TICE et les dimensions sémiotiques des objets techniques

TICE et les dimensions sémiotiques des objets techniques

2.2.5 Les dimensions sémiotiques des objets techniques

Une analyse proprement sémiotique des objets techniques met en question plusieurs postulats hérités des études linguistiques au moment de déterminer l’existence d’un code technique.

En effet, les travaux sur le langage ont abouti à la définition de deux éléments d’articulation pour composer un code de signification : il s’agit d’éléments en nombre déterminé (les morphèmes) formés d’éléments en nombre indéterminé (les phonèmes). Par code, on entend les règles nécessaires pour la compréhension du signe.

Ces règles sont elles-mêmes des signes, existent dans un processus de communication quelconque et s’appuient sur une convention culturelle [ECO 99].

Mais la sémiotique des objets techniques n’est pas la première à trouver les limites de cette double articulation des codes. Les études sur les codes visuels, les codes cinématographiques, les codes architecturaux, les codes publicitaires, etc., ont permis d’établir, par leur caractère étendu, qu’un code peut être composé de nombreux éléments.

En outre, dans un code déterminé il se peut que les éléments d’articulation soient les signifiants d’un code plus analytique, ou bien que les signifiants d’un autre code déterminé soient les éléments d’articulation d’un code plus synthétique. Par exemple, dans les codes publicitaires se mêlent des codes photographiques et des codes rhétoriques, tous les deux pouvant appartenir à un code plus large comme l’est le code visuel [BAR 85 : 243].

Quant aux codes techniques, la question à se poser est de déterminer l’existence de tels codes et surtout d’évaluer la possibilité des éléments d’articulation.

Deux points de vue peuvent nous aider quand l’objectif est de décomposer tout objet technique. Le premier conduit à considérer que les objets techniques, en tant qu’objets matériels, peuvent présenter des codes architecturaux (en faisant la distinction entre la construction et la projection), ceux-ci étant compris dans les codes de la géométrie euclidienne.

Le deuxième porte sur la classification d’éléments au sein même des composants d’un objet technique, tel les « technèmes » proposés par Jean Baudrillard ou la « technologie du composant » proposée par Gilbert Simondon.

Bien que ces deux conceptions montrent qu’un objet technique est constitué de parties plus simples ayant une fonction à assurer, ils laissent de côté la fonction secondaire. À ce propos, nous considérons plus approprié de faire appel à un troisième regard sur les signes, celui proposé par Charles Morris [MOR 71], qui comprend ses dimensions syntaxiques, sémantiques et pragmatiques.

2.5.5.1 La dimension syntaxique

Pour Morris, la dimension syntaxique se « réfère aux combinaisons de signes sans considérer leurs significations spécifiques ou la relation avec le comportement où ils apparaissent » [MOR 71 : 302].

La dimension syntaxique ne fait pas référence à la fonction, mais à une logique structurale : aux conditions structurales pour la dénotation de composants techniques. Par analogie à la linguistique, les relations de fréquence entre les divers composants (graphèmes) produisent des entités plus complexes (phrases, paragraphes, chapitres, livres, etc.).

L’intérêt de la syntaxe par rapport aux codes est de mettre en évidence la relation des éléments communs et répétitifs. L’idée de code repose sur le fait que la personne qui communique dispose d’un répertoire de signes donnés, parmi lesquels il choisit ceux qu’il va combiner en suivant certaines règles d’ordonnance.

2.5.5.2 La dimension sémantique

Morris énonce que la dimension sémantique « se réfère aux significations des signes dans tous les modes de signification possibles » [MOR 71 : 302]. L’objet sémiotique de la sémantique est le contenu (le signifié) compris comme une unité culturelle ou un groupe d’unités culturelles.

Sous cette dimension, il est possible de grouper la dénotation et la connotation, dont nous avons parlé plus haut, comme des éléments d’articulation. En effet, cette catégorisation est possible du point de vue d’Algirdas Greimas qui, en développant l’idée d’« isomorphisme » entre le plan de l’expression (signifiants) et le plan du contenu (signifiés), conçoit la structure sémantique comme une articulation.

Considérant le langage, et s’appuyant sur les travaux de Saussure et Hjelmslev, Greimas explique la manière dont le plan de contenu se décompose en unités minimales de signification (sèmes), tandis que le plan de l’expression se décompose en traits distinctifs (phèmes). À leur tour, les sèmes constituent des unités sémantiques plus larges (sémèmes) qui forment des énoncés sémantiques, tandis que les phèmes constituent des phonèmes et forment des syllabes.

De la comparaison entre les deux plans du langage, Greimas formule la structure sémantique comme un « univers sémantique », décomposé en unités basiques nommées « performances sémantiques » et qui forment des « usages sémantiques ».

De cette manière, « la structure sémantique apparaît comme une combinatoire virtuelle mais exhaustive de catégories sémiques » [GRE 70 : 44]. Quant aux usages et performances sémantiques, ils correspondent à des manifestations restreintes, particularisées selon la forme des cultures et des personnalités, respectivement.

Par rapport aux objets techniques, les structures sémantiques peuvent être considérées comme des genres typologiques : les formes potentielles qui existent ou qui peuvent exister pour représenter un objet technique. Afin de mieux décrire ces genres typologiques, nous citons à présent quatre structures sémantiques courantes dans le domaine de la technique.

* Outils et instruments : Au niveau de l’utilisation, Simondon oppose l’instrument à l’outil en tant qu’« il prolonge et adapte les organes des sens : il est un capteur, non un élément effecteur. L’instrument équipe le système sensoriel, il sert à prélever de l’information, tandis que l’outil sert à exercer une action » [SIM 05: 88-89].

À un autre niveau, Pierre Rabardel fournit trois façons d’aborder la notion d’instrument. Premièrement, il affirme que les artefacts ne peuvent être uniquement de type matériel; ils sont aussi de type symbolique, c’est le cas des schémas, des illustrations, des méthodes, etc.

Deuxièmement, la notion d’instrument ne peut être réduite à l’artefact matériel ou symbolique; le sujet sélectionne une fraction de l’artefact pour l’action en cours et cette fraction peut varier dans les différentes étapes de la genèse instrumentale.

Finalement, la fraction de l’artefact, considéré comme moyen d’action par le sujet, ne constitue pas la totalité de l’instrument. En réalité, « l’instrument est une entité mixte qui comprend d’une part, l’artefact matériel ou symbolique et d’autre part, les schèmes d’utilisation, les représentations qui font partie des compétences de l’utilisateur et sont nécessaires à l’utilisation de l’artefact » [RAB 95 : 64].

Rabardel propose le terme artefact pour faire référence aux objets techniques au sens étendu car il est plus neutre et n’implique pas un point de vue technologique.

* Machine-outil et machine : D’après les classifications de Simondon, « la machine-outil et la machine se développent autour d’un système central d’auto-corrélation » [SIM 05 : 97]. La différence entre les deux est que la première n’emprunte pas son énergie de l’individu, mais continue cependant à être commandé par lui. Au contraire, la machine est, pendant son fonctionnement, autonome à la fois pour l’alimentation et pour l’information.

2.2.5.3 La dimension pragmatique

Charles Morris définit enfin une dernière dimension, la pragmatique, qui est : « la partie de la sémiotique qui s’intéresse à l’origine, les usages, et les effets de signes au sein du comportement où ils apparaissent » [MOR 71 : 302]. La position de Morris est d’abord une sémiotique des comportements qu’il lie aux réponses des destinataires. Ces réponses sont cependant indépendantes du système sémantique.

Revenons au modèle de communication simple formulé dans [§ 2.2.3]. Il est évident que, en raison de la multiplicité de codes entremêlés dans une culture, un destinataire peut décoder un message selon divers points de vue, en faisant appel à des nombreux systèmes de significations. Dans ce sens, un destinataire peut effectivement identifier la dénotation fondamentale du message, mais il peut en même temps lui conférer des connotations différentes.

De plus, Greimas a élargi l’idée que la signification soit le résultat d’une corrélation entre deux codes différents, c’est-à-dire d’un « transcodage vertical » du type métalinguistique (par exemple, utiliser d’autres mots ou d’autres phrases pour donner une nouvelle version de la même chose), en proposant la notion de « transcodage horizontal » qui est basée sur la dichotomie procès/système; procès programmé/projet virtuel. Cette dialectique présuppose que l’émission de nouveaux messages restructure les codes existants [GRE 70].

Pour l’instant, il suffit de dire qu’on parle d’un sens pragmatique lorsqu’on applique les règles sémantiques et syntaxiques à un besoin particulier. Ainsi, pour notre étude, cette dimension sera examinée d’une perspective pédagogique, focalisée sur l’établissement de codes pédagogiques à travers la médiation des objets techniques.

2.2.5.4 La dimension Ur-système

Enfin, nous ajoutons pour des fins méthodologiques une quatrième dimension qui a été discutée par Umberto Eco, l’Ur-système, qui fait référence à l’impossibilité de l’existence d’un code universel dans lequel tous les autres s’insèrent [ECO 79, 99].

La poursuite d’un code universel a été perçue par rapport à un désir d’imposition d’une idéologie au sein d’une société, à la recherche d’un modèle regroupant tous les domaines d’une culture.

De fait, cette poursuite est souvent inconsciente et parfois elle ne peut être identifiée que par l’analyse du discours. Au sens de Michel Foucault : « dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité » [FOU 71 : 10-11].

Sans entrer dans des débats philosophiques, nous considérons que l’Ur-système est un mécanisme pour situer les codes, en tant que systèmes et structures, dans un contexte purement méthodologique.

Ils ne peuvent être considérés comme une totalité finie ou générale, au sens épistémologique, car : « a) si le Ur-système existe, ceci ne peut être ni un système ni une structure; b) si malgré tout il est un système structuré, il ne pourrait être visible ni pourrait être individualisé ». [ECO 99 : 372].

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’objet technique hypermédia : repenser la création de contenu éducatif sur le Web
Université 🏫: Université De Paris VIII
Auteur·trice·s 🎓:
Everardo Reyes García

Everardo Reyes García
Année de soutenance 📅: Discipline: Sciences de l’information et de la communication - 14 février 2007
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top