Discours des autorités de santé au Québec et la gestion du poids

Discours des autorités de santé au Québec et la gestion du poids

Université de Montréal

Faculté des études supérieures et postdoctorales – sociologie

Mémoire en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en sociologie

Évolution des discours publics des autorités de santé au Québec en matière de gestion du poids

Évolution des discours publics des autorités de santé au Québec

en matière de gestion du poids

Présenté par : Paul-Guy Duhamel, Dt.P.

Identification du Jury

A été évalué par : Deena White

Présidente rapporteur : Marie Marquis

Membre du jury : Johanne Collin directrice de recherche

2010/01/11

Résumé

L’augmentation observée de la prévalence du surpoids et de l’obésité au Québec comme ailleurs en Occident inquiète tant les gouvernements que les autorités médicales.

Afin de contenir ce phénomène qui est désormais décrit comme une pandémie d’obésité, ces organisations y sont allées de différentes initiatives et recommandations, dans un contexte d’inefficacité avérée des interventions de gestion de poids à caractère clinique et d’émergence de stratégies de prévention dont l’efficacité et la sécurité à long terme restent encore à démontrer.

Méthode : L’objet de cette recherche a été de décrire l’évolution du discours des organismes officiels de santé au Québec en matière de gestion du poids par l’analyse de contenu.

Cette analyse a eu recours à une grille de plus de 160 documents produits au cours des 60 dernières années par les gouvernements, les autorités professionnelles et les médias québécois.

Résultats et discussion : L’analyse révèle que l’évolution du discours de ces organisations s’inscrit dans trois continuums :

  • le pathologique (une évolution, une gradation, une inflation étymologique du sens qui est donné au poids problématique);
  • la surveillance (avec l’établissement de critères rationnels,
  • la surveillance d’abord individuelle est devenue collective et s’est institutionnalisée);
  • la responsabilisation (la responsabilité du poids s’est déplacée de l’individu vers le collectif puis vers le social).

Ces continuums illustrent un déplacement de la manière de conceptualiser le poids de la sphère privée vers la sphère publique. Cette analyse révèle aussi qu’il y a à l’œuvre un exercice disciplinaire propre à une moralisation qui s’appuie sur la prémisse que l’augmentation de la prévalence touche toute la population de manière égale. Or, il n’en est rien.

Mots clés : poids, poids problématique, obésité, surpoids, alimentation, nutrition, médecine, activité physique, malbouffe, moralisation

Abstract

The increase in overweight and obesity prevalence observed in Quebec as elsewhere worries governments and medical authorities. In order to contain what is described as an “obesity pandemic”, Quebec public health organisations have proposed a number of recommendations depsite the fact that long-term safety of clinical interventions have proven inefficient, and prevention strategies to manage weight undetermined.

Objective: To examine the evolution of public discourses about weight management by Quebec’s public health organisations in order to identify if there is a moral standard being constructed and discuss what this reveals about modern societies.

Method: Through content analysis of over 160 official documents produced by government, public health organisations and the media over the last 60 years, this thesis will describe and analyze weight management discourses of Quebec’s official health organisations.

Results and Discussion: The evolution of public weight management discourses by official public health organisations can best be described using three distinct continuums which all illustrate a shift from the private domain to the public one in the way weight problems are conceptualised.

These continuums are: the pathological, or the etymological evolution of meaning given to the problematic weight; surveillance, in that rational criteria has been established and surveillance is no longer in the realm of the personal but rather has become a problem of the collective and in so doing, has become institutionalised; and finally, responsibility, where weight management has migrated from the individual through to the collective and then firmly into the social domain.

This analysis illustrates that the disciplinary exercise of weight management, which functions as a moralizing process, considers the increase in overweight and obesity prevalence is across the population. However, such is not the case.

Key words : weight, problematic weight, obesity, overweight, food, nutrition, medecine, physical activity, junkfood.

Remerciements

Abréviations

AMC Association médicale canadienne

CMQ Collège des médecins du Québec

DSC Département de santé communautaire

EIACA Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes

ESCC Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes

GAC Guide alimentaire canadien

GTPPP Groupe de travail provincial sur la problématique du poids

IMC Indice de masse corporelle

MCV Maladies cardio-vasculaires

OMS Organisation mondiale de la Santé

OPDQ Ordre professionnel des diététistes du Québec

PAG Plan d’action gouvernemental pour la promotion des saines habitudes de vie et la prévention des problèmes reliés au poids

PSMA Produits, services et méthodes amaigrissantes

RCO Réseau canadien de l’obésité

1 Introduction

Jeune stagiaire en voie de devenir diététiste, j’ai été confronté à la dure réalité que vivent des patients qui doivent introduire des modifications à leurs habitudes alimentaires à la suite d’un problème de santé.

