La libération provisoire et la liberté conditionnelle

Section 2 : L’ignorance apparente de la mesure de libération conditionnelle

De nos nombreuses descentes sur le terrain à l’occasion de cette recherche, un constat se dégage : la mesure de la libération conditionnelle est mal connue ou moins connue des justiciables et même parfois des praticiens du droit au Cameroun. Cette ignorance tirerait sa substance dans la grande confusion alimentée autour de la libération conditionnelle d’avec la liberté provisoire (Paragraphe 1), pourtant, il n’en demeure pas moins vrai que la libération conditionnelle reste une mesure autonome avec des spécificités qui lui sont propres (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La confusion apparente entre la libération conditionnelle et la liberté provisoire

La libération conditionnelle et la liberté provisoire ont toujours causé du fil à retordre tant il n’est pas aisé pour un profane, le futur bénéficiaire de l’une quelconque des deux mesures, tant le vocabulaire juridique n’est pas à la portée de tous (A) et l’ineffectivité pratique de la libération conditionnelle (B) et constitue à alimenter d’avantage ladite confusion.

A- Les difficultés linguistiques

Le terme linguistique, est un adjectif qualificatif qui qualifie ce qui a un rapport avec la langue42. Quant à la langue, elle peut désigner l’organe du goût et de la parole. Cette définition ne sera pas utilisée dans le cadre de notre travail car elle ne cadre pas avec notre étude et dès lors il nous échoit de trouver une autre définition du terme langue. Dans un sens second, la langue désigne l’ensemble constitué par le vocabulaire et syntaxe propre à une communauté, mieux à une discipline. C’est encore une façon de s’exprimer. Vue sous cet angle, les difficultés linguistiques désigneraient toutes les difficultés qu’éprouvent les justiciables pour cerner avec aisance et exactitude la langue et le vocable juridique.
C’est pourquoi, malgré les différences notoires entre les deux institutions, du simple fait que comme dans la libération conditionnelle, le délinquant est libérer sous certaines conditions au même titre que dans la liberté provisoire, cela est suffisant à créer une confusion irrécusable dans certains esprits naïfs. La preuve chaque fois que nous avons abordé « l’Homme de la rue » au sujet des deux notions, la réponse était sans ambages : «c’est la même chose : la libération de quelqu’un qui est enfermé de façon non définitive »43.
Cependant malgré cette confusion apparente entre les notions sus évoquées, la libération conditionnelle présente des spécificités qui lui sont propres. Pendant que la liberté provisoire bénéficie aux prévenus, c’est-à-dire un délinquant dont la procédure reste encore pendante devant les juridictions et en attente de décision de condamnation ou d’acquittement, la liberté conditionnelle a contrario s’applique aux condamnés ou aux détenus. Bien plus, c’est une mesure de suspension de la peine qui vise la libération anticipée du détenu, sa préparation en vue d’une meilleure réinsertion sociale et enfin c’est un gage de respect des Droits de l’Homme dans un Etat.
Si tant est vrai que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, il est aussi une vérité que le droit qui est une science utilise un langage technique et hermétique aux nons initiés de la chose juridique. Or la langue, premier vecteur de communication a toujours constitué un frein certain, un handicap sérieux à l’appropriation des connaissances ou des concepts tels la libération conditionnelle et la liberté provisoire.
Les conséquences sont forcément néfastes et tristes pour les potentiels bénéficiaires qui ne peuvent pas alors demander, revendiquer encore moins bénéficier de certains droits primordiaux qui leurs sont pourtant reconnus. Dès lors, le problème linguistique est-il le seul écueil alimentant la confusion d’entre les deux notions ?

