La libération conditionnelle en droit positif camerounais

La libération conditionnelle en droit positif camerounais
Jules Gérard Ema’a Mofa

La libération conditionnelle en droit positif camerounais
La libération conditionnelle en droit positif camerounais

Introduction générale :

Dans un contexte marqué par la primauté du respect des droits de l’homme, le Cameroun s’est joint au reste de la communauté Internationale pour marquer son adhésion à cette idéologie 1. Adhésion qui, à coup sûr, imposera par ailleurs des mutations profondes dans sa politique criminelle et dans tous les autres aspects juridiques mettant en relief les droits de l’Homme.
Ainsi, après le grand mouvement des indépendances, le Cameroun, pour une matérialisation effective de cet engagement d’une part et une rupture d’avec l’héritage colonial d’autre part, va adopter en 1967 son tout premier Code Pénal 2, s’abordant par ailleurs le Code d’instruction criminel (C.I.C), héritage de la colonisation française, en vigueur jusque-là. De ce premier code pénal, l’on notera des innovations et des ruptures d’avec le C.I.C. Loin pour nous l’idée de faire l’apologie de toutes ces innovations, notre attention, dans le cadre de ce travail sera focalisée sur La libération conditionnelle.
Moult enjeux ont soutenu et justifié l’adoption de cette mesure par le Cameroun :
Sur le plan sociopolitique, le Cameroun avait alors décidé de revoir de fond en comble sa politique criminelle en générale, mais plus précisément, être en adéquation avec l’idéologie de la nouvelle pénologie qui vise désormais la réinsertion du condamné. C’est d’ailleurs le postulat de la thèse utilitariste de la peine, qui s’oppose vertement à celle retributiviste.
La thèse utilitariste de la peine est l’œuvre de BECCARIA. Pour, l’infracteur est doté d’une raison lui permettant de mesurer le coût et le bénéfice de sa transgression. La fonction de la peine sera alors de provoquer dans le chef de l’individu, une douleur modérément supérieure au plaisir qu’il a ressentie en commettant son acte ; la peine vise ainsi à la dissuasion et la prévention de nouvelles infractions car tournée vers l’avenir. Et cette utilité est de réformer l’individu.
A contrario, la thèse rétributiviste de la peine est l’œuvre d’Emmanuel KANT, pour ce dernier, la peine à infliger doit être douloureuse, elle doit être retournée vers le passé, vers l’acte commis. Elle doit avoir une fonction d’expiation et non de dissuasion. Il faut faire souffrir celui qui a commis l’infraction à la hauteur de son acte. Il s’agira donc à la fin de combattre le mal par le mal et vue sous cet angle, la peine ne revêt aucune utilité.
De ce qui précède, la libération conditionnelle vient clarifier le choix du Cameroun. C’est d’ailleurs pourquoi, elle a suscité tant d’engouement et d’espoir tant la mesure remet l’Homme au centre des préoccupations.
Cette mesure qui s’est voulue avant-gardiste pour ce jeune Etat à peine indépendant qu’était le Cameroun d’alors, est malheureusement restée dans un état léthargique, tant son cadre règlementaire restait insuffisant.
Près d’une cinquantaine d’année plus tard, le problème de la surpopulation carcérale qui n’avait donc pas été jugulé en amont se posait et se pose d’ailleurs jusqu’à ce jour avec acuité dans tous les centres de détention du pays.
Nous en voulons pour preuve, dans les grandes métropoles comme Yaoundé, Douala, Garoua, Bafoussam, le nombre de détenus dans les prisons de ces villes a quadruplé au minimum en 2015.
Face à ce nouveau défi, le Cameroun décide de se doter d’un Code de Procédure Pénale en 20053 d’une part et procéder quelques années plus tard, à la révision de son Code Pénal de 1967 en 20164 d’autre part. Malgré l’instauration des peines alternatives et le maintien de la libération conditionnelle, le problème de la surpopulation ne trouvera pas malheureusement de solution.
Au contraire, des chiffres alarmants sont toujours avancés par l’Institut National de Statistiques du Cameroun.
C’est donc face à cette situation critique, où les capacités d’accueil des condamnés sont restées largement en deçà de la forte demande, situation entrainant ipso facto la surpopulation carcérale, et qui ternit sans cesse l’image de marque du Cameroun en matière de respect des Droits de l’Homme.
Il est plus qu’urgent qu’un regard froid soit jeté sur ces mesures alternatives de l’exécution des peines en général et de celle dite la libération conditionnelle en particulier.
C’est pourquoi, dans le cadre de notre travail, nous avons choisi de travailler sur la : « La libération conditionnelle en droit positif camerounais».
L’entreprise ne sera pas aisée. La difficulté tiendra ici au fait que, l’étude de cette institution peut sembler ne plus pouvoir revêtir aucune originalité tant la mesure qui reste peu connue par le grand public n’alimente pas les débats dans les chaumières.
Le choix de ce sujet se justifie néanmoins, comme l’affirmait le Dr NKOULOU Yannick dans l’introduction de sa thèse portant sur Le contenu du contrat : entre objectivisme et subjectivisme, qu’un regard nouveau est presque toujours souhaitable même sur des sujets anciens 5.
Le doyen Henri Batiffol, abordant dans le même sens d’ailleurs, dans la préface de la thèse de Paul Lagarde portant sur un thème aussi classique que l’ordre public en droit international affirme : « Les objets classiques doivent être périodiquement repris – même s’ils sont l’objet de controverses persistantes conduisant au scepticisme sur la possibilité d’un progrès appréciable »6.
Afin de mieux appréhender notre thème d’étude, il ne sera pas superfétatoire pour nous d’apporter certains éclaircis aux concepts clés dudit thème.
Contrairement au droit naturel qui s’entend comme un ensemble de principes immuables et éternels parce qu’inhérents à la nature humaine, découverts par la raison et permettant d’éprouver la valeur des règles de conduite positives admises par le droit objectif  7.
