La supply chain des drogues (produits illégaux)

L’état des connaissances sur

La logistique des drogues dans les différentes étapes de la supply chain

La seconde partie de cet état de l’art s’intéresse aux connaissances sur les différentes étapes de la supply chain des drogues.

Elle commence par une introduction aux supply chain de produits illégaux (pas uniquement sur l’objet « drogue », puis elle continue vers une spécification sur l’objet des drogues avec les étapes de la production à la consommation ainsi que les différentes évolutions, régulations et aspects sociaux en découlant.

Cette deuxième section vise à démontrer les codes principaux de la logistique de produits stupéfiants pour identifier les similarités et différences entre le monde des drogues et les logistiques de marchandises conventionnelles.

Elle va permettre de comprendre la question du dernier kilomètre dans la distribution des drogues mais également des étapes de productions, de transport « principaux » et d’apport logistique (organisation globale du trafic) lié aux drogues.

La supply chain des produits illégaux

Ce mémoire ayant pour objet d’étude les drogues, or d’autres produits illégaux suivent des techniques similaires dans les transports, la logistique et la gestion de leurs opérations.

Que ce soit pour les armes, les produits de contrebandes (alcool, médicaments…) les produits de contrefaçon ou encore les trafics d’animaux ou d’humains comme le rappelle Pierre-Arnaud Chouvy « Il apparaît ainsi qu’armes, bois et espèces animales, drogue, personnes, mais aussi contrefaçons et biens de consommation légaux peuvent transiter illégalement sur les mêmes routes que celles du commerce légal, celui-ci aidant à la dissimulation de celui-là. » (Chouvy, 2020, p. 5), ces produits suivant donc la même logique que les drogues avec de la dissimulation dans le transport.

Suivant donc les mêmes méthodes, et parfois également des itinéraires similaires, c’est le cas pour l’itinéraire du relais Maltais pour l’arrivée dans l’espace Européen, décrit comme « Une plaque tournante pour le trafic d’armes et de drogue en Méditerranée » (Bernardie-Tahir, p. 3) et un « Relais d’importance dans les circuits du commerce illicite, Malte fait aussi figure de pierre de gué pour les migrations clandestines transméditerranéennes. » (Bernardie-Tahir, p. 4).

Les produits illégaux suivent en partie des processus, itinéraires que les drogues suivent et présentent également le même flou dans leurs gestions et leurs perceptions , « contrebande et trafic sont des pratiques consubstantielles au commerce, dont elles font bien sûr partie intégrante, et qu’elles prennent de l’importance au gré du renforcement ou de la multiplication des régulations et taxes commerciales» (Chouvy, 2020, p. 5), ainsi que dans leur quantification « Il est impossible, en effet, d’estimer avec précision la valeur mondiale du trafic de drogue, d’armes, ou encore de personnes » (Naylor, 2002 ; Thoumi, 2005).

Un secteur qui partage également les mêmes évolutions et adaptations, que ce soit avec les produits illégaux ou les marchandises conventionnelles, « Au même titre que les autres activités économiques, le commerce des drogues illicites a bénéficié lui aussi de l’expansion des réseaux d’échange et des avancées technologiques en matière de communications et de transports » (Findlay, 1999), avec notamment la propagation des distributions éclatées passant par le darknet « More recently, darknet markets have emerged as a new kind of platform for trades of illicit goods and services1 » (Dittus et al., 2018, p. 278).

Un marché, évoluant avec son temps, et également au fil des évolutions réglementaires des pays ou régions, parfois passant d’un produit légal à illégal en fonction de territoires, « Nombre d’échanges commerciaux qualifiés de trafic ou de contrebande ne sont rien d’autre que des échanges commerciaux traditionnels devenus illégaux. » (Chouvy, 2020, p. 5).

