Les intérêts économiques de la remise en cause du contrat

Section 2 Les intérêts de la remise en cause du contrat
Que ce soit le cocontractant du débiteur (§1) ou le cessionnaire (§2), l’un et l’autre, peuvent avoir intérêt à ce que leur contrat ou certains d’entre eux, ne soient pas poursuivis.
Paragraphe 1 Pour le cocontractant
Une personne qui a conclue un contrat avec une autre, mise par la suite en redressement judiciaire, souhaitera que son contrat soit rompu au plus vite. Pourtant, sa situation comme créancier est plus défavorable avant l’ouverture de la procédure qu’après. En effet, les créances antérieures ne peuvent faire l’objet d’un paiement316 après le jugement d’ouverture de la procédure, elles sont soumises à déclaration. S’ajoute à ce principe, l’interdiction et la suspension des poursuites individuelles et des voies d’exécution. Par contre les créances postérieures relèvent du droit commun et sont même davantage protégées puisque les créances de sommes d’argent issues d’un contrat continué sont payées comptant, quant aux autres créances nées régulièrement et postérieurement au jugement d’ouverture, elles sont payées à leur échéance317.

312 Article L 621-88 du Code de commerce..
313 E. JOUFFIN, thèse préc., n° 350.
314 Article L 621-88 du Code de commerce.
315 Redressement et liquidation judiciaires, cession de l’entreprise, Lamy droit commercial, n° 3390.

En somme, la législation pousse les cocontractants à la vigilance car dès qu’ils perçoivent les premières difficultés chez leur partenaire, ils ont intérêt à réclamer leur dû tout de suite voire à rompre le contrat et ce avant que leur cocontractant soit en cessation des paiements et qu’une procédure soit engagée, sinon ils seront confrontés au gel du passif antérieur. C’est pour ces raisons que le législateur de 1994 surtout, a tenté de réajuster la situation des créanciers antérieurs et de trouver un équilibre entre créanciers antérieurs et postérieurs.318
Paragraphe 2 Pour le cessionnaire
Le cessionnaire ne souhaitera pas récupérer l’ensemble des contrats en cours. Certains risqueraient d’entraver la reprise de l’activité de l’entreprise au lieu de la favoriser. Il fait alors des propositions parmi les contrats susceptibles d’être cédés à savoir les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services319.
Les sûretés éventuellement attachées aux contrats cédés ne sont en principe pas transférées sauf celles garantissant le remboursement d’un bien acheté à crédit. Or cette disposition320 peut avoir de lourdes conséquences financières pour le repreneur qui devra prendre à sa charge le remboursement du crédit qui s’ajoute au prix de cession. En effet, pour le cessionnaire cela correspond à une charge pécuniaire supplémentaire, non pas le transfert de la sûreté elle-même, mais le remboursement du crédit qui a financé le bien qui lui a été cédé. C’est pourquoi le législateur a permis, alors même que cet article est d’ordre public, que le cocontractant et le cessionnaire puissent conclure un accord prévoyant une réduction du montant des échéances. Pour ce type de contrat il est légitime de penser que le repreneur évitera d’en demander la cession à moins bien sûr que la réussite de son projet de reprise en dépende.

316 Sauf les exceptions posées par l’article L 621-24 du Code de commerce.
317 Article L 612-32 du Code de commerce.
318 Sachant qu’un même créancier peut être à la fois créancier antérieur et postérieur, par exemple si son contrat a été poursuivi.
319 Article L 621-88 du Code de commerce.
320 Article L 621- 96 al 3 du Code de commerce.

