L’élaboration et la construction d’un fonds d’impact
Université de Bretagne Occidentale
Laboratoire d’économie et de gestion de l’ouest
Mémoire de Recherche
En vue de l’obtention du diplôme de Master 2 MAE Recherche en Sciences de Gestion
Titre :
L’élaboration d’un fonds d’impact : une constitution de compétences stratégiques pour le gérant de portefeuille
Présenté par
TCHAKPAME Damigou
Sous la direction du
Professeur Christian CADIOU
Année universitaire
2019 – 2020
Remerciements
Je tiens à remercier ici tous ceux qui m’ont aidé et soutenu durant la préparation de ce mémoire.
Mes remerciements vont particulièrement à mon Directeur de mémoire le Professeur Christian CADIOU pour ses précieux conseils et orientations.
J’adresse également des remerciements sincères à toute ma famille qui m’a soutenu et encouragé pendant la réalisation de ce mémoire.
Résumé
Si l’investissement d’impact a été d’abord réservé aux fondations et organisations à visée humanitaire, il a aujourd’hui conquis l’univers de la gestion d’actifs soucieux de s’inscrire dans une finance utile.
Cette expansion s’explique par la volonté croissante des investisseurs de donner du sens à leurs capitaux en vue de participer au développement durable.
La construction d’un fonds d’impact donne lieu à la mise en place d’une démarche particulière d’évaluation de l’impact social et/ ou environnemental des projets et à la constitution de relations partenariales nouvelles.
Notre travail de recherche a consisté à comprendre la façon dont le gérant de portefeuille élabore un fonds susceptible d’être reconnu comme un véritable fonds d’impact par des investisseurs et identifier toutes les compétences qu’il crée.
Même s’il n’existe pas à ce jour des outils standards de mesure de l’impact social ou environnemental, la construction d’un fonds d’impact permet au gérant d’acquérir des savoirs et savoir-faire spécifiques qui confortent ses compétences distinctives sources d’avantages concurrentiels. Enfin il apparait à travers notre recherche qu’en construisant un fonds d’impact, la société de gestion créée de la valeur durable pour elle-même et pour toutes les parties prenantes.
Sommaire
Introduction générale 6
Première partie : la construction d’un portefeuille d’investissement d’impact : le cadre conceptuel
Chapitre 1 : l’investissement d’impact 12
Section 1 : Les fondements de l’investissement d’impact 12
Section 2 : Le paysage français et mondial de l’investissement d’impact 16
Chapitre 2 : La construction d’un portefeuille d’investissement d’impact 18
Section 1 : La mise en perspective théorique 18
Section 2 : Etude de cas : Processus de construction d’un fonds d’impact 40
Deuxième partie : la construction d’un portefeuille d’investissement d’impact : l’analyse empirique
Chapitre 1 : la méthodologie de l’étude empirique 48
Section 1 : Objectif de l’étude empirique et choix de la démarche qualitative 48
Section 2 : La méthode de collecte et de traitement des données 50
Chapitre 2 : Interprétation des résultats et discussions 54
Section 1 : L’interprétation des résultats 54
Section 2 : Les enseignements des entretiens 75
Conclusion générale 81
Liste des tableaux
Tableau 1 : Différences entre l’investissement traditionnel, l’investissement socialement responsable et l’investissement d’impact p14
Tableau 2 : Gestion déléguée ou services et produits proposés aux clients individuels et institutionnels p19
Tableau 3 : Panorama des principales techniques de collecte de données qualitatives p49
Tableau 4 : Les caractéristiques des classes p56
Tableau 5 : Le vocabulaire significatif par classe selon l’AFC p59
Liste des figures
Figure 1 : Les dimensions de l’impact social p15
Figure 2 : La chaine de résultats : la GAR p24
Figure 3 : Illustration de la compétence distinctive ou fondamentale p32
Figure 4 : Les compétences racines de la compétitivité p33
Figure 5 : Illustration de la relation entre la création d’un fonds d’impact et la performance à travers la théorie des compétences distinctives p34
Figure 6 : Interprétation de la relation entre l’émission de titres d’impact et la performance à travers le concept de réputation p36
Figure 7 : Interprétation de l’appétence des investisseurs d’impact à travers la théorie de l’utilité espérée p38
Figure 8 : Les relations partenariales dans le cadre de la construction d’un fonds d’impact p39
Figure 9 : Approche qualitative de la mesure de l’impact p42
Figure 10 : Business plan Impact p44
Figure 11 : Les classes de l’analyse lexicale p55
Figure 12 : L’analyse factorielle de correspondance en coordonnées p58
Figure 13 : Nuage de formes du corpus p59
Figure 14 : Le réseau de formes du mot valeur de la classe 1 p60
Figure 15 : Le réseau de formes du mot performant de la classe 2 p61
Figure 16 : Le réseau de formes du mot reporting de la classe 3 p62
Figure 17 : Le réseau de forme du mot impact du corpus p63
Figure 18 : La Classification Ascendante Hiérarchique de la classe 1 p64
Figure 19 : La Classification Ascendante Hiérarchique de la classe 2 p69
Figure 20 : La Classification Ascendante Hiérarchique de la classe 3 p72
Introduction générale
1 Contexte général
Le mardi 17 août 2019, Christophe Itier, Haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale en France, a révélé les quinze nouveaux fonds ayant intégré le French Impact, la bannière nationale de l’investissement d’impact permettant de mobiliser 375 millions d’euros de ressources productives (Finansol, 2019)1 lors d’une conférence sur l’investissement d’impact social.