B- L’ineffectivité factuelle de la libération conditionnelle

Parler de l’ineffectivité factuelle de la libération conditionnelle, c’est tout simplement dire et reconnaitre que la libération conditionnelle n’est restée jusque-là qu’une réalité textuelle. Elle n’a jamais été appliquée dans la pratique pénale camerounaise et les raisons de cet état de chose ont largement été évoquées plus haut. Mais comment donc le manque d’application de cette mesure continue-t-elle à alimenter la confusion entre la libération conditionnelle et la liberté provisoire ?
En effet, l’ineffectivité de la libération conditionnelle tant à la jeter aux oubliettes ; Les justiciables sont alors essentiellement confrontés qu’à la mesure de liberté provisoire. Des années durant et à force d’usage, cette mesure est de plus en plus connue dans la pratique pénale camerounaise au grand dam de la libération conditionnelle. C’est d’ailleurs, la raison pour laquelle la seule évocation du terme « liberté», qu’elle soit conditionnelle ou provisoire, cela n’a pas vraiment trop d’importance tant les esprits seront rapidement tournés et considérés les deux notions comme la liberté provisoire.
Cette situation est d’avantage confortée par l’absence d’une sensibilisation accrue de la population sur ces notions au combien importante. S’il est vrai que nul n’est censé ignorer la loi, il est aussi une réalité qui incombe aux autorités législatives de procéder à la vulgarisation et à la promulgation de chaque norme au moment de son entrée en vigueur afin que nul n’en ignore.
Il faut, poursuivant dans la même logique, dire que oui la vulgarisation de ces notions avait été faite à travers la publication des lois renfermant ces mesures (le code pénal et le code de procédure pénal camerounais) et l’insertion faite dans le journal officiel en Français et en Anglais. Mais, il faut tout de suite le relever, pour le fustiger, que le journal officiel du Cameroun n’est cependant pas réellement accessible aux couches populaires qui constitue en n’en point douter la plus grande frange de la population et par conséquence des potentiels demandeurs de ces mesures.
Nous pensons, qu’il est désormais temps pour repenser tout le système de vulgarisation des nouvelles normes juridiques dans notre pays si nous voulons éviter à l’avenir de telles confusions des notions et mesures à nous bénéfiques et qui par ailleurs ont pourtant un contenu spécifique.

Paragraphe 2 : Les spécificités de la libération conditionnelle

Parler de spécificités d’une notion ou d’une mesure revient tout simplement à évoquer ou à énumérer tous les critères qui lui sont propres et grâces auxquels, elle se singularise des notions qui lui sont voisines. Ainsi, parler des spécificités de la libération conditionnelle revient tout simplement à rendre compte de son objet (A) d’une part, et, son domaine d’application ainsi que son régime juridique (B).

A- L’objet de la libération conditionnelle

La libération conditionnelle, mesure d’interruption de la peine, est une institution qui vise plusieurs objectifs ou finalités :
D’abord, elle a pour finalité première la libération du délinquant condamné à une peine privative de liberté, ou à une mesure de sûreté de même nature et sous réserve de l’observation de certaines conditions44. C’est dire que c’est une mesure qui est favorable aux condamnés et c’est en cela qu’elle est distincte de la liberté provisoire. Cette dernière s’entend comme : « expression employée pour désigner la remise en liberté d’un inculpé ou prévenu placé en détention à la suite d’un mandat du juge d’instruction, du Procureur de la République ou d’une juridiction de jugement, ou le maintien en liberté d’une personne qui aurait pu être légalement placée en détention. »45. Ici, la personne est encore en attente de jugement ou de verdict ; contrairement à la libération conditionnelle où la condamnation est déjà effective et que le condamné a même déjà purgé une partie de sa peine.
Ensuite, la libération conditionnelle a pour finalité de résorber le problème de surpopulation carcérale, qui est un épineux problème dans le système pénitentiaire camerounais. Bien plus, abondant dans le même sens, Ahmadou Oumarou reconnait que la libération conditionnelle « …s’inscrit dans une logique de resocialisation de la personne incarcérée en ce sens qu’elle tient compte des efforts d’amendement du bénéficiaire tout au long de son séjour dans le pénitencier »46.
Enfin, partant du discours de la nouvelle pénologie47 en matière de la peine tel que proposé par Feeley et Simon en 1992, la libération conditionnelle témoigne d’un morcellement important des tâches (estimation des risques et des besoins, suivis et contrôle, aides, décision de révocation,…) entre plusieurs agents48. Morcellement qui permet alors une certaine efficacité dans l’administration et la gestion humanisante de l’exécution des peines. Cependant, de tout ce qui précède, l’on est tenté de se poser la question de savoir quel peut être le domaine d’application ainsi que le régime juridique de la libération conditionnelle ?

