Quelle place pour l’assureur dans la micro-assurance ?

Quelle place pour l’assureur dans la micro-assurance ?

Chapitre II – Quelle place pour l’assureur dans la micro-assurance ?

Quels sont les acteurs qui vont être intéressés à participer à des projets de micro-assurance ? Pour comprendre quelle est la place de l’assureur, de quelque forme juridique qu’il soit (société anonyme, mutuelle, coopérative), il faut analyser quels sont les instigateurs du marché de la micro-assurance.

La micro-assurance est une forme de protection des ménages à bas revenu contre la pauvreté. Elle peut aussi être considérée comme un moyen pour ces populations pauvres de sortir d’une spirale « infernale » vers l’indigence.

Ce sont donc les organismes de développement qui vont être, en premier lieu, intéressées par les mécanismes de management des risques spécifiques aux pauvres. Ces organismes qu’ils soient des Organisations Non Gouvernementales (ONG), des Associations, des institutions étatiques ont en commun leurs objectifs directement tournés vers ces populations sans souci d’un quelconque profit.

Leur attention est toute entière tournée vers le mieux- être des individus dont elles s’occupent sans souci d’un « retour sur investissement ». Pour cela, ces acteurs ont acquis une légitimité auprès des peuples et possèdent une connaissance du « terrain ».

Cependant, la connaissance des sociétés, des rouages de l’organisation sociale des individus ne suffit pas pour mettre en place une politique d’assurance spécifique. Au delà d’un nouveau dispositif de distribution de l’aide au développement, il s’agit bien de redéfinir les contours d’une croissance durable. Cette assise ne peut se faire sans l’application de certaines techniques, sans la connaissance de certains principes et sans l’expérience du risque acquise au fil du temps par les assureurs.

Les organes de la politique du développement ne peuvent se lancer seuls dans un métier qui exige un haut degré de technicité sans rencontrer des difficultés qui ne sont pourtant pas insurmontables avec un peu de pratique. Dans la perspective d’un développement durable, il devient nécessaire pour eux de trouver des alliances avec les assureurs.

Reste que les spécialistes du risque sont nombreux et qu’il sera sans doute utile pour les responsables de l’aide au développement de bien choisir les moyens d’une coopération allant du simple soutien technique à l’intégration dans des structures de micro-assurance spécialisées.

Les assureurs n’ont, en effet pas toujours les mêmes objectifs de rentabilité selon le type de société : agence, mutuelle, société anonyme ou mutuelle, institut de prévoyance. Cela peut justifier l’intérêt plus ou moins limité qu’ils vont porter à des projets dont les objectifs de « don » n’ont pas de lien avec leurs activités.

En revanche, des projets rentables qui concernent leur cœur de métier, puisqu’il s’agit malgré tout d’assurance, peuvent leur apparaître comme autant de défis à relever.

Une étude sur les 100 pays les plus pauvres du monde menée par « The MicroInsurance Centre » a répertorié le nombre de vies assurées selon le type de micro-assureur25. Le tableau synthétique est le suivant :

Types de micro- assureursNombres de vies couvertes
Commercial37 949 127
Communautaire323 279
Informel332 100
Mutuelle2 474 106
ONG37 409 196
Parastatal2611 177
Autres (dont Takaful)518
TOTAL78 499 503

A. Des acteurs à la limite de leurs compétences

Les mécanismes de gestion des risques spécifiques aux populations pauvres peuvent être classés en deux catégories27 : les mécanismes informels, mis en place par les ménages et les structures collectives comme les villages, et les mécanismes formels qui reposent sur l’existence d’un marché ou des politiques publiques.

Trois types de réponses résultent de la confrontation au risques : les objectifs de réduction des risques, les mesures d’atténuation des risques de manière préventive et le traitement des bouleversements survenus. Chaque système, informe ou formel, a ses méthodes pour intervenir à chaque niveau d’intervention sur le risque : préventif, protecteur ou curatif. Cette partie à pour but de montrer que les formes d’assurances ont toute leur place dans cette ossature.

25 Jim Roth, Michael J. Mc Cord, Dominic Liber, Insurance Provision in the world’s 100 poorest countries, The Microinsurance Centre, April 2007

26 Parastatal : organisme semi-public

27 World Development Report, chap.8, 2000/2001

1. Le secteur informel

L’assurance existe de manière informelle un peu partout dans le monde. Les stratégies de réduction des risques sont souvent mises en place de manière intuitive dans les pays développés ou en développement. Les initiatives individuelles ou basées sur des groupes communautaires s’opposent de manière théorique aux mécanismes formels de gestion des risques que sont les assurances commerciales ou sociales publiques.

La vulnérabilité des populations pauvres face aux « chocs »28

La vulnérabilité des populations pauvres face aux « chocs »

28 Micro-assurance, améliorer la gestion des risques pour les populations pauvres n°3, ADA, avril 2004

a) L’auto-assurance

La culture extensive, la polyactivité, l’émigration vers d’autres pays pour envoyer des fonds à la famille, le retrait des enfants de l’école pour les faire travailler afin de parer à des situations difficiles et surtout l’investissement dans la communauté sont quelques exemples de stratégies individuelles mises en place par les individus pauvres des pays en voie de développement pour réduire leurs risques.

Les pauvres sont contraints de choisir des activités qui leurs paraissent les moins risquées afin de diminuer leur risque de perte en cas de crise des marchés. Mais leur possibilité de gain est réduite d’autant. Leur aversion au risque les empêche ainsi d’échapper à la pauvreté. Les activités d’élevage qui privilégient un grand nombre d’animaux répartis sur diverses portions de territoire sont les plus susceptibles de réduire les risques de l’éleveur.

