L’infirmier libéral et la présence après le décès
Méthodologie de l’enquête exploratoire
Apres avoir exploré différents concepts, et mis en lumière les connaissances nécessaires à une approche la plus adaptée possible, il semble intéressant de se tourner vers les professionnels infirmiers.
Les objectifs de l’enquête:
Evaluer la place faite à cet instant dans la pratique infirmière : fréquence, disponibilité, participation.
Découvrir quel regard portent les infirmiers sur cet instant particulier: impact, conséquences, valeur.
Recueillir des informations concernant leurs pratiques, leurs actions, leurs habitudes.
Le choix de l’outil :
Pour approcher les infirmiers libéraux, le questionnaire m’a semblé être un bon outil, adapté à la charge de travail qui est la leur, à leur disponibilité.
J’ai donc établi une succession de questions afin de connaître leur approche de cet instant, leurs pratiques, leurs habitudes.
Population cible, et méthode d’échantillonnage
L’échantillon était constitué d’infirmiers libéraux du département de l’Isère, choisis de façon aléatoire, par tirage au sort des localités, puis deux infirmiers par localité.
Le nombre d’individu fût limité à 110, en raison du budget restreint alloué à mon travail: papier, impression, affranchissement.
Elaboration du questionnaire :
La pré-enquête a consisté d’une part, en une importante recherche bibliographique.
Celle ci m’a permis de m’imprégner pleinement du sujet, de le percevoir sous de multiples aspects.
D’autre part, les échanges informels au sujet de mon travail, avec plusieurs collègues infirmiers, ont fait émerger certains aspects pratiques non négligeables.
J’ai fait le choix de mêler questions fermées à choix multiple, et questions ouvertes, à réponse textuelle.
Laisser une large part aux commentaires libres était essentiel à mes yeux dans un domaine aussi complexe que la fin de vie à domicile.
En effet, envisager cet instant, au fil de mon travail, n’écarte pas la possibilité de tenir certains aspects non moins intéressants à distance, et ce par oubli, ou négligence.
Le fait que les infirmiers puissent exprimer ce qui leur semblait être important sans être entièrement cadrés par le fil rigoureux des questions fermées me paraissait impératif.
Test du questionnaire :
Un premier fût établi, et testé auprès de plusieurs collègues.
Certaines questions furent remaniées au détour de cet essai. En effet, certaines se sont avérées peu explicites, ou devant faire preuve de clarification.
Certaines questions furent supprimées afin de raccourcir le temps de réponse .Rajout de quelques aspects non envisagés.
La durée de remplissage estimée à environ 10 minutes me semblait un temps imparti raisonnable.
La distribution du questionnaire :
Celui ci fût envoyé en septembre 2012, par voie postale, accompagné d’un courrier expliquant l’objet de mon travail, et d’une enveloppe timbrée permettant de me l’adresser par retour.
Il fût spécifié sur le courrier le caractère anonyme de l’enquête.
Le délai octroyé pour la réponse fût d’un mois et demi, cela donnant le temps à chacun d’y répondre au moment le plus opportun.
Taux de retour :
56% des infirmiers questionnés ont répondu à l’enquête, soit 62 individus.
Ce taux ne veut et ne peut être statistiquement représentatif, mais permet une première approche, si modeste soit elle.
En effet, la population des infirmiers libéraux en Isère est de 1516 individus
Le panel de réponse ne correspond qu’à 4% de la population mère considérée.
Saisie des données :
Les réponses aux questions fermées à choix multiples seront exprimées par représentations graphiques, afin de visualiser plus clairement leur répartition.
Les commentaires libres seront synthétisés, restant en lien avec chaque question dont ils découlent.
Les réponses écrites ayant été parfois longues, je propose d’en extraire les mots clés récurrents, et de chiffrer leur apparition en nombre de récurrences.
Interprétation :
Les réponses seront mises en lien avec le cadre conceptuel, afin de permettre une discussion constructive et critique.
110 Au 31 mai 2013 données cpam Isère
Présentation des résultats
Infirmiers interrogés :
Les infirmiers ont pour 78% entre 30 et 49 ans. 6% ont moins de 30 ans, et 16% plus de 50 ans.
