Egalijouets : Postures professionnelles et Fonds de jeux

B. Postures professionnelles

Les postures professionnelles, à savoir le positionnement du corps et le positionnement intellectuel ont un rôle important dans la liberté que l’on laisse et fait ressentir aux joueur·se·s.
Elles permettent de créer une atmosphère pour la mise en jeu, la confiance des joueur·se·s et de leur donner les moyens de décider de revenir ou pas. Proposer sans contraindre est aussi l’une des missions des ludothécaires en mettant à disposition des espaces et des jeux.
Une présence attentive permet de soutenir le jeu; celui-ci est valorisé par l’observation et l’accompagnement du/de la professionnel·le.
Enfin, il est important d’utiliser la communication bienveillante avec des interventions justifiées par le jeu de l’enfant.
En 2012, les Rencontres Ludiques ont pour thème «Le jeu, une pratique culturelle d’utilité publique. Des mots pour le dire » ; l’un des ateliers est “Jouets, jeux et genre.
Pour une éducation non-sexiste”. Les Rencontres Ludiques sont un réseau de structures travaillant dans le milieu du jeu qui se réunit régulièrement depuis 2001 (5 éditions depuis 2001) et organise des formations, des échanges et des mises en réseaux. Lors de l’atelier sur les pratiques non-sexistes, des échanges ont d’abord eu lieu sur les stéréotypes et les comportements attendus des garçons et des filles puis autour de situations professionnelles.
Ils ont permis de proposer des solutions et surtout de souligner l’importance d’investir plusieurs domaines pour lutter contre les stéréotypes et pour l’égalité : l’environnement, le public et l’équipe, tout ceci construit autour du projet de la structure.
En 2015, les Rencontres Ludiques ont eu pour thème “Quand jeu rime avec Politique.
Penser, transmettre, agir.” et l’un des ateliers était “Genre et jouets : à la découverte d’Egalijouets. Questionner nos pratiques professionnelles pour un développement égalitaire des filles et des garçons.” animé par Egalijouets dans lequel l’institut a fait découvrir sa démarche et ses différents outils.
A propos des postures professionnelles, Egalijouets a fait de nombreuses propositions notamment sur les représentations visuelles proposées, comme les affiches (filles sur un tracteur, garçon avec un chariot de ménage, ….) et les représentations des professionnel·le·s, comme le fait par exemple Ludambule :
“Alors, déjà avec une équipe mixte et puis en essayant au niveau donc de l‟équipe de ne pas envoyer systématiquement les garçons sur les jeux vidéos, sur les ados etc mais aussi autour de la petite enfance, du soin pour favoriser un petit peu cette mixité.
Ca c‟est une première chose. Deuxio, par exemple aussi Christian qui est coordinateur anime, co-anime avec moi des formations pour plus d’égalité entre les filles et les garçons dans des lieux d’accueil du jeune enfant ou des accueils collectifs de mineurs etc.” Dominique Dumeste
L’institut Egaligone insiste enfin sur l’importance du projet en impliquant l’équipe de la structure et les usager· e·s par des échanges avec les parents et les enfants accueillis et un langage le plus neutre possible, par exemple en valorisant les faits plutôt que le paraître.
Cependant, dans le documentaire “jeux de genre” tourné dans le cadre de l’enquête de l’ALIF en 2007 qui pose les questions d’aménagement et de postures face aux stéréotypes de genre, on voit un ludothécaire accueillir un groupe d’enfants et présenter l’espace en disant “là juste derrière vous, il y a des déguisements.
Y a des déguisements pour les garçons et des déguisements pour les filles” ce qui pose question dans un documentaire censé représenter les postures pouvant être adoptées en ludothèque pour lutter contre les stéréotypes.
A Ludambule, lors de la présentation des espaces, j’ai pu observer que l’équipe précisait aux enfants accueillis que chacun est libre de jouer au jeu qu’il veut, qu’il n’existe pas de jeux pour filles ou jeux pour garçons.
Nous avons parlé de l’aménagement et des postures professionnelles mais l’objet jeu utilisé en ludothèque a bien sûr un rôle prépondérant dans le choix et le jeu des usager·e·s.

