Le droit moral de l’auteur : caractéristiques et prérogatives

Le droit moral de l’auteur : caractéristiques et prérogatives

Chapitre 3 – Les droits attachés au phonogramme d’œuvre musicale du commerce 

Le droit de la propriété littéraire et artistique envisage depuis 1985 deux types de protection dont bénéficient d’une part l’ensemble des auteurs (c’est à dire, en matière musicale : paroliers, compositeurs, éventuellement les orchestrateurs) et d’autre part les auxiliaires de la création (artistes-interprètes et producteurs).

D’aucuns estiment « qu’on se trouve en présence de deux lois : l’une qui est la loi du 11 mars 1957, l’autre la loi du 3 juillet 1985 ; et ces deux lois organisent deux régimes : l’un qui est celui du créateur individuel, l’autre celui du créateur de masse »1. Cette position doit être nuancée.

En effet, les deux régimes mis en place envisagent deux aspects d’un même processus économique sans pour autant s’adresser à des intervenants si dissemblables (notamment dans le cas d’un auteur- compositeur-interprète). En outre, les deux régimes se fondent sur la même philosophie : celle de la récompense et de la protection d’un travail, et ils véhiculent tous deux une incitation à la création2.

Ainsi les droits d’auteur et les droits voisins se conjuguent pour former en France le droit de la propriété littéraire et artistique. Ces deux régimes ne se chevauchent pas puisque est clairement affirmé la prééminence du droit d’auteur sur les droits voisins3. Cependant s’ils se distinguent, ils présentent de troublantes similitudes et soulèvent les mêmes interrogations, notamment quant à leur nature.

En effet, droits d’auteur et droits voisins présentent des attributs patrimoniaux et des attributs extra-patrimoniaux. Les uns sont, selon certains auteurs, le correctif des autres4.

Ainsi le professeur Raynard envisage la propriété littéraire et artistique comme une technique de réservation d’un bien, simplement atténuée par certaines prérogatives de droit moral (il serait impossible selon lui, d’identifier des intérêts exclusivement extra-patrimoniaux dont le droit moral assurerait la protection à titre autonome). Pour d’autres1, le droit d’auteur s’analyse en un monisme personnaliste.

Cette théorie fait découler les attributs patrimoniaux du droit moral et envisage le droit d’auteur dans son ensemble comme un droit personnel.

1 EDELMAN (B.), commentaire de la loi du 3 juillet 1985, Actualité législative Dalloz, 1987, n° spécial hors-série.

2 Même si, comme le rappellent les professeurs Lucas, le droit d’auteur est accordé sans égard à l’intérêt de telle ou telle œuvre pour la société et que les auteurs n’ont pas attendu une telle incitation pour créer.

3 Cette affirmation doit être nuancée, car droit d’auteur et droits voisins reposent tous deux sur le principe d’un droit exclusif. B. Edelman parle d’ailleurs d’un « cheval de Troie » du droit d’auteur pour qualifier les droits voisins. Ces craintes se confirment avec l’adoption de la directive 2001/29/CE qui traite indifféremment des droits d’auteur et des droits voisins, notamment dans son article 3 relatif au droit de reproduction.

4 S’appuyant sur les travaux de Strömholm, en faveur d’un monisme objectif ou réaliste : J. Raynard, P. Recht, F. Zenati et T. Revet

Toutefois, la doctrine majoritaire pense que le législateur français a souhaité privilégier une autre approche, celle du dualisme2. En effet, bien que l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle consacre le principe d’un droit de propriété et précise que ce droit « comporte des attributs d’ordre patrimonial », le régime mis en place est clairement dualiste puisque les « sous-catégories morale et patrimoniale »3 obéissent à des règles distinctes (notamment quant à leur durée et leur cessibilité).

Ce qui permet à M. Desbois de dire que « la protection des intérêts moraux et la satisfaction des intérêts d’ordre patrimonial représentent deux objectifs, que la raison et l’observation des faits ne permettent pas de dissocier ».

Cette approche dualiste du droit d’auteur vaut elle pour les droits voisins ? Sans doute puisque comme eux, les droits voisins comportent des attributs patrimoniaux et extra- patrimoniaux.

Néanmoins, la dimension personnaliste de cet ensemble est moins marquée, comme le soulignent MM. Lucas, en ce qui concerne les artistes-interprètes : « le droit moral est moins complet et se trouve même parfois primer en pratique par celui de l’auteur, il doit supporter la concurrence des intérêts des exploitants, sans pouvoir compter la sollicitude que le législateur témoigne à l’auteur, et en souffrant, dans l’intérêt du public, une véritable licence légale en matière de phonogrammes ».

Cette dimension personnaliste s’efface complètement concernant les droits voisins des producteurs car le droit exclusif qui leur est reconnu est uniquement fondé sur la rémunération de l’investissement et est dépourvu de droit moral. L’aspect dualiste des droits voisins n’est donc pas aussi net que pour le droit d’auteur.

