Exercice du droit moral de l’auteur et droit de synchronisation

Exercice du droit moral de l’auteur et droit de synchronisation

C. Exercice du droit moral de l’auteur

Exercice du droit moral par l’auteur. L’auteur peut user de ce droit afin de préserver son œuvre d’atteintes éventuelles. Il n’a pas à justifier son action dès lors que celle- ci se fonde sur des considérations intellectuelles et morales.

Bien que les œuvres musicales revêtent souvent l’aspect d’œuvres de collaboration (fruit du travail d’un parolier et d’un compositeur), le Code de la propriété intellectuelle n’envisage pas de régime particulier pour l’exercice du droit moral par les coauteurs comme il en existe pour les œuvres audiovisuelles5.

Aussi la jurisprudence a pu juger que contrairement à la lettre de l’article L. 113-3, al. 2 du Code (« Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord »), chaque coauteur pouvait agir pour la sauvegarde de ce droit sans appeler en cause les autres coauteurs1.

Si une atteinte à une contribution d’un des coauteurs semble pouvoir être défendue par un seul, l’exercice du droit moral sur l’ensemble de l’œuvre doit s’effectuer en commun, quand bien même cette action commune pourrait être perçue comme restrictive du droit moral de chacun.

1 Ainsi malgré l’affadissement sonore qu’implique selon certains puristes, la reproduction d’œuvres éditées sur disques vinyles sur des compact-disc audio, une telle duplication n’attente pas au respect dû à l’œuvre. Il en va de même lorsque les modifications sont minimes ou encore ne concernent qu’un défaut involontaire (cas d’une faute d’orthographe dans un texte littéraire : Lyon, 12 juin 1989, Dalloz 1989, IR, 234. Encore faut-il sans doute, apprécier le minime de cette faute eu égard au modification qu’elle apporte : la simple substitution d’une terminaison d’un verbe conjugué par le lettre e dans le roman La disparition de Georges Perec lors de sa réédition en avril 2003 porte évidemment atteinte à l’œuvre tant dans son aspect que dans son esprit.).

2 Art. L. 121-4 CPI.

3 Cette faculté n’est pas ouverte dans le cas d’une œuvre de commande ou d’un logiciel (art. L. 121-7, 2° CPI).

4 BARBY (E.) et ATELLIAN (F.), « Droits d’auteur et droits voisins en matière musicale : panorama général », Légicom, janvier 1997, n° 13, p. 14.

5 Il est vrai que les coauteurs d’une œuvre audiovisuelle sont plus nombreux : art. L. 113-7 CPI.

Exercice du droit moral par des tiers Lorsque l’auteur est décédé, le droit moral obéit aux règles successorales de droit commun. Etant perpétuel par nature, le droit moral est ainsi transmis aux héritiers ou légataires.

Sa mise en œuvre connaît alors deux limites : premièrement, les ayants-droit ne disposent pas librement du droit moral, mais doivent l’exercer dans le respect des volontés (énoncées ou supputées) du défunt et les tribunaux pourront sanctionner « un usage ou non-usage abusif » et prendre « toute mesure appropriée »2. Deuxièmement, le droit ainsi transmis connaît une modification substantielle puisque le droit de retrait et de repentir ne peut être exercé que par l’auteur3.

La doctrine justifie cette solution par le caractère intuitus personae de ce droit, souvent analysé comme un droit de regret et de remord.

Prohibition d’un exercice abusif du droit moral de l’auteur. L’exercice du droit moral sera qualifié d’abusif dès lors qu’un ayant-droit de l’auteur décédé outrepasse la volonté du de cujus ou l’esprit d’une de ses œuvres4.

Par ailleurs, sera également qualifié d’abusif, l’exercice de ce droit par l’auteur de son vivant ou ses ayants-droits, lorsque cette action est motivée par des considérations autres que purement intellectuelles ou morales ou des motifs purement pécuniaires. L’abus de droit sera donc invoqué lorsque l’action sur le fondement du droit moral est motivée par la seule volonté de nuire dans l’exercice d’un droit, l’absence de motifs légitimes ou encore le détournement de la finalité du droit.

1 Paris, 4ème ch., 14 mars 1994, Dalloz, 1994, IR, 116 ; TGI Paris, 25 mai 1989, RIDA, janvier 1990, n° 143, p.353 ; TGI Paris, 16 juin 1993, Légipresse, 1993, n° 106, I, p. 130.

2 Art. L. 121-3 CPI.

3 Mais pas nécessairement de son vivant : des dispositions testamentaires pourraient sans doute permettre aux ayants-droit d’agir conformément aux volontés de l’auteur pour exercer ce droit post mortem : LINANT DE BELLEFONDS (X.), Droits d’auteur et droits voisins, coll. Cours, Dalloz, Paris, 2002.