1« Plus récemment, les marchés du darknet on fait émerger de nouvelles plateformes pour le commerce de produits et de services illicites »

Les zones de production de drogues

Pour la production des drogues, les matières premières nécessaires peuvent différer en fonction de la drogue sélectionnée, chaque drogue étant propre à un produit de base (agricole ou chimique) comme la plante de coca pour la cocaïne ou le pavot pour l’héroïne contre le safrole, l’isosafrole, le pipéronal et la 3,4-méthylènedioxyphényl-2-propanone (PMK) pour la production d’ecstasy (OFDT,2022), les productions présentent des zones préférables (par leur climat, leur lien aux drogues…) et donc des méthodes d’import et d’export différentes.

Pour le cannabis le principal pays producteur est le Maroc qui est « depuis des années l’un des premiers producteurs et exportateurs de haschich au monde » (Chouvy, 2018, p. 309), avec des évolutions importantes ces dernières années dans la production « the cannabis industry has changed in the past years (increased importance of high-yielding varieties/strains, development of modern production techniques)1 » (Chouvy, 2019, p.2) ou dans le marché de consommation « Over the two past decades or so, the European cannabis market has undergone major developments.
The primary change was the shift towards marihuana consumption rather than
resin consumption, which spurred an ever-increasing local cannabis production that is subject to industrialization processes2 » (Weinberger et al., 2019, p. 11) influençant le type de produit qui sera produit.

Pour l’héroïne, le principal pays producteur est l’Afghanistan, comme pays principal de production avec « les quelque 1 066 tonnes estimées produites en 1970 dans le monde (McCoy, 1991 : 495) faisant pâle figure face aux 7 790 tonnes potentiellement produites en 2018, dont 6 400 tonnes par le seul Afghanistan » (UNODC, 2019 : 44-45).

Pour la cocaïne « depuis la Seconde Guerre mondiale, la zone de production de la coca, matière première de la cocaïne, est principalement circonscrite à trois pays : la Colombie, le Pérou et la Bolivie. » (OFDT, 2019).

Pour l’ecstasy « Les drogues de synthèse (MDMA/ecstasy, amphétamines) consommée en France, la provenance est majoritairement des Pays-Bas, première zone de production en Europe occidentale. La France est également un pays de transit pour les trafiquants qui ciblent en particulier le Royaume-Uni et l’Espagne. » (EMCDDA, 2020).

1 L’industrie du cannabis a changé au cours des dernières années (importance accrue des variétés/souches à haut rendement, développement de techniques de production modernes)

2 Au cours des deux dernières décennies environ, le marché européen du cannabis a connu des développements majeurs.
Le principal changement a été le passage à la consommation de marijuana plutôt qu’à la consommation de résine, ce qui a stimulé une production locale de cannabis en constante augmentation, soumise à des processus d’industrialisation.

Les modes de transports utilisés et leurs itinéraires

Comme évoqué en introduction, le trafic de drogues (comme celui d’autres produits illégaux) suit des techniques de dissimulation, se mêlant dans les flux classiques , par exemple aux Etats-Unis avec « Un ancien administrateur adjoint de la DEA qui explique que l’immense majorité (80 %) du trafic passe par les points d’entrée officiels (moins risqués et coûteux) et non par les zones ouvertes semi-désertiques du sud des EtatsUnis (Reilly, 2019). » (Chouvy, 2020, p. 11), pour les drogues entre le Mexique et les Etats-Unis il est indiqué que « La principale méthode de trafic à travers la frontière sud-ouest consiste à acheminer des chargements de drogue dans des véhicules personnels ou dans du fret légal via les points d’entrée officiels (Drug Enforcement Administration, 2018 : 99). » (Chouvy, 2020, p. 11).

Une dissimulation du flux pour le passage de frontière et de points de rugosité routier, mais une grande majorité des flux se dissimuleraient par voie maritime , « L’immense majorité du narcotrafic se fait par voie maritime.

En effet, en 2012 par exemple, quelque 80 % du trafic de cocaïne en provenance des pays andins était estimé être réalisé par voie maritime, à destination notamment du Honduras, du Mexique et d’autres pays de transit vers les Etats-Unis. » (Chouvy, 2020, p. 11).

Pour le trafic donc à petite échelle (internationale) les modes maritime et aérien sont empruntés pour atteindre l’Europe et approvisionner certaines drogues, la cocaïne provenant d’Amérique du Sud notamment « pour approvisionner l’Europe, un trafic transatlantique est nécessaire.