Cet engouement pour l’investissement d’impact repose sur plusieurs raisons.
La crise financière de 2008, résultat de prises de risques massives consécutives à l’euphorie ayant caractérisée les marchés financiers (explosion des produits dérivés, développement massif de la titrisation, expansion du shadow banking), a prouvé les insuffisances et les anomalies du système financier (Jeffers, 2015)2.
Ayant débuté aux États-Unis, cette crise s’est propagée dans le monde entier, aggravant ainsi les problèmes sociaux et économiques déjà existants (récession, chômage, inégalités).
Objet de méfiances voire de défiances, la finance doit se réinventer de sorte que les stratégies financières ne soient plus seulement orientées vers la création d’une valeur actionnariale.
Des relations partenariales spécifiques sont donc de plus en plus revendiquées.
Aussi, depuis le rapport Brundtland (1987) tirant la sonnette d’alarme sur les dégâts engendrés par l’activité productive sur l’environnement, un certain consensus semble se dégager autour de la notion du développement durable.
La finance, comme les autres domaines de l’activité économique, a son rôle à jouer dans les transitions économiques, sociales et sociétales.
Il devient donc nécessaire de « remettre la finance au service de l’économie réelle » (Boissinot, 2015)3pour une « société bonne » (Shiller, 2012).
La finance utile, un concept nouveau, suscite un engouement auprès des populations, des administrations privées, des politiques ainsi que des acteurs financiers à la recherche d’une légitimité. La finance utile est une finance qui cherche à concilier les activités financières avec la société. Elle prend forme aussi par des investissements d’impact.
1 Investissement à impact social : Une nouvelle ambition pour la France. (2019, octobre 3). Finansol. https://www.finansol.org/2019/10/03/investissement-impact-social-nouvelle-ambition/
2 Jeffers, E. (2015). Pourquoi Faut-Il Une Finance Durable Et Soutenable? Why Do We Need a Sustainable and Responsible Financial System?, 117, 225‑236. https://doi.org/10.3917/ecofi.117.0225
3 Boissinot, J. (2015). Mettre la finance au service de la société ? Revue d’economie financiere, N° 117(1), 237‑244. https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2015-1-page-237.htm?contenu=resume
De même, depuis quelques décennies, la législation évolue et est en faveur des notions de clarté et de transparence dans les activités économiques et financières. La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est désormais une pratique courante et une règle dans les entreprises.
Elle est censée véritablement concilier la viabilité économique avec les performances sociales et / ou environnementales.
Elle est « vue comme un levier de la réussite économique et correspond à la contribution de l’entreprise au développement durable » (Christian Vermeulin & Frédéric Vermeulin, 2012)4.
La loi du 15 mai 2001, complétée par le décret du 24 avril 2012, relative aux Nouvelles Régulations Économiques (NRE) exige désormais que les sociétés, tout comme les institutions financières, publient des reporting sur leurs performances extra- financières.
Les sociétés de gestion, du fait de leur place centrale dans la mobilisation des ressources des investisseurs, sont dès lors tenues d’indiquer « la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leur processus ».
Cette réglementation donne une notoriété à l’investissement d’impact et incite à la création des fonds d’impact. En adoptant les pratiques RSE, les entreprises cherche à améliorer leur image auprès de leurs parties prenantes.
C’est dans ce sens que Berger-Douce (2014)5 relie la compétitivité aux pratiques RSE en se basant sur les travaux de Burke et Logsdon (1996) et d’Oseo (2012).
