Micro-assurance et Pauvreté, Une cible un peu particulière

Micro-assurance et Pauvreté, Une cible un peu particulière

B. Une « cible » un peu particulière : micro-assurance et pauvreté

« L’existence des pauvres est soumise à un risque plus grand que celle des riches. »

Maria Nowak, 2005

Le risque le plus grand pour les acteurs de la micro-assurance est de ne pas comprendre qui ils assurent. Il s’agit d’un groupe bien déterminé : celui des personnes à faible revenu. L’enjeu principal est donc d’arriver à cerner précisément cette population et de bien saisir ses caractéristiques et modes de fonctionnement propres.

1. Pauvreté, exclusion, vulnérabilité : l’étendue d’un « marché » ?

Assurer les pauvres ne peut pas s’improviser. L’Organisation Internationale du Travail met en garde les Institutions de Microfinance dans un guide technique qui illustre les difficultés à mettre en œuvre des prestations d’assurances pour ces organismes derrière l’apparente facilité de ces nouveaux produits10.

Les principes de base de l’assurance peuvent s’appliquer et c’est la raison pour laquelle seuls des acteurs initiés peuvent intervenir, mais les personnes intéressées forment un groupe d’assurés très particulier. Il est difficile de cerner exactement qui sont les bénéficiaires de ces formes de protections formelles.

La définition de la micro-assurance du CGAP11 fait référence à des « populations à faible revenus ». Mais qui sont ces populations ? Qu’est ce qu’un revenu « faible » ? Les personnes concernées peuvent aussi bien habiter un pays dit développé qu’un pays en développement.

Le seuil de pauvreté que nous prendrons pour référence dans cette étude est celui proposé par la Banque Mondiale. Elle utilise des limites identiques pour chaque pays (1 USD par jour, 2 USD par jour) en tenant compte des parités de pouvoir d’achat. Les comparaisons entre pays sont ainsi plus aisées. La Banque mondiale a fixé le seuil de pauvreté à 2 USD par jour pour vivre et à 1 USD par jour celui de « l’extrême » pauvreté.

En tenant compte de ce référentiel, la moitié de la population mondiale vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté selon cette définition.

Avec 1/5 de la population en situation d’extrême pauvreté, il apparaît évident que la micro-assurance a toute sa place mais aussi qu’elle va devoir faire face à une importante diversité des situations selon les pays et les revenus.

Plus précisément, la cible des acteurs de la micro-assurance sera l’ensemble des personnes ignorées des assurances commerciales et sociales traditionnelles, des personnes qui n’ont pas accès à des produits adaptés du fait de la faiblesse de leurs ressources financières. Il s’agit donc pour les assureurs d’un véritable défi : trouver des solutions pour couvrir ces personnes ou formaliser les modes de gestion des risques préexistants.

10 C. F. Churchill, D. Liber, M.J. McCord, J. Roth, L’assurance et les institutions de Microfinance

– Guide technique pour le développement et la prestation de services de micro-assurance, 2004, OIT

11 CGAP : the Consultative Group to Assist the Poor

2. Les risques

Le terme de micro-assurance ne fait pas référence à la portée des risques. La micro-assurance peut, en théorie, couvrir tous les risques. Il ne s’agit pas spécialement de « petits » ou « micro » risques. Les risques les plus fréquemment couverts pour les populations à faibles revenus sont le décès et la maladie.

Les risques associés à la personne sont donc les plus courants. Mais l’assurance dommage se développe et des produits innovants voient le jour pour s’adapter aux besoins de populations. En particulier les micro-assureurs doivent trouver des solutions spécifiques au monde agricole.

En effet, la population à laquelle s’adresse la micro-assurance dans les pays en développement est essentiellement rurale. Les risques climatiques et du bétail affectent particulièrement les habitants de ces pays. Ces risques sont autant d’enjeux pour les assureurs qui interviennent auprès des populations.

