Stratégies d’acteurs: divergence ou convergence en jeu ?

LOGIQUES D’ACTEURS : CONVERGENTES OU DIVERGENTES ?

Cette partie consacrée aux logiques d’acteurs sera fortement inspirée de l’analyse stratégique de Michel CROZIER et Ehrard FRIEDBERG. Car pour ces auteurs, un acteur n’est pas seulement celui qui tient un rôle, mais c’est celui qui agit dans la situation. Cet acteur adopte des stratégies qui prennent en compte des relations de pouvoir et confortent ses gains personnels dans sa relative autonomie d’action. Dans ce cas de figure, la « stratégie » selon ces auteurs est l’ensemble des comportements réguliers que l’acteur adopte en vue de préserver ses intérêts. Et ces comportements réguliers ne sont jamais déterminés, car ils revêtent des caractères contingents par rapport aux situations ponctuelles. Nous allons donc aborder cette partie à partir de deux matrices : une première dédiée aux relations entre les acteurs publics et privés ; et une

seconde mettant en perspective les acteurs et leurs objectifs. Alors pour mieux étayer nos propos, nous essaierons de présenter les logiques des acteurs publics, celles des acteurs privés et enfin nous évaluerons leurs points de convergence et/ou de divergence.

Les logiques d’acteurs publics 1.1-La CUD

Pour saisir les logiques d’acteur, il est impératif d’observer leurs comportements en situation ce que CROZIER et FRIEDBERG qualifie de « système d’action concret ». Ce système d’action concret « est un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux »77. C’est dire que toute action humaine ou collective se développe dans un cadre ayant une structuration, un système. L’acteur n’existe pas en dehors du système social qui lui impose des règles et définit aussi des marges de libertés. En retour, le système n’existe que par l’acteur qui lui donne vie et peut le transformer. Donc, le système est une production de l’homme, un construit social78.

A partir de cette perspective Croziérienne et Friedberguienne la question est de savoir si le système d’action concret autour de la fabrication de l’attractivité de la Région de Douala, répond à une structuration et à une intégration d’un ensemble humain qui coordonne les actions des différents acteurs ?

La position de la CUD à ce propos est claire :

L’histoire de plateforme, c’est compliqué à mettre en œuvre, dans la mesure où il faut un administrateur, il faut un porteur de projet. Et quand le porteur est là tous les autres se demandent quel est son intérêt à constituer la plateforme ? Qu’est-ce qu’il gagne ? Qu’est-ce que nous gagnons ? À partir du moment où les uns et les autres sont suspicieux sur l’intérêt de se retrouver dans une plateforme ça devient compliqué. La plateforme est nécessaire mais parfois difficile (…) la finalité c’est la plateforme, c’est ça la solution. La difficulté c’est de mettre en place cette plateforme et de la pérenniser. Il y a des plates formes qui ont été initiées mais dont la pérennité laisse à désirer

La CUD semble se complaire et même se gargariser face à cette contrainte qui trouble l’action collective de fabrication de l’attractivité de la Région de Douala. On dirait du ponce-

77 Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, l’acteur et le système : les contraintes de l’action collective, Ed. du Seuil, 27 rue Jacob, Paris, 1977, P.

78 Crozier et Friedberg, Op Cit P.13

pilatisme face cette incapacité ambiante des acteurs impliqués à coopérer et collaborer au moyen d’une plateforme, leur permettant formellement d’être représenté et de se faire entendre. Elle va donc se cramponner sur sa mission régalienne estimant que cette dernière est suffisante à faire rayonner touristiquement la ville de douala et sa Région. Nous allons donc assister à l’absence de contrôle social de la part de la CUD, qui se caractérise structurellement au niveau de l’absence d’un service spécifique dédié au tourisme dans son organigramme fonctionnel.