L’ancienneté de l’exercice en secteur libéral est très variée, allant de 4 à 34 ans.
Infirmiers et soins palliatifs :
La place des soins palliatifs dans la pratique des infirmiers libéraux :
64 % des infirmiers admettent suivre parfois des patients dans le cadre de soins palliatifs. Souvent et très souvent : total de 36% .Aucun d’entre eux n’est jamais amené à effectuer des soins dits palliatifs.
Il semble donc que les soins palliatifs soient intégrés pleinement à la pratique des infirmiers libéraux. Cette catégorie de prise en charge se révèle être périodique et récurrente.
La fréquence des décès survenus à domicile, par année :
Les décès surviennent rarement au domicile du patient.
Aucun décès : 9
Un décès par an: 28
Deux décès par an: 24
Trois décès par an: 1
Les infirmiers relatent pour la plupart entre 1 et 2 décès par an à domicile.
Infirmiers et présence après le décès:
La disponibilité des infirmiers vis à vis de cet instant:
La majorité des infirmiers interrogés (61%) affirme proposer spontanément aux proches de les appeler lorsque surviendra le décès.
Il y a donc une proposition faite aux familles, l’infirmier évoquant la possibilité d’être appelé lors de cet instant.
Certains prennent l’initiative de donner leurs coordonnées téléphoniques personnelles afin d’être joignables plus facilement :
Si le décès survient la nuit, la majorité accepte de se déplacer au domicile (88%) :
Nous pouvons souligner l’acceptation des infirmiers à être sollicités sur un temps consacré à la vie personnelle, à savoir la nuit.
Le recours à l’infirmier lors du décès :
La famille a donc fréquemment recours à l’infirmier lorsque le décès survient.
Le temps consacré à cet instant :
Les infirmiers estiment rester au domicile pour la majorité entre 1H et 2H.
35% d’entre eux évaluent leur présence entre 30min et 1h.
Infirmiers et soins au défunt :
La réalisation de la toilette par l’infirmier :
Les infirmiers sont partagés concernant le fait d’effectuer une dernière toilette.
Les commentaires leur ont permis d’expliciter leurs divergences à ce sujet.
Commentaires libres :
Sachant que ce soin est effectué par les entreprises funéraires dès la prise en charge du corps, certains estiment qu’il n’est plus nécessaire de le réaliser : 12 récurrences.
Beaucoup expliquent avoir fait évoluer leurs pratiques ces dernières années, affirmant effectuer ce soin bien plus souvent par le passé : 16 récurrences.
A l’inverse, ceux qui continuent à la réaliser expliquent y voir une dernière marque de respect, un dernier hommage : 16 récurrences
La réalisation de la toilette du défunt est donc peu uniforme, selon le profil de chaque soignant.
Par contre, la présentation du défunt a une importance certaine à leurs yeux :
Importance de la présentation du corps du défunt :
Les soignants sont donc presque unanimes, approuvant l’impact que peut avoir l’image du corps sur l’entourage et la famille.
Commentaires libres :
Visage apaisé : 23 récurrences.
Visage serein : 8 récurrences.
Un beau visage : 5 récurrences.
Faire disparaître l’équipement médical du corps : 16 récurrences.
Le positionnement du corps, et des mains : 6 récurrences.
Influence des croyances sur les soins pratiqués :
81% des soignants prennent en compte les croyances lors des soins au défunt
Seul 19% affirment ne pas en tenir compte.
La majorité des infirmiers admet donc que les croyances ont un impact sur la réalisation des soins au corps.
Commentaires libres :
Ils évoquent la toilette (7), l’habillage du défunt(4), la position de ses mains(5), la présence d’objets symboliques(7) et de bijoux. La notion de religion(19) est évoquée.
Infirmiers et accompagnement des proches
Ancienneté de la relation :
97% des infirmiers ont suivi les patients dans le cadre de soins, avant la phase dite palliative.
Pour la plupart, la durée du suivi peut être estimée à plus de deux ans.
Les prises en charge tardives semblent plus rares.
Il apparaît que les infirmiers libéraux aient donc une relation ancienne avec les patients suivis en soins palliatifs, les ayant bien souvent accompagnés en amont lors de la phase dite curative.
