La logistique des drogues : antimonde, produit mondialisé,..

Qu’est-ce que la logistique des drogues ?

Définir la logistique

Une définition théorique de la logistique serait selon LAROUSSE, un mot Grec « logistikos » relatif à l’art du raisonnement, il peut s’agir d’un adjectif « qui a trait aux méthodes et aux moyens d’organisation d’une opération, d’un processus » et d’un mot qui représente « l’ensemble des méthodes et de moyens relatifs à l’organisation d’un service, d’une entreprise etc., et comprenant les manutentions, les transports, les conditionnements et parfois les approvisionnements ».

Techniquement, la logistique est l e fait de gérer les opérations propres à un transport, gérer les méthodes qui vont faire qu’il va y avoir un mouvement physique d’un point A à un point B, la résolution des éventuels problèmes rencontrés, la gestion des besoins, des moyens, sous contrainte de coût et d’efficacité.

Par exemple : Gérer l’approvisionnement d’une citerne de carburant dans une entreprise de produits dangereux, contrôler les opérations de manutentions pour un chargement/déchargement, gérer les coûts de transports entre Paris et Marseille, optimiser les processus de conditionnement de marchandises ou encore contrôler et préparer son itinéraire lors d’un transport de cachets d’ecstasy entre Rotterdam et Lille…

La définition de la logistique passe par la notion de supply chain, qui est définie comme « the network of organizations that are involved, through upstream and downstream linkages, in the different processes and activities that produce value in the form of products and services delivered to the ultimate consumer» (Christopher 1992).

La définition de la logistique fait débat, elle peut être considérée par certains acteurs du monde du SCM1 comme la gestion uniquement des stocks, comme une logistique interne et n’incluant pas les actions de transport nationaux ou internationaux, la logistique est dans ce cas perçue de manière trop cloisonnée.

Du fait de mes expériences professionnelles, j’ai souvent été interrogé sur les différences entre le transport et la logistique.

Notamment Florian Bernard, PDG de l’entreprise Bernard Transports qui m’a indiqué que le transport était le mouvement physique et la logistique était l’optimisation de ce dernier sous diverses contraintes.

Dans le cadre de ce mémoire, la logistique sera donc définie ainsi, comme gérant tous les processus de transport physiques et les fonctions supports qui s’y ajoutent, pour livrer un produit à un consommateur final.

La logistique supervise plusieurs étapes : d’approvisionnement, de transport amont, principal, aval, de distribution et de retours, plusieurs « mouvements » physiques de marchandises ou de personnes.

Cette définition vient donc s’ajouter à l’objet de ce mémoire, les drogues, alors comment la logistique s’applique à l’objet drogues ?

1 Supply Chain Management

En quoi la logistique des drogues est particulière ?

Un objet de l’antimonde

La logistique des drogues est tout d’abord particulière du fait de la spécificité des drogues en tant que produits de ‘l’antimonde’ (Brunet, 1991), les drogues sont un produit de « l’antimonde ». Notion créée par Roger Brunet et définie selon deux caractéristiques : la « dissimulation » et la « séparation du monde », deux caractéristiques présentes dans la logistique des drogues.

Roger Brunet indique que les antimondes sont « Cette partie du Monde mal connue et qui tient à le rester, qui se présente à la fois comme le négatif du monde et comme son double indispensable » (Brunet, 1996).

Dans un premier temps employés par le biais de travaux sur le pétrole, sur la capacité de dissimulation des paysans ainsi que sur la géographie des goulags… les antimondes englobent selon Brunet les lieux secrets, lieux d’exceptions (paradis fiscaux…), lieux de la triche et de l’illégal, constructions illégales, espaces informels, lieux de parasitisme, lieux de punition et de rétention.

Les drogues sont donc un produit de l’antimonde du fait de leur caractère illégal, notion contestée dans le monde académique francophone notamment par Pierre-Arnaud Chouvy : « Ce terme fait certes figure de paradoxe pour la géographie puisque celle-ci a justement le monde et ses réalités pour objet d’étude et non son contraire supposé ou ce qui lui serait opposé » (Chouvy, 2010).

Un produit mondialisé

Selon Roger Brunet, les antimondes reposent sur l’idée de dissimulation. La logistique des drogues est en effet intimement liée à des pratiques de dissimulation car elle s’inscrit dans la mondialisation des échanges.

La dissimulation est présente à plusieurs échelles, que ce soit dans des conteneurs maritimes sur des lignes majeures ou secondaires, sur des zodiacs ou des bateaux de pêches traversant la méditerranée, dans des corps humains sur des lignes aériennes ou dans des véhicules sur des routes européennes importantes…

C’est une supply chain mondialisée, avec des acteurs de nationalité différentes, coopérants et opérant au bon déroulement des actions de la production à la consommation (EMCDDA,2020).

Cette supply chain mondialisée implique plusieurs pays comme la Colombie pour production de cocaïne, le Brésil pour transport principal jusqu’au Nigeria et pour remonter par la suite jusqu’en Espagne et prendre la route jusqu’à Paris pour être éclaté vers Rouen et vendu au détail).