Il se fait par la mer ou par avions gros porteurs vers certains pays d’Afrique centrale, puis par transport terrestre jusqu’au Maroc et ensuite par voie maritime en direction des pays d’Europe du Sud. » (Eudeline, 2015, p. 5).

Le transport maritime étant favorisé pour les trafics « Après la guerre, pendant environ vingt ans, le commerce international passe majoritairement par les routes maritimes. Les relations transatlantiques prospèrent.

En Méditerranée, Tanger, Marseille, Trieste ou Beyrouth sont des étapes offrant des conditions favorables aux trafics. » (Chassagne, 2004, p. 148). Ces exemples sont valables pour le transport de cannabis et de cocaïne en particulier.

Le mode maritime qui « semble aussi avoir séduit les trafiquants de cocaïne qui, depuis 2004 surtout, utilisent l’Afrique de l’Ouest (côte de Guinée et de Guinée-Bissau, golfe du Bénin, Mali, Sénégal) comme relais entre l’Amérique du Sud (depuis le Brésil et le Venezuela mais aussi depuis le Chili, l’Argentine, l’Uruguay…) et l’Europe (Espagne et Portugal) afin d’éviter les axes septentrionaux historiques (et étroitement surveillés pars les Etats-Unis et l’Europe) du trafic » (Chouvy, 2020, p. 11)

La présence du transport maritime se situe également dans des étapes de préacheminement aux connexions internationales, par voie maritime mais à une échelle plus réduite avec « des embarcations très rapides qui transportent la drogue à travers la mer des Caraïbes.

Ces bateaux pourvus de moteurs puissants, les go-fast, ont une signature acoustique d’autant plus reconnaissable qu’ils naviguent en général de nuit » (Eudeline, 2015, p. 4), ainsi « En 2011, 33 % de la cocaïne saisie par l’armée colombienne étaient transportés par des hors-bords et 17 % par des embarcations submersibles et semi-submersibles. » (Eudeline, 2015, p. 2).

Le trafic de drogues est également appuyé de la présence d’acteurs partenaires dans certains territoires favorisés avec « le rôle croissant joué par les départements français d’outre-mer comme la Guyane et la Martinique, à la fois comme zone-rebond et marché secondaire, » (Gandilhon, 2016, p. 33) comme « approche » au transport principal intercontinental.

Sans oublier une « nouvelle » méthode de transport international pour les drogues avec l’utilisation de plateformes dématérialisées comme le darknet ou les réseaux sociaux comme Snapchat, WhatsApp et Telegram, « la drogue (dans le cas du Darknet) est principalement livrée par courrier traditionnel, ce qui implique plusieurs risques de détection par les agences frontalières, principalement lors d’une livraison internationale » (Bergeron et al., 2021, p. 246).

Lorsque le transport international « principal » est réalisé , des opérations intermédiaires d’éclatement à l’arrivée sont accomplies, c’est le cas comme indiqué précédemment du relais Maltai s en Europe, une porte d’entrée au marché Européen de part sa situation géographique à la porte de l’Europe et les nombreux flux qui s’y croisent, « Si les formes licites du relais maltais sont bien connues, ses formes illicites le sont en revanche beaucoup moins » (Bernardie-Tahir, p. 1), qui par le biais de « l’ouverture de Malte aux nouvelles logiques du commerce international a rapidement fait de l’île un relais dans l’organisation des réseaux de drogue à destination de l’Europe du Sud. » (Bernardie-Tahir, p. 4).

Pour les connexions entre l’Afrique du Nord et l’Europe du Sud pour le cannabis produit au Maroc, la cocaïne produite en Amérique du Sud transitant par l’Afrique ou l’héroïne produite en Afghanistan qui transite également par l’Afrique, c’est encore une fois de la dissimulation et l’utilisation de la voie maritime qui est privilégiée avec « divers moyens nautiques susceptibles de passer inaperçus.

