Le concept de marketing expérientiel – Le marketing sensoriel

Le concept de marketing expérientiel – Le marketing sensoriel

Partie II – Le marketing sensoriel en application

A. L’utilisation des sens par le marketing

Nous commencerons ce chapitre par une citation, particulièrement appropriée à la situation de ce début d’année 2009 : « Si le consommateur a beaucoup changé dans nos sociétés marquées par la crise économique, si l’incertitude du lendemain l’a contraint à développer un comportement d’achat à la fois plus raisonné et plus prudent, elle ne lui a pas ôté toute volonté de divertissement et d’émotion liée à l’acte d’achat »40. Ainsi, nous verrons dans cette partie comment les entreprises provoquent, jour après jour, l’effervescence chez les consommateurs.

40 BARBET Virginie et al., (1999), Le marketing olfactif, Les Presses du Management, Paris, 1re édition (page 99)

1) Le concept de marketing expérientiel

Comme nous l’avons évoqué dès la première partie de ce mémoire, on considère que les décisions prises par le consommateur répondent fréquemment au facteur émotionnel, remettant ainsi en question le modèle classique du comportement du consommateur qui suit le schéma cognitif – affectif – conatif. Il semble qu’un équilibre se fasse entre rationnel et irrationnel dans le processus d’achat, concernant non seulement le choix du produit mais aussi le choix du magasin visité.

Notons également qu’étant donné que les entreprises proposent globalement des produits similaires en contenu et en prix, le consommateur se lasse des activités de magasinage (plus communément appelées shopping).

En réponse à cela, Jean-François Lemoine, professeur à l’Université de Nantes et chercheur en marketing sensoriel et marketing expérientiel, soulève que « la création de concepts commerciaux privilégiant massivement les composantes atmosphériques est donc l’occasion de répondre aux nouvelles attentes des individus en matière de réenchantement des points de vente »41. Ainsi, dans les années 90, les dénommés magasins d’ambiance se sont développés dans le paysage commercial français.

Ils se caractérisent par leur volonté d’établir une véritable atmosphère, définie par Kotler en 1973 comme « la création d’un environnement d’achat produisant des effets émotionnels spécifiques chez le consommateur, tels que le plaisir ou l’excitation, susceptibles d’augmenter sa probabilité d’achat »42.

Couramment cités parmi les pionniers en France, on trouve Nature & Découvertes et Apache. Cela dit, de plus en plus de distributeurs favorisent ce que les experts appellent la « production d’expérience » : par une théâtralisation de l’offre, les produits sont mis en scène et se retrouvent immergés dans un univers donné. Cet univers, créé par l’enseigne, la représente intégralement, aboutissant a priori à un positionnement fortement marqué et original.

Toutes les variables composant l’offre commerciale doivent alors correspondre à une même atmosphère, auquel cas « l’ambiance du point de vente devient un élément de choix pour atteindre le positionnement voulu par l’enseigne »43.

Pour que la cohérence entre facteurs atmosphériques soit respectée, il s’agit d’appréhender la situation d’achat dans son ensemble et de la valoriser. En effet, le marketing expérientiel a pour mission de « projeter le chaland dans un imaginaire holiste afin de lui offrir des gratifications hédoniques »44.

Cette vision globale du magasin fait intervenir des éléments comme l’agencement du point de vente, le choix du mobilier, la manière de ranger les articles, le personnel de vente… ainsi que des stimulations sensorielles. Grâce à cela, le chaland est censé s’approprier l’espace et voyager dans le temps. Il participe alors à sa propre création d’expérience en étant au cœur du scénario inventé.

Selon certains spécialistes de la distribution, la production d’expérience commence dès le « marketing d’entrée », c’est-à-dire par les facteurs d’attraction mis en place par la marque hors du magasin, de façon à faire pénétrer le chaland dans la surface de vente : la fréquentation d’un magasin n’est plus nécessairement motivée par la recherche d’un bien ou d’un service45.

L’architecture ou la localisation du point de vente peut ainsi être une invitation à entrer : par exemple, un magasin situé dans un bâtiment historique éveillera la curiosité des passants. De même, une animation comme un stand de dégustation à l’extérieur d’une boutique ou des bulles paraissant émaner de la façade d’un magasin inciteront les gens à passer la porte du magasin.

Soit dit en passant, les portes des magasins ont même disparu dans les centres commerciaux, levant ainsi toutes les barrières à l’entrée dans un point de vente. L’expérience se poursuivrait à l’intérieur du magasin grâce au « marketing de transformation », convertissant la visite en achat.

Elle se prolongerait avec le « marketing de fidélisation », étant quant à lui l’ensemble des actions entreprises par la marque de sorte à ce que le consommateur se remémore l’enseigne : ateliers créatifs, consumer magazine, etc. Tout ceci reviendrait à concevoir un contexte au sein duquel les consommateurs se laisseraient porter par leur exaltation. De cette façon, les entreprises auraient plus facilement accès à leur intimité.

41 LEMOINE Jean-François, « Magasins d’atmosphère : quelles évolutions et quelles perspectives d’avenir ? », Revue Française du Marketing, n°198, juillet 2004 (page 113)

42 Ibid. (page 108)

43 DAUCE Bruno, RIEUNIER Sophie, « Le marketing sensoriel du point de vente », Recherche et Applications en Marketing, volume 17, n°4, 2002 (page 50)

44 BADOT Olivier, LEMOINE Jean-François, « Gestion tribale de la marque et distribution spécialisée : le cas d’Abercrombie & Fitch », Décisions Marketing, n° 52, octobre-décembre 2008 (page 17)

Plutôt désigné comme un champion du marketing tribal, ce qui n’est pas l’objet de notre étude, la chaîne américaine de prêt-à-porter Abercrombie & Fitch reflète dans toutes ses formes le marketing expérientiel46.

