Institut De Recherche Et d’Etudes En Droit De L’information Et De La Communication

Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-Marseille

Mémoire – Diplôme d’Etudes Spécialisées en Droit de l’audiovisuel

L’utilisation des phonogrammes du commerce à la télévision : la licence légale

réalisé par M. Fabien MULLER

sous la direction de M. Xavier AGOSTINELLI

Année universitaire :

2003-2004

« La musique et les airs connus. Ou : il n’y a pas de musique plus agréable que les variations des airs connus. »

Joseph Joubert

Carnets, 28 mars 1807.

Introduction

Musique et télévision

C’est une des plus anciennes et des plus matinales des émissions de télévision : le jour n’est pas encore levé lorsque William Leymergie pénètre sur le plateau blanc et gris du studio B de France Télévisions. Depuis plus de quinze ans, il présente Télématin, une émission en direct au cours de laquelle se succèdent chroniques, interviews, reportages, météo et bulletins d’information. Depuis plus de quinze ans, le succès de cette émission ne s’est jamais démentie

– pas même durant la période faste du Morning Live, autre émission matutinale concurrente –, elle réunit entre 47 % et 50 % de parts de marché. A quoi tient un tel succès ? Sans doute, au professionnalisme de ses chroniqueurs, au talent de l’animateur et à la convivialité que l’équipe sait faire partager aux téléspectateurs.

Sans doute également au rythme soutenu de l’émission, à la fois preste sans être trépidant, bonhomme sans être ronronnant : les différentes séquences de l’émission sont brèves et s’enchaînent sans temps mort. Afin de maintenir ce rythme, la réalisation fait la part belle à la prise de vue subjective (les chroniqueurs attendant leur passage à l’antenne sont filmés en coulisses, ainsi que les techniciens de plateau en train de travailler…) et ponctue l’émission de nombreux jingles musicaux.

Ces jingles ou sonals sont de courts extraits de musique injectés en cours d’émission, le temps qu’un invité prenne place autour de la table, que le présentateur se déplace jusqu’à son pupitre, ou de manière plus humoristique sont utilisés en répartie aux propos d’un animateur, comme un clin d’œil musical lorsque par exemple, un air enjoué vient interrompre un chroniqueur trop morgue.

De ces extraits musicaux d’air plus ou moins connus, la télévision est friande ! Que l’animateur d’un jeu lance une rubrique ‘‘Questions coquines’’ et le célèbre You can leave your hat on de Joe Cocker résonne sur le plateau, une participante ‘‘relookée’’ en pin-up par les modistes de l’émission C’est mon choix descend les marches du studio au rythme de That don’t impress me much de Shania Twain, et l’arrivée d’un invité est saluée d’une salve de cuivres : ceux de Live and let die, jadis, à L’heure de vérité, ceux de Crasy in love, les samedis soirs à Tout le monde en parle.

Sans même évoquer les vidéomusiques et les musiques originales d’un film ou d’un téléfilm, dans lesquels la musique occupe une place prépondérante, les programmes audiovisuels, et particulièrement les programmes télévisuels où l’emploi de musique est superfétatoire (talk-shows, jeux, émissions de divertissement…) sont malgré tout très souvent accompagnés d’extraits de phonogrammes du commerce, autrement dit d’enregistrements de compositions musicales produits et distribués à destination du public (comprendre : des clients potentiels).

Pourquoi cet engouement ? Certainement du fait du pouvoir d’évocation de ces musiques, conçues pour toucher un public ou partager une émotion artistique. Ces musiques sont autant de références pour les téléspectateurs ou d’indications supplémentaires sur ce qui leur est donné à voir.

Le cinéma l’a depuis longtemps compris – songeons à la violence de La Chevauchée de la Walkyrie conjuguée à celle des images du vol des hélicoptères du film de Coppola (Apocalypse now), où l’angoisse sourde qui monte à mesure du crescendo de l’orchestre tandis que la caméra de Stanley Kubrick se perd dans les dédales d’un hôtel désert (Shining) –.

La télévision use et abuse du procédé et accumule les clichés : un reportage sur Saint-Germain-des-Près sera inévitablement accompagné d’une musique jazzy, les images d’une banlieue terne sont forcément associées à un morceau de rap… Enfin, les morceaux de musique du commerce sont connus et reconnus par un large public ; utiliser une telle musique comme illustration sonore peut apporter une valeur ajoutée indéniable à une œuvre audiovisuelle.

C’est si vrai que la firme Microsoft n’hésita pas à payer 105 millions de dollars afin d’utiliser en 1995 Start me up des Rolling Stones pour le lancement de son logiciel Windows 95, et certainement plus encore – le montant exact fut tenu secret – pour sonoriser ses messages publicitaires pour Windows XP avec le Ray of light de Madonna.