Droit d’auteur et droits voisins reconnaissent à leurs bénéficiaires un droit de propriété incorporelle. L’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que ce droit de propriété est « exclusif et opposable à tous ». Il précise qu’il comporte des attributs extra- patrimoniaux et des attributs d’ordre patrimoniaux. Envisageons tout à tour quels sont ceux dont bénéficient les auteurs et ceux dont bénéficient les artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes.

1 Développée par O. von Gierke, la thèse d’un moniste subjectif ou personnaliste est soutenue par la doctrine allemande et en France par Saleilles, Colin, Thaller, Planiol, Ripert et Boulanger. Le professeur Raynard estimant par ailleurs que son analyse n’est pas pour autant « inhospitalière » à l’égard de cette thèse.

2 La doctrine contemporaine se rallie majoritairement à cette analyse : notamment A. et H.-J. Lucas, P.-Y. Gautier, H. Desbois…

3 La formule est de P.-Y. Gautier.

Section 1. Le droit d’auteur

Nous distinguerons classiquement les attributs moraux et les attributs pécuniaires du droit d’auteur.

§ 1. Le droit moral de l’auteur

Le droit moral de l’auteur comprend plusieurs prérogatives qu’il nous faudra énumérer avant d’en étudier les modalités d’exercice et leur respect dans le cas d’une sonorisation d’une œuvre audiovisuelle. Envisageons cependant dans un premier temps les caractéristiques juridiques communes à ces différentes prérogatives.

A. Caractéristiques du droit moral de l’auteur

Nature juridique du droit moral. La reconnaissance du droit moral est classiquement justifiée par l’existence d’un lien étroit entre la création et l’auteur. Il est le pendant de la condition d’une empreinte de la personnalité dans la création, dont découle l’originalité de celle-ci, requise à la protection par le droit d’auteur : en protégeant l’œuvre d’éventuelles atteintes, on protège la personnalité de son auteur.

C’est la raison pour laquelle le droit moral est généralement inclus dans la catégorie des droits de la personnalité, au même titre que le droit à l’image, le droit au nom, le droit à l’honneur… Le droit moral du droit d’auteur présente néanmoins un certain particularisme en ce qu’il s’exerce sur un objet (et non sur la personne qui en est le titulaire) et que malgré son caractère extra-patrimonial, son exercice produit d’importantes conséquences à l’égard des droits patrimoniaux.

Caractères du droit moral. L’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le droit moral « est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ».

L’inaliénabilité ne permet ni la cession du droit moral d’un auteur par une convention ni la renonciation anticipée à l’une ou l’autre des prérogatives morales. Toutefois, ce principe d’ordre public n’est pas absolu dans la mesure où l’on admet qu’une renonciation, à condition d’être précaire et révocable à tout moment est possible1. Conséquence directe du caractère inaliénable du droit moral, il est également insaisissable.

Le droit moral est perpétuel. Il survit à l’auteur et aux droits patrimoniaux. Il sera donc exercé par les héritiers de l’auteur.

Le droit moral est imprescriptible. Les règles en matière du droit commun en matière de prescription s’appliquent : l’action de l’auteur contre la personne ayant porté atteinte à son droit devra intervenir dans les trente ans2. Cependant cette faculté ne s’éteint pas par le non- usage.

B. Enumération des prérogatives du droit moral de l’auteur

Ces prérogatives sont au nombre de quatre : le droit de divulgation, le droit à la paternité, le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre et le droit de retrait et de repentir.

Le droit de divulgation. L’article L. 121-2 al. 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose « l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ». Cette prérogative s’analyse en une double faculté. Premièrement, l’auteur dispose du droit de divulguer ou de ne pas divulguer, autrement dit de communiquer son œuvre au public. En effet une communication restreinte de l’œuvre (dans le cas d’une œuvre musicale : l’audition de maquettes à des proches, agent artistique, producteur par exemple) ne constitue pas une divulgation public de l’œuvre.

En cas de litige, il convient de s’interroger sur la volonté de l’artiste. De même que l’achèvement de l’œuvre ne saurait constituer qu’un indice de cette volonté (l’auteur n’ayant pas voulu pour autant divulguer son œuvre), l’enregistrement d’une œuvre musicale ne saurait constituer un critère univoque de la volonté de divulguer de la part de l’auteur3.

Deuxièmement, l’auteur « détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci »4 et se voit reconnaître la faculté de limiter ou de fractionner la portée de la divulgation. Ce fractionnement résulte plus souvent des stipulations des contrats d’exploitation que du droit de divulgation, certaines juridictions ayant parfois retenu que ce droit était épuisé par la première communication au public1.

Cependant l’auteur peut théoriquement autoriser la divulgation de son œuvre pour un support ou un mode de communication et la refuser concernant un autre mode d’exploitation2.

