Les principes du marketing sensoriel

2) Principes du marketing sensoriel

Un article paru dans la presse anglo-saxonne nous dit que les gens qui perdent leur faculté de ressentir certaines sensations trouvent difficile, voire impossible, de prendre des décisions dans un magasin et ne peuvent se livrer aux activités de magasinage54.

Dans ces conditions, comment mieux prouver le pouvoir du recours aux sens par le marketing ?

L’usage ne date pas d’hier.

Dès la seconde moitié du 19e siècle, Aristide Boucicaut, en instaurant le libre-service dans le premier grand magasin parisien, Le Bon Marché, aurait implicitement posé les bases du marketing sensoriel : permettre aux clients de toucher et de sentir les marchandises.

Le visuel venait également renforcer la mise en valeur du large assortiment proposé, de grandes baies vitrées laissant pénétrer toute la luminosité extérieure.

L’expression « marketing sensoriel » n’a pourtant été formulée que bien plus tard, dans les années 1990, avec la sollicitation concomitante de sens qui n’étaient jusque là que peu exploités par les entreprises55.

Historiquement, si les premiers sens stimulés ont été le goût, tout simplement par les biens alimentaires, et la vue, par les formes et les couleurs des produits, les autres sens n’ont été mis à profit par les producteurs et les distributeurs que bien après.

Ces différentes étapes dans l’utilisation du marketing sensoriel sont interprétées différemment selon les auteurs.

La majorité des chercheurs en marketing estiment que ce sont l’ouïe et l’olfaction qui ont été le plus tardivement stimulés dans un contexte commercial.

D’autres affirment que le toucher est un sens qui n’a pas encore dévoilé tout son potentiel.

Ce sur quoi les spécialistes s’accordent, c’est que le marketing se fait de plus en plus « polysensoriel », c’est-à-dire qu’un maximum de sens doivent être sollicités pour mieux être perçus du consommateur.

Les différents sens

Outre la classification sens physiques/sens chimiques, on parle de strates sensorielles selon l’ordre naturel d’apparition des sensations.

On retrouve des sens de distance, la vue, l’olfaction et l’ouïe, et des sens de proximité, le toucher et le goût. Stimuler ces deux derniers sens reviendrait à instaurer une relation plus intime avec le consommateur.

Pour tous ces sens, l’intérêt semble aujourd’hui de décliner l’usage qu’on en faisait pour que le client découvre des sensations là où il ne s’y attendait pas.

Notre vue est stimulée depuis toujours par les couleurs et les formes. Aujourd’hui, les entreprises jouent sur le visuel avec la transparence, la brillance, les reflets, les motifs, la texture apparente…

Ce sens est sollicité chaque fois que l’on se trouve dans un environnement commercial puisque même une entreprise de services propose son offre dans un lieu possédant un certain design.

Cependant, on notera l’existence d’une entreprise de restauration qui invite ses clients à venir manger en pleine obscurité :

« Dans le noir ? » est parti de l’idée que, la vue étant le sens dominant des humains, en se mettant à la place des non-voyants, on comprendrait l’importance des autres sens56.

Cette chaîne de restaurants propose ainsi une expérience hors du commun en favorisant, de par l’absence de visibilité, le recours à des sens qui s’aiguiseraient naturellement au cours du repas.

Principes du marketing sensoriel

Les menus servis étant particulièrement insolites en termes d’arômes et de textures (fleurs, épices…) et les tables étant volontairement proches les unes des autres, on y ressentirait le goût, les odeurs, les sons et les sensations tactiles de manière encore plus prononcée.

55 LEHU Jean-Marc, (2004), L’encyclopédie du marketing, Editions d’Organisation, Paris, 1re édition (page 471)

L’ouïe, quant à elle, est stimulée de manière chaque fois plus réfléchie.

Comme l’explique la revue Points de vente, « la sonorisation des magasins ne se fait plus par défaut avec la diffusion d’une musique de fond banalisée.

Les programmes musicaux sont personnalisés en cohérence avec l’image de l’enseigne et le profil des consommateurs du magasin »57.

La sélection de bandes-sonores s’avère affinée selon la catégorie socioprofessionnelle et l’âge des chalands.

Les efforts faits par les distributeurs ne seraient d’ailleurs pas vains car une enquête effectuée par l’agence spécialisée en marketing sensoriel Mood Media affirme que la musique est le sixième facteur de confort décelé par les clients en magasin58.

Il est logique d’imaginer que, pour la grande distribution, le choix de la musique doit être plus laborieux étant donné la variété de consommateurs qui pénètrent quotidiennement dans les grandes surfaces, qu’elles soient spécialisées ou non.