Rapidement, j’ai constaté la grande résistance des personnes visées par ces modifications. Plusieurs patients rencontrés affirmaient ne pas vouloir changer leur alimentation prétextant qu’ils ne pourraient plus manger « comme chez maman » ou comme les ami-e-s. De toute évidence, il y avait une dimension identitaire à l’acte de manger, dimension qui n’avait jamais fait l’objet d’une préoccupation dans mon parcours académique en diététique.

D’autre part, je constatais que la pratique de ma profession empruntait un mode prescriptif qui se rapprochait plus de la religion (permis et interdits) que de l’éducation. J’ai donc compris qu’il y avait plus à la nutrition que la seule science de répondre aux besoins physiologiques pour rétablir et maintenir la santé. Il y avait là une autre réalité à l’œuvre dans l’acte de manger.

C’est la quête de cette autre réalité qui m’a amené à la sociologie. Au même moment, certaines voix se faisaient entendre au Québec au sujet de l’échec des techniques de perte de poids.

Le Collectif Action Alternative en Obésité, devenu aujourd’hui Équilibre, rappelait que perdre du poids n’était pas chose simple. De fait, au début des années 1990, un nombre croissant de chercheurs soulignaient, chiffres à l’appui, que les interventions cliniques qui visent à corriger le poids en agissant sur la balance énergétique (alimentation et/ou activité physique) ne fonctionnent pas. Cette affirmation semble aujourd’hui faire l’unanimité des autorités médicales et nutritionnelles.

En effet, toutes s’accordent pour reconnaître que les succès à long terme de ce type d’intervention demeurent, au mieux, modestes et souvent non concluantes.

Il en va de même pour les interventions cliniques qui combinent la modification des différentes habitudes de vie sur le long terme. Force est de reconnaître également que les différentes stratégies dites cliniques, développées au fil des ans, n’ont pas su renverser, stopper ou encore ralentir la progression de la prévalence de l’obésité. Seules les interventions dites comportementales sont créditées d’une certaine efficacité pourvu que les sujets aient démontré une réelle volonté de changement et une réelle compréhension des enjeux.

Malgré une efficacité somme toute très modeste et des données probantes qui ne permettent pas de tirer de conclusions, les organismes qui balisent les interventions des professionnels de la santé continuent à produire des guides de pratiques en matière de gestion du poids.

Les plus récentes recommandations en matière de gestion des problèmes liés à l’excédent de poids sont à l’effet de favoriser l’intervention clinique multidisciplinaire (médecin, infirmière, psychologue, nutritionniste et kinésiologue) qui s’accompagne d’un suivi à long terme (Dent R et al 2007). Comme se le demande Aphramor (Aphramor L 2005a), est-il nécessaire, voire éthique, d’intervenir pour normaliser le poids, alors que tous les modes d’intervention se révèlent inefficaces, voire dangereux? À quoi peut-on alors attribuer cette intensification de l’intervention? Pourquoi et comment peut-on interpréter cela? Voilà le paradoxe à l’origine de cette recherche.

Comme une question vient rarement seule, d’autres ont émergé au fil de cette réflexion. La section de la problématique leur est consacrée. Ce sera l’occasion de décrire ce que disent d’une part les sciences de la santé, puis, d’autre part, les sciences sociales qui s’intéressent à la problématique du poids.

Ainsi, comme on le verra, le sens et la valeur attribués au poids problématique ont changé au fil des ans et en particulier au cours des dernières années.

S’il n’y a pas si longtemps il était un facteur associé à des pathologies, les autorités sanitaires parlent aujourd’hui du poids problématique non seulement comme d’une maladie, mais empruntent au champ des maladies transmissibles et infectieuses, tout un vocabulaire pour décrire l’évolution du poids problématique et les conséquences qui y sont associées. La prise de poids collective est devenue une épidémie, une pandémie.

Pourtant, et bien que ces conséquences soient néfastes à la santé, le poids problématique est rarement une maladie et n’est pas une maladie dite transmissible ou infectieuse. Que signifie ce glissement sémantique?

Il y a unanimité tant auprès des chercheurs que des groupes de professionnels de la santé sur le besoin urgent de travailler, d’intervenir sur une base préventive, donc d’intervenir afin que le poids problématique ne se développe pas et ainsi éviter l’intervention clinique qui se solde généralement par un échec.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de nombreux intervenants recommandent l’adoption de politiques de prévention qui feraient la promotion des modes de vie sains et des changements de comportement axés notamment sur une surveillance régulière du poids. À titre de président de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec de 2002 à 2008, j’ai activement contribué à ce discours1.

Pourtant, ceux-là mêmes qui émettent cette recommandation, aujourd’hui au cœur des plans d’action gouvernementaux, reconnaissaient que le niveau de connaissances en matière de prévention afin d’identifier les meilleures approches est, au mieux, insuffisant.