1 Il s’agit du cas, plus répandu en matière littéraire, des ‘‘nègres’’.

2 Contra, sur l’imprescriptibilité de l’action en paternité : Paris, 20 avril 1989, RIDA, janvier 1990, n° 143, p.317 ; Cass. civ. 1ère, 6 mai 1997, RIDA, 1997, n° 174 p. 231.

3 La question se pose avec plus d’acuité lorsque l’auteur est décédé, et que l’on est en présence d’enregistrements de travail, de maquettes, de ‘‘brouillons’’. Les ayants-droit seront alors habilités pour traduire la volonté supposée du défunt quant à ses ‘‘œuvres inédites’’.

4 Art. L. 121-2 CPI.

Le droit de paternité. C’est ainsi que la doctrine nomme le droit pour l’auteur « au respect de son nom [et] de sa qualité »3. Il s’agit d’un droit à l’identification aux yeux du public reconnu à l’auteur qui peut au choix : demander à ce que mention soit faite de son nom et de sa qualité dans la limite de son rôle réel dans l’élaboration de l’œuvre (dans le cas d’une œuvre plurale), utiliser un pseudonyme, un nom de scène ou un surnom4, enfin choisir l’anonymat.

Ce choix s’impose alors aux autres intervenants et devra être respecté (cf. infra) : l’identification choisie devra apparaître sur l’œuvre, ses copies et les documents publicitaires s’y référant, sous réserve des limites que l’auteur aura entendu porter à l’étendue de cette identification5. Rappelons enfin que le choix de l’anonymat est révocable, le droit moral de l’auteur étant d’ordre public6.

Le droit au respect de l’œuvre. Affirmé à plusieurs reprises par le Code de la propriété intellectuelle, ce droit est bivalent : il s’agit à la fois d’un respect du fond et de la forme de l’œuvre, de sa substance et de son esprit. Seront donc sanctionnées sur ce fondement les atteintes portées à l’œuvre par un remix, la dénaturation des paroles d’une chanson, la fragmentation d’une musique… mais également une utilisation ‘‘inappropriée’’ de celle-ci.

La reconnaissance d’un tel droit vise à protéger l’œuvre en elle-même mais également et façon plus large, à préserver la personnalité de l’auteur qui s’est exprimée dans la création. Pour cette raison, une modification quasi imperceptible (telle que la numérisation d’une œuvre) ne pourrait être refusée par l’auteur sur le fondement du respect de son oeuvre1.

1 Paris, 14 février 2001, Communication Commerce Electronique, mars 2001.

2 On voit bien ici les accointances entre les aspects patrimoniaux et les aspects extra-patrimoniaux du droit d’auteur. En effet l’exercice du droit de communication de l’œuvre au public (droit de divulgation et droit de repentir et de retrait) emporte des conséquences d’ordre patrimonial non négligeables.

3 Art. L. 121-1 CPI.

4 Pratique au demeurant fort répandue dans le domaine musical, notamment de la variété : J. Hallyday, J.-J. Goldman, J. Ferrat, M. Farmer, Zazie, Bénabar, A. Chamfort, Doc Gynéco, Th. Fersen, Ch. Aznavour, L. Voulzy, E. Mitchell, MC Solaar, etc…

5 « Constitue une atteinte au droit de paternité la commercialisation de photographies sans le nom de leur auteur, alors que ce dernier a autorisé la diffusion sans son nom uniquement pour l’affichage sur des vitrines de cinéma ». Paris, 4ème ch., 5 mai 1994, inédit.

6 Sur la nullité des clauses contractuelles contraires : Paris, 15 novembre 1966, Gaz. Pal., 1967, 1, 17. Sur la divulgation de l’identité par testament : TGI Paris, 14 mars 1975, RIDA, juillet 1975, n° 192

Le droit de retrait et de repentir s’exerce « nonobstant la cession de son droit d’exploitation [par] l’auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre »2. Il permet donc de faire échec aux stipulations contractuelles élaborées en vue de la cession de l’œuvre, et à l’auteur de revenir sur sa décision de divulguer3.

Sa mise en œuvre est toutefois strictement encadrée puisque l’auteur doit préalablement indemniser le cessionnaire du préjudice causé par l’exercice de ce droit et sera tenu de lui offrir en priorité une nouvelle cession dans les mêmes conditions, dans l’hypothèse d’une nouvelle exploitation de l’œuvre rétractée.

Pour exercer son droit de retrait, l’auteur d’une œuvre musicale devrait donc indemniser les sociétés d’édition et de production phonographiques auxquelles il est lié, ce qui peut représenter des sommes considérables si l’auteur jouit d’une grande notoriété. Un auteur préférera sans doute, à l’instar de Georges Michael, ‘‘stériliser’’ sa création jusqu’à l’échéance du contrat ou sa résolution4.

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