Les objets techniques et TICE : signes, dénotation et connotation

Les objets techniques et TICE : signes, dénotation et connotation

2.2.3 Les objets techniques comme signes

Dans un processus de communication simple où un émetteur veut transmettre une information qu’il connaît et qui désire que le destinataire la connaisse également, c’est le message et sa codification qui rendent possible une signification.

Dans ce contexte, le message reçoit le statut de signe. Néanmoins, notre analyse présuppose que non seulement les messages soient considérés comme signe, mais aussi tous les autres composants du processus communicatif : émetteur, destinataire, canal, code, etc.

Pour qu’un objet technique puisse être analysé en tant que signe, il est donc pertinent de donner quelques définitions du signe et de ses composants.

Pour Saussure, un signe est une entité à deux faces. D’abord, il indique : « nous appelons signe la combinaison du concept et de l’image acoustique : mais dans l’usage courant ce terme désigne généralement l’image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.) » [SAU 05 : 99]. Ce que Saussure entend par image acoustique est l’intériorisation, l’abstraction, d’un objet du monde réel (naturel ou artificiel) par l’homme.

Plus loin, il précise : « Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant; ces derniers termes ont l’avantage de marquer l’opposition qui les sépare soit entre eux, soit du total dont ils font partie » [SAU 05 : 99].

Une autre définition du signe à laquelle on recourre très souvent est celle qui a été proposée par Peirce : « un signe, ou representamen, est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre » [PEI 78 : 121]. Comme il peut être noté, Peirce introduit un troisième élément dans le concept de signe, l’objet.

Il continue en disant que le signe « s’adresse à quelqu’un, c’est-à-dire crée dans l’esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe qu’il crée, je l’appelle l’interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet » [PEI 78 : 121].

Au cours de l’évolution des études sémiotiques, ces deux définitions ont permis d’établir au moins deux points en commun. Premièrement, le signe est quelque chose qui tient lieu d’autre chose en son absence, c’est-à-dire qu’il est matériellement distinct de ce dont il est le signe.

Deuxièmement, le signifié est ce qui se passe dans l’esprit de quelqu’un pour démontrer la formation d’une idée ou d’un concept, établissant ainsi le sens et la possession du code par rapport au signe.

Pour sa part, la notion d’objet a été reprise en tant que référent et elle a fait l’objet de plusieurs critiques en raison du « sens d’union » accordé au signe, dans la mesure où il a été perçu comme un requis à l’existence du signe.

La critique portée au référent relève, surtout, de la faible relation que le référent établit avec le signifiant [HJE 71, ECO 79]. D’une part, il a été indiqué, cette relation est arbitraire car on peut favoriser un type de code ou de signifiant particulier sur d’autres possibles (la langue française sur la langue anglaise, ou un mot au lieu d’un dessin).

D’autre part, les linguistes ont bien montré qu’un signifiant existe en absence de son référent, même s’il n’y a jamais eu existence de référent (des concepts abstraits comme « vite », des animaux mythiques comme les sirènes, des objets qu’on a jamais eu devant nous comme les satellites de Saturne, etc.).

Une approche des systèmes de signification plus récente propose la formulation du signe en tant que signifiant, en raison du fait que tout signe est la cause d’une convention culturelle [ECO 88].

Selon ce point de vue, on distinguera plutôt le signifié du signifiant. La pertinence de cette nouvelle distinction nous permettra d’étudier et de décrire les signifiants sans faire appel à des signifiés qu’on puisse leur attribuer et aussi de considérer la variabilité des signifiés, selon les codes par lesquels on interprète les signifiants.

Dans notre travail, il sera intéressant à adopter cette dernière position afin d’établir que les objets techniques représentent des formes signifiantes. Ils sont des ensembles de codes élaborés par une inférence à partir de leur utilisation ou de leur fonction. Ces codes sont proposés comme des modèles structuraux.

À un autre niveau, les objets techniques sont un ensemble de signifiés, ils communiquent quelque chose d’autre que leur fonction. Enfin, pour faire référence à un objet technique en tant que signe, il faudra procéder en termes sémiotiques en non à partir de ses caractéristiques naturelles ou physiques.

2.2.4 Dénotation et connotation des objets techniques

Barthes, s’inspirant de la sémiotique connotative de Louis Hjelmslev, élabore plus profondément les notions de « connotation » et de « dénotation », élaboration qui est fondamentale pour notre analyse des objets techniques.

Étant donné qu’un système de signification comporte des signifiants et des signifiés et que la relation entre ces deux éléments (ou « ces deux faces d’une même pièce ») coïncide avec la signification elle-même, on peut supposer qu’un tel système devienne à son tour l’élément d’un second système, qui lui sera ainsi extensif. On aura ainsi affaire à deux systèmes de signification imbriqués l’un dans l’autre, mais aussi décrochés l’un par rapport à l’autre.

Dans cette situation, Barthes indique que le « décrochage » des deux systèmes peut se faire de deux façons entièrement différentes, selon le point d’insertion du premier système dans le second.

Le premier cas donne lieu à un système connoté, qui est « un système dont le plan d’expression [comparable aux signifiants] est constitué lui-même par un système de signification » [BAR 85 : 77].

