Lacunes de l’organe de règlement des différends de l’OMC

Lacunes de l’organe de règlement des différends de l’OMC

§ 2. Les lacunes de l’organe de règlement des différends

En vertu de l’article 3.2 du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends de l’OMC, « le système (..) est un élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral ». L’objectif visé par ses promoteurs était donc double : d’un côté, le mécanisme se voulait préventif c’est-à-dire améliorer la prévisibilité du système commercial multilatéral et de l’autre côté, curatif puisqu’il s’agissait avant tout de renforcer la sécurité du mécanisme de régulation dans son ensemble.
C’est donc au regard des deux objectifs, au demeurant ambitieux qu’il nous importera d’évaluer l’efficacité de l’ORD sous le prisme de la procédure mise en œuvre (A) mais aussi au travers de la nature des sanctions (B).

A. Des insuffisances tenant à la procédure mise en œuvre

Au plan de la procédure, le système présente de graves insuffisances. La prévisibilité et la sécurité du mécanisme tant vantée dans les textes est loin de faire ses preuves dans la pratique d’autant plus que non seulement des lenteurs procédurales sont à relever dans la phase d’examen mais plus pernicieux encore, à l’étape d’exécution, le dilatoire demeure l’obstacle principal.
En ce qui concerne le premier point, malgré les délais prévus, une procédure complète de règlement de différends exige encore un temps considérable durant lequel le plaignant continue de subir le préjudice économique si la mesure contestée est effectivement incompatible avec les règles de l’OMC. En effet, selon une étude réalisée récemment par le General Accounting Office américain sur 42 règlements des différends, 19 cas ont pu être résolus avant la phase contentieuse de l’ORD.
Mais, dans 15 cas, les délais moyens atteignaient 21 mois. Ces lenteurs procédurales laissent les Etats et leurs entreprises dans une incertitude difficilement acceptable. De même, il a fallu attendre pas moins de trois années avant que l’affaire de l’amendement Byrd160 ne connaisse son dénouement, alors même que, par principe, le délai de réponse de l’ORD est généralement de 60 jours.
Ce délai a été encore plus allongé dans le contentieux commercial sur la banane 161 où l’arbitrage de l’OMC s’est étalé sur une durée record de 12 ans. De ce point de vue, il ne fait aucun doute que le système paraît désaxé au regard de son ambition de prévisibilité.
Ensuite, les problèmes rencontrés dans l’exécution des décisions de l’ORD sont encore plus importants d’autant plus que le manque de volonté de coopérer est le plus souvent manifeste, comme en témoignent éloquemment le différend de la viande aux hormones 162.
A cela s’ajoute le déséquilibre réel malgré l’apparente égalité de droit de tous les Etats entre les pays pauvres et le pays riches. En effet, les honoraires très coûteux des cabinets d’avocats dissuadent les PMA de recourir à l’ORD. Il s’en suit que ces pays ne peuvent véritablement se prévaloir des droits induits par le système commercial international.
Enfin les défauts du système résident aussi dans l’absence de transparence des procédures puisque les délibérations sont confidentielles et les experts demeurent anonymes.
Aussi importe-t-il de conclure que la longueur du processus, le déficit de transparence ainsi que le déséquilibre dans la saisine de l’ORD constituent autant de pesanteurs à l’encontre des ambitions de prévisibilité et de sécurité du système. A ces pesanteurs s’ajoutent des avatars tenant à l’absence de sanction.

