites, à titre d’exemple on peut citer l’innovation du travail à temps partagé3.
Les développements qui suivent seront consacrés à l’étude de certaines de ces relations de travail tripartites, appelées autrement prêt de main-d’œuvre. Le prêt de main-d’œuvre est « un contrat par lequel un employeur met temporairement un de ses salarié à la disposition d’un autre employeur »4, trois personnes existent à la relation de travail. Le droit du travail est construit différemment, et aborde avec appréhension ce phénomène. Pourtant si le prêt de main-d’œuvre se développe c’est qu’il doit y exister un certain intérêt.
Dans l’étude qui suit nous ne nous intéresserons qu’à certaines formes de prêt de main d’œuvre. Ce que nous recherchons à étudier se sont les relations que nouent les trois personnes à la relation de travail. La sous-traitance est exclue du champ d’étude à ce titre, car en l’espèce se sont des relations d’entreprises à entreprises et non de personnes à personnes qui se nouent. De plus les associations intermédiaires1 qui ont pour finalité d’aider à l’insertion des personnes en difficultés par l’intermédiaire du prêt de main-d’œuvre, ne seront pas étudiées. Elles présentent un caractère d’aide à l’emploi par l’Etat, or nous étudions les formes de prêt de main-d’œuvre réalisées dans un but non défini par des politiques d’insertion.
Pour certains le prêt de main-d’œuvre facilite l’accès à l’emploi en général. La notion d’emploi est utilisée en deux sens dans le vocabulaire juridique2. Au sens « macro- économique », l’emploi signifie de façon générale la situation de l’emploi en France par exemple. Cette acception ne correspond pas au sens de l’étude, même si elle restera en toile de fond. Mais se sont les relations nouées entre des personnes qui sont l’objet de l’étude. En droit privé l’emploi peut être considéré au sens « micro-économique » collectif, on parlera de l’état de l’emploi dans l’entreprise par exemple. En un sens individuel, on parlera de la situation du salarié, le « titulaire » de l’emploi. C’est en ce dernier sens que nous aborderons la notion, l’emploi est le poste de travail occupé par le salarié. Pour embrasser les relations des personnes, dont le titulaire de l’emploi, dans le cadre du prêt de main-d’œuvre nous ne nous baserons pas au niveau des relations de travail. Cette notion n’est que trop emprunte du caractère bilatéral, elle n’englobe que deux personnes. Les relations que nous voulons étudier font entrer en jeux trois personnes au moins. Il sera fait appel à la notion de lien définie comme telle : c’est un « rapport juridique unissant deux ou plusieurs personnes en vertu d’un acte ou d’un fait juridique qui est à la fois effet de droit et situation juridique, source de droits et d’obligation »3. Cette notion correspond mieux à la situation que nous cherchons à cerner, mais pas totalement. La situation en question, comprend non seulement les relations du salarié avec les employeurs en cause mais aussi ses relations avec le reste de la collectivité de travail ; dans une entreprise le salarié n’entretien pas que des relations avec son employeur. La vie du salarié dans l’entreprise est plus large. Le contrat de travail réunit un salarié et un employeur, mais l’activité « travail », comprise dans sa durée, réunit le salarié à la communauté de travail. La notion qui rend parfaitement compte de la situation est la notion de lien d’emploi. En effet, le terme emploi désigne, notamment, « une dimension particulière du contrat de travail, la relation de travail saisie dans la durée »4 ; le lien d’emploi est donc l’ensemble des rapports juridiques unissant le salarié aux employeurs et à la communauté de travail à l’occasion de la relation de travail, relation saisie dans la durée.
Ce lien d’emploi est présent dans toute relation de travail, bilatérale ou tripartite. La relation tripartite de travail est caractérisée par l’intervention d’un tiers à la relation de travail. Une question vient à l’esprit, pourquoi faire intervenir un tiers. Pour certains l’intervention d’un tiers est facteur de précarité (les syndicats par exemple), pour d’autres elle est facteur d’une aide dans la recherche d’emploi, elle est bénéfique. Constat hétérogène qui pousse à se demander si l’intervention d’un tiers à la relation de travail, prise en sa dimension individuelle, est-elle facteur de renforcement ou de fragilité du lien d’emploi ?
