Décrypter la sémio-pragmatique : clés pour comprendre la communication

SECTION II : CADRE THÉORIQUE

Tout travail scientifique effectué en sciences de l’information et de la communication doit pouvoir avoir un soubassement théorique. Le nôtre ne se soustrait pas de cette affirmation. Pour bien expliquer ce travail, nous convoquons la théorie ou approche sémio-pragmatique, la théorie de la communication publique et la théorie de présentation sociale.

II.1. APPROCHE SÉMIO-PRAGMATIQUE

Pour mener à bien cet effort technique, nous avons structure la section en trois dimensions. En effet, la première concerne un bref aperçu sur les concepts et la démarche de la sémiotique (sémiologie) ; la deuxième se rapporte au parcours de la théorie pragmatique. Pour conjoindre les deux postures théoriques dans le sens de fonder une discipline capable d’examiner les moyens d’expression. Les relations entre les énonciateurs ainsi que le processus d’influence que l’interaction suppose. La sémiotique implique un troisième niveau reposant sur la composante cognitive.

Au terme de triple examen de théories du langage, nous allons, en dernière instance présenter notre perception de l’analyse sémio-pragmatique, qui est une conjonction de la discipline sémiotique et de la théorie pragmatique.

La sémio-pragmatique se fixe donc comme l’objectif l’étude des traces que laisse le locuteur dans son discours, et par lesquelles il assume ses propos. Ces traces se répartissent en trois domaines que sont l’univers du sujet parlant, la référence au destinataire ainsi que le cadre spatio-temporel.

II.2. La composante sémiotique de l’approche théorique

Elle consiste à décrire l’origine et à définir la composante sémiotique de l’approche théorique.

II.2.1. Origine et définition

La première chose qui vient à l’esprit du chercheur qui se préoccupe de cet objet est la distinction entre les concepts de la sémiotique et de la sémiologie. Les auteurs ont les attitudes diverses à ce sujet ; il y en a ceux qui les différencient, il y en a qui les inscrivent dans une perspective, il y a qui hésitent. Nous n’attendons trancher ce vieux débat, nous allons chercher à trouver notre voie à partir de certaines définitions glanées dans la littérature scientifique.

La sémiologie, d’après la définition de Ferdinand de Saussure, constitue l’étude de la vie des signes dans la vie. Elle s’intègre à la psychologie comme branche de la psychologie sociale. La linguistique en tant que système des signes ferait ainsi partie de la sémiologie. À même époque, travaillant dans un même contexte, Charles SANDERS PEIRCE forge la discipline scientifique qu’elle appelle « la sémiotique » c’est-à-dire une doctrine quasi nécessaire et formelle des signes.

D’entrée de jeu, la différence entre les deux concepts relève de leur origine. La sémiotique vient du philosophe PEIRCE donc la tradition anglo-saxonne, tandis que la sémiologie est ici des chercheurs de SAUSSURE, et donc dans la tradition européenne. Au-delà de cette discrimination apparente, il y a une des plus fondamentales, car liée à l’identification. Certains considèrent la sémiologie comme la discipline qui couvre tous les types de langage et la sémiotique comme un des objets dont peut s’occuper cette discipline soit un de ces langages. Cela signifie que la sémiologie serait plus générale que la sémiotique.

Dans le deuxième palier, les auteurs présentent la sémiotique comme la discipline la plus générale. Ainsi écrit par J.M. KLINKENBERG, « dans cette dichotomie, la sémiologie serait en effet l’étude du fonctionnement de certaines techniques expressément mis au point pour communiquer en société. Les fonctionnements des programmes, des idéogrammes, des sonneries militaires, des gestes de la « langue des signes sourds » constitueraient ainsi des objets de la sémiologie. Mais Les odeurs, les vêtements le mobilier qui ne semblent pas avoir été créés pour communiquer, , échapperaient à cette discipline. Pourtant ne niera que ces derniers objets peuvent revêtir un sens. Il doit donc bien avoir une science qui étudie ces objets dans la mesure où ils ont du sens, en même temps que tous les autres codes recensés par la sémiologie. Cette discipline, très générale, serait la sémiologique, et l’objet de cette discipline serait le mode de fonctionnement du sens chez les humains, on conçoit qu’une telle ambition débouche sur des questions très générales, et que la sémiotique ainsi entendue se rapproche de la réflexion philosophique ».

Pour rester dans la logique de KLINKENBERG, la sémiotique insiste sur les aspects cognitifs des signes tout en se recommandant des disciplines philosophiques alors que la sémiologie a pour socle les sciences et dont l’objet de préoccupation se rapporte à l’aspect humain des signes tout comme à leur rôle dans la communication.