Le droit positif quant à lui peut se définir comme l’ensemble des règles juridiques en vigueur dans un État ou dans la communauté internationale, à un moment donné, quelle que soit leur source ; c’est le droit « posé», le droit tel qu’il existe réellement 8.
Cette définition, nous semble assez complète car elle rend compte de la réalité des normes juridiques applicables dans un Etat à un moment donné mais aussi nous permet de pouvoir questionner lesdites normes.
D’ailleurs, Gérard Cornu abonde dans le même sens lorsqu’il le définit comme : « un ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société »9. C’est donc dans ce sens que le droit positif sera entendu tout au long de notre travail.
C’est dire que pour un fonctionnement harmonieux d’un Etat, celui-ci doit se doter d’un droit positif fort et qui devra être questionné de façon pérenne pour espérer répondre au mieux aux aspirations de ses populations. En ce sens donc, dans le cadre de notre étude, il sera opportun pour nous de questionner l’une des multiples mesures pénales en vigueur au Cameroun à savoir : La libération conditionnelle.
Pour Philippe Conte et Patrick Maistre Du Chambon, la libération conditionnelle peut s’entendre comme « la mise en liberté anticipée d’un condamné, affecté d’une condition de bonne conduite jusqu’à l’expiration du délai convenu »10.
Malheureusement, cette définition ne sera pas retenue dans le cadre de notre étude vue son caractère réductionniste, se bornant exclusivement sur des peines privatives de liberté et ne rendant pas par ailleurs compte sur les mesures privatives de liberté de même nature.
Selon l’article 61 al.1 du Code Pénal, «La libération conditionnelle est la mise en liberté anticipée du condamné à une peine privative de liberté, ou soumis par la décision de condamnation, à une mesure de sûreté de même nature»11.
Cette définition a le mérite de globaliser non seulement les condamnés à une peine privative de liberté, mais aussi ceux des justiciables soumis à une mesure de sûreté de même nature.
C’est d’ailleurs pourquoi, dans le cadre de notre étude, nous utiliserons cette définition plutôt globalisante et qui répond au mieux aux aspirations du législateur camerounais.
Il sera donc question, tout au long de ce travail, de l’exécution des peines en droit positif camerounais en général. Cette approche inscrit par conséquence le présent travail dans le Droit pénal judiciaire en général et au droit de la procédure pénale en particulier. Cependant, une question demeure : comment y parvenir ?
La « méthode » peut désigner l’ensemble des démarches que suit l’esprit pour découvrir et démontrer la vérité dans la science12 ; c’est encore un ensemble de procédés raisonnés pour faire une chose ; c’est enfin l’ordre qu’on suit pour enseigner, apprendre,…
Elle est donc une voie particulière en vue d’éclairer l’itinéraire de la recherche. Plusieurs méthodes ont toujours conduit les travaux de recherches en droit :
La méthode subjectiviste ; celle-ci se manifeste par l’analyse théorique et abstraite des règles de Droit détachées des influences extérieures. La méthode objectiviste quant à elle, prend en compte les données sociales objectives dans la recherche de ce qui est juste.
La méthode casuistique convoque les différents cas jurisprudentiels et la méthode de la libre recherche scientifique alors que le subjectivisme est fait d’idées préconçues, l’objectivisme vise à dépasser celles-ci pour s’attacher aux faits concrets.
C’est fort de tout ce qui précède que, dans le cadre de ce travail, nous combinerons les méthodes objectiviste et casuistique d’avec celle de la libre recherche scientifique.
Ce choix méthodologique se justifie du fait que, nous entendons faire une recherche complémentaire sur un thème où certainement d’autres nous ont précédés mais néanmoins dont la problématique reste d’actualité au Cameroun.
Dès lors, au regard de la croissance exponentielle de la population carcérale au Cameroun, la libération conditionnelle est-elle une mesure effective dans le système pénal Camerounais ?
Le thème retenu pour cette recherche regorge un intérêt certain :
D’abord, traiter de la libération conditionnelle revient à remettre au goût du jour, le débat sur la mise en œuvre effective des politiques criminelles face au sens accordé par la nouvelle pénologie à la peine.
Bien plus, il sera aussi question de l’articulation des exigences de la mise en œuvre de la peine et celles de l’humanisation desdites peines pour une meilleure resocialisation du délinquant. Il sera enfin question de scruter les mesures postpénales dans notre système judiciaire.
Ensuite, ce thème nous permettra de vulgariser cette institution auprès des justiciables que sont les condamnés qui semblent mal la méconnaitre quand bien même sa mise en œuvre jouera en leur faveur. Car il faut le dire, c’est une cause de suspension de la peine avant son terme initialement fixé par la décision de condamnation.
C’est le lieu ici de dire que traiter de la libération conditionnelle, c’est de rentrer dans le cadre d’une meilleure politique criminelle qui vise la resocialisation et la réinsertion du délinquant dans la société tant aujourd’hui la peine se veut davantage utilitariste que retributive.13
Par ailleurs, ce thème sera un plaidoyer auprès du législateur camerounais afin que, cette mesure salvatrice et véritable instrument de promotion des droits de l’Homme qu’est la libération conditionnelle ne soit plus un serpent de mer dans le paysage judiciaire camerounais ; que la mesure soit enfin effective dans la pratique judiciaire de notre pays.
C’est enfin, nous le pensons fort aisément, que la libération conditionnelle est une panacée crédible pour lutter efficacement contre la surpopulation carcérale qui ne cesse de croître et d’atteindre des proportions alarmantes dans notre pays.
En répondant par la négation à notre problématique sus évoquée, dès lors, pour mener notre étude à terme, il sera question pour nous d’évoquer les raisons de l’ineffectivité de la libération conditionnelle en droit positif camerounais (Première partie) d’une part, et proposer des pistes de solutions pour l’amélioration de son régime (Deuxième partie) d’autre part.