La question est posée, il reste à savoir à quel type de prêt de main-d’œuvre il faut l’appliquer. Le travail à temps partagé, nouvelle forme de mise à disposition des salariés est organisée telle qui suit : une entreprise de travail à temps partagé, met à disposition d’entreprises clientes ses salariés. La définition correspond tout à fait à la recherche. Le travail temporaire bénéficie de la même définition, forme de travail apparue en premier lieu aux Etats-Unis, elle se développe en Europe après la seconde guerre mondiale. Ses textes fondateurs sont, en droit du travail français, la loi du 3 janvier 1972 inspirée par l’accord d’entreprise Manpower-CGT du 9 octobre 1969. Les groupements d’employeurs ont été institués par la loi du 25 juillet 1985. Leur objet est de permettre aux entreprises membres du groupement de recourir à des salariés mis à leur disposition par ce dernier ; autre forme et même principe. Enfin, une dernière forme de prêt de main-d’œuvre sera étudiée : le portage salarial. Cette pratique, dans laquelle un salarié est prêté par une société de portage à des entreprises clientes, ne fait cependant l’objet d’aucun texte législatif. Mais elle correspond au champ d’étude. Quatre formes de prêt de main-d’œuvre seront étudiées, elles sont les formes qui, en droit français, permettent à un employeur de mettre à disposition ses salariés.
La finalité de cette étude est d’étudier et de comprendre l’impact de l’intervention d’un tiers à la relation de travail sur le lien d’emploi. A cette fin, nous allons mettre en valeur l’impact du tiers sur la création (Titre I.) puis sur la vie (Titre II.) du lien d’emploi. Le lien d’emploi se décompose en effet en deux stades, le moment de sa création et celui de son accomplissement ou de sa vie. En dressant le tableau de l’impact du tiers aux différents stades d’existence du lien d’emploi nous pourrons déterminer, par synthèse, l’impact sur le lien d’emploi lui-même.
Titre I – La création du lien d’emploi et le tiers
Nous allons ici nous poser une première question : la présence d’un tiers à la relation de travail a-t-elle un impact sur la création du lien d’emploi ? Autrement dit, dans le cadre du champ d’étude précédemment délimité, l’existence d’un tiers facilite-t-elle ou rend-elle plus difficile la création du lien d’emploi ? La création du lien d’emploi étant entendue comme les différentes étapes qui existent entre le moment où le salarié est sans emploi et celui où il travaille. Avant d’accéder à un emploi le salarié devra être embauché par un employeur qui sera alors son « employeur de droit », l’employeur qui le prêtera, situation classique. Mais dans le cadre du prêt de main-d’œuvre, il existe une étape entre la phase de recrutement et celle de l’accès à l’emploi. En effet, le salarié est embauché par « l’employeur de droit » mais il travaillera, et donc accédera à un emploi, dans l’entreprise d’un autre employeur : Il existe ici deux temps lors de la création du lien d’emploi.
Le premier temps est donc le recrutement du salarié. Cette phase fait entrer en scène deux personnes, le salarié et « l’employeur de droit ». Mais il existe un particularisme que l’on connaît par avance, cette embauche aura pour finalité de recruter un salarié qui sera prêté et non un salarié qui travaillera dans l’entreprise de « l’employeur de droit ». L’emprunte du tiers à la relation de travail existe déjà. La question à laquelle il faudra répondre c’est quelle est la force de cette emprunte sur l’embauche. Cette emprunte ou ce particularisme a-t-il un impact sur l’activité de recrutement. Le tiers n’agit pas directement ici, mais il existe tout de même dans ce que l’on peut appeler l’optique du recrutement : le salarié sera embauché dans l’optique d’être prêté. Ce qu’il faut savoir, c’est si malgré son absence le tiers exerce tout de même une influence dans la phase de recrutement. Si c’est le cas, cette influence renforce-t-elle ou fragilise-t-elle la phase de recrutement, démembrement de la création du lien d’emploi (Chapitre I).
Le second temps de la création du lien d’emploi dans le cadre du prêt de main-d’œuvre se situe entre la phase de recrutement une fois terminée et le moment où le salarié travaillera effectivement, l’accès à un emploi. On sait que le salarié une fois embauché devra être prêté pour accéder à un emploi, c’est la définition du prêt de main-d’œuvre. L’impact de l’existence du tiers sur la création du lien d’emploi est ici flagrant puisqu’il existe une seconde étape à cette création. Etape que l’on ne retrouve pas lors d’une embauche « classique ». Mais l’existence d’une seconde étape ne signifie pas forcément que la création du lien d’emploi est fragilisée. Cette étape supplémentaire peut être bénéfique ou néfaste à la création du lien d’emploi, c’est ce que nous rechercherons (Chapitre II).
