La focalisation du sujet et l’éclatement de SC en Shupamem

La focalisation du sujet et l’éclatement de SC en Shupamem

Chapitre V : La périphérie gauche en Shupamem

Introduction

Dans le chapitre IV nous avons identifié les types d’interrogations en Shupamem, les constituants de la phrase interrogative, la distribution de ces derniers, en fin, nous avons expliqué les différents mouvements que subissent les constituants des phrases interrogatives dans cette langue.

Dans ce chapitre, il sera question pour nous de parler de la périphérie gauche en Shupamem. Pour cela, nous allons tout d’abord identifier les constituants qui se trouvent dans la périphérie gauche et par la suite, nous allons parler des phénomènes qui sont à l’origine du déplacement de ces constituants pour la périphérie gauche.

Ceci nous amènera à parler tour à tour de la focalisation, de la topicalisation et de la relativation. Pour finir, nous allons donner la cartographie de la périphérie gauche. Nous ne saurions commencer ce chapitre sans parler de l’éclatement de la catégorie SC (syntagme du complémenteur) .

5.1 L’éclatement de SC

Suite aux travaux de Kayne (1984) et de Pollock (1989) entre autres, plusieurs auteurs tels que Rizzi (1997, 2001b, 2004a) et Belletti (2009) estiment que la périphérie gauche doit contenir plusieurs catégories. C’est à ce moment précis qu’est née l’idée de l’éclatement de SC en plusieurs projections.

En fait, la périphérie gauche peut héberger un ensemble hétérogène de syntagmes comme les pronoms interrogatifs, les complémenteurs et les verbes fléchis, mais aussi les pronoms relatifs, les éléments topiques et les éléments foci. C’est ainsi que Rizzi (1997) propose que SC se compose de plusieurs projections.

Notons que la structure que Rizzi propose est essentiellement basée sur des données italiennes. D’après Rizzi, la projection SC est constituée des projections SForce, SFoc, SFin et de deux projections STop, dans l’ordre suivant :

(1) SForce (STop1) SFoc (STop2) SFin SI

La périphérie gauche est dominée par une catégorie SForce, où est exprimée la force illocutoire de la phrase. Ensuite, elle possède deux projections de topique. En italien (et dans d’autres langues) une même phrase peut contenir deux, voire plusieurs syntagmes topiques. En revanche, une phrase ne peut par hypothèse contenir qu’un seul syntagme focus. Observons les phrases suivantes :

(2) Il libro, a Gianni, domani, pro glielo darò s enz’altro.32
“The book, to John, tomorrow, I’llgive it to him for sure”
(Rizzi 1997: 290, ex. 21)
(3) A GIANNI IL LIBRO pro darò (non a piero, l’articulo) .33
“To John the book tomorrow I’ll give, not to Piero, the article”
Rizzi (1997 : 290, ex. 22)

Si un syntagme focus est combiné avec deux syntagmes topiques, un de ces syntagmes topiques doit précéder le syntagme focus comme l’indique l’exemple suivant :

(4) A Gianni, QUESTO, domani, pro gli dovrete dire.34 “
To Gianni, THIS, tomorrow, you should tell him”
Rizzi (1997 : 291, ex. 23)

5.2 La focalisation

La focalisation consiste à mettre en exergue ou en emphase un constituant parmi tant d’autres. Selon Strik (2008 :82) , il est commun dans la littérature de distinguer deux types de focus35 : le focus contrastif ou focus étroit36 et le focus non-contrastif ou focus large37.

La technique la plus utilisée dans la focalisation est le clivage. De manière générale, et ceci en français, on distingue quatre parties dans une phrase clivée : un pronom, une copule, un syntagme clivé ou focalisé, parfois appelé ‘pivot’ et une proposition clivée ou coda.

(5) C’ est la voiture que Pierre a acheté.
pronom copule syntagme clivé coda

32lérwà, né ʒan, fɯ́mʒʉ̀, má twó -fá nì mə̀ gábèkèt. livre, à Jean, demain, 1sg F1 donner à sûrement
« Le livre, à Jean, demain, je le lui donnerai sûrement. »
Nous avons traduit ici la phrase (2) , et comme nous pouvons le constater, cette phrase à une traduction en Shupamem. Toute chose qui nous permet de conclure que la structure proposée par Rizzi existe en Shupamem.
33 *né ʒan, lérwà, mə nà táp twó faà né Petro, jírə jùm. à Jean livre, 1sg Accs Nég F1 donner à Pierre article
« A JEAN LE LIVRE je donnerai, pas A PIERRE, L’ARTICLE. »
Cette phrase est agrammaticale en Shupamem.
34 né ʒan, jí, fɯ́mʒʉ̀, ú pé-lò riéʔ à Jean ça demain 2sg Cond dire
« A Jean, ÇA, demain, tu devrais lui dire. » Cette phrase est la traduction de la phrase (4) .
35 Selon Creissels (2004 :2) , un élément de la phrase est mis en focus s’il apparaît particulièrement chargé d’une valeur informative
36 D’un point de vue sémantique, le focus contrastif représente la valeur de la variable liée par un opérateur abstrait qui exprime une identification exhaustive. D’un point de vue syntaxique, le focus contrastif est lui même par hypothèse un opérateur qui se déplace vers une position de portée dans le spécifieur d’une projection fonctionnelle et qui lie une variable.
37 Le focus non-contrastif correspond à l’information nouvelle de la phrase. Chaque phrase contient un focus non-contrastif. En revanche, chaque phrase ne contient pas un focus contrastif.