Musique et droit

L’utilisation de ces musiques du commerce n’est pas libre. Elle doit s’effectuer avec l’accord des personnes titulaires d’un droit d’auteur ou de droits voisins sur le disque utilisé, plus précisément sur le phonogramme qui y est inclus.

Le Code de la propriété intellectuelle reconnaît à ces personnes (auteur, artistes-interprète, producteur), un monopole d’exploitation de leur contribution personnelle (l’œuvre, l’interprétation ou l’investissement).

Si un tiers entend utiliser un phonogramme, il devra demander préalablement l’autorisation de chacun des intervenants qui autorisera ou non, à titre gratuit ou onéreux, la reproduction et/ou la représentation de sa prestation. Il devra en outre s’assurer que l’utilisation qui en est faite ne porte pas atteinte à l’éventuel droit moral de ces personnes sur leur apport artistique.

Les utilisateurs télévisuels ne font pas exception à la règle. Il n’existe pas en France de droit de synchronisation qui est une sorte de ‘‘droit d’adaptation audiovisuelle’’ en vertu duquel le titulaire pourrait contrôler l’utilisation de sa contribution insérée dans un vidéogramme.

Les chaînes de télévision et les sociétés de production de programmes doivent donc en principe négocier le droit de reproduire et/ou de représenter un phonogramme aux fins de sa radiodiffusion. Les altérations ou modifications de la musique utilisée qu’implique le processus de sonorisation seront, le cas échéant, sanctionnées sur le fondement du droit moral.

Le dictionnaire Le petit Robert nous apprend que la sonorisation est « l’ensemble des opérations par lesquelles on ajoute les éléments sonores approprié à un spectacle purement visuel ». Bien sûr, les images télévisées sont pourvues d’une bande-son, captation des sons concomitante à la captation des images. Mais celle-ci peut être compléter d’éléments sonores ultérieurement ajoutés. C’est là qu’interviendrait le droit de synchronisation, lorsque une musique viendrait intégrer la bande-son d’images télédiffusées.

La sonorisation musicale se fait par l’utilisation de phonogrammes.

Par métonymie, et quelque peu rapidement, on confond le phonogramme et l’objet matériel dans lequel il s’inscrit. Le phonogramme n’est pas qu’un objet. Sa définition est malaisée, puisqu’il s’agit d’une fixation immatérielle. Cette incorporéité n’en fait pas moins le centre d’enjeux financiers importants.

Car pour comprendre les règles et les mécanismes juridiques qui président au processus de sonorisation musicale des programmes télévisuels, il faut tout d’abord s’intéresser à sa matière première : les phonogrammes utilisés.

Le terme phonogramme n’est pas qu’une notion technique, il s’agit d’un véritable objet quoique désincarné. On peut l’envisager de façon bivalente. Tout d’abord le phonogramme est le fruit d’un processus économique auquel participe une pluralité d’intervenants, son élaboration constitue un coût, sa distribution représente un marché fort lucratif. Mais ce marché présente un aspect particulier, car ce n’est pas tant un support qui est vendu (le coût de fabrication représente une portion congrue du prix de vente d’un phonogramme) mais les droits qui s’y rattachent.

En effet le phonogramme est également un objet juridique. Les intervenants détiennent des droits sur leur contribution au processus d’élaboration du phonogramme. Ces droits comportent pour leur titulaire la faculté de faire payer l’exploitation du phonogramme par son utilisateur. La teneur de ces droits diffère selon la catégorie d’intervenants envisagée.

Une négociation individuelle pour chaque phonogramme n’étant pas souhaitée par les ayants-droit et les utilisateurs, ni souhaitable, les titulaires de droit, puis plus récemment le législateur, ont mis au point des systèmes de gestion collective. Pour le droit d’auteur, le fonctionnement du système est mis en œuvre par la SACEM et la SDRM.

Pour les droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs phonographiques, le système dit de licence légale est pris en charge par la SPRE. La gestion collective du droit d’auteur ne pose pas problème, même si on peut s’interroger sur la relative opacité de sa mise en œuvre par les sociétés de perception et de répartition des droits concernées.

En revanche l’instauration du système de licence légale mis au point en 1985 pour la gestion des droits voisins est fortement critiquée. Sans doute parce que le recours à la gestion collective ne résulte pas d’un choix de la part des titulaires des droits, et notamment des producteurs, dont les préférences vont vers une gestion individuelle. Aussi critiquent-ils l’application de la licence légale.