4 « L’ayant-droit ne se présente plus comme le continuateur de la personne du défunt, mais bien comme le gardien naturel de sa mémoire. L’exercice de ce droit moral doit être dicté par le souci de respecter la volonté de l’auteur avant de servir les intérêts de l’héritier. » : Paris, 9 juin 1964, JCP, II, 14172

D. Droit moral et droit de synchronisation

L’utilisation d’une musique du commerce afin de sonoriser une œuvre audiovisuelle, fusse t-elle consentie par les auteurs ou les cessionnaires des droits, doit s’effectuer dans le respect du droit moral.

La musique du commerce n’ayant pas été conçue à cette fin, son incorporation dans une œuvre audiovisuelle est toujours susceptible d’aller à l’encontre des intérêts extra-patrimoniaux de son auteur.

Cette question se pose avec davantage d’acuité dans le domaine publicitaire. Les développements ci-dessous concernent le respect du droit moral dans l’hypothèse d’une utilisation d’une œuvre à des fins publicitaires. De façon plus large, ces remarques valent également dans tous les cas d’utilisation d’un phonogramme du commerce dans une œuvre audiovisuel.

Atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Le procédé de synchronisation suppose que l’œuvre musicale soit ‘‘calée’’ sur les images qu’elle accompagne. En matière publicitaire, cette opération conduit presque toujours à une altération de l’œuvre en raison de la brève durée du message dans lequel elle est reproduite.

Certains défendeurs ont argué que l’utilisation d’un extrait d’une chanson dans un message publicitaire ne nécessitait pas l’autorisation préalable des auteurs en se fondant sur l’article 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Une telle argumentation ne pouvait prospérer1. Tout d’abord parce que la mention de la source et du nom de l’auteur est rarement possible dans un message publicitaire, or il s’agit d’une condition essentielle pour que puisse être recouru à une telle citation.

Et quand bien même serait fait mention du nom et de la source, le texte n’autorise ces brèves citations que lorsque elles se justifient « par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées ». Ensuite et surtout, il résulte de la rédaction du Code de la propriété intellectuelle que les dispositions l’article L. 122-5 sont autant d’exceptions au droit patrimonial de l’auteur mais qu’elles n’affectent en rien le droit moral de celui-ci.

Plus largement, l’intégration d’une musique préexistante dans une œuvre audiovisuelle implique, hormis des ajustements techniques, une altération de l’œuvre (superposition de dialogues, de bruitages, etc…) et sera toujours susceptible d’une action visant à faire respecter l’intégrité de l’œuvre.

1 TGI Paris, 10 mars 1996, J. Dutronc et J. Lanzmann c/ Sté Musidisc, cité par VEYSSIÈRE (L.) et CORONE (F.), « Publicité et musique. De l’œuvre préexistante à l’œuvre de commande : une note sur des accords majeurs », Légicom, janvier 1997, n° 13, p. 42.

Atteinte à la destination de l’œuvre. Si la sonorisation d’une émission ou d’un programme à teneur éditoriale ne semble pas poser problème, la jurisprudence et la doctrine sont en revanche unanimes quant à l’utilisation d’une musique préexistante dans un message publicitaire qui constituerait une atteinte à la destination de l’œuvre.

D’abord justifiée par ‘‘le changement d’environnement’’ dans laquelle une œuvre est présentée, réalisé par l’incorporation de la musique dans le message1, ou encore par n’inadéquation au « climat […] à son esprit et à sa notoriété »2, l’atteinte au droit moral est désormais caractérisée dès lors qu’un détournement de la finalité de l’œuvre est constaté, détournement inévitable lorsque une œuvre est incorporée à un message publicitaire3.

En définitive, il semble qu’un auteur puisse faire condamner toute utilisation de son œuvre dès lors que le support audiovisuel qui l’accueille lui semble inapproprié, a fortiori en cas d’utilisation à des fins publicitaires.

Cette solution nette s’appliquera lorsque le changement de destination allégué sera flagrant, par exemple lorsque l’œuvre servira à sonoriser un film pornographique4 et pourrait être étendue puisque plusieurs juridictions s’attachent à la finalité artistique ou divertissante d’une œuvre musicale pour apprécier ce changement de destination.

Concernant les bandes-annonces des chaînes ou d’auto-promotion, la directive Télévision sans frontières, dans sa rédaction du 19 juin 1997 a balayé les arguments des chaînes de télévision qui contestaient leur caractère publicitaire et reconnaît expressément le but promotionnel de celles-ci. La sonorisation d’une bande-annonce par un phonogramme du commerce est donc de nature à porter atteinte au droit moral de ses auteurs.

1 A propos d’une musique d’inspiration religieuse, La méditation de Thaïs (J. Massenet) : TGI Paris, 15 mai 1991, JCP 1992, II, 21919.