Chapitre I – L’activité de recrutement
Lors de cette phase, l’employeur qui utilisera la force de travail du salarié, « l’employeur de fait », n’est pas présent en principe. Dans les quatre formes de prêt de main-d’œuvre étudiées il est bien précisé que le salarié est embauché et conclu son contrat de travail avec « l’employeur de droit ». Mais il est tout de même présent dans l’optique du recrutement. La particularité de la situation tient au fait que l’employeur n’embauche pas pour faire travailler dans son entreprise : le salarié ne servira pas la productivité « directe » mais la productivité « indirecte » de l’entreprise. Cette particularité à toute son importance lors de la procédure d’embauche, procédure que suivra « l’employeur de droit » afin de recruter son salarié. En effet, embaucher un salarié qui sera prêté n’implique pas les mêmes choses que lorsque l’on embauche un salarié pour sa propre entreprise. Il faut alors rechercher et comprendre les conséquences d’une telle situation, ce qui permettra de mesurer les conséquences de la présence d’un tiers à ce stade de la création du lien d’emploi (Section I).
Au-delà de son influence dans l’optique de l’embauche, le tiers exerce son influence à un autre niveau à ce stade. Le droit du travail réglemente en effet le prêt de main-d’œuvre, cette réglementation concerne notamment les possibilités d’utilisation de cette forme de travail. Le prêt de main-d’œuvre n’est pas ouvert à tout employeur et il n’est possible que dans certaines tâches à accomplir. Un élément extérieur, la législation, entraîne lui aussi des particularités à la création du lien d’emploi. Mais c’est du fait de l’existence de trois parties à la relation de travail qu’existe ce particularisme. Le droit s’est emparé du fait de l’existence d’un tiers et réglemente différemment la relation de travail bilatérale de la relation de travail tripartite. Il faudra alors évaluer l’impact de cette législation sur la création du lien d’emploi (Section II).
Table des abréviations :
ANPE : Agence nationale pour l’emploi
Arr. : Arrêté
Art. : Article
C. civ. : Code civil
C. trav. : Code du travail
CA : Cour d’appel
Cass. : Cour de cassation
Cass. Soc : Cour de cassation, chambre sociale CDD : Contrat de travail à durée déterminée CDI : Contrat de travail à durée indéterminée Cf. : confère
CJCE : Cour de justice des Communautés Européennes
Dir. : Sous la direction
DDOS : diverses dispositions d’ordre sociales
Dr. Soc. : Droit social. Ed. : Édition
ETT : entreprise de travail temporaire
ETTP : entreprise de travail à temps partagé
JCP : Juris-classeur périodique
JCPE : Juris-classeur périodique, édition Entreprise
JO : Journal Officiel n° : numéro
OIT : Organisation internationale du travail
Ord. : Ordonnance
RDSS : Revue de droit sanitaire et social
Sem. Soc. Lamy : Semaine sociale Lamy
Introduction
Titre I – LA création du lien d’emploi et le tiers
Chapitre I – L’activité de recrutement
Section I – La particularité de l’embauche
§1 – La procédure de recrutement
§2 – La conclusion du contrat de travail
Section II – Les limites introduites par la loi
§1 – Interdiction légale de principe
§2 – Légalisation encadrée
Chapitre II – L’embauche et l’accès à l’emploi
Section I : la logique du « placement »
§1 – Les raisons de cette activité
§2 – La forme de cette activité
Section II – la concrétisation du placement
§1 – Le contrat de mission
§2 – L’échec du placement
Titre II – la vie du lien d’emploi et le tiers
Chapitre I – Rapports individuels de travail
Section I – Exécution de la prestation de travail
§1 – Le lien juridique particulier
§2 – Le principe d’égalité
Section II – Survivance du lien salarial
§1 – Obligations de l’employeur
§2 – Responsabilité de l’employeur
Chapitre II – Rapports collectifs de travail
Section I – La représentation des salariés
§1 – Les institutions représentatives du personnel
§2 – Les syndicats
Section II – La négociation collective
§1 – Travail temporaire et négociation collective
§ 2 – Groupements d’employeur et négociation collective
Sommaire :

  1. La procédure de recrutement aux critères des élections allégés
  2. Le recrutement aux critères des élections renforcés
  3. Conclusion du contrat de travail: de type particulier et Portage salarial
  4. Prohibition du prêt de main-d’œuvre à but lucratif et son impact
  5. Le prêt de main-d’œuvre à but lucratif en droit français
  6. La logique du placement, le prêt de main-d’œuvre
  7. La forme de prêt de main-d’œuvre – Embauche et Accès à l’emploi
  8. La concrétisation du placement du salarié: Contrat de mission
  9. L’échec du placement du salarié (prêt de main d’œuvre)
  10. La vie du lien d’emploi et le tiers – Salarié et employeur
  11. Survivance du lien salarial et Prêt de main d’œuvre
  12. La responsabilité de l’employeur et le prêt de main d’œuvre
  13. La représentation des salariés en France – Prêt de main-d’œuvre
  14. La négociation collective et le prêt de main-d’œuvre

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