La licence légale devient ainsi l’enjeu de l’ensemble du mécanisme juridique en matière de sonorisation musicale. Les télédiffuseurs sont de gros consommateurs de musique en général et de phonogrammes du commerce en particulier. Les droits d’auteur ne font pas obstacles à une telle consommation : les chaînes de télévision s’acquittent chaque année auprès des sociétés d’auteurs, d’une somme globale en contrepartie de laquelle elles utilisent librement les phonogrammes dont elles ont besoin pour sonoriser leurs programmes.

Le paiement des droits d’auteur ne libère pas du paiement des droits voisins, aussi ce système de gestion collective avait son pendant en matière de droits voisins. Ce système de gestion collective des droits voisins est aujourd’hui remis en cause.

En contrepartie de la privation de leur droit, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes se partagent une rémunération équitable versée par les utilisateurs de musique du commerce à la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE).

On parle alors de licence légale puisque, au terme d’une fiction juridique instaurée par la loi de 1985, l’autorisation des intervenants est réputée être donnée dès lors que le paiement de la redevance a eu lieu.

Si ce système satisfait globalement les artistes-interprètes qui préfèrent être dépossédés de l’exercice d’un droit que de toute façon ils auraient été incapables de mettre en œuvre pleinement, les syndicats de producteurs – qui ont les moyens de mettre en place un système de gestion collective de leur droit d’autoriser (et leur permettrait de négocier au mieux leur rétribution) – furent dans les années 1996/1997, à l’initiative d’un contentieux contre les chaînes de télévision sur lequel la Cour de cassation fut amenée à se prononcer.

Jusqu’alors, les dispositions du Code de la propriété intellectuelle étant floues, la pratique depuis 1986 voulait que le paiement de la rémunération équitable permette à une société de programmes télévisuels de radiodiffuser un phonogramme en l’adjoignant à des images. Les producteurs de phonogrammes estimèrent cette pratique contraire à la lettre du texte : le terme de radiodiffusion doit être entendu comme étant un acte de représentation, et donc, l’autorisation obligatoirement donnée en contrepartie du paiement de la rémunération équitable ne vaut pas pour les actes de reproduction.

Les chaînes firent valoir que, la radiodiffusion était un procédé technique mixte, où l’acte de reproduction préalable est indissociable de l’acte de représentation final. Sans se prononcer précisément sur la notion de radiodiffusion – que le Code de la propriété intellectuelle ne définit pas clairement – la Cour de cassation donne droit en 2002, aux producteurs tout en visant dans ses attendus le terme d’incorporation d’un phonogramme dans un vidéogramme.

Là encore, la définition de cette notion est floue mais il est indéniable que la cour suprême a souhaité distinguer la radiodiffusion simple et la radiodiffusion par incorporation. Toutefois, la ligne de partage entre ces deux types d’utilisation demeure incertaine, et les décisions rendues n’apportent pas de réelles solutions au conflit les différents protagonistes du système de licence légale.

Si la musique adoucit les mœurs, elle n’apaise pas les appétits pécuniaires de chacun. A l’intersection des intérêts apparemment inconciliables des artistes-interprètes, des producteurs et des diffuseurs, le système de licence légale vit-il ses dernières heures ?

Nous tâcherons de répondre à cette question en étudiant alternativement l’objet et le mécanisme juridique de la licence légale : les phonogrammes du commerce, le système de licence légale et ses enjeux.

Introduction
Titre premier : Le phonogramme du commerce : objet économique, objet juridique
Chapitre 1. L’objet phonographique : approche technique
Section 1. Les enregistrements de sons
Section 2. Les enregistrements de musiques
Section 3. Les enregistrements d’œuvres musicales
Chapitre 2. Les marchés des phonogrammes
Section 1. Les phonogrammes réalisés en vue de leur communication indirecte au public
Section 2. Les phonogrammes réalisés en vue de leur communication directe au public
Chapitre 3. Les droits attachés au phonogramme d’œuvre musicale du commerce
Section 1. Le droit d’auteur
Section 2. Les droits voisins
Titre second : La licence légale : enjeu de la sonorisation audiovisuelle
Chapitre 1. Le système de licence légale mis en place
Section 1. L’émergence du système de licence légale
Section 2. Le système de licence légale
Chapitre 2. Enjeux et conflits de la licence légale
Section 1. Convergence et divergences d’intérêts
Section 2. La restriction du champ d’application de la licence légale à la télévision
Section 3. Le coût véritable de la licence légale
Chapitre 3. L’avenir de la licence légale
Section 1. Des interprétations divergentes des décisions de la Cour de cassation
Section 2. Des solutions encore à apporter
Section 3. Des négociations en cours : l’élaboration d’une licence contractuelle
Conclusion

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