Leur connaissance du patient se comptant parfois en années.
Ils ont donc un lien ancien avec la famille proche, présente au domicile.
Isolement des proches :
52% des infirmiers admettent se retrouver parfois avec un proche isolé, seul auprès du défunt.
29% admettent que cette situation se présente souvent.
Il n’est donc pas rare qu’un proche soit seul après le décès, sans avoir de famille venant l’accompagner dans cette étape.
Une aide pour les formalités administratives
La majorité des infirmiers interrogés est amenée à expliquer les formalités administratives aux proches.
D’après les infirmiers, la constatation du décès par le médecin est une procédure bien connue des familles (71%).
En revanche, les conditions de transport du corps par les entreprises de pompes funèbres le sont beaucoup moins. 90 % des infirmiers affirment que celles si sont mal connues des proches.
Commentaires libres
Sont mal connus : le délai de conservation du corps à domicile (12), le choix libre d’une entreprise de pompes funèbres (10), le lieu ou sera déposé le corps en attente de l’inhumation, ou la crémation (6).
Certains infirmiers relatent effectuer les démarches à la place de la famille : 23 récurrences
Ils en donnent plusieurs raisons :
Les familles sont perdues, incapables d’agir, paralysés, perturbés, en plein désarroi.
Le grand âge du conjoint survivant intervient.
Certains pensent important de décharger la famille, d’autres soulignent au contraire qu’il faut leur laisser effectuer ces démarches. Dans ce cas, les infirmiers affirment conseiller, orienter, être un appui, un soutien.
La mise en place d’un dialogue infirmier/ famille
42% des infirmiers ont sont souvent l’occasion d’établir une discussion approfondie avec les proches, après le décès.
Commentaires libres :
Ils évoquent des thèmes divers abordés lors de cet échange :
Le défunt : sa vie, son parcours, sa personnalité, les regrets concernant bons moments partagés, mais aussi les remords inhérents aux différents conflits familiaux
Le vécu de la maladie : le soulagement de la douleur, la souffrance morale, le délai écoulé avant le décès.
Les circonstances du décès : Durée de l’agonie, souffrance, « pensez vous qu’il se soit senti partir ? »
Le proche : Sa façon d’envisager l’avenir, la tristesse, le soulagement de voir se terminer une situation insupportable.
Les croyances : l’au delà, la vie après la mort, ou au contraire, la remise en cause de ces croyances.
Le sens : « pourquoi lui », « il n’a jamais fait de mal à personne », « pourquoi autant de souffrance. ». Recherche dans la vie menée d’une raison expliquant la souffrance subie.
L’importance des mots :
Presque la totalité des infirmiers (97%), estiment que les mots ont une portée, au delà de l’échange qu’ils ont eu avec la famille.
Mots difficiles à choisir pour 61% d’entre eux :
Commentaires libres :
Plus que les mots, le contenu du discours semble poser problème aux infirmiers : Certains ont peur de choquer (5 récurrences), d’avoir des propos maladroits (9 récurrences ).
D’autres ne savent pas quoi dire face à la souffrance (15 récurrences ), ne trouvent pas les mots(3 récurrences ). Certains expliquent écouter le proche avant de parler à leur tour (22 récurrences), ne pas briser le silence (14 récurrences).
Suivi après le décès :
La majorité des infirmiers affirme revoir les proches à distance du décès.
Commentaires libres :
Cela survient de façon fortuite (dans la rue, les commerces), 34 récurrences.
De nombreux infirmiers précisent planifier une visite auprès du proche à distance du décès : 19 récurrences. L’objectif étant de dépister la détresse, l’isolement. De boucler, finaliser la prise en charge. Les proches ayant besoin d’évoquer la période palliative, le soulagement de la douleur.
Parfois, la famille convie l’équipe infirmière autour d’un repas ou d’un café pour remercier : 5 récurrences.
De nombreux infirmiers évoquent l’absence de suivi des proches après le décès du patient, et ressentent le devoir de visiter le proche à posteriori.
Plusieurs évoquent une faille au sein de la société dans ce domaine, voyant des proches livrés à eux mêmes, ne sachant vers qui se tourner pour obtenir de l’aide : 6 récurrences.