Conclusion :
La liberté contractuelle est indéniablement ébranlée par le droit des procédures collectives. En effet, tour à tour la législation touche à la liberté de contracter des parties, au contenu, à l’exécution du contrat, à sa poursuite ou sa rupture. Le droit de contracter est mis à mal par des atteintes à différents niveaux et d’intensité plus ou moins forte mais touchant à la fois le débiteur et surtout ses cocontractants.
L’autonomie de la volonté et la force obligatoire du contrat, principes dont découle la liberté contractuelle, sont affaiblies par le droit des procédures collectives. L’ensemble de ces atteintes est justifié par l’intérêt de survie de l’entreprise. Ces atteintes sont orientées vers deux axes : la liberté contractuelle n’est pas respectée soit afin de préserver les contrats nécessaires au maintien de l’activité de l’entreprise, soit afin de rompre des contrats inutiles au redressement économique de l’entreprise, même ceux conclus avant l’ouverture de la procédure et qui ne sont plus en cours.
Certains principes qui sont les piliers de la conception classique du contrat, se révèlent soudainement des obstacles321 pour la sauvegarde de l’entreprise. La liberté contractuelle peut s’avérer être un frein pour le redressement de l’entreprise ce qui justifie les atteintes qu’elle subit.
L’intérêt économique de l’entreprise est jugé supérieur à l’intérêt personnel des parties. La sauvegarde de l’entreprise relève de l’intérêt général devant lequel les intérêts particuliers doivent s’incliner. Ainsi, pour atteindre les objectifs prépondérants de la loi, les principes qui composent la liberté contractuelle sont altérés. Chaque atteinte est prise afin de servir au mieux l’intérêt de l’entreprise que l’on cherche à sauver. Il ne faut pas oublier que le droit des procédures collectives est un droit d’exception, qui, par essence, déroge au droit commun afin de satisfaire les spécificités de sa matière. Ensuite, si la loi de 1985 a consacré le sacrifice des cocontractants et créanciers, le législateur de 1994 a tenté de rééquilibrer les choses après avoir constaté qu’un trop grand sacrifice des créanciers, dispensateurs de crédit, ne permettait pas le redressement des entreprises.
Malgré tout, ces atteintes sont encadrées et demeurent limitées à ce qui est nécessaire pour le redressement de l’activité économique de l’entreprise. L’ambition des droits spéciaux n’est pas de refaire, de repenser entièrement le droit commun mais de l’adapter, l’intégrer à leurs particularités. Le droit des procédures collectives est un doit dérogatoire certes, mais il se sert des fondements du droit commun pour les détourner à son profit. En outre, le droit commun réapparaît au cours de la procédure. La liberté contractuelle retrouve sa pleine et entière souveraineté à certains moments de la procédure, quand l’intérêt de l’entreprise ne nécessite pas de protection particulière qui pourrait légitimer des atteintes au libre jeu de la volonté des cocontractants.
Les atteintes à la liberté contractuelle sont limitées ensuite, par le fait que certaines dispositions issues du droit des procédures collectives initialement dérogatoires au droit commun sont reprises, assimilées par celui-ci et deviennent le principe. L’influence du droit des procédures collectives sur le droit commun est incontestable et permet de le faire évoluer avec la société. Par exemple, le recul du principe de l’autonomie de la volonté en droit commun du contrat est le fait, notamment, de l’entrée d’une dimension économique dans le contrat par le droit des procédures collectives. La nouvelle conception du contrat comme bien, élément patrimonial, objectivement utile pour l’entreprise a remis en question la conception traditionnelle du contrat et les principes qui y sont attachés dont la liberté contractuelle.
A travers les atteintes que subit la liberté contractuelle, nous prenons conscience de l’importance que représentent les cocontractants du débiteur pour l’entreprise. Sans échanges économiques l’entreprise n’est rien. Les dispositions légales, d’ordre public, ont pour objectif d’éviter la fuite des cocontractants, partenaires économiques sans qui l’activité économique ne pourrait fonctionner.
Les atteintes à la liberté contractuelle ne constituent pas une « mise à mort » de celle- ci mais lui permettent de s’adapter aux circonstances, quitte à favoriser une partie plutôt qu’une autre, dans l’optique de préserver ou de rompre le lien contractuel qui transcende la volonté des parties.
Les atteintes de la procédure collective à la liberté contractuelle
Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
Plan détaillé :
Plan général 4
Liste des principales abréviations 5
Introduction 6
Première partie : Une pluralité d’atteintes prises au nom de la sauvegarde de l’entreprise 13
TITRE 1 Des atteintes afin de protéger les contrats utiles 14
Chapitre 1 Les entraves au principe de l’autonomie de la volonté 15
Section 1 Le maintien forcé du contrat 15
Paragraphe 1 Pendant la période d’observation 15
A Principe de continuation de plein droit des contrats en cours 15