Ce sont les principes théorique de « loi des grands nombres » et de diversification des risques que les paysans utilisent pour réduire leurs risques. « D’un point de vue local, plus la surface cultivée est limitée, plus l’exposition aux risques est forte et un plus grand espace cultivé permet de répartir ceux-ci. »

L’arbitrage des agriculteurs entre diverses cultures ou entre culture et bétail se fait en fonction des risques auxquels ils sont soumis. En Inde, les observations montrent que les paysans les plus pauvres consacrent une plus large partie de leurs parcelles à la culture du riz qu’à des cultures aux rendements plus élevés.29

Limites des stratégies individuelles :

L’épargne thésaurisée est souvent insuffisante lors de la survenance d’un choc et les rendements des actifs restent faibles du fait de la faiblesse des investissements et de leur placement dans des actifs de risque moindre.

Les conséquences des sinistres à grande échelle comme les catastrophes naturelles ou les chocs économiques qui affectent notamment le niveau général des prix, sont désastreuses pour les personnes à faibles revenus malgré toutes les stratégies d’appoint qu’ils peuvent entreprendre. Quelque soit le domaine (agricole ou non) ou le type (bétail, commerce, polyculture) des activités, toutes sont touchées dès lors que la crise est généralisée.

L’interdépendance entre le monde agricole et non-agricole du fait du pouvoir d’achat dans certains pays en développement, détruit tous les efforts des populations à diversifier leur activité. Les conséquences des sinistres individuels sont aussi dramatiques puisque le surplus de travail, engendré par la nécessité de combler la baisse soudaine du revenu du ménage, est souvent confié aux enfants.

29 World Development Report 2000/2001, p143.

b) Les organisations basées sur le regroupement collectif

Les populations pauvres ont compris très tôt l’enjeu de s’associer pour gérer collectivement leurs risques. Elles n’ont pas attendu la micro-assurance. Les systèmes de tontines et autres organisations de gestion des risques permettent de lutter contre les aléas de la perte de revenu, de payer des obsèques à un proche, de faire face financièrement au décès d’un membre de la famille.

On retrouve ces organisations dans de nombreux pays en développement, que ce soit en Afrique ou en Asie mais aussi dans les pays développés comme au Japon, en Corée du Sud ou à Taïwan. Les systèmes collectifs informels de gestion des risques ne sont donc pas l’apanage des économies en développement.

Limites des stratégies communautaires :

Pourtant ces pools de gestion des risques restent « risqués » du fait de l’absence de contrôle et du manque de moyens. De plus, l’appartenance communautaire crée des obligations qui sont parfois trop contraignantes pour les individus, allant même jusqu’à entraver leurs libertés. Le fonctionnement collectif peut être un poids alors même qu’il devrait « décharger » ses membres.

L’assureur a donc toute sa place pour intervenir dans les limites des autres modes de gestion des risques. C’est sur sa compréhension des mutations des pays en développement qu’il sera jugé pour agir là où les stratégies communautaires et individuelles ont échoué ou font défaut.

« En insérant dans le tissu social un outil d’intermédiation relativement souple, la micro-assurance permet aux individus d’exprimer une individualité entravée par la pauvreté sans pour autant dissoudre le lien à la communauté » explique Marc Nabeth.30 La notion de collectivité reste fondamentale pour agir sur le marché des pays en développement auprès des personnes les plus pauvres.

30 Micro-assurance défis, mise en place et commercialisation, Marc Nabeth, Argus, 2005

Les mécanismes de gestion des risques selon leur nature et leurs objectifs

Les mécanismes de gestion des risques selon leur nature et leurs objectifs

2. Les institutions de microfinance

Les institutions de microfinance ont une certaine légitimité à proposer de la micro-assurance dans le sens où elles ont une connaissance des populations concernées. Elles proposent déjà d’autres produits de microfinance (prêt, épargne). Elles possèdent un réseau de distribution opérationnel et des clients. De plus, elles ont accumulé de l’expérience et disposent de statistiques spécifiques aux populations à faibles revenus.

Leur mode de fonctionnement classique de ces institutions est un modèle dit « communautaire » basé sur la distribution dans les associations partenaires.

L’exemple caractéristique de ce modèle est celui des institutions qui proposent de la micro-assurance santé en Afrique occidentale. Les membres versent des primes dans un fond et reçoivent, en échange, un droit à une prestation.

La communauté joue un rôle important dans la conception et la gestion du fonds. L’Association d’Entraide des Femmes (AssEF) au Bénin est une institution de microfinance qui propose ce type de programme santé à travers un réseau de près de 140 associations et fonds d’épargne et de crédit.

Moyennant une prime de l’ordre de USD 10 par an31 (par bénéficiaire), les femmes pauvres du secteur informel sont couvertes pour leurs dépenses santé à hauteur de 70%. Les frais de consultation d’un médecin généraliste, les frais liés à la maternité et les frais d’hospitalisation sont pris en charge pour elle et leurs enfants dans la mesure où elles s’adressent à des membres du réseau de fournisseur de soin.

Distribution des produits de l’AssEF

Distribution des produits de l’AssEF

31 Olivier Louis dit Guérin, Association d’Entraide des Femmes (Bénin), Case Study n°22, February 2006

Partant du constat que les institutions de microfinance ne sont pas adaptées à la distribution de produit d’assurance, Richard Leftley, président d’Opportunity International, un organisme de bienfaisance (« charity ») britannique, s’est convaincu de lancer une institution de micro-assurance. Cette structure dédiée aux opérations d’assurance prend en compte la spécificité du secteur.

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