Cet extrait en dit long : « Les actions sont entreprises dans la mesure le tourisme est transversal. Si par exemple la voirie n’est pas bitumée, s’il n’y a pas éclairage public, s’il y’a les poubelles partout, le touriste n’est pas attiré par votre ville. Donc les missions régaliennes de la CUD font en sorte que c’est un levier pour attirer les touristes ».

Sommes-nous donc réellement en droit de nous poser la question sur la réelle volonté de l’Etat, au travers de sa délégation de compétence territoriale, de considérer le tourisme comme un véritable levier de développement économique ?

1.2-La DRTL

La DRTL quant à elle, semble être plus proche des Agences de tourisme en participant dans la mesure du possible à tout évènement relatif au tourisme, organisé par les acteurs du secteur. Ils organisent même des ateliers de formations, des rencontres de sensibilisation auxquels ils font participer les acteurs privés. Cependant cette proximité se limite à la formation, la sensibilisation, le contrôle : « De toutes les façons nous sommes à la tête du tourisme ici dans le littoral, donc nous coordonnons toutes les activités, et même la promotion nous coordonnons, parce qu’on ne peut pas aussi laisser libre cours à tout le monde. C’est qu’il y aura un désordre. Donc nous sommes là pour coordonner et canaliser la promotion », et l’accompagnement des opérateurs touristiques. Puisqu’à la question de savoir si elle organise les rencontres avec les agences de tourisme pour partager sur le tourisme dans la Région et sur ce qu’il faut faire pour en améliorer le fonctionnement ; la réponse est très peu rassurante à travers la phrase de « temps en temps »,

On fait des séminaires de formation ici, nous organisons beaucoup de séminaires de formation ici, on fait des rencontres pour qu’ils essaient de nous parler de leurs difficultés sur le terrain parce que c’est eux qui sont beaucoup plus sur le terrain, ils nous disent quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent et on essaie de voir ensemble comment améliorer (de temps en temps)

Car si selon l’OMT et PNUE « Le tourisme durable est une affaire de contrôle local mais aussi de travail commun »79, pour la DRTL il y’a une forte tendance à un relatif contrôle de l’activité touristique dans la Région de Douala, plutôt qu’à la collaboration avec la constellation d’acteurs.

D’après ce qui précède, nous notons que les acteurs publics dont la CUD et la DRLT sont des organes déconcentrés au service d’un pouvoir central. De ce fait on serait tenté d’esquisser un schéma dans lequel on aurait un système avec des éléments ayant des taches à exécuter. Et dans cette réalité la CUD et la DRTL ne peuvent prendre des mesures et décisions significatives sans le concours de la tutelle. Alors dans cet élan, nos investigations nous démontrent -pour la CUD une logique fondamentale de passivité perçue à travers le désengagement et la négligence des interactions avec les acteurs impliqués, gage du rayonnement attractif du territoire touristique de la Région de Douala ; -pour la DRTL la logique du contrôle semble primer au détriment de celle du travail en commun au sujet des activités touristiques. Tout ceci concourt-il à conforter une certaine distance avec ces acteurs, garantissant l’absence de reconnaissance formelle en tant qu’acteurs à part entière, et l’absence de subvention étatique vers ces différents acteurs ?

Nous comprenons bien les difficultés liées à la déconcentration notamment dans le processus de prise de décision. Cependant Crozier explique que les acteurs individuels ou collectifs sont des acteurs à part entière qui, à l’intérieur des contraintes souvent très lourdes que leur impose le « système », disposent d’une marge de liberté qu’ils utilisent de façon stratégique dans leurs interactions avec les autres. Nous pensons donc que, malgré la contrainte de la déconcentration, la CUD et la DRTL peuvent prendre des décisions stratégiques pouvant conduire au développement de l’activité touristique en créant des conditions favorables à une fédération, une mobilisation des acteurs impliqués, dans le but de faire rayonner le territoire touristique de la Région de Douala.

Les logiques d’acteurs privés (agences de tourisme)

Il s’agit principalement des logiques sous-jacentes des Agences de tourisme dans leur rapport avec la CUD et la DRTL, et leur rapport entre elles.

