Mise en œuvre de ces nullités des contrats : Conditions et Effets

Mise en œuvre de ces nullités – Section 2
Classiquement, après avoir précisé les conditions de mise en œuvre de ces nullités (§1) et la mise en exergue de leurs spécificités par rapport aux nullités du droit civil, il conviendra d’en étudier les effets. (§2)
Paragraphe 1 Conditions
Certaines conditions sont communes aux nullités de droit et aux nullités facultatives (A) alors que d’autres relèvent de la spécificité de chacune. (B)
A Conditions communes aux nullités de droit et facultatives
Les actions en nullité relèvent de la compétence du tribunal qui prononce la décision d’ouverture de la procédure collective. Il convient de voir quels sont les titulaires de ces actions (1) et dans quel délai ils peuvent agir. (2)
1. Les titulaires de l’action
« L’action en nullité est exercée par l’administrateur, par le représentant des créanciers, par le liquidateur ou par le commissaire à l’exécution du plan146. » Au monopole d’action du syndic succède un élargissement des titulaires de l’action. Toutefois, la liste établie par cet article est exhaustive. Ainsi ni le créancier ni le débiteur ne peuvent l’exercer147. La multiplication des titulaires de l’action permet de remettre en cause plus facilement les actes frauduleux accomplis pendant la période suspecte. Cela augmente les possibilités de reconstitution de l’actif et corrélativement les chances de poursuite de l’activité. La loi de 1985 tend à faciliter la remise en cause de ces contrats ce qui est en opposition avec le droit commun qui cherche à limiter autant que possible la nullité des contrats en raison de ses effets perturbateurs pour la sécurité contractuelle. Ainsi en droit des procédures collectives, un cocontractant de bonne foi et dont le contrat n’est pas affecté d’un vice dans sa formation peut le voir anéanti en raison de son caractère attentatoire au patrimoine du débiteur et de sa date de conclusion pendant la période suspecte. Sa liberté contractuelle est entachée par les possibilités accrues de remise en cause du contrat pour des motifs extérieurs à celui-ci.

146 Article L 621-110 du Code de commerce.
147 Le créancier étant représenté par le représentant des créanciers il ne peut intervenir à titre individuel sauf en cas de préjudice propre et distinct. Quant au débiteur il ne peut agir en vertu du principe nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (nemo auditur turpitudirem allegans) ce qu’a rappelé la jurisprudence notamment dans un arrêt de 1993. (Com 5 oct. 1993, Rev. Proc. Coll. 1994 p. 256)

2. Le délai de l’action
La loi est silencieuse sur le délai d’exercice de l’action. La doctrine148 considère que l’action peut être introduite le temps que les titulaires de cette action demeurent en fonction. En conséquence, la durée de l’action n’est pas liée à la durée de la procédure. Elle peut survivre car le commissaire à l’exécution du plan, l’un des titulaires de l’action, reste en fonction jusqu’au paiement intégral du prix de cession, paiement qui est enfermé dans un délai de dix ans. Ce délai paraît long au regard de la sécurité contractuelle149.
La seule limite à la remise en cause du contrat est l’admission définitive de la créance.
Cette décision de justice ayant autorité de la chose jugée interdit que son montant ou son existence soit remis en cause ultérieurement notamment par les nullités de la période suspecte150.

148 Derrida, Godé, Sortais, op. cit., n°350; Ripert et Roblot, T II, op. cit., n°3111; Saint-Alary-Houin et Monsérié, juriscl. Com fasc. 2515 n° 31.
149 A ce titre, E. JOUFFIN (op. cit. n°529) propose d’appliquer un délai de prescription de trois ans qui serait aligné sur celui prévu par l’article 33 al 3 en matière de nullité des actes passés en violation des règles d’administration contrôlées.
150 Com 12 nov. 1991, D. 1992, somm. 183 obs. A. Honorat; Com 14 oct. 1997, D. 1998 somm. p.96 obs. A. Honorat.