Avec de nombreuses spécificités

Un produit illégal, donc une notion de trafic, de répression et de risques légaux : vente de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle, 5 ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende.

Vente, transport, détention, achat illicite de stupéfiants 10 ans d’emprisonnement, 7,5 millions d’euros d’amende… et d’autres risques légaux liés à toutes les étapes (production, vente, stockage…).

En plus de l’illégalité du produit, viennent s’ajouter des risques financiers et de responsabilité, la drogue, étant un objet à forte valeur (à la vente). Un risque lié à l’abandon, la perte ou l’arrestation donnant suite à une saisie du produit peut engendrer des conséquences sur les acteurs (dealer, transporteur, stockeur…).

En plus des risques, ce sont des réseaux et plateformes particulières qui sont employées pour les transactions, transmissions, commandes et offres de produits stupéfiants, dissimulés et indirects (pas de publicité à la vue de tous par exemple).

C’est le cas de distribution via le darknet, des réseaux sociaux comme Snapchat où peut s’accumuler une clientèle et un réseau de consommateurs, des téléphones simple « bigos » prépayés suivant le même modèle que Snapchat, de la distribution dans la rue, sur des fours (terrains de vente), à des drives (même principe qu’un fast-food), dans des festivals (codes de distributions différents, méthodes d’approvisionnement à l’intérieur du festival également différente…) ou encore dans les soirées (dealer payé pour passer la soirée avec des consommateurs pour proposer des stupéfiants sans délai de livraison).

Les spécificités du monde de drogues sont également dans les figures particulières qui influence nt certains acteurs, des dealers connus, reconnus par leurs pairs, « En l’absence de perspectives d’insertion légale, le trafic apparaît chez certains comme un viatique vers une considération par les pairs, comme l’expression d’une forme de réussite. » (Lalam, 2017, p. 3).

Avec des figures du monde des drogues reprisent dans la musique ou le cinéma : « Scarface, petit gangster issu de la rue et de l’immigration, est un héros culte de toutes les banlieues du monde et ce jusque dans les banlieues françaises. » (Coppel, 2013, p. 55).

Avec la dissimulation comme méthode de transport à plusieurs échelles : flux classique, objet, animaux, liquides, vêtements, sous-vêtements, double-fond, véhicules, aliments, humains, coffrage1.

Devoir dissimuler des flux dans un contexte de mondialisation des échanges revient à emprunter les mêmes itinéraires que les produits classiques, mais avec la spécificité de ne pas être un produit classique.

 

Qu'est-ce que la logistique des drogues ?

Concrètement, c’est de « se faire passer » pour un chargement classique, un voyageur classique, avec une dissimulation de produit stupéfiants.

Relevant donc de plusieurs techniques et méthodes de dissimulation, dans des unités de transport indivisible (conteneur, palette…) il est donc question de dissimulation dans l’unité de transport, non pas dans le chargement (dans les parois des conteneurs par exemple, dans les pieds de palettes…).

Également dans des chargements, en espérant donc que le chargement passera sans contrôle sur la nature du produit, parfois des chargements complets et parfois partiels (dissimulation dans des fruits par exemple avec des balles de stupéfiants en forme de fruit).

Cela implique donc pour le chercheur qui veut mettre à jour les logiques de la logistique des drogues à réaliser un travail de terrain important et à rencontrer des acteurs pour comprendre comment les produits sont dissimulés, quelles méthodes fonctionnent le mieux et comment les risques sont minimisés.

Une problématique de la logistique des stupéfiants vient par le biais du transport et le passage de portes, « Antoine Frémont, dans le chapitre 2, donne le nom de « portes ». Cette dénomination provient de ce que ces points donnent accès à de vastes territoires » (Saint-Julien, 2016, p. 107).

Une porte étant donc un point d’accès à un territoire, mais, présente une zone de fort contrôle et donc de fort risque pour le trafic de stupéfiants (une porte peut être une entrée d’agglomération, de centre-ville, une frontière, un péage, un point de rugosité2 qui donne accès à un territoire).

Un passage de « porte » est problématique car il vient ajouter des risques de contrôle et donc de perte de la marchandise ou de risques légaux et financier pour l’acteur réalisant le transport.

Pour réduire ces risques et faciliter les opérations, plusieurs fonctions supports au trafic de drogues sont présentes, elles sont décrites comme fonction support car elle aide au bon déroulement des opérations sans nécessairement être en lien direct avec les stupéfiants (sans les manipuler).

C’est le cas des positions de racoleurs3 , de choufs4 (guetteurs) ou encore de la sécurité des terrains.

La logistique des drogues présente également plusieurs méthodes de vente différentes, l’achat au détail, en semi-gros, gros, chrome5 , content, ou la prestation en soirée, livraison à domicile…).

Toutes ces informations permettent donc de comprendre la spécificité de la logistique particulièrement du fait de l’objet qui est illégal et de sa position par le biais de figures particulières qui influence certains acteurs.