De même, de plus en plus d’investisseurs cherchent à donner du sens à leur épargne. Ils souhaitent que leurs investissements, au-delà du retour financier, produisent une utilité sociale pratique et concrète.
Ils se tournent habituellement vers les sociétés de gestion en leur confiant leurs capitaux afin de bénéficier de leur expertise dans l’identification et la proposition des fonds spécifiques d’impact.
Les gestionnaires de portefeuilles représentent, de nos jours, des acteurs clés du marché financier et les principaux gestionnaires de compte pour tiers.
Enfin, l’univers de la gestion d’actifs est en pleine mutation. De nouveaux acteurs émergent avec des produits spécifiques occasionnant une forte concurrence.
Le gestionnaire de fonds doit pouvoir rassurer les investisseurs et proposer des produits innovants susceptibles de le différencier de ses concurrents et d’améliorer ses performances tant financières qu’extra- financières. Il doit sans cesse mettre en œuvre des stratégies pour agrandir ses parts de marché.
S’inscrire dans la finance utile lui permet de disposer d’un avantage stratégique et concurrentiel.
4 Vermeulin, C., & Vermeulin, F. (2012). Comprendre et entreprendre une démarche RSE: la responsabilité sociétale pour tous les entrepreneurs. Afnor.
5 Berger-Douce, S. (2014). Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale : Etude longitudinale dans une PME industrielle. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme Entreprise, n°12(3), 10‑28. https://www.cairn.info/revue-rimhe-2014-3-page-10.htm
2 Problématique et question de recherche
Les sociétés de gestion sont amenées, dans la logique de s’inscrire dans la finance utile, à proposer une offre de fonds d’investissement répondant au double objectif de rentabilité et d’utilité sociale et / ou environnementale.
Elles investissent dans des entreprises dont les questions sociales et environnementales doivent être au cœur de leur stratégie et modèle de gouvernance. La performance d’un fonds d’impact repose sur une double performance financière et extra-financière.
Les investisseurs d’impact, qu’ils soient individuels ou institutionnels, sont de plus en plus exigeants sur la façon dont leurs capitaux sont utilisés et souhaitent avoir des informations réelles et la quantification de l’impact espéré.
Dans l’idéal, le gérant doit pouvoir sélectionner des actifs en tenant compte de la valeur qu’ils produisent pour son organisation et ses parties prenantes, de leur alignement sur ses objectifs et la culture de son organisation et de leurs capacités à générer les résultats attendus.
Au-delà du trio d’analyse coûts / opportunités / risques, le gérant s’appuie sur des outils et développe une méthodologie rigoureuse et compréhensible d’identification et de sélection des actifs répondant aux caractéristiques d’impact investing afin que l’investisseur puisse s’y retrouver, tout en respectant la réglementation.
La construction d’un portefeuille d’actifs spécifiques d’investissement d’impact engendre un changement de paradigme financier. Les impacts positifs des investissements doivent désormais être clairement identifiés et quantifiés.
Or, cette démarche apparait exhaustive et individuelle du fait de l’absence d’une méthodologie standardisée dans l’évaluation de l’impact social et / ou environnemental d’un investissement. Pour créer ce fonds, le gestionnaire de portefeuille est tenu d’enrichir sa grille de construction, de mobiliser des connaissances nouvelles et des savoir-faire spécifiques.
Dans ce sens il améliore ses compétences stratégiques qui lui permettront de mieux s’adapter face à la concurrence sans cesse croissante sur le marché de la gestion des actifs.
Ce fonds représente la capacité pour le gérant de s’inscrire dans les innovations sociétales et répondre aux désirs des investisseurs désirant que leurs capitaux génèrent à la fois un retour financier et un impact social et /ou environnemental positif et mesurable.
Il apparait que la création d’un fonds d’impact occasionne une contrainte de gestion. Le gérant doit être en mesure de convaincre les investisseurs.
Il s’agit de créer un fonds susceptible de concilier le couple rentabilité – risque et un impact social et / ou environnemental positif clairement reconnaissable par les investisseurs en quête de sens.
Ainsi, notre travail de recherche aura pour objectif de répondre à la question suivante :
Comment l’élaboration d’un fonds d’impact reconnu comme tel par des investisseurs permet-elle au gérant de portefeuille de constituer des compétences stratégiques ?
3 Intérêt managérial, sociétal et académique du sujet
Notre sujet présente de réels intérêts tant sur le plan managérial et sociétal que sur le plan académique.