B Conditions propres à chacune des deux types de nullités de la période suspecte
Il conviendra de distinguer entre les conditions attachées aux nullités de droit (1) et les conditions attachées aux nullités facultatives. (2)
1 Conditions de mise en œuvre des nullités de droit
Il faut que l’acte litigieux entre dans l’énumération limitative de l’article L 621-107 et qu’il ait été accompli par le débiteur depuis la date de cessation des paiements. La preuve de la date de l’acte doit être rapportée par le demandeur à l’action151.
Bien que l’article L 621-107 ne le précise pas expressément, la plupart des auteurs152 estime que le demandeur doit avoir un intérêt à agir. Autrement dit, l’acte doit être préjudiciable153.
Il convient de se demander qui est la victime de ce préjudice. S’agit-il des créanciers, du débiteur, de l’entreprise ? Sous la loi de 1967, la réponse n’appelait aucune discussion : l’action relevant du monopole du syndic, représentant de la masse des créanciers, dont le produit tombait dans le patrimoine de celle-ci, elle avait pour objet de réparer le préjudice subi par les créanciers.
Or avec la loi de 1985, la finalité de l’action est tout autre puisque son but est de reconstituer l’actif du débiteur et que son produit tombe logiquement dans le patrimoine de ce dernier. Le bénéficiaire de l’action semble être le débiteur. Ne pourrait-on pas considérer que le réel bénéficiaire est l’entreprise ? En effet, l’objet de l’action est de reconstituer le patrimoine du débiteur afin de permettre la poursuite de l’activité, qui est l’objectif premier de la loi de 1985. On pourrait également assimiler le débiteur à l’entreprise mais cela serait contraire à l’évolution de la législation en faveur de la séparation de l’homme et de l’entreprise. Ensuite, ce serait reconnaître que le débiteur, auteur de l’acte litigieux, puisse tirer profit de sa propre turpitude.
Il semble en tout état de cause que le bénéficiaire de l’action ne soit plus les créanciers mais plutôt l’entreprise, sans écarter complètement le débiteur puisque la notion d’entreprise, bien que très utilisée dans cette matière, n’a pas de reconnaissance juridique en tant que sujet de droit.

151 Supra.
152 Derrida, Godé, Sortais, op. cit., n° 349; Ripert et Roblot, op.cit. n°3131.
153 L’article L 621-110 énonçant expressément que cette action a pour but la reconstitution de l’actif du débiteur, il induit, implicitement certes, qu’une atteinte a été portée à ce patrimoine (E. JOUFFIN, op. cit.)

2 Conditions de mise en œuvre des nullités facultatives
Concernant la date de l’acte pouvant être remis en cause au titre de cette nullité, l’acte doit avoir été accompli pendant la période suspecte, sachant que le jour de la cessation des paiements est compris dans cette période. Par contre, les actes à titre gratuit peuvent être remis en cause même s’ils ont été passés avant la période suspecte et cela en raison de l’absence totale de contrepartie qui constitue une grave atteinte au patrimoine du débiteur.
Tout comme pour les nullités de droit, il semble nécessaire que l’entreprise ait subi un préjudice154.
L’article L 621-108 pose une condition subjective : le tribunal peut prononcer la nullité de l’acte effectué par le débiteur pendant la période suspecte que si le bénéficiaire de l’acte avait connaissance de l’état de cessation des paiements du débiteur. Mais il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si cette condition est remplie. Même si tel est le cas, ils peuvent ne pas prononcer la nullité de l’acte. Le juge a un véritable pouvoir discrétionnaire en la matière ce qui est source d’incertitude pour l
e cocontractant.
Paragraphe 2 Effets
L’annulation de l’acte a pour effet de réintégrer dans l’actif du débiteur des biens ou des sommes d’argent. La nullité a un effet rétroactif. La situation des parties doit redevenir celle qui existait avant la conclusion de l’acte. C’est l’application du principe ce qui est nul ne peut produire d’effet155. L’acte nul est privé d’effet de manière définitive et à l’égard de tous. Il y a restitution réciproque des prestations.
La nullité produit ses effets erga omnes contrairement à l’inopposabilité. Ainsi l’anéantissement rétroactif de l’acte peut avoir des effets vis à vis des tiers notamment des tiers acquéreurs. Dans un arrêt du 3 février 1998156, la Cour de cassation a défini la portée des nullités de la période suspecte : « ni l’erreur commune, ni l’apparence ne peuvent faire obstacle aux conséquences, vis à vis des tiers sous-acquéreurs, même de bonne foi, de la nullité édictée par les articles 107 et 108 de la loi du 25 janvier 1985. »