Il est donc important de retenir que contrairement à des produits classiques, les trafiquants de drogues vont faire preuve d’adaptations face aux méthodes restrictives et vont trouver des solutions pour le passage de portes. Ces solutions visent à limiter les risques qui peuvent être rencontrés.

Les méthodes étant principalement liées à de la dissimulation à plusieurs échelles et au recours à des fonctions supports au trafic de drogues.

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2 Etat rugueux d’une surface, caractérisant l’effet ralentissant et contraignant d’un point

Méthodologie du mémoire

Pour la réalisation de ce mémoire l’analyse de la logistique du dernier kilomètre de la distribution des drogues a été réalisée sur 7 mois, principalement avec comme terrain la ville de Rouen et ses alentours, d’octobre 2021 à avril 2022, que ce soit la recherche dans la littérature ou encore les retours de terrain avec les entretiens et groupes de parole .

Ce mémoire est orienté étude de terrain, l’aspect pratique du trafic de stupéfiants, expliqué par des acteurs de ce monde et ensuite analyser et retranscrit et modélisé.

L’étude est donc majoritairement qualitative, le sujet présentant une particularité importante limitant la recherche quantitative en dehors des données consommateurs ou de données assez globales sur le trafic.

Plusieurs méthodes de recherche qualitatives ont donc été employées pour cette recherche, l’analyse de littérature scientifique et de littérature grise, la rencontre d’acteurs et leur entretiens, des discussions avec des acteurs de la recherche sur ces domaines, l’étude de films et de musiques ainsi qu’un retour d’observation participante sur plusieurs périodes et plusieurs villes.

Les productions de ce mémoire sont des retours d’entretiens, des modélisations et cartographies de flux, des descriptions de méthodes et techniques, des cartes de chaleur ainsi que des graphes avec des coefficients de risque à la distribution.

Une partie de ce mémoire intègre toute l’explication et la justification de la méthodologie suivie pour la recherche dans le cadre de ce travail de mémoire.

Les résultats escomptés du mémoire

Les résultats escomptés à la suite de ce travail sont donc l’amélioration des connaissances sur le trafic de stupéfiants, notamment sur l’étape de la distribution et du dernier kilomètre en France.

Mais également l’obtention d’informations clés sur les méthodes de distribution à une échelle plus réduite (localement à l’échelle de Rouen qui présente des méthodes propres à plusieurs villes de taille similaire).

Ce qui a été un réel objectif pour ce mémoire est le croisement différentes sources d’informations pour mélanger et opposer du théorique et du pratique et en tirer le meilleur résultat possible se rapprochant le plus de la réalité du terrain en suivant une méthodologie scientifique.

J’ai donc également réalisé des cartes de chaleurs présentant des corrélations éventuelles entre zones de distribution et risques, enfin, je présenterai le spectre des solutions alternatives et des développements aujourd’hui proposés.

Je présenterai également mon avis personnel sur la problématique ainsi que sur le travail qui a été mené, mon intérêt à la problématique, ce que ce travail m’a apporté et la suite que je souhaiterais y donner.

Un intérêt personnel pour le monde des drogues et le terrain étudié

Ce choix est lié à un intérêt pour ma ville : Rouen , ainsi qu’à mon éducation, ma vie d’adolescent, qui a toujours vu et entendu, parfois même été acteur du monde du trafic des stupéfiants.

Il est lié aux zones dans lesquelles j’ai grandi, les quartiers de la « Zone Verte », du « Château-Blanc », de la « Sablière » et du « Toit-familial », où j’ai vu des personnes « tomber1 » à cause des drogues, allant même jusqu’à des membres de ma famille condamné pour des affaires de trafic de stupéfiants.

1 Se faire condamner

Mais également là où j’ai vu des tables se remplir, des vêtements achetés, des voyages réalisés grâce aux drogues et à leur commerce. Tous ces éléments viennent donc attiser ma curiosité, justifier mon intérêt ainsi que mon positionnement pour ce sujet précisément avec l’axe de recherche suivi.

Les drogues sont selon moi une partie intégrante du monde d’aujourd’hui, il est difficilement possible d’être complètement déconnecté de ce monde, « on connaît tous quelqu’un qui ». Une expression qui résume donc bien l’intérêt de cette recherche.

Alors si l’on connaît tous quelqu’un qui et que ce monde apporte de nombreux points négatifs, de dangerosité, dans la consommation ou le trafic, alors pourquoi est-il si méconnu ?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La logistique des stupéfiants : Zoom sur la distribution finale et le dernier kilomètre
Université 🏫: Sorbonne Université - Master TLTE
Auteur·trice·s 🎓:
Julien Magana

Julien Magana
Année de soutenance 📅: Travail de mémoire de Master (Transports, Logistiques, Territoires & Environnements) - Jun 2023
Student in second year of Master GAED specialized in Transport Logistics Territories and Environment . searching for an intersting PhD program that would meet my mindset and curiosity
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