B- Le domaine d’application et le régime juridique de la libération conditionnelle

Dans cette partie, notre analyse portera d’une part sur le domaine d’application de la libération conditionnelle et d’autre part sur son régime juridique.
Gérard CORNU définit le domaine d’application comme étant la reconnaissance de l’applicabilité d’une règle à une matière déterminée ; c’est aussi l’affirmation de sa vocation à s’appliquer à ce domaine et à le régir. Ainsi défini, le domaine d’application de la libération conditionnelle revient à donner la matière et le domaine qu’elle régit.
En effet, la libération conditionnelle a vocation à régir la matière pénale en générale et en particulier l’exécution des peines privatives de liberté. Cela se justifie, si en était-il encore besoin de le prouver, qu’elle intervient en pleine exécution de sa peine par le condamné.
En plus, cette mesure telle qu’évoquée dans le cadre de ce travail, même si elle est retrouvée dans d’autres systèmes judiciaires à travers le monde, a pour limites territoriales le Cameroun. Elle ne saura donc pas répondre avec brio en dehors des frontières nationales. Par ailleurs, en allant dans le même sens, cette mesure peut être d’applicabilité effective dans tous les ressorts situés à l’intérieur du territoire national.
Enfin, la mesure de la libération conditionnelle a cette spécificité, qu’elle s’applique ou qu’elle bénéficie exclusivement aux délinquants dont la condamnation est désormais définitive et donc la décision revêt déjà la force de l’autorité de chose jugée. Elle ne saurait donc s’appliquer ou bénéficier aux mis en causes, aux inculpés et autres etc…Que retenir par ailleurs de son régime juridique ?
Du latin regimen, de regere qui signifie diriger49, le régime juridique est un nom masculin qui désigne un système de règles, considérés comme un tout, soit en tant qu’il regroupe l’ensemble des règles relatives à une matière ou à une mesure. Parler alors du régime juridique, c’est évoquer l’ensemble des règles qui régissent ladite institution.
Ainsi, la mesure de la libération conditionnelle est une mesure légale et qui trouve son fondement dans divers textes régissant le domaine pénal dans le système judiciaire camerounais. L’on peut citer entre autre : la Loi N°67/LF/1 du 12 Juin 1967 portant code pénal du Cameroun et sa récente révision par la Loi N°2016/007 du 12 Juillet 2016 d’une part et la Loi N°2005/007 du 27 Juillet 2005 portant code de procédure pénale du Cameroun.
De ces textes, il ressort de l’article 61 al. 150 pour le code pénal et l’article 691 al. 151 pour le code de procédure pénale : « La libération conditionnelle est la mise en liberté anticipée du condamné […] ». Cette mesure, pour qu’elle soit accordée à son demandeur, exige le respect de certaines conditions52. Par ailleurs elle peut aussi être révoquée.

Conclusion du chapitre

En somme, la libération conditionnelle s’entend comme la mise en liberté anticipée du condamné à une peine privative de liberté, ou soumis, par la décision de condamnation à une mesure de sûreté de même nature. Cette institution, qui a pour finalité première la résorption du problème de surpopulation carcéral d’une part, l’humanisation de l’exécution des peines et la resocialisation du délinquant d’autre part reste jusque-là une mesure inefficace ou ineffective dans notre système judiciaire.
Les raisons de cette faillite tiennent d’abord à l’insuffisance de son cadre règlementaire avec le décret d’application qui fixera les conditions générales, celles de l’octroi ou de la révocation de la libération conditionnelle. Ensuite, ces raisons tiennent aussi de l’apparente ignorance de l’institution de la libération conditionnelle qui se matérialise par une confusion notoire d’entre elle et la mesure de la liberté provisoire par les justiciables.
De ce qui précède, l’on peut toujours se poser la question de savoir si l’ineffectivité de la libération conditionnelle ne tient-elle qu’aux difficultés sus-évoquées ?
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  • 42 -V. Dictionnaire Français petit Larousse de poche op cit.
  • 43 -Nous avons mené une enquête sur le sujet au tribal du centre administratif de Yaoundé en Septembre 2018 et la question posée était celle de savoir qu’elle est, d’après vous, la différence que vous pouvez donner entre la libération conditionnelle et la liberté provisoire ?.
  • 44 -Voir article 61 du code pénal op cit.
  • 45 -(G.) CORNU, Association Henri Capitant op cit. P613.
  • 46 – AHMADOU OUMAROU, Code de lois pénales, Presses Universitaires d’Afrique, 1998, p.55, article 61.D1, Op cit.
  • 47- C’est en effet dans un article publié en 1992 et intitulé « The New Penology : Notes on the Emerging Strategy of Corrections and Its Implications » que Feeley et Simon proposent pour la première fois ce concept.
  • 48 -(T.) SLINGENEYER, La nouvelle pénologie, une grille d’analyse des transformations des discours, des techniques et des objectifs dans la pénalité, paragraphe 104.
  • 49 -(G.) CORNU et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique op cit.
  • 50 -Voir code pénal camerounais op cit.
  • 51 -Voir code de procédure pénal op cit.
  • 52 -Voir les articles 61 al. 2 et suivants du code pénal op cit.

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