154 Pourtant la Cour de cassation (Com 16 fév. 1993, Rev. Proc. Coll. 1994 p. 255; et Com 24 oct. 1995, RJP com 1996 p. 204) considère que « l’action en nullité ayant pour effet de reconstituer l’actif du débiteur en vue du maintien de l’activité et de l’emploi, le prononcé de la nullité prévue à l’article 108 n’est pas subordonnée à la constatation d’un préjudice subi par le débiteur ou par ses créanciers. » Malgré cette jurisprudence, différents auteurs (E.JOUFFIN, op. cit., n° 519; C. SAINT-HALARY-HOUIN et M.H. MONSERIE, juriscl. com. fasc
2510 n° 94 et suivants) retiennent la nécessité d’un préjudice pour prononcer la nullité d’un acte sur le fondement de l’article L 621-108 et ce au nom du principe général pas d’intérêt, pas d’action.
155 Quod nullum est, nullum effectum producit.
156 Com 3 fév. 1998, D. 1999 jurisprudence p. 185 note Bénabent, JCP éd. G 1998 I 141 n°9 obs. Cabrillac.

En somme, les nullités de la période suspecte affaiblissent les contrats et par la même la sécurité contractuelle. Alors que les nullités de droit commun sont fondées sur un vice dans la formation du contrat, ici des contrats valablement formés peuvent être remis en cause afin de reconstituer l’actif du débiteur pour satisfaire l’objectif économique de poursuite de l’activité de l’entreprise. Le droit commun cherche à préserver le lien contractuel, le droit des procédures collectives, au contraire, admet une remise en cause plus large des contrats.
Les mécanismes de droit commun sont donc utilisés mais détournés, adaptés aux spécificités de la matière.
Le droit des procédures collectives fait la part belle aux atteintes à la liberté contractuelle soit pour préserver les contrats nécessaires au maintien de l’activité soit pour faciliter la rupture de ceux qui constituent une charge inutile pour l’entreprise. Ces atteintes sont toujours justifiées par l’objectif légal de sauvegarde de l’entreprise157. Ces atteintes sont multiples, touchant la conclusion de contrat, sa circulation, son contenu qui peut être modifié sans le consentement des parties. Elles affectent également sa durée, son maintien forcé ou sa rupture, le changement de cocontractant.
Cependant, le droit des procédures collectives est par essence dérogatoire au droit commun. Il est un droit d’exception mais il ne déroge pas complètement au droit commun. En cela, les entorses qui lui sont faites sont nécessairement limitées et encadrées. Le législateur tente de trouver un équilibre entre les intérêts des parties en instaurant des atteintes tantôt à l’une ou à l’autre en fonction de ce qui est le plus favorable pour l’entreprise en difficulté. Malgré des atteintes à la liberté contractuelle, le droit commun est présent en droit des procédures collectives soit dans sa plénitude soit adapté aux particularités de la matière.

157 Article L 620-1 du Code de commerce.

Lire le mémoire complet ==> (Les atteintes de la procédure collective à la liberté contractuelle)
Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
Sommaire :

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top