Sommaire :

  1. La mise en œuvre effective de la libération conditionnelle

  2. Le cadre règlementaire de la libération conditionnelle

  3. La libération provisoire et la liberté conditionnelle

  4. Difficultés liées aux dysfonctionnements du système pénal

  5. Le système pénitentiaire camerounais : vision tatillonne

  6. L’instauration d’un juge d’application des peines

  7. Les missions du juge d’application des peines

  8. Les modalités d’érection d’un décret, la portée individuelle

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  • 1 -Le Cameroun, membre de l’Organisation des Nations Unies a ratifié la charte des Nations Unies portant sur les droits de l’Homme de 1948.
  • 2 – Loi N°67/LF/1 du 12 Juin 1967 portant code pénal du Cameroun
  • 3 -Loi N°2005/007 du 27 Juillet 2005 Portant Code de Procédure Pénale du Cameroun.
  • 4 – Loi N°2016/007 du 12 Juillet 2016 Portant Code Pénal du Cameroun
  • 5 – Thèse (Y.S.) NKOULOU, Le contenu du contrat : entre objectivisme et subjectivisme. Université de Yaoundé II- Soa. 2010. P2.
  • 6 (H.) BATIFFOL, « Préface », in P. LAGARDE, Recherches sur l’ordre public en droit international privé, LGDJ, 1959.
  • 7 -(S.) GUINCHARD et (T.) DEBARD, Lexique des termes juridiques ; 25è Ed. ; 2017-2018 ; 2434 pages.
  • 8 -(S.) GUINCHARD et (T.) DEBARD, op cit
  • 9 -(G.) CORNU, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique ; 11e Ed. mise à jour, Puf, 1101p.
  • 10 -(P.) CONTE et (P.) MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, 6è éd, page 329
  • 11 -Article 61 al.1 Code Pénal du Cameroun up cit.
  • 12 -Voir petit Larousse de poche, 2000.
  • 13 -Dans un article de Dan BIANCALANA intitulé : Le sens de la peine : approche pénologique, historique et économique, deux thèses sur les fondements du droit de punir s’affrontent :
  • -La thèse rétributiviste. Elle est l’œuvre d’Emmanuel Kant pour qui la peine à infliger doit être douloureuse, elle doit être retournée vers le passé, vers l’acte commis. Elle doit avoir une fonction d’expiation et non de dissuasion. Il faut faire souffrir celui qui a commis l’infraction à la hauteur de son acte. Il s’agira donc à la fin de combattre le mal par le mal et vue sous cet angle, la peine ne revêt aucune utilité ;
  • -La thèse utilitariste. Elle est l’œuvre de BECCARIA pour qui l’infracteur est doté d’une raison lui permettant de mesurer le coût et le bénéfice de sa transgression. La fonction de la peine sera alors de provoquer dans le chef de l’individu, une douleur modérément supérieure au plaisir qu’il a ressentie en commettant son acte. La peine vise ainsi à la dissuasion et la prévention de nouvelles infractions car tournée vers l’avenir. Et cette utilité est de réformer l’individu. C’est donc la tendance à ce jour est d’avantage utilitariste que retributiviste.

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