Nchare (2012) identifie deux stratégies de focalisation en Shupamem. Selon lui un constituant peut être focalisé par clivage c’est-à-dire, qu’on recourt à la clivé á (c’est) . Par ailleurs, un constituant peut aussi être focalisé par duplication verbale. Comme le montre l’exemple suivant.

(6) a. mɔ̀n swò pájù tə̀ pàm.
enfant mettre nourriture dans sac
« l’enfant a mis la nourriture dans la sac. »
b. mɔ̀n swò pájù swò tə̀ pàm.
enfant mettre nourriture mettre dans sac
« L’enfant A MIS la nourriture dans le sac. »

Comme nous pouvons observer, en (6a) , nous avons à faire à une phrase déclarative. En (6b) , c’est le verbe swò (mettre) qui est focalisé. Nous allons revenir de long en large sur la focalisation par duplication verbale dans la suite de notre travail.

Comme nous l’avons dit plus haut, dans une phrase, nous ne pouvons pas focaliser plus d’un constituant. En Shupamem, nous utilisons le clivage pour exprimer la focalisation. Par ailleurs, dans cette langue, il est possible de focaliser le sujet, le complément d’objet direct, le complément d’objet indirect et le complément circonstanciel.

5.2.1 Focalisation du sujet

Considérons la phrase suivante et ses dérivations : (7) a. Ali pí-jùn ŋgbǒm né mà mà jaúndè.

(7) a.Ali P2-acheter maïs à moi à Yaoundé
« Ali m’avait acheté le maïs à Yaoundé.
b. á Ali pí-jùn ŋgbǒm né mà mà jaúndè. c’est Ali P2-acheter maïs à moi à Yaoundé
« C’est Ali qui m’avait acheté le maïs à Yaoundé. »
c.á Ali juó í pì-jùn ŋgbǒm nè mà mà jaúndè nə́. c’est Ali qui 3sg P2-acheter maïs à moi à Yaoundé Comp
« C’est Ali qui m’avait acheté le maïs à Yaoundé. »
(8) a. Petro ø –ŋgwón mà jaùndè.
Pierre PRS- aller à Yaoundé
« Pierre part à Yaoundé. »
b. á Petro juó í ø –ŋgwòn mà jaùndè nə́.
C’est Pierre qui 3sg PRS-aller à Yaoundé Comp
« C’est Pierre qui va à Yaoundé. »
* c. á Petro ø –ŋgwón mà jaùndè nə́.
C’est Pierre PRS-aller à Yaoundé Comp
« C’est Pierre va à Yaoundé. »

Dans (7b) , nous avons focalisé le sujet « Ali ». Cette focalisation s’est faite par clivage. C’est pour cette raison que « Ali » se trouve en initial de phrase.

En (8b) , Petro (Pierre) a été focalisé en se déplaçant, sa trace est remplacée par le pronom résomptif í (il) qui est le sujet de ø –ŋgwòn (aller) ; en fait, le Shupamem ne permet pas que la position sujet soit vide Nchare (2012 :505) . Par ailleurs, nous constatons que c’est á (c’est) en début de phrase qui permet de focaliser.

(8c) est agrammatical parce qu’il ne contient pas juó (qui) . La structure de (7c) est identique à (8c) qui est agrammatical, qu’est-ce qui peut bien expliquer le fait que (7c) bien qu’ayant une même structure que (8c) soit grammatical ? En Shupamem et au temps passé, il est possible de focaliser un constituant en position sujet sans recourir à juó ….. nə́ et avoir une phrase correcte mais quand nous avons à faire au présent nous utilisons obligatoirement juó.

L’agrammaticalité de (8c) est dû à l’absence de juó. En conclusion, nous pouvons dire que la focalisation du sujet se fait en Shupamem de deux façons :

  1. á (c’est) en début de phrase suivi du constituant focalisé.
  2. á (c’est) en début de phrase suivi du constituant focalisé plus juó (qui) et nə́ en fin de phrase;

L’arbre suivant représente la phrase (7b).

L’arbre suivant représente la phrase (7b).

L’arbre (9) représente la phrase (7b) . Cet arbre nous permet de voir comment le sujet de la phrase « Ali » se déplace de [Spéc, ST] à [Spéc, SFoc]. Et ceci nous permet d’affirmer que le sujet peut être focalisé en Shupamem. Par ailleurs, nous pouvons dire avec Rizzi (1997) que l’élément focalisé occupe [Spéc, SFoc].

Nous allons représenter sur l’arbre suivant la phrase (8b) question pour nous d’avoir l’autre structure possible de la focalisation en Shupamem.

0.la structure de la phrase interrogative en shupamem208526
En (10) , nous avons la deuxième structure de la focalisation en Shupamem. En fait ici, juó (qui) et nə́ ont été ajouté à la phrase. En outre, à partir de l’arbre (10) ci-dessus, il ressort que juó (qui/que) et nə́ occupent la tête du syntagme de la Force (Force°) .

Ce qui nous permet de constater qu’en Shupamem, la tête du syntagme de la Force peut héberger plusieurs constituants.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La structure de la phrase interrogative en Shupamem
Université 🏫: Université de Yaoundé I - Faculté des arts, lettres et sciences humaines
Auteur·trice·s 🎓:
Ernest NJIFON NGOUPAYOU

Ernest NJIFON NGOUPAYOU
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de Master en Linguistique Générale - Juillet 2017
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top