79 OMT et PNUE, Op Cit P.16

2.1- les Agences de tourisme et les acteurs publics

Les agences de tourisme sont confrontées à une situation particulière, celle de l’inattention de la CUD d’une part et d’une collaboration cordiale d’autre part avec la DRTL. Cette situation entraine des frustrations et l’indignation chez les acteurs opérants. Un responsable de l’agence JULLY Voyage dira à la question de la nature des rapports entretenus avec les autorités concernés sur la question du tourisme que : « Non nous recevons des demandes de contribution surtout financière pour certains événements, mais moins de consultations pour les questions intellectuelles (…) en tant qu’entreprise qui a une certaine maturité et des professionnels, on donnerait plus »

Pour l’agence ATM « chaque année on propose des choses mais rien n’est fait, je connais plusieurs agences qui ont fermé à cause de cela (…) on a des rapports très limités avec la CUD et la DRTL qui ne peuvent pas permettre d’organiser le tourisme à Douala »

Pour JUMIA Travel « il n’existe aucun projet fédérateur en vue initié par la CUD sur le tourisme dans la ville »

Ces extraits de discours démontrent de manière assez limpide qu’il y a de la part des autorités en charge du tourisme, une tendance à l’infantilisation, au refus de légitimation de ces acteurs dans l’organisation du tourisme.

Face à cet état de chose, les Agences de tourisme vont réagir d’une certaine manière pour exister dans ce champ touristique. Elles vont se soumettre aux sollicitations financières des autorités par rapport à la tenue de certains événements, à leur participation et au payement de certains impôts et taxes, pour ne pas être en situation d’irrégularité. Cependant elles vont se mouler dans l’indifférence et l’inattention des autorités en charge du tourisme pour agir de manière individuelle en tentant de privatiser au maximum leurs services, leurs gains financiers et les données touristiques qui en résultent. Elles vont développer chacune des circuits individuels touristiques accompagnés de services connexes et autres, qui échappent au contrôle des autorités.

Et donc, on se retrouve dans une situation territoriale où le contrôle de l’activité est partagé par chacun des acteurs à travers des manœuvres individuelles. Cela conduit aujourd’hui à l’incapacité des autorités, à mettre à la disposition du public, des données très exactes sur le territoire touristique de la Région de Douala.

Il y a donc lieu ici de parler d’une logique sournoise de victimisation, qui fait écran à toute une manœuvre de compensation financière privée et de mise à jour de données touristiques. Aussi parce qu’il manque de la part de ces Agences de tourisme le souci pressant

de constituer une représentativité afin de participer aux décisions sur l’organisation et le développement du tourisme dans la Région de Douala. Ainsi la logique attentiste prend tout son sens du fait de leur part d’agir en attendant que l’Etat apporte des solutions infrastructurelles qui ne sont peut-être pas priorisées pour l’heure. Toute chose qui conforte leur stratégie existentielle.

2.2- les Agences de tourisme entre elles

Les agences de tourisme entre elles semblent relativement se rendre utiles les unes aux autres dans la fourniture de certains services. Mais lorsqu’il s’agit de se coaliser pour faire bloc face aux autorités pour l’amélioration du tourisme dans la Région de Douala, on remarque des attitudes rétractiles de part et d’autre.

C’est le cas de ATM qui explique que

Nous avons toute la logistique pour accompagner les touristes. Donc lorsque les autres opérateurs ont des activités qui leur dépassent, ils nous envoient les touristes. Parfois ils viennent louer notre logistique, par exemple les tentes, nous sommes seuls à avoir des tentes à Douala parce que les tentes coûtent extrêmement chères…une tente coûte dans les 27 millions de FCFA (…) on se rencontre occasionnellement

JUMIA Travel affirme par la voix d’un de ses responsables que

les agences de voyage prennent part à nos rapports que nous rédigeons, et sont considérés comme des experts quand il y a besoin d’échange d’informations. Ça se fait sans problèmes, sans hésitations, donc ça se passe très bien (…) pas de plateforme mais des initiatives occasionnelles, spontanées