En effet, comprendre les mécanismes permettant de créer un fonds d’impact est une opportunité et une nécessité pour les gestionnaires de portefeuille soucieux de renforcer leur place sur le marché face à la concurrence et aux changements revendiqués.
Par ailleurs, la valorisation de l’impact investing rassure les populations qui aspirent au développement durable.
Enfin la littérature scientifique sur l’impact investing est encore peu abondante.
D’un point de vue académique, notre recherche va permettre d’enrichir cette littérature sur l’appétence des investisseurs d’impact, favoriser une meilleure appréciation des motivations d’un gestionnaire de portefeuille d’impact et contribuer à la compréhension des relations entre la performance du gestionnaire et la construction d’un fonds d’impact.
4 Présentation du cadre théorique
Pour réaliser notre recherche, nous avons mobilisé trois théories. La première est celle des compétences et spécialement l’approche des compétences fondamentales ou distinctives développées par Hamel et Prahalad en 1990.
Cette théorie permet d’interpréter les motivations du gérant de fonds d’impact et de prouver les compétences stratégiques qu’il crée à travers la construction d’un fonds d’impact.
Il s’agit d’un champ nouveau de recherche et d’un tout premier rapprochement entre la théorie des compétences distinctives et la création d’un fonds d’impact, ce qui donne une forme d’originalité et un caractère particulier à nos travaux.
Aussi, nous avons eu recours à la théorie des ressources de Penrose (1959) en considérant la réputation recherchée par les entreprises émettrices de titres comme une ressource intangible sources de performance (Fombrun et Shanley, 1990 ; Hall, 1993 ; Rao, 1994) ( Nguyen & LeBlanc, 2004).
Enfin, la théorie de l’utilité espérée de John von Neumann et Oskar Morgenstern nous a donné un cadre pour la compréhension de l’appétence des investisseurs pour des produits d’impact.
En effet, ces derniers recherchent une satisfaction supérieure à celle apportée uniquement par un retour financier.
5 Présentation de la méthodologie de recherche
Effectuer des travaux de recherche scientifique exige d’intégrer une tradition scientifique et donc à s’inscrire dans un paradigme épistémologique : celui-ci est « une connaissance partagée par une communauté » (Gavard-Perret et al., 2012).
Nous optons ainsi pour une posture épistémologique interprétativiste (Heidegger, 1962 ; Sandberg, 2005 ; Yanow, 2006).
Les connaissances que nous proposerons seront de nature descriptive, en accord avec les méthodes qualitatives choisies. Il s’agit d’un travail de compréhension d’une stratégie à travers l’exploitation des connaissances et des informations primaires et secondaires.
Nous nous inscrivons dans une conception pragmatique de la connaissance.
Notre démarche sera exploratoire et de nature qualitative car nous sommes au début de la réflexion sur le sujet.
Pour répondre à la question de recherche, nous avons tout d’abord réalisé une analyse exploratoire théorique reposant sur les documents tels que les rapports, articles de recherches scientifiques et une étude de cas afin de définir le cadre conceptuel de notre recherche.
Ensuite, nous avons dans le cadre de l’analyse empirique, réaliser des entretiens avec deux experts dans la sélection des produits à impact et la construction de portefeuille d’investissement d’impact.
L’objectif est double : mieux cerner le processus de création d’un fonds d’impact et comprendre la relation entre la création de compétences distinctives et la proposition d’un portefeuille d’impact.
6 Objectif du mémoire
L’objectif de notre recherche est de prouver que la construction d’un portefeuille d’investissement d’impact requiert une démarche particulière et permet au gestionnaire de fonds de renforcer ses compétences stratégiques sources d’avantages concurrentiels.
Il s’agit de mobiliser la littérature et les données de l’expérience pour démontrer qu’en créant un fonds d’impact, le gérant complète ainsi ses connaissances et expertises et développe des compétences stratégiques indispensables pour valoriser ses performances tant financières qu’extra- financières.
Nous mettrons ainsi en évidence la spécificité de la construction d’un fonds d’impact, les interactions entre les différents acteurs de son écosystème par la description de leurs relations partenariales spécifiques ainsi que les performances associées.
7 Plan de recherche.
Ce mémoire sera structuré en deux parties. Dans la première partie présentant le cadre conceptuel de notre recherche, nous proposerons deux chapitres.
Le premier nous permettra de caractériser le concept de l’investissement d’impact et le second s’intéressera aux mécanismes de construction d’un portefeuille d’investissement d’impact. La seconde partie est subdivisée en deux chapitres.
Le chapitre premier abordera la méthodologie de recherche et le second sera consacré à l’interprétation des résultats empiriques.