1 Notion élargie du contrat en cours 16
a Définition 16
b Application de l’article L 621-28 du Code de commerce aux contrats intuitus personae
2 Maintien des modalités initiales du contrat 17
B Eviction de la volonté du cocontractant 18
1 L’action du cocontractant limitée à la possibilité de mettre en demeure l’administrateur
2 Le sort du contrat soumis au droit d’option de l’administrateur 20
3 La possible modification du délai d’option par le juge 21
Paragraphe 2 Pendant la liquidation judiciaire 22
A Application de l’article L621-28 à la phase liquidative 22
B Controverse sur la résiliation de plein droit des contrats en cours par l’ouverture de la liquidation judiciaire
Section 2 La cession forcée du contrat 24
Paragraphe 1 Une cession judiciaire 24
A Un type de cession dérogatoire du droit commun 24
B Indifférence du caractère intuitus personae 26
Paragraphe 2 Une cession imposée 27
A Aux cocontractants initiaux du débiteur 27
B Aux tiers bénéficiant de sûretés 29
Chapitre 2 Les entraves au principe de la force obligatoire du contrat 31
Section 1 Par la loi
Paragraphe 1 Inefficacité des clauses résolutoires 31
A …Fondées sur l’état de cessation des paiements du débiteur 32
1 Neutralisation de « toute disposition légale » 32
2 Neutralisation des clauses contractuelles 33
B …Fondées sur l’exception d’inexécution 34
Paragraphe 2 Inefficacité de l’indivisibilité conventionnelle 35
Section 2 Par le juge 36
Paragraphe 1 Par l’octroi de délais de paiement 36
A Dans le cadre d’un plan de cession 36
B Dans le cadre d’un plan de continuation 38
Paragraphe 2 Par la substitution de garanties 39
TITRE 2 Des atteintes afin de faciliter la rupture de contrats inappropriés 42
Chapitre 1 La remise en cause du contrat : une dérogation à la résolution judiciaire de droit commun
Section 1 Les contrats visés 43
Paragraphe 1 Les contrats non continués 43
A Les contrats rompus implicitement 43
B Les contrats rompus explicitement 45
Paragraphe 2 Les contrats continués puis non exécutés 46
Section 2 Le sort des indemnités de résiliation 47
Chapitre 2 Les nullités de la période suspecte 50
Section 1 Des fondements différents de ceux de droit commun 51
Paragraphe 1 Le particularisme de ces nullités par rapport au droit commun 51
A La prise en compte de la date de la conclusion du contrat 52
B La nullité des contrats commutatifs déséquilibrés 53
Paragraphe 2 Une nullité « sui generis » 54
A Une nullité distincte de l’action paulienne 54
B Les nullités de la période suspecte : à mi-chemin entre la nullité absolue et la nullité relative
Section 2 Mise en œuvre de ces nullités 57
Paragraphe 1 Conditions 57
A Conditions communes aux nullités de droit et facultatives 57
B Conditions propres à chacune des deux types de nullités de la période suspecte
1 Conditions de mise en œuvre des nullités de droit 59
2 Conditions de mise en œuvre des nullités facultatives 60
Paragraphe 2 Effets 60
DEUXIEME PARTIE : Des atteintes limitées 62
TITRE 1 La résurgence du droit commun des obligations 64
Chapitre 1 La persistance du droit commun des contrats 64
Section 1 Retour au droit commun pour les contrats continués 64
Paragraphe 1 Maintien des conditions initiales du contrat 65
Paragraphe 2 Maintien du droit de poursuite individuelle 66
Section 2 Retour tempéré du droit commun dans le plan de continuation 67
Paragraphe 1 Retour du droit commun… 67
Paragraphe 2 …dans le respect des modalités du plan 69
A Inaliénabilité de certains biens 69
B Respect des délais fixés par le plan 70
Chapitre 2 L’adaptation de procédés du droit commun 71
Section 1 L’octroi de délais de paiement 71
Paragraphe 1 Les conditions des délais de paiement 71
Paragraphe 2 Les effets des délais de paiement 73
Section 2 La compensation 74
TITRE 2 L’évolution de la conception classique du contrat 77
Chapitre 1 Une mutation sous influence du droit des procédures collectives 78
Section 1 La valeur économique du contrat 78
Paragraphe 1 La patrimonialisation du contrat 78
A Le contrat, lien économique plus que juridique 79
B La valeur économique du contrat retenue par le droit commun des obligations
Paragraphe 2 La protection de l’intérêt de l’entreprise avant l’intérêt particulier des cocontractants
A La primauté de l’intérêt de l’entreprise 82
B Les moyens mis en œuvre pour défendre l’intérêt de l’entreprise 83
1 L’immixtion du juge dans le contrat 83
2 L’extension des règles d’ordre public 84
Section 2 L’altération des principes directeurs du contrat 85
Paragraphe 1 L’affaiblissement du principe de l’autonomie de la volonté 86
A Par des facteurs d’ordre économique 86
B Par des facteurs sociaux 88
Paragraphe 2 La dégradation du caractère personnel du contrat 89
Chapitre 2 Les intérêts économiques attachés au sort du contrat 91
Section 1 Les intérêts de la continuité du contrat 92
Paragraphe 1 Pour le cocontractant 92
A Bénéfice de la priorité légale de paiement 93
B Bénéfice du transfert du contrat 93
Paragraphe 2 Pour le cessionnaire 94
Section 2 Les intérêts de la remise en cause du contrat 95
Paragraphe 1 Pour le cocontractant 95
Paragraphe 2 Pour le cessionnaire 96
Conclusion

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