C. Fonds de jeux et valorisation

L’une des activités principales des ludothécaires inscrites dans la fiche-métier de l’ALF est la constitution, maintenance, gestion et enrichissement d’un fonds de jeux et jouets.
Les professionnel·le·s doivent élaborer un projet d’achat en fonction du projet de la ludothèque et en tenant compte des usager·e·s.
La question qui se pose avec les jeux genrés est : que faire de ces jeux en ludothèque ? Faut-il les bannir ou les intégrer au fonds de jeux ? Faut-il leur réserver un traitement spécifique ? Faut-il prévoir un accompagnement du public pour ces jeux ?
L’institut Egalijouet propose de neutraliser les jeux et jouets, que les couleurs ne soient pas rose ou bleu mais plus neutre comme orange, vert, … et que les jouets qui sont plutôt attribués à l’un des genres ne portent pas la couleur associée à ce genre. Par exemple, une dinette bleue.
Aussi, dans les jeux de rôle, il est important que les personnages féminins et masculins soient représentés dans toutes les situations (déguisements de super-héros, ….).
Enfin, l’institut insiste sur l’importance de l’adéquation entre le projet de la structure et le choix du fonds de jeux.
En 2014, un rapport d’information est remis au Sénat « au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons, dirigé par Chantal Jouanno et Roland Courteau, Sénateurs ».
Ce rapport fait d’abord le constat de la séparation récente des univers pour filles et garçons et se demande ensuite comment déjouer les stéréotypes sexistes. Il préconnise enfin dix recommandations pour faire des jouets “la première initiation à l’égalité.”
Une majorité de ces propositions concerne plutôt les structures petite enfance, les accueils collectifs de mineur· e·s et les professionnel·le· educateur·ice·s, cependant certaines propositions peuvent être adaptées aux ludothèques comme la quatrième :
“La quatrième proposition concerne les acheteurs publics pour les crèches, les centres sociaux, les centres aérés ou les ludothèques et salles de jeux, qui se fournissent en jouets auprès des grandes enseignes.
Il pourrait leur être imposé un cahier des charges pour ne choisir que des fournisseurs qui mènent une politique volontariste en faveur de l‟égalité entre les sexes, par exemple en préférant acheter une cuisine rouge et grise plutôt que rose, et des poupons et accessoires de puériculture qui seraient dans d‟autres couleurs que le rose.” Rapport sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons
On retrouve donc ici la proposition d’Egalijouets de neutraliser les objets en optant pour des couleurs ne véhiculant pas de stéréotypes ou de normes.
La majorité des propositions vues jusqu’à présent portent sur les jouets et jeux symboliques et s’adresse plutôt à la petite enfance mais qu’en est-il des jeux de règles ? Autant un jouet peut être édité de différentes couleurs selon les fabricants et les années mais les jeux de règles sont rarement édités de plusieurs façons.
De plus, La règle d’un jeu peut aussi être stéréotypée alors que faire de ces jeux ? Dans la plupart des ludothèques que j’ai pu visiter, les jeux véhiculant des stéréotypes ne sont pas identifiés comme tel et n’ont pas de traitement particulier par les professionnel·le·s, plus ou moins conscient· e·s des valeurs et stéréotypes que ces jeux véhiculent.
A Ludambule, un travail de recensement des jeux genrés mais aussi des jeux qui prône l’égalité a été amorcé avec pour chaque jeu, une description, une intention (genré ou égalité) suivi d’une proposition de changements de règles ou d’adaptation pour les jeux véhiculant des stéréotypes. A Ludambule, Dominique Dumeste m’explique :
“Et puis on a aussi des jeux soit des jeux très genrés et là on va par exemple on va utiliser, avoir piratatak et diamoniak et on va demander aux enfants qui lisent la règle “mais y’a pas quelque chose qui vous gène ?” et moi je me souviens y a un garçon qui a dit “ouais y a écrit les joueuses et moi je suis un garçon j‟ai envie de jouer” et puis presque, on était presque près à écrire à l‟éditeur pour dire qu’il aurait pu dire “les joueuses et les joueurs”.” Dominique Dumeste
Les jeux repérés comme genrés ne sont donc pas laissé au public sans accompagnement, mais cela ne nuit-il pas à la définition de jeu libre que les ludothèques prônent ? Nous avons vu précédemment qu’il est important de laisser l’enfant libre de son choix et de son jeu et que l’intervention de l’adulte doit être justifiée par le jeu de l’enfant.
Le fait d’intervenir pour notifier aux joueur·se·s que ce jeu véhicule des stéréotypes est-il justifié par le jeu de l’enfant ? Quel accompagnement serait possible sans déranger l’enfant dans son jeu ? Faut-il un accompagnement ? A partir du moment où le jeu est mis à disposition du public, les professionnel·le·s acceptent que le jeu soit joué par le public sans une présence obligatoire des ludothécaires.
Si les joueur·se·s sentent le besoin de parler des valeurs véhiculées par le jeu pendant ou après la partie, le/la ludothécaire reste disponible pour échanger et à ce moment peut apporter ses connaissances sur le sujet et proposer une alternative si le jeu ne convient pas aux joueur·se·s.
Pour revenir aux représentations véhiculées par les jeux, il n’y pas seulement la couleur qui induit un genre ou l’autre, mais aussi l’image sur la boîte de jeu.
Souvent, il y a un·e joueur·se représenté· e·s sur la boîte qui indique la cible marketing du fabricant
. Il est par exemple compliqué de trouver une boîte d’expériences scientifiques représentant une fille. La majorité des boîtes de chimistes représentent un garçon, ou un garçon et une fille; dans ce cas, la fille regarde le garçon manipuler.
De même, il est difficile de trouver une boîte de perles à repasser ou de dessin avec un garçon. Cependant, certaines marques semblent avoir changé récemment comme le dit Dominique Dumeste :
“Là récemment, et ça faisait longtemps que je voulais qu’on ait un punching ball et ce qui m’a plu […] et ça c‟est assez rare pour être souligné, sur l‟emballage d‟oxybul du punching ball c‟est une fille qui est en train faire de la boxe. et je pense aussi que c‟est comme ça, avec des images aussi qui rompent un peu les stéréotypes qu’on va pouvoir aussi changer” Dominique Dumeste
Toutefois, sur le site internet d’Oxybul, dans les filtres de recherche on trouve les catégories “filles, “garçons” et “mixte” ce qui envoie un message différent de celui qui est envoyé avec la photo du punching ball et contribue à valider le fait de séparer les jeux et n’autoriser que certains jeux à chaque genre.

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