Les risques encourus par les populations à faibles revenus sont nombreux. La Banque Mondiale12 a établit une typologie pour classifier les risques qui affectent plus particulièrement les pauvres des pays en voie de développement. Ce travail fastidieux est rendu nécessaire pour éclairer l’assureur dans ces choix commerciaux. Doit-il se concentrer sur une branche spécifique ? Quels risques assurer ? La classification retenue scinde les risques selon le niveau auquel ils émergent et selon la nature de l’événement (naturel, économique, politique)13.

Les risques dits « idiosyncrasique » (à un niveau microéconomique) affectent les individus et les ménages tandis que les risques « covariants » touchent les communautés (niveau mésoéconomique), des régions voire même l’ensemble des pays (niveau macroéconomique). Les individus sont confrontés à des risques différents des chocs répercutés sur l’ensemble d’une population. La maladie, la vieillesse et la mort les concernent directement et individuellement tandis qu’un tremblement de terre ou une guerre civile concernera l’ensemble des habitants d’un même territoire.

La distinction micro, méso, macroéconomique est fondamentale pour un acteur de la micro-assurance. Si un risque touche l’ensemble d’un village, l’assureur devra prévoir d’assurer un groupe de villages dont certains ne sont pas concernés par ce risque. La constitution d’un pool est déterminante pour diversifier et mutualiser ces risques.

12 World Development Report, chap.8, 2000/2001

13 Cf. tableau des risques

risque de microassurance

Pourtant il faut tempérer cette typologie très simplificatrice car les frontières entre niveaux de risques sont très minces. La maladie d’une personne pauvre est souvent causée par le manque de nourriture qui peut lui- même découler d’une catastrophe naturelle ou de la fluctuation des prix des denrées alimentaires. Il faut donc parfois chercher l’origine des risques ailleurs qu’à un niveau micro et le risque est grand pour l’assureur de ne pas prendre en compte ces corrélations qui auront un impact majeur sur la bonne santé de son portefeuille.

3. Le cercle vicieux de la pauvreté

a) L’aversion au risque des plus pauvres

La micro-assurance de la même manière peut être un outil d’aide au développement. “Low income house holds are vulnerable to risks and economic shocks. One way for the poor to protect themselves is trough insurance.”14 Qu’il s’agisse d’une assurance décès qui couvre les frais d’obsèques ou d’une assurance santé qui prenne en charge les soins en cas de maladie, l’assurance permet de lisser les dépenses sur une période pour ne pas avoir de surcharge de dépense au moment de la réalisation de l’événement.

Lorsqu’un individu extrêmement pauvre doit tout à coup faire face au décès d’un proche et payer notamment les frais d’obsèques, il va se priver d’une partie, voire de la totalité de son revenu. Ce revenu extrêmement faible étant habituellement réservé aux dépenses alimentaires ou de logement par exemple cela revient à mettre en jeu sa propre vie.

Les ménages pauvres craignent ce type d’événement qui remet en cause tout l’équilibre de leurs dépenses. Chaque entaille à leur revenu les pousse un peu plus loin dans l’indigence. Cela a pour conséquence de les détourner de toute activité risquée fortement rémunératrice qui pourrait les aider à vaincre leur pauvreté. Ils savent en effet que la moindre erreur peut leur être fatale.

L’incertitude sur leur revenu futur les détourne de toute prise de risque qui pourrait les aider à sortir de leur situation et les entraîne dans une spirale de pauvreté. L’aversion au risque augment avec la pauvreté. Le niveau de revenu est significatif pour ces choix d’allocation de revenu.

Le pauvre va choisir une cagnotte qui n’est pas forcément celle où le montant de gain est le plus important, mais bien celle où la probabilité de gagner est la plus forte. A l’incertitude d’un gain très important prévaut pour l’individu à faible revenu la certitude d’un gain.