La société est néanmoins passée d’une stratégie clinique à une stratégie de santé publique, mais en ayant toujours essentiellement recours aux mêmes outils d’interventions que ceux utilisés dans un cadre clinique et dont l’efficacité fort modeste est régulièrement soulignée. Que cela dit-il des motivations et des actions des différentes autorités sanitaires?

1 Voici un aperçu des prises de position et mémoires que j’ai défendus à titre de président de l’OPDQ :

Janvier 2004 Les nouveaux enjeux liés à l’innocuité alimentaire – Mémoire de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec à la Commission sur l’Agriculture, les pêcheries et l’alimentation de l’Assemblée nationale du Québec

Août 2007 Une approche professionnelle intégrée, multidisciplinaire et préventive à privilégier pour les secteurs agricole et agroalimentaire Mémoire conjoint de: l’Ordre des agronomes du Québec, l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, l’Ordre des chimistes du Québec et l’Ordre professionnel des diététistes du Québec Document présenté à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois

Septembre 2007 Pour remettre le citoyen au cœur de l’assiette! Mémoire de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec présenté à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois

Novembre 2007 Consultation publique sur les conditions de vie des aînés: un enjeu de société, une responsabilité qui nous interpelle tous Mémoire de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec présenté au Secrétariat aux aînés du ministère de la Famille et des Aînés

Certes, le poids moyen de la population s’accroît et atteint aujourd’hui des niveaux nuisibles au bien-être. Cependant, cette crise du poids problématique n’est pas uniforme. Elle se manifeste de manière différente, que l’on soit en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Canada.

À l’intérieur même de ces nations, il y a d’importantes disparités dans la prévalence du poids problématique selon les régions, le niveau socio-économique, le niveau de formation et entre les hommes et les femmes. Or, si les autorités reconnaissent ces disparités, elles en font peu ou pas état dans leurs prises de position et leurs plans d’action. Que révèle cette absence de questionnement face à ce phénomène bien connu et bien documenté?

Une longue réflexion a permis d’identifier que la seule manière de répondre à toutes ces questions n’était pas de leur répondre, une à une directement, mais bien de les regarder autrement.

C’est ainsi qu’est venu l’idée (je la dois à monsieur Claude Fischler avec lequel j’ai discuté lors de ma participation à l’Université Européenne d’été de l’Institut Européen d’Histoire de Cultures de l’Alimentation) d’étudier l’évolution du discours des organismes officiels de santé au Québec en matière de gestion du poids. Il s’agit donc d’un effort de conciliation de toutes ces questions.

De cette première section émergeront le cadre conceptuel, l’ensemble des questions de recherche et le cadre analytique.

La deuxième section porte alors sur l’analyse de l’ensemble des documents retenus pour cette recherche. La section est importante, car c’est ici que doivent apparaître, si tel est le cas, les grandes tendances qui caractérisent une évolution du discours.

La dernière section se veut une discussion au sujet des résultats obtenus. Plus encore, j’ose faire une interprétation personnelle de la situation du poids dans nos sociétés.

Table des matières

1 Introduction
2 Problématique
2.1 La prévalence : Le poids prend du poids
2.2 L’excès de poids comme facteur de risque
2.3 D’un facteur à une maladie à une épidémie
2.4 Conséquences économiques liées au risque
2.5 Le poids qui dérange
2.6 Traiter ce poids?
2.7 Le poids dans les sciences sociales
3 Le cadre conceptuel
3.1 Construction de l’identité
3.2 La surveillance du corps : une gestion du domaine privée vers la sphère publique
3.3 Une crise de moralité
4 Méthodologie
4.1 Choix de la méthode
4.2 Les sources à analyser
4.3 La grille de lecture
5 Résultats
5.1 Comment définit-on le poids problématique?
5.2 En quels termes parle-t-on du poids problématique?
5.3 Comment explique-t-on le poids problématique?
5.4 Quelles sont les raisons invoquées pour intervenir?
5.5 De quelle nature est l’intervention sur le poids?
5.6 Quels sont les acteurs de l’intervention?
5.7 Quelles sont les cibles de l’intervention?
5.8 À quel moment intervient-on sur le poids?
5.9 Synthèse de l’analyse
6 Analyse et discussion
6.1 Retour sur la finalité
6.2 L’évolution du discours des autorités de santé du Québec en matière de gestion du poids
6.3 Y a-t-il moralisation de la gestion du poids?
6.4 La moralisation : une construction en marche?
7 Conclusion
7.1 Les limites de cette recherche
7.2 Aux limites du processus disciplinaire ?
7.3 Vers un autre modèle explicatif?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Discours des autorités de santé au Québec et la gestion du poids
Université 🏫: Université de Montréal - Faculté des études supérieures et postdoctorales – sociologie
Auteur·trice·s 🎓:
Paul-Guy Duhamel, Dt.P.

Paul-Guy Duhamel, Dt.P.
Année de soutenance 📅: Mémoire en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en sociologie - 2010/01/11
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