En tout état de crise, la difficulté persiste quant à la définition précise de ces deux disciplines. Cette difficulté est d’autant grave que l’objet même de la sémiologie ou de la sémiotique est très fluide. C’est ce qui exprime KLINKENBERG dans la formule suivante « on comprend donc que la sémiologie ou sémiotique n’a pas d’objet propre pas plus que la sociologie, ou la psychologie, mais qu’elle constitue une grille d’analyse particulière de certains phénomènes. Elle approche ces phénomènes en posant une question qui fait son originalité : quel est leur sens ? ».

Le contenu de cette discipline va être cerné de manière assez concrète dans la diversité d’approches ayant enrichi le développement et l’évolution des réflexions sémiologiques ou sémiotiques.

II.2.2. Les trois doctrines sémiotiques

Trois auteurs sont présentés comme ayant été à la base de la fondation des théories sémiotiques. Il s’agit non seulement de Ferdinand de SAUSSURE avec la sémiolinguistique et de Charles Sanders PEIRCE avec la sémiotique générale mais aussi de GOTTLOB Frege avec la sémantique formelle.

1. La sémio-linguistique

Les travaux de Ferdinand de SAUSSURE ont porté sur la langue. C’est le fondateur de la linguistique au sens scientifique et moderne du terme. Alors que ses prédécesseurs avaient adopté une conception philosophique de l’étude du langage humain, Ferdinand a mis en place une démarche scientifique articulée autour d’un objet précis à l’aide d’une méthode appropriée. C’est la linguistique structurale, que HJEMSLEV définira comme un ensemble de recherches reposant sur une hypothèse selon laquelle il est scientifiquement légitime de décrire le langage comme étant essentiellement une entité autonome de dépendances internes ou, en un mot, une structure. Le lien entre les travaux linguistiques de Saussure et les réflexions sémiologiques provient du fait que le chercheur reçoit d’une science générale qui traiterait de tous les signes sociaux qu’il avait appelé la sémiologie (science qui étudie la vie des Signes au sein de la vie sociale).

Les héritiers et les successeurs de Saussure ont tenu à dépasser leur maitre dont les thèses ont mis de côté les phénomènes comme l’énonciation et le référent devenus par la suite essentiels pour toute étude sur le langage humain. Ainsi sont nées la sémiologie de la communication, la sémiologie de la signification et la sémiologie narrative.

La sémiologie de la communication s’attache à l’étude des signes mobilisés et organisés par l’homme en vue d’influencer les autres hommes. Nous sommes là dans le cadre d’une démarche volontaire et intentionnelle d’exercer une influence sur l’autre. C’est dans ce courant que se reconnaissent les linguistes comme Martinet, Mounin, etc.

L’influence que l’on voudrait exercer sur l’autre à l’aide des signes, peut s’entendre de deux manières : soit en utilisant des signaux d’information, soit en utilisant des signaux d’injonction.

Cette conception de la sémiotique. Aura un impact sur les réflexions pragmatiques ultérieures qui ont révolutionné la rigidité de la linguistique structurale. C’est cette attitude que résume Everaert-Desmedt lorsqu’elle soutient : « par la prise en considération du contexte et de l’action intentionnelle de l’émetteur pour le récepteur, la Sémiologie de la communication élargit le cadre Saussurien, en l’ouvrant sur l’énonciation, La façon dont Prieto aborde l’énonciation en termes de pertinence et pratique, nous semble assez Proche d’une conception que l’on retrouvera dans un tout autre cadre, celui des actes de langage.

– La sémiologie de la communication

Elle est impuissante à déterminer avec exactitude l’usage des signes fait de manière intentionnelle ou non. D’où, une nouvelle approche des signes qui dépasse l’ambition positive qui envisage l’étude des signes grâce à une logique téléologique.

– La sémiologie de la signification

Elle étend l’étude des signes même à ceux qui n’ont pas explicitement l’intention de communiquer. Aux faits qu’étudient les sémiologues de la communication, les sémiologues de la signification ajoutent les signes non intentionnels de l’émetteur et les signes non reconnus par le récepteur comme produits dans l’intention de lui communiquer quelque chose. En fait, l’analyse sémiologique permet d’avoir accès à la véritable signification qui est cachée et qui échappe aux intentions conscientes des acteurs.

La signification est générée non seulement par la relation entre le signifié et le signifiant au sein du siège, mais aussi à partir de la relation entre le signe et la réalité. On distingue dans le rapport entre le signe et la réalité. Deux niveaux de signification, à savoir la dénotation (la signification que tout le monde perçoit du fait de la compréhension du contenu. des signes) et la connotation (signification qui relève des circonstances socio-affectives, propres de l’interprète du message).