L’aversion au risque augmente dans cette logique avec la pauvreté. Les personnes les plus démunies vont être intéressées par des moyens de conserver un niveau de revenu le plus constant et d’éviter toute forme de choc qui pourrait affecter leurs dépenses.

Cela est d’autant plus important que ces populations sont peut-être plus exposées à certains risques comme le décès, la maladie et à la perte de leur revenu. La vulnérabilité pousse à chercher des méthodes pour gérer ces risques.

La mutualisation des risques dans des structures informelles n’est qu’une réponse que partielle et insuffisante. La micro-assurance peut être une réponse. Elle permet de remplacer l’incertitude d’une perte potentielle par la certitude de payer régulièrement une prime.

b) La fluctuation des revenus

Les fluctuations de revenus sont particulièrement importantes pour les ménages pauvres. Le rapport de la Banque mondiale15 est éloquent à ce sujet. Un accroissement d’un risque tel que l’arrivée précoce ou tardive ou précoce de la mousson dans les villages du Sud de l’Inde réduit de 35% les revenus agricoles des plus pauvres mais n’a aucun impact sur les agriculteurs les plus riches. Les paysans pauvres sont plus vulnérables aux événements c’est-à-dire que leur résistance aux chocs est moindre que celle des plus riches.

14 Protecting the poor – A Microinsurance compendium, Introduction, Craig Churchill, 2006 (Munich Re Foundation, CGAP working group on microinsurance, ILO (International Labour Office)

15 World Development Report, chap.8, 2000/2001

Pour Jean-Michel Servet, « d’un point de vue matériel, être pauvre est moins le fait d’avoir des ressources très faibles par rapport au système de besoins prévalant dans sa société que le fait d’une perception erratique des revenus ; le revenu moyen par tête signifie peu de chose si cette statistique n’est pas accompagnée d’informations sur les fluctuations intra-annuelles de ce revenu, et de l’évolution de la situation de ceux et celles qui se situent en dessous du seuil de pauvreté ainsi défini. »

C’est donc l’incertitude sur le montant de leur revenu futur qui place les personnes pauvres dans une situation risquée. Les principes de l’assurance sont justement adaptés à cette demande de diminution de la variabilité des revenus.

c) La pauvreté : un phénomène chronique

Pour évaluer la pauvreté, il faut prendre en compte la dimension temporelle. Un ménage pauvre aujourd’hui l’était-il, il y a cinq ans ? Est-il resté pauvre pendant cinq années ou a t-il connu des phases de transition avec des revenus plus élevés ? Il faut prendre en compte la dimension historique de la pauvreté et s’interroger la période de temps pendant laquelle un individu est en situation de nécessité.

Le rapport de la Banque Mondiale sur le développement explique que la plupart des études sur la pauvreté ne prennent pas en compte la part de la population qui est passée par une phase de pauvreté dans les années précédentes : les chiffres restent fixés à un moment donné.16 Or il existe un phénomène de « pauvreté chronique », c’est-à-dire qu’il est possible d’être pauvre à une date t et de ne plus l’être à l’instant t+1. Il est donc important d’étudier l’évolution des revenus des ménages au cours du temps.

Par exemple en Inde, au cours des 9 années précédent une enquête de la Banque Mondiale, près des deux tiers de la population étaient passés par une ou des phases de pauvreté : les familles restent pauvres malgré certaines périodes plus favorables. « Être pauvre, selon Jean-Michel Servet, ce n’est pas seulement jouir de faibles ressources, autrement dit être réduit à la portion congrue du vaste festin de l’humanité ; c’est surtout connaître des périodes durant lesquelles l’endettement est la seule issue. »

16 World Development Report 2000/2001

Les conséquences de ces remarques sont intéressantes pour le domaine financier puisque les ménages, confrontés à des problèmes de pauvreté récurrente, vont pouvoir être intéressés par des moyens de financer leurs déficits. La question de la vulnérabilité dans le temps peut être traitée en terme de « lissage » des revenus par des méthodes de gestion des risques telles que l’assurance.

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