2 Concernant la chanson Des ronds dans l’eau (P. Barouh / R. Lesenechal) : TGI Paris, 3ème ch., 24 novembre 1995, cité par VEYSSIÈRE (L.) et CORONE (F.), op. cit.

3 L.Veyssière et F. Corone évoquent un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 3ème ch., 13 avril 1995, confirmé par Paris, 1ère ch., 25 juin 1996) ayant statué que « en droit, l’utilisation à des fins publicitaires, d’une œuvre dont ce n’était pas la vocation première, constitue un détournement de sa finalité, lui faisant quitter le domaine purement artistique ou littéraire pour une carrière commerciale, puisque attachée à la promotion d’un produit ou d’un service ».

Ce faisant, les juges semblent ignorer que la création musicale contemporaine connaît bien une « carrière commerciale » et qu’en fait, une utilisation à des fins publicitaires ne plonge pas l’œuvre d’un auteur détaché de toute contingence matérielle dans un processus commercial mais substitue à sa carrière commerciale originelle (la musique promeut un phonogramme) une carrière commerciale nouvelle (la musique promeut un autre produit).

4 Concernant une musique employée pour sonoriser un message publicitaire en faveur d’une ‘‘messagerie rose’’ : Paris, 4ème ch., 7 avril 1994, La 5 c/ Island Music, Dalloz, 1994, IR, 156. Concernant la reproduction d’une horloge dans un film érotique : Paris, 14 juin 1993, Gaz. Pal. 1994, p. 15

Atteinte à la paternité de l’œuvre. L’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’utilisation d’une œuvre doit permettre l’identification du nom et des qualités de son auteur.

En télévision, cette prérogative est en général respectée avec la mention au générique de fin d’un programme, du titre des œuvres inclues et de leur auteur (généralement sous la forme « titre (nom du parolier/nom du compositeur) © année nom du producteur »). A la radio, sont parfois indiqués les phonogrammes choisis pour illustrer musicalement une émission.

En matière de publicité audiovisuelle, il est rarement fait mention de l’identité des auteurs d’une œuvre reproduite dans un message1. Néanmoins, bien que le Code de la propriété intellectuelle précise que les exceptions prévues au monopole d’exploitation laissent intact le droit à la paternité, la directive 2001/29/CE Société de l’information, semble ne pas considérer le respect de ce droit comme essentiel.

En effet, il est plusieurs fois indiqué dans l’article 5 concernant les exceptions au droit d’exploitation, que toute utilisation doit donner lieu à une identification de la source, y compris le nom de l’auteur « à moins que cela s’avère impossible ». En réalité, on pourra estimer que l’autorisation donnée par l’auteur pour une utilisation publicitaire de son œuvre comporte acceptation à ce que son nom ne soit pas mentionné eu cours du message2.

On le voit, hormis dans le cas spécifique d’une utilisation à des fins publicitaires ou promotionnelles, l’utilisation d’une musique du commerce afin de sonoriser une œuvre audiovisuelle ne semble pas heurter, le plus souvent, le droit moral de ses auteurs.

Ainsi, à moins d’une grave altération de l’œuvre ou d’une utilisation que l’auteur estimerait inappropriée, l’incorporation d’une œuvre musicale du commerce dans une œuvre audiovisuelle, même si cette incorporation entraîne nécessairement des changements – minimes – dans la substance de l’œuvre (‘‘calage’’, ajout de dialogues ou bruitages, changement de destination, identification de l’auteur parfois malaisée…), ne semble pas porter atteinte au droit moral de l’auteur.

1 Alors que la notoriété de la musique et de ses auteurs joue un rôle essentiel dans l’efficacité du message, comme cela a été reconnu dans un arrêt : « les musiques utilisées à des fins publicitaires figurent parmi les plus renommées dans tous les genres musicaux » ; Versailles, 13ème ch., 28 septembre 1995, Les annonces de la Seine, 15 avril 1996, p. 8 (à propos d’une atteinte au respect de l’œuvre, partiellement infirmé sur cet aspect).

2 Les modalités d’apparition du nom et de la qualité de l’auteur au titre du respect de la paternité de l’œuvre pourront être négociées lorsque l’autorisation de reproduction sera conclue.

Le droit à la paternité sera généralement considéré comme étant respecté lorsque dans les messages publicitaires télévisés, il sera fait mention dans un déroulant en bas d’écran de l’indication « musique de (nom de l’auteur) » bien que cette indication soit, en raison de la taille des caractères et de la brièveté de son apparition, souvent imperceptible.

Encore faut-il que l’exploitation de l’œuvre ait été autorisée et donne lieu aux paiements des droits pécuniaires auxquels l’auteur peut prétendre en contrepartie d’une telle utilisation.

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