Parmi les représentants de ce courant, il y a Roland BARTHES et Umberto dont les travaux ont marqué les recherches en sémiologie. BARTHES a consacré notamment, ses recherches à des systèmes porteurs de significations autres que le langage verbal, en. I ‘occurrence la mode vestimentaire. Umberto Eco a, quant à lui, tenté d’élaborer une théorie globale de la sémiotique présentée comme théorie de la culture au sens large.

Le principe de la sémio-linguistique est que la signification d’une matière signifiante est décelée à partir du démontage de sa structure. Cette hypothèse a particulièrement préoccupé les tenants de la sémiotique structurale, autrement dit de la sémiotique narrative.

– La sémiotique narrative

Elle a dépassé la limite du signe linguistique. Comme unité signifiante en prenant en considération des ensembles des Signifiants plus vastes, à l’instar des textes, Elle se préoccupe donc de la mise en relation d’une forme de l’expression avec une forme de contenu. Les tenants de ce courant comme GREIMAS, COURTES, ont examiné en profondeur la forme du contenu, notamment la structure des récits pour élaborer une théorie de la signification applicable à d’autres types des « textes » que le récit.

La sémiotique narrative a eu ses moments de gloire ainsi que le constate EVERAERT-DESMEDT dans ce passage: « la sémiotique narrative offre à ceux qui s’interrogent sur les mécanismes de la signification, un cadre théorie très élaboré permettant de mener l’analyse de tout texte à différents niveaux de profondeur. Mais, selon le principe d’immanence propre à la linguistique structurale, l’analyse est menée en considérant le texte comme un système clos, en s’interdisant tout recours aux faits extralinguistiques. Il s’agit d’expliquer le texte (l’énoncé) uniquement à partir de ses relations internes, en faisan: abstraction des circonstances de sa production et de sa réception (l’énonciation). Cette attitude méthodologique très stricte nous semble assez éloignée du phénomène réel de l’interprétation de tout texte.

En somme, la sémio-linguistique dans tous ses aspects est une discipline qui se fonde sur la linguistique structurale axée sur les couples dichotomiques langue/parole et signifiant ou le code. Il faut déplorer l’absence du référent dans ses préoccupations, lacunes que tenteront de combler les autres doctrines.

2. La sémantique formelle

Des philosophes et des logiciens se sont préoccupés de la question du sens dans le langage. On peut évoquer les travaux de MORRIS, de WITTGENSTEIN, etc.

GOTTLOBB Frege a sa juste place parmi ces sémioticiens de premières heures. Sa sémiotique diffère de la sémio-linguistique du fait qu’elle ne repose pas sur le code, mais plutôt privilégie le rapport entre le signifié et le référent.

La sémantique formelle se structure autour de trois sphères fondamentales que Sont son statut de sémantique hors contexte, son principe compositionnel et la singularité de l’opposition sur laquelle elle s’appuie. Pour Frege. Il s’agit d’une sémantique hors contexte dans la mesure où certaines phrases de la langue pourraient être comprises sans qu’on se réfère aux éléments du contexte (locuteur, interlocuteur, lieu, temps de l’énoncé…). Par ailleurs, le sens d’une expression est fonction de ses parties constitutives : la Syntaxe et la sémantique sont donc établies en même temps et 1’une n’est pas première par rapport à l’autre. A l’opposition signifiant/signifié de la sémiotique structurale, FREGE substitue J’opposition signifié/réfèrent.

Sur cette dernière thèse, EVERAERT -DESMEDT écrit: « dans une sémantique formelle, le rôle de l’interprétation est d’associer une correspondance (signifié et réfèrent) : d’où l’on parle souvent dans ce cas de « théorie de la correspondance ». L’un des mérites essentiels de Frege est d’avoir tenté d’établir une théorie de la correspondance pour les langues naturelles, en opposant les notions de signifiés et de référent ».

La théorie de la correspondance est à l’origine d’une grammaire formelle nécessaire à la constitution des langues artificielles, mais impuissante à expliquer le fonctionnement des langues naturelles, celles-ci connaissant une richesse incommensurable et un fonctionnement complexe et donc réfractaire à une formalisation simpliste.

A cet égard, les reproches retenues à l’endroit de la sémantique formelle est son ignorance du plan de l’expression c’est-à-dire du signifiant suivant l’expression de Ferdinand de Saussure. Par ailleurs, cette école sémiotique n’a pas permis la prise en compte de la dimension énonciative dont l’importance sera soulignée dans les travaux ultérieurs.

La dimension énonciative et contextuelle sur laquelle Grottlob Frege a fait Impasse ainsi que l’occultation des aspects de l’expression dans la sémantique ont été valorisées dans les travaux sémiotiques de Charles Sanders Peirce.