Elle cultive extrêmement bien l’atmosphère qu’elle a osé mettre en place. Tout d’abord, Abercrombie & Fitch semble à première vue ne pas avoir de « marketing d’entrée » car les points de vente sont difficiles à localiser. Pourtant, une réflexion est bien menée car le fait que l’entrée soit cachée dans un immeuble habité ou qu’aucun panneau n’indique la présence d’un magasin A&F participe justement au jeu crée autour de l’enseigne.

Notons que l’absence de variable atmosphérique contribue tantôt à conforter un positionnement, tantôt à améliorer le confort du client comme le met en avant Vincent Pujo, directeur du prestataire de services Midis : « nous développons une nouvelle technologie acoustique avec un spécialiste des dalles de plafond sonores, afin de créer des zones déconnectées de l’ambiance sonore globale et favoriser la bonne intelligibilité entre le conseiller commercial et le client »47.

Pour en revenir au cas d’Abercrombie & Fitch, l’expérience continue avec l’excitation que procurent les employés de la marque en étant partiellement dénudés et en sollicitant les clients. L’importance donnée non plus aux produits mais à l’expérience vécue dans un magasin A&F peut se résumer grâce au témoignage suivant, collecté auprès d’une cliente de la marque : « on va chez A&F sans idée bien précise mais on sait qu’on va passer ensemble un super moment avec les mannequins et les vendeurs »48.

Ainsi, comme le disent les auteurs de l’enquête, « le personnel en contact n’est pas là prioritairement pour assurer une fonction de vente mais plutôt pour contribuer à l’atmosphère festive et désinhibante du lieu […], [il] est entraîné à inciter les chalands à jouer avec lui, à jouer avec les produits […], à transgresser le lieu ».

45 DUPUIS Marc, LE JEAN SAVIEUX Dominique, « Marketing expérientiel et performances des enseignes de distribution », Revue Française du Marketing, n° 198, juillet 2004 (page 90)

46 BADOT Olivier, LEMOINE Jean-François, Décisions Marketing, op. cit. (page 17)

47 HERMANN Geneviève, « Eveiller les sens pour mieux vendre ? », Points de vente, 05/05/2008

48 BADOT Olivier, LEMOINE Jean-François, Décisions Marketing, op. cit. (page 13)

49 http://dubruitdanslacuisine.fr/fr/notre_univers/index.html (accédée le 09/04/2009)

Cette fois en France, un autre exemple de « débanalisation » de l’offre est celui de l’enseigne Du Bruit dans la cuisine, où l’univers d’achat combine des éléments absolument complémentaires. Avant d’être un lieu de vente, l’enseigne se dit être « un espace de découverte, de rencontre et d’initiation gourmandes »49.

En plus d’utiliser le cross-selling avec une sélection d’articles de vaisselle, de denrées alimentaires, de livres et d’ustensiles de cuisine, les magasins de la marque jouent sur l’animation du point de vente : des chefs cuisiniers accueillent et conseillent quotidiennement les clients lors de démonstrations culinaires opérées dans une cuisine, celle-ci étant installée en plein centre des magasins.

On en vient à se demander quel est le principal intérêt du client à fréquenter ce genre de magasins. S’il s’agit pour lui de se divertir, la question de la viabilité de ces enseignes se pose. Spécialistes du marketing sensoriel du point de vente, Daucé et Rieunier sont optimistes et postulent que, quand l’atmosphère du magasin est bien travaillée, le client peut souhaiter acheter quelque chose pour emporter avec lui une partie de l’expérience vécue50.

Lemoine, lui, prévoit que les magasins d’atmosphère devront accepter de passer du marketing transactionnel au marketing relationnel51. Les entreprises seraient alors amenées à envisager leur interaction avec les consommateurs comme une relation durable et capitaliseraient dorénavant sur la fidélisation plus que sur l’augmentation directe des ventes. Finalement, la rentabilité d’un tel concept reste à démontrer.

50 DAUCE Bruno, RIEUNIER Sophie, Recherche et Applications en Marketing, op. cit. (page 55)

51 BADOT Olivier, (2005), Commerce et distribution : prospectives et stratégies, Economica, Paris, 1re édition (chapitre écrit par Jean-François Lemoine, page 234)

Ce qui est sûr, c’est que certains consommateurs ont déjà une idée de la façon dont ils veulent voir le point de vente de demain. Une étude marketing menée par l’Institut d’Observation et de Décision affirme que les consommateurs au comportement « click & mortar » visualisent soit des points de vente très rationalisés où l’on ne viendrait que retirer un article choisi sur internet, soit des « lieux qui offrent une expérience d’achat singulière »52.

52 BITOUN Olivier, « Les clients jonglent entre web et magasins », LSA N° 2015, 11/10/2007

53 Anonyme, « Aborder le marketing par tous les sens. Le marketing sensoriel, c’est quoi ? », Le Journal du Net, 14/06/2006

54 Anonyme, “The way the brain buys”, The Economist, 18/12/2008

A moins que les entreprises n’y mettent un frein pour des raisons économiques, les magasins d’atmosphère et leur aspect ludique sont donc voués à perdurer. De nombreux secteurs pourraient même s’y essayer : comme le dit Patrick Hetzel, professeur de marketing, « il ne faut pas croire qu’il s’agisse d’une mode : les marketings sensoriel et expérientiel sont un vrai phénomène de fond »53.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La fonction Achats au service du Marketing sensoriel
Université 🏫: Université Paris I – Panthéon Sorbonne -Master 2 professionnel - Spécialité Logistique
Auteur·trice·s 🎓:
Claire Pasquier

Claire Pasquier
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin d’études - Année 2009
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