Le deuxième cas donne lieu à un métalangage, qui est « un système dont le plan de contenu [comparable aux signifiés] est constitué lui-même par un système de signification; ou encore c’est une sémiotique qui traite d’une sémiotique » [BAR 85 : 77]. On peut représenter ces deux cas de manière graphique (figure 3).

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Systèmes de connotation et métalangage

Systèmes de connotation et métalangage

3 Pour Hjelmslev, la sémtiotique connotative existe lorsque le plan de l’expression d’une sémiotique est constitué par une autre sémiotique.

4 À proprement parler, ce sont les plan de l’expression et du contenu, pour reprendre la terminologie de Hjelmslev [HJE 71], employé également par Barthes.

Le premier système (S1) constitue le plan de dénotation et le second système (S2), extensif au premier, le plan de connotation. (E) désigne le plan de l’expression, ou les signifiants, et (C) le plan de contenu, ou les signifiés.

Les signifiants de connotation, que Barthes dénomme « connotateurs », sont constitués par des signes (unités des signifiants et signifiés) du système dénoté : « naturellement plusieurs signes dénotés peuvent se réunir pour former un seul connotateur (…) les unités du système connoté n’ont pas forcément la même taille que celle du système dénoté » [BAR 85 : 78].

Quant au signifié de connotation, il a un caractère à la fois général, global et diffus : « c’est, s’il on veut, un fragment d’idéologie (…), c’est par eux que le monde pénètre le système » [BAR 85 : 78].

Dans ce sens, l’idéologie est comprise comme une vision du monde partagée par un ensemble de personnes dans une société. Il s’agit d’une conception imprégnant certains des aspects du système sémantique global; c’est une vision segmentée d’une réalité donnée.

En ce qui concerne les objets techniques, dénotation et connotation permettent de définir les termes de « fonction primaire » et de « fonction secondaire ». La fonction primaire est dénotée : c’est une fonction de base assignée aux objets et qui n’a pas de signification intentionnelle. La fonction secondaire est quant à elle connotée : elle détermine l’idéologie d’usage, le(s) type(s) d’utilisation et de signification.

5 Ces deux termes ont été empruntés aux études sur la sémiotique de l’architecture. On parle aussi de « fonction première » et « fonction seconde », selon les traductions et les contextes.

Prenons par exemple le cas d’un ordinateur. Nous pouvons dire que le signifié primaire est composé de fonctions qui permettent d’interagir avec les codes informatiques binaires, composés de 0 et 1, pour les représenter de manière symbolique et réaliser des opérations comme le calcul mathématique, le traitement du texte, la lecture de CD-ROM, la navigation dans de sites Web, etc. Il est également possible de dire qu’un ordinateur peut être perçu du point de vue de sa fonction esthétique.

Dans ce cas, nous avons le choix entre divers types d’ordinateurs (de bureau, portables, consoles de jeux, tablet PC, PDA, etc.), divers systèmes d’exploitation (Mac OS X, Linux, Windows) et aussi divers « vêtements » d’ordinateurs (le manufacturier spécialisé A-Top et sa ligne Z-Alien possède bien des différences avec un ordinateur de bureau tel que l’iMac d’Apple, par exemple).

Outre la fonction esthétique, les objets techniques peuvent avoir d’autres connotations. À ce sujet, Roman Jakobson a relevé six fonctions communicatives des messages que nous pouvons, par analogie avec d’autres systèmes de signes, associer aux objets techniques : fonction impérative, fonction émotive, fonction phatique, fonction métalinguistique, et fonction référentielle [JAK 63].

Un exemple de la manière dont les objets techniques communiquent ces fonctions est abordé dans la partie consacrée aux objets techniques hypermédias [§ 2.4.4].

Nous pouvons dire que la fonction secondaire se réfère donc à toutes les finalités communicatives et idéologiques des objets techniques. L’intérêt de son étude est précisément d’analyser l’utilité sociale car, du point de vue des pratiques sociales, les signifiés connotatifs sont souvent plus importants que les signifiés dénotatifs, comme l’a suggéré Jean Baudrillard [BAU 68].

Parallèlement, se manifeste aujourd’hui une tendance forte vers le design dont l’objectif est que la forme de l’objet technique rende effectuable sa fonction et la dénote de manière à faciliter son opération, à rendre les manipulations plus adéquates pour son exécution [NOR 03]. Dans ce cas, la dénotation est déterminée par des connotateurs issus de codes propres à des domaines particuliers.

Par exemple, les logiciels et les sites de messagerie électronique utilisent des codes propres au courrier postal pour dénoter la fonction d’envoi de message. Cette fonction peut être représentée par un lien hypertextuel ayant la légende « Envoyer mail » ou par une icône représentant une enveloppe et une flèche vers la droite.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’objet technique hypermédia : repenser la création de contenu éducatif sur le Web
Université 🏫: Université De Paris VIII
Auteur·trice·s 🎓:
Everardo Reyes García

Everardo Reyes García
Année de soutenance 📅: Discipline: Sciences de l’information et de la communication - 14 février 2007
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