On comprend mieux alors la stratégie d’adaptation des musiques aux différentes heures de la journée, selon la fréquentation du moment.

Néanmoins, la musique, si elle n’est pas adaptée, peut avoir des effets néfastes, comme en témoigne une mère de famille ayant voulu rechercher un article au rayon enfant d’H&M : « la musique était tellement forte que je suis sortie sans rien acheter »59.

La technique du zoning, découpant le magasin en plusieurs atmosphères, montre alors toute son utilité.

Le goût est bien sûr essentiellement utilisé dans les produits alimentaires. On remarquera d’ailleurs la grande tendance du sucré aux dépends de l’acide et du salé60.

Cette saveur étant innée, l’apprentissage vers les autres sensations gustatives se profilerait de moins en moins. Quatrième « saveur européenne », l’amer est totalement laissé pour compte.

Une émergente et cinquième saveur, issue de la gastronomie asiatique et appelée l’unami, serait plus au goût du jour des français.

Notons que le goût est étroitement lié à l’olfactif et au tactile, ce qui permet d’élargir les champs d’action de ce sens. La commercialisation de rouges à lèvres ou de tubas maritimes aux arômes fruités en sont des exemples.

56 http://www.danslenoir.com/

57 HERMANN Geneviève, op. cit.

58 LAVABRE Sylvie, « Communication : le bon son pour la bonne cible », LSA n° 1880, 28/10/2004

59 Ibid.

Le toucher, « sens de proximité qui ouvre l’accès à l’intimité de l’individu », est encore peu exploité, notamment du fait de sa complexité61. En effet, il se divise en sensations somesthésiques, trigéminales ou encore thermiques.

Puisqu’il fait partie de la sphère intimiste, il est déplorable que plus de recherches à ce sujet ne soient pas menées tant son potentiel d’influence sur le consommateur est grand.

Ceci a été prouvé par le simple fait d’un contact physique entre un vendeur et un client : peut-être est-ce le fait de l’interaction sociale plus que du toucher en lui-même.

Mais une étude américaine a démontré qu’après qu’un vendeur ait frôlé le bras d’un client, ce dernier avait une propension plus grande à l’achat62.

Les perspectives que laissent alors voir le recours au toucher sous-entendent que les actuels téléphones portables recouverts d’une matière gomme ou velours ne sont qu’un début pour l’application de ce sens en des termes commerciaux.

D’autant plus que le toucher est le sens qui s’altère le moins au fil des années63.

60 Anonyme, « La nouvelle palette des saveurs », LSA N° 1633, 03/06/1999

61 BODY Laurence, GIBOREAU Agnès, op. cit. (page 11)

62 HORNIK J., “Effects of physical contact on customers’ shopping time and behavior”, Marketing Letters, 3 (pages 49-55)

63 GUEGUEN Nicolas, (2008), Cent petites expériences en psychologie du consommateur, Dunod, Paris, 1re édition (page 199)

L’odorat, enfin, a été l’objet de nombreuses attentions ces dernières années.

Il se rait le sens complétant la palette sensorielle aujourd’hui utilisée par le marketing pour arriver à une stratégie « polysensorielle »64.

Malgré cela, il semble qu’un long chemin reste à parcourir pour que les entreprises exploitent ce sens d’une manière optimale.

En effet, si les chercheurs entreprennent des études de façon à mieux connaître l’impact des odeurs sur l’attitude du consommateur, les résultats d’analyse sont contrastés.

Il semble indispensable que biologistes, chimistes et hommes du marketing collaborent, de sorte que les praticiens puissent bénéficier de recommandations managériales vérifiées.

Ceci, est un avis partagé jusqu’en Amérique du sud, comme le soulève un article issu de la presse argentine :

Les espaces de vente là-bas dépenseraient d’importantes sommes dans l’étude de l’illumination et du design, alors que le choix de l’odeur serait pris en charge par une personne se contentant d’aller au supermarché et d’acheter un diffuseur d’odeur standard de pin ou de citron65.

La longévité de la mémoire olfactive et le fait qu’une odeur soit toujours associée à un souvenir sont des indicateurs de la valeur que peut représenter ce sens pour les entreprises si elles parviennent à le stimuler dans les bonnes conditions.

Cela dit, l’odorat, premier sens perçu par l’être humain avant même la naissance, nécessite un certain apprentissage pour que sa réceptivité s’accroisse66.

Ceci est un des facteurs qui font que tous les individus ont une perception différente des odeurs et que, de ce fait, l’utilisation des fragrances soit très segmentante et donc à double tranchant.