3. La sémiotique peircienne

Les hypothèses de Peirce se déclinent en trois fondements épistémologiques. C’est qu’il s’agit d’une sémantique générale, triadique et pragmatique.

Le caractère général de la sémiotique de Peirce repose sur le principe que c’est une théorie qui envisage toutes les composantes de la sémiotique (signifiant, signifié ct référent) qui s’intéresse à tous les objets culturels (à priori aucun domaine de signes n’est posé comme prioritaire), qui généralise le concept de signe (on réservera un traitement égal a chaque signe, quelque soit ‘son niveau et sa complexité).

En effet, comme l’affirme EVERAERT – DESMEDT, « toute chose, tout phénomène, aussi complexe soit-il, peut être considéré comme signe dès qu’un interprète le réfère à autre chose. La délimitation d’un phénomène comme signe n’est déterminée qu’à travers une élucidation de son sens.

La sémiotique de Peirce est triadique dans la mesure où, contrairement à la structure binaire des sémiotiques structurelle et formelle de Saussure et de Frege, elle se structure en trois éléments constitutifs. D’après-Peirce, tout processus de production de la signification, la sémiotique, prend une dimension’ triadique, qui met en relation un signe, un objet et un interprétant.

L’auteur lui-même donne des précisions suivantes : « un signe est le sujet d’une relation triadique avec un second appelé son objet, pour un troisième appelé son interprétant. Cette relation triadique étant telle que le signe détermine son interprétant entretenir la même relation triadique avec le même objet pour quelque interprétant ». La sémiotique de PEIRCE est aussi dite pragmatique, car elle se veut non seulement une sémiotique en contexte mais aussi une sémiotique en action. De ce point de vue, la théorie de PEIRCE se démarque des précédentes dominées quelque peu par le formalisme et une ambition d’évaluer dans un univers clos des signes.

La sémiotique peircienne tient compte des événements du contexte de production des messages, qui relèvent des pronoms d’interlocution. Ces éléments permettent d’ancrer les énoncés dans le contexte de réalisation. Cette théorie s’inscrit certes dans le courant philosophique de pragmatisme. Deux phrases de PEIRCE peuvent illustrer cette conception à savoir :

✓ La signification d’un concept est la somme de ses effets possibles sur la conduite ;

✓ Toute fonction de la pensée est de produire des habitudes d’action.

Au total, la signification d’un signe est ce qu’il fait. Comment il agit l’interprète quel effet il produit. La démarche interprétative conduit l’interprète de la perception à l’action, par les biais de la pensée.

Il est évident que les recherches de PEIRCE ont inspiré de près ou de loin les différents courants de la pragmatique reconnus aujourd’hui. Avec sa sémiotique en contexte, Peirce est à rapprocher des travaux de BENVENISTE et JAKOBSON sur les embrayeurs avec sa sémiotique en action, il se pose en précurseur d’Austin et de Searle sur la théorie des actions de langage.

De même, il est à l’origine de la détermination des composantes de la sémiotique vulgarisée par MORRIS : la syntaxe serait le domaine du signe, la sémantique, celui de l’objet et la pragmatique, celui de l’interprétant. Il est entendu que toutes les disciplines sont indissociables dans la conception de PEIRCE.

La sémiotique est un domaine vaste et divers, mais qu’est-ce qui fonde son unité? La réponse à cette question est délicate étant donné la diversité et la multiplicité des approches de l’étude du langage ou plus précisément qui se réclament du signe.

Cependant, du fait des objets de cette étude, notre attention sera focalisée principalement sur le courant sémio-pragmatique notamment dans sa dimension significative qui permet d’avoir accès à la véritable signification qui est cachée et qui échappe aux intentions conscientes des acteurs. En outre, Comme l’analyse du signe (logo et monument) s’offre comme unité d’observation de l’énoncé, il est évident que c’est la perspective significative de la sémiotique qui convient à cerner cet objet.

La sémiotique peircienne nous intéresse également dans cette entreprise, en raison de sa prise en compte de la pragmatique aussi bien dans sa dimension contextuelle que dans sa dimension actionnelle.

CONCLUSION PARTIELLE

Ce premier chapitre a été consacré au cadre conceptuel et théorique. Ici, nous avons, en premier lieu élucidé les éléments clés du sujet à savoir « sémiologie » et « le monument » en vue de sa bonne compréhension, ensuite nous avons présenté les notions théoriques relatives à cette étude. Nous avons considéré la sémio-pragmatique comme la représentation générale des signes interprétables.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Libre de Kisangani
Auteur·trice·s 🎓:
ILUNGA N'KULU MOÏSE

ILUNGA N'KULU MOÏSE
Année de soutenance 📅: Faculté des lettres département des sciences de l'information et de la communication
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