B. Des défauts tenant à l’absence de sanction

Une analyse approfondie de la variété des sanctions prévues par le Mémorandum sur le règlement des différends laissent apparaître des insuffisances notables.
D’une part, en faisant une appréciation rétrospective du mécanisme de l’ORD durant ces vingt dernières années, on est saisi par une profonde impression de carence et un fort sentiment de déception : carence parce que seuls les États peuvent saisir l’ORD, alors que curieusement les victimes directes des violations des règles commerciales internationales, en l’occurrence les opérateurs économiques, n’y ont directement pas accès. Cette limitation du droit de saisine laisse indubitablement subsister la crainte que ces derniers soient condamnés à exercer un lobbying insistant auprès de leurs États.
D’autre part, le pays en infraction et condamné peut toujours négocier des « compensations commerciales mutuellement acceptables »163, ou « suspendre des concessions ou d’autres obligations en ce qui concerne le(s) même (s) secteurs (s) que celui (ceux) dans lequel (lesquels) le groupe spécial ou l’Organe d’appel a constaté une violation »164. Ces mécanismes particuliers de la procédure de l’ORD semblent donc ne pas être conciliables avec l’idée d’une démarche de droit.
Par ailleurs, il faut souligner que les accords de l’OMC font souvent référence à d’autres institutions internationales telles que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, (OMPI). Ce qui interroge sur une concurrence éventuelle entre ces régimes juridiques.165
Une mention spéciale doit être faite au mécanisme de prélèvement de droits de douane punitifs 166 qui est, enfin, totalement impraticable pour les pays pauvres lorsqu’ils sont confrontés à des super puissances économiques qui rechignent à coopérer. Ce phénomène a été très clairement mis en évidence par les problèmes rencontrés par l’Équateur dans l’application des sanctions à l’encontre de l’UE dans le cas des importations de bananes 167.
De même, tout récemment, l’Afrique du sud est sortie totalement affaiblie du bras de fer qui l’a opposé plusieurs mois durant aux Etats-Unis au sujet de l’importation de la volaille.
Face à la menace de suspension du tarif préférentiel de vente sur le marché américain dont l’Afrique du sud est bénéficiaire dans le cadre de l’African Growth Opportunity Act (AGOA)168, Pretoria n’a eu d’autres choix que de se plier à la volonté de Washington. Plus pernicieux encore, le rachat d’obligation instauré par le Mémorandum de règlement de différends peut s’analyser comme une prime à la transgression des règles commerciales.
Ces mesures sont, en tout état de cause, contraires à l’esprit de l’OMC et elles peuvent donner l’impression qu’un pays s’en tire à meilleur compte avec des mesures (de rétorsion) de nature protectionniste; ce qui, in fine, ne laisse manifestement que peu de crédit au mécanisme de sanction de l’ORD et par extrapolation à l’OMC169. On comprend donc assez aisément qu’aujourd’hui l’Organisation soit l’objet de tant de contestations.
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159 Pascal LOROT, « Le cycle de Doha n’a accouché finalement que d’un accord à minima en décembre dernier à Bali », le nouvel economiste.fr, consulté le 10juin 2016.
160 Voir l’affaire WT/DS/217/2003 Etats-Unis – loi sur la compensation (Rapport de l’organe d’appel). Le 21 décembre 2000 les plaignants, entre autre l’Australie, l’UE le Brésil le Chili le Canada avaient saisit l’ORD sur l’amendement Byrd qui prévoyait l’obligation pour les autorités douanières américaines de distribuer des droits compensateurs aux producteurs locaux touchés par des mesures de dumping. Le groupe spécial mis en place par l’ORD a considéré que la mesure était incompatible avec certaines dispositions de l’accord antidumping. Le 16 janvier 2003, l’Organe d’appel a confirmé la constatation du groupe spécial.
161Débuté en 1996, l’affaire de la Banane III (WT/DS27/2008 CE -_ Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution de la banane) a connu moult rebondissements. Il a fallut attendre le 8 novembre 2012 pour voir cette affaire réglée ou classée (demande retirée ou solution convenue d’un commun accord).
162 Voir l’affaire Communautés européennes – Mesures communautaires concernant les viandes et les Produits carnés (Plainte des États-Unis) (1998), OMC Doc. WT/DS26/AB/R et WT/DS48/AB/R
(Rapport de l’Organe d’appel) [Hormones]. Dans cette affaire en particulier, en dépit de leur engagement à se conformer aux recommandations de l’ORD, les communautés européennes ont refusé à se mettre en conformité vis-à-vis de cette décision. L’ORD a alors autorisé les Etats Unis à prendre des mesures de rétorsions prenant la forme de suspension de concessions à l’égard des communautés européennes. Aux dernières nouvelles, les deux parties ont trouvée un terrain d’attente : les Communautés européennes s’engagent à importer la viande bovine provenant d’animaux non traités avec certaines hormones en échange de droits majorés appliqués par les Etats- Unis.
163 Voir l’article 22 §2du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, Annexe 2 de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 14 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 426.
164 Ibidem §3 a).
165 Pour des cas de différends commerciaux, voir Hélène RUIZ-FABRI, « Le règlement des différends au sein de l’OMC : naissance d’une juridiction, consolidation d’un droit » in mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, paris, Litec, 2000, p. 347. De même voir David LUFF, Le droit de l’organisation mondiale du commerce : analyse critique, LGDJ, 2004, p.15 et ss.
166 On parle généralement de suspension de concession qui une forme de contre-mesure qui prend souvent la forme d’une augmentation des droits de douanes sur les importations.
167 WT/DS27/R/ECU Communautés européennes – Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes (Plainte de l’Équateur) (1997), OMC. Doc. (Rapport du Groupe spécial).
168 “African Growth Opportunity Act” est une loi adoptée en mai 2000 par le Congrès américain ayant pour objectif de soutenir l’économie des Etats africains. A noter que cette loi est régulièrement l’objet de vives critiques. On lui reproche d’avoir instauré un système asymétrique dont le cadre ne permet pas aux petits pays africains de faire valoir leurs conditions alors que les Etats-Unis se réservent un droit exclusif de suspendre les clauses qui menaceraient leurs propres productions. Voir Didier LAURENT, « Régimes préférentiels et système commercial multilatéral : une analyse comparative des accords Europe-ACP et de l’AGOA », Revue juridique de l’océan indien, 2013, no16, p.113-152.
169 Romain BENICCHIO, Céline CHARVERIAT, « L’avenir compromis de l’OMC », L’Économie politique 2007 (no 35), p. 55.

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