A travers ces extraits de discours actoriels, nous remarquons que ces services obtenus d’une agence à une autre se fondent sur la base de gain en termes de légitimation d’une part ou en termes financiers d’autre part. Ce qui nous indique que les interactions entre ces agences obéissent à la règle du « pas d’intérêt pas d’action », intérêt qui est extrêmement individuel dans cette transaction. Mais il n’est nullement question de se rencontrer autour d’une table pour penser ensemble le tourisme et avec les autorités. Afin d’orienter les activités touristiques vers un consensus territorial en vue du rayonnement du territoire. Toute chose qui constitue une véritable contrainte de l’action collective. Il en résulte à lumière de cet éclairci une logique hyper individuelle inavouée et une fois de plus qui se complait dans la passivité des autorités, qui laisse entrevoir une politique touristique brumeuse pour la ville de Douala et sa Région.

Convergence ou divergence

Plus haut, nous avons essayé d’analyser le discours des acteurs impliqués dans ce processus de fabrication de l’attractivité touristique de la Région de Douala, afin d’en ressortir les différentes logiques d’acteurs. Nous avons pu démontrer qu’il existe une diversité d’acteurs intervenants avec des logiques qui divergent d’avec celles des autorités, bien qu’étant liées dans un jeu de contrôle et de pouvoir. Mais également une logique convergente entre eux, car ces derniers se servent des zones d’incertitude qu’offre l’attitude des autorités pour exploiter des ressources contribuant à leur satisfaction, notamment le gain financier et la rétention des données touristiques opératoires. Cela conduit malheureusement à l’imbroglio dans la construction de l’attractivité du fait de l’absence de structuration et d’un minimum d’organisation. Tout ceci est couronné par une politique touristique qui ne veut pas dire son nom, et de ce fait entrave l’action collective de fabrication d’attractivité touristique. Qui à la lumière de CROZIER et FRIEDBERG se veut comme des solutions80

En tant que modes d’articulation et d’intégration de comportements divergents et contradictoires, elles supposent et instituent à la fois une structuration humaine, c’est-à-dire un minimum d’« organisation » des champs de l’action sociale. Cette structuration peut-être relativement formalisée et consciente, ou elle peut avoir été « naturalisée » par l’histoire, la coutume, les croyances, au point de paraître évidente. Elle n’en reste pas moins et toujours fondamentalement un artefact humain qui- en orientant les comportements des acteurs et en circonscrivant leur liberté et leurs capacités d’action- rend possible le développement des entreprises collectives des hommes, mais conditionne en même temps profondément leurs résultats

80 Crozier et Friedberg, Op Cit P.14

CONCLUSION DU CHAPITRE

Selon CROZIER et FRIEDBERG, si l’acteur n’a pas d’objectifs clairs ou alors ceux-ci sont multiples, plus ou moins contradictoires, il a un comportement actif qui n’est jamais déterminé, et qui a toujours un sens. Enfin, son comportement a toujours deux aspects : un aspect offensif81 et un aspect défensif82. Même avec de lourdes contraintes, il dispose d’une marge de liberté qu’il utilise de façon stratégique dans ses interactions avec les autres. Nous retenons donc au demeurant, que les logiques d’acteurs suscitées ne sont pas de nature à favoriser la synergie et la cohésion des acteurs dans ce processus de fabrication de l’attractivité touristique de la Région de Douala. La coopération entre ces acteurs apparait comme inéluctable pour le salut du tourisme, afin que le Cameroun ne soit plus le parent pauvre du tourisme en Afrique.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Mémoire de Master II en sciences de l’information et de la communication, spécialité communication des organisations - 2015
Auteur·trice·s 🎓:
M. Priso Koum Felix OLIVIER

M. Priso Koum Felix OLIVIER
Année de soutenance 📅: Université de Douala
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