CHAPITRE II :
CADRE THÉORIQUE
Quand j’ai entamé ce projet de recherche, je devais trancher entre deux grandes orientations : confronter la théorie à la réalité, ou faire émerger des éléments théoriques de la réalité. Sur
la base de cette décision, je pouvais soit approcher la littérature pour en extraire des concepts, soit explorer la réalité à travers des sites d’observation. Il a donc fallu que je chevauche entre l’une et l’autre des deux situations. Il me fallait tenir compte du lien entre les concepts et les données.
Je devais également considérer les méthodes et les techniques les plus appropriées à la situation.Par exemple, faudrait-il décider d’utiliser des entretiens, des enquêtes et des études de cas, ou de me concentrer sur l’analyse statistique ? Faudrait-il aussi décider de collecter les données, soit par collecte de données primaires, soit par analyse secondaire ?
Je ne devais pas non plus perdre de vue des questions éthiques liées à la collecte de données, telles que la protection des sujets humains et la confidentialité des données.
Il a fallu que je détermine comment analyser les données, quantitativement ou qualitativement et que je réfléchisse à la manière de tirer des conclusions, soit par induction, soit par déduction.
Toutes ces décisions, je les voyais essentielles à la réussite du projet de recherche, car elles détermineraient l’approche globale de cette étude.
Enfin, il a fallu également que je pense au cadre théorique soutenant le reste de la recherche et fournissant une base solide à cette étude et à la rédaction. Ceci permettra aux lecteurs de comprendre le contexte et le but de cette recherche, ainsi que de voir comment les différentes parties de ce mémoire sont liées et comment elles contribuent à atteindre l’objectif principal.
CONCEPTS FONDAMENTAUX
Traiter un phénomène de nature religieuse tel que l’église Más Vida oblige donc à clarifier l’approche de certains concepts clés pour pouvoir établir certains codes et éviter les mauvaises interprétations. Pour cette raison, je vais décrire les concepts clés de cette recherche pour la compréhension du christianisme émergent.
LE CHRISTIANISME ÉMERGENT
Les églises, les pentecôtistes et le pentecôtisme ont une longue histoire dans le christianisme latino-américain et mexicain. Le pentecôtisme est similaire au protestantisme dans son attrait pour les classes sociales inférieures et sa focalisation sur l’expérience du Saint-Esprit. Le néo- pentecôtisme est un mouvement indépendant relativement nouveau caractérisé par l’expérience individuelle, la justice sociale et la créativité. Il a adopté le multimédia, créé des initiatives de petits groupes et a joué un rôle important dans l’émergence de la méga-église.
Selon De la Torre et Gutiérrez, l’histoire du pentecôtisme au Mexique a commencé au début de la 2ème décennie du XXème siècle à l’initiative de deux femmes : Romanita Valenzuela, dans le Chihuahua, en 1912, et María Riviera, dans le Sonora, en 1926 (2007 :81).
Dans l’histoire récente du Mexique, les protestants ont joué un rôle de premier plan sur un certain nombre de questions qui vont au-delà de leur croissance au fil des ans et de l’enrôlement de catholiques fervents pour leur croyance, ils ont excellé dans l’activisme et la participation politique, ainsi que par leur présence dans les activités de justice sociale et de sécurité. Les églises historiques sont arrivées au Mexique à la fin du XIXe siècle et ont joué un rôle actif dans le mouvement constitutionnaliste mexicain. Les institutions protestantes ont aussi collaboré avec les gouvernements mexicains après la révolution mexicaine et maintiennent à ce jour une présence forte et constante dans le sud du Mexique, traduisant la Bible dans certaines langues indigènes et menant des activités «missionnaires». (De la Torre, R., & Gutierrez Zuñiga, C., 2007).
M’appuyant sur la thèse de doctorat d’Ibarra (2019) Postdenominational Christianity, Emergent Movements and Religious Deconstruction in Northern Mexico, je comprends le christianisme émergent comme un nouveau courant du christianisme dans lequel les églises cherchent à prêter attention aux caractéristiques culturelles de la génération actuelle immergée dans la culture pop mondialisée. Pour cela, ce courant cherche à trouver des moyens d’adapter le christianisme à cet environnement. Et comme le souligne à juste titre Ibarra, « le christianisme émergent unit l’infrastructure des réseaux de soutien des églises historiques à l’infrastructure de l’ère numérique et à l’univers symbolique partagé à l’époque actuelle, avec les millennials. » (Ibarra 2019)
Lorsqu’il parle de réseaux de soutien, l’auteur fait référence non seulement aux réseaux au sens de l’organisation institutionnelle, mais aussi aux questions de capital social. Les réseaux de soutien au niveau personnel, dans lesquels on peut observer comment les dirigeants de ces églises sont liés d’une manière ou d’une autre, tant sur le plan religieux que non religieux. Ce sont des liens qu’ils partagent entre eux et qui sont utilisés pour renforcer leurs églises et leurs projets.
Une chose qui caractérise le christianisme émergent est la quête de réappropriation du monde, ce qu’on appelle le profane. Ils comprennent que les chrétiens se sont détournés du monde et ont laissé la place au mal dans ces environnements (Ibarra 2019 :201-217). Cela peut également être vu dans la quête de nombreuses églises post-dénominationnelles pour mener une conquête non seulement de l’espace, mais de la culture elle-même manifestant pour ainsi dire la culture du royaume de Dieu sur terre (Aguiar 2020 :106-108).
La culture, la musique et le christianisme ont été profondément entrelacés au sein du néo- pentecôtisme et du christianisme émergent. Le néo-pentecôtisme cherche à récupérer et à conquérir le monde, et il le fait en introduisant des paroles chrétiennes dans des styles de musique populaires. Ils essaient de gagner du pouvoir dans la sphère politique des pays d’Amérique latine avec des arguments quasi théocratiques. D’autre part, le christianisme naissant ne cherche pas seulement à conquérir la culture, mais à en tirer parti d’une manière qui n’incite pas à des sentiments de culpabilité ou de péché.
La conception d’Ibarra du christianisme émergent nous permet de voir la pratique religieuse dans un contexte contemporain qui prend en compte la communication moderne, la culture pop et la technologie. Cette conception se concentre sur l’émergence d’un nouveau type de pratique religieuse qui est en phase avec la communication moderne, la culture pop et la technologie.
Les contributions d’Ibarra et le concept de christianisme émergent me permettent d’aborder la pratique religieuse dans un contexte contemporain qui tient compte des règles de la culture
pop, des réseaux sociaux et de la technologie. Il s’agit donc d’un concept clé pour mettre en relation la communication avec le protestantisme contemporain et son public de milléniaux et post-milléniaux immergés dans un monde numérique, technologique et extrêmement influencé par la communication et la culture pop.
ÉGLISES POST-CONFESSIONNELLES
Pour définir les églises post-confessionnelles, je me suis appuyé sur l’auteur Donald E. Miller qui a écrit en 1998 le texte «Postdenominational Christianity» en parlant des changements de type de culte et de structure organisationnelle qui allaient transformer, comme nous pouvons le voir maintenant, la façon dont le christianisme est vécu aujourd’hui.
Le christianisme post- dénominationnel est une forme de culte et d’organisation de plus en plus populaire qui est apparue comme une alternative aux structures confessionnelles traditionnelles. Il encourage les croyants à explorer leur foi et à se rapprocher de Dieu sans les structures confessionnelles et doctrinales traditionnelles, et il souligne l’importance de la communauté et de l’unité entre les croyants.
Cette nouvelle forme de christianisme a été adoptée par de nombreuses églises et organisations à travers le monde, permettant aux gens de créer leurs propres chemins spirituels et de développer une relation personnelle avec Dieu. Elle se caractérise par de nouveaux paradigmes, des éléments stylistiques et des formes organisationnelles plus conformes à la culture postmoderne, et elle permet aux églises d’atteindre un niveau d’efficacité que les églises traditionnelles ne peuvent atteindre.
Le christianisme post-dénominationnel est donc un nouveau type d’église pour le christianisme, qui est ouvert à toutes les croyances et encourage la croissance spirituelle personnelle et la connexion à Dieu. Il cherche également à créer un sentiment d’unité parmi les croyants, quelle que soit leur appartenance confessionnelle, et à fournir une plate-forme de discussion sur la foi et la spiritualité. C’est un mouvement qui cherche à créer une atmosphère plus inclusive, où les individus peuvent explorer leur foi sans crainte de jugement ou de critique. Le christianisme post-confessionnel cherche également à cultiver une attitude de respect mutuel entre les croyants, quelle que soit l’identité confessionnelle. Cette nouvelle forme d’église offre une occasion unique aux chrétiens de faire l’expérience de la croissance spirituelle, de la fraternité et de la communauté dans un environnement sûr et accueillant. Je parlerai plus tard de la façon dont, dans mes entretiens, j’ai entendu à plusieurs reprises des réponses liées au respect des églises autres que Más Vida et à l’inclusion.
Il est intéressant d’observer la tenue vestimentaire des chefs religieux des églises néo- pentecôtistes et de les comparer aux chefs des églises post-dénominationnelles. Alors que les premiers portent des costumes coûteux, des montres et des bagues clinquantes, les dirigeants des églises post-confessionnelles s’habillent comme des conférenciers ou des gens ordinaires, très proches du style imposé par le gourou techno-business Steve Jobs.
L’accent est mis sur les dons et la «présence» du Saint-Esprit pendant les services. Ils sont proches des églises évangéliques ou néo-pentecôtistes.
S’appropriant des formes culturelles contemporaines, les églises post-confessionnelles ont créé un nouveau genre de musique de louange, un nouveau style d’organisation du christianisme institutionnel et une démocratisation de l’accès au sacré en radicalisant le sacerdoce de tous les croyants.
Miller a observé cette tendance au sein du christianisme américain en 1998 et l’illustre dans son texte en décrivant des recherches sur trois mouvements religieux : Calvary Chapel, Vineyard Christian Fellowship et Hope Chapel, qui ont émergé à partir du milieu des années 1960 et qui, en 1998, comptaient collectivement plus de mille congrégations.
Depuis le début du christianisme jusqu’à nos jours, au sein du christianisme puis du protestantisme, certaines personnes s’opposent au statu quo doctrinal. Les personnes qui partagent cette position contre le grand courant confessionnel (avec toutes ses options et variantes) ont souvent du mal à se définir comme «chrétiens». Autant ces individus peuvent être connus comme des «loups solitaires» du protestantisme, autant cette recherche s’intéresse aux églises non-confessionnelles, des communautés qui se sont organisées pour représenter une offre différente sur le menu religieux chrétien, s’éloignant des traditionalismes confessionnels.
Selon David Fitch, de nombreux jeunes dirigeants d’églises locales sont prêts à se débarrasser de la tradition ou de la dénomination de l’église dans laquelle ils ont grandi lorsqu’ils se trouvent en désaccord avec une vieille opinion qui résiste au changement. Ils veulent commencer quelque chose de nouveau sans restriction. Gianni Vattimo a appelé ce phénomène «la tyrannie du nouveau», un phénomène que la modernité a apporté avec elle et auquel on ne peut échapper. Le maintien du dialogue au sein d’une dénomination est un exercice qui, selon M. Fitch, est très précieux pour les dirigeants d’un point de vue théologique et chrétien.