Ce sont d’abord des moyens lents, au comportement innocent, bateaux de pêche ou yachts. » (Eudeline, 2015, p. 4) ou encore avec le « Port du Havre comme porte d’entrée majeure de la cocaïne sur le marché français et européen. » (Gandilhon, 2016, p. 33) rendant « un quart de la cocaïne consommée en Europe qui transiterait ainsi par l’Afrique de l’Ouest »(Ellis, 2009 : 171).

Un mode maritime favorisé mais pas unique, « Le trafic, quant à lui, fut marqué par la diversification des routes et des méthodes d’acheminement de la cocaïne, principalement par le regain d’utilisation des axes terrestres et fluviaux aux temps de parcours plus lents, certes, mais plus discrets et mieux dissimulables.

Mais le trafic par voie aérienne a néanmoins continué, les pilotes usant notamment de nouvelles techniques (en zigzag, de nuit, dans le sillage immédiat de vols commerciaux, etc.) et de plans de vols (routes indirectes, chargements et déchargements multiples, etc.) destinés à accroître leur capacité d’évitement (WOLA, 2004 : 10). » (Chouvy, 2020, p. 9).

Cependant, le mode routier est également utilisé, avec des routes empruntées sur l’axe Europe de l’Est – Europe de l’Ouest où « Trois grandes routes se croisent à Belgrade, principal carrefour balkanique et, aujourd’hui encore, point de passage obligé pour nombre d’itinéraires transrégionaux, quels que soient les réseaux de relation et les échanges empruntant ces itinéraires. », ces routes sont propres principalement au transport d’héroïne en provenance du Moyen-Orient avec la Turquie comme porte d’entrée de l’héroïne en Europe. (Chassagne, 2004, p. 140).

Principaux flux d'héroïne dans les Balkans, Philippe Chassagne, 2003

Carte 1 : Principaux flux d’héroïne dans les Balkans, Philippe Chassagne, 2003

Ainsi, « les principaux itinéraires du trafic européen d’héroïne traversent l’espace balkanique depuis la fin des années 1970. » (Chassagne, 2004, p. 139) au départ de l’Iran, qui « constitue depuis des décennies le principal exutoire du trafic d’opiacés afghans à destination de l’Europe […] L’axe iranien reste en effet le plus direct et le plus aisé, donc le plus économique, de ceux du narcotrafic au départ de l’Afghanistan. » (Chouvy, 2020, p. 7)

Un autre axe routier emprunté est l’axe Sud-Nord entre l’Espagne et la France pour le cannabis avec « des livreurs dont certains faisaient trois rotations Fuengirola-Paris-Fuengirola en quinze jours, apportant 125 kg de cannabis pour repartir avec, » (Kokoreff, 2004, p. 17) des multiples acteurs installés sur ces axes « Du fournisseur installé sur la Costa del Sol au semi-grossiste parisien écoulant par dizaines de kilos » (Kokoreff, 2004, p. 17) pour un apport vers des points de ventes locaux par voie routière, « dans le département où nous avons travaillé, les policiers estimaient entre 500 et 800 kg les quantités de cannabis passées chaque semaine par de nombreuses voitures venant approvisionner les marchés locaux » (Kokoreff, 2004, p. 27).

Une importante diversité de modes et d’itinéraires empruntés, en fonction des drogues transportées (zones de productions différentes, entre Amérique du Sud, Asie, Afrique du Nord et Europe) et des quantités transportées (capacité d’emport dans le transport international maritime supérieur à celle d’un coffre de voiture), avec la dissimulation comme atout principal.

Toutes ces étapes visant à l’apport de produit sur un marché de distribution.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La logistique des stupéfiants : Zoom sur la distribution finale et le dernier kilomètre
Université 🏫: Sorbonne Université - Master TLTE
Auteur·trice·s 🎓:
Julien Magana

Julien Magana
Année de soutenance 📅: Travail de mémoire de Master (Transports, Logistiques, Territoires & Environnements) - Jun 2025
Student in second year of Master GAED specialized in Transport Logistics Territories and Environment . searching for an intersting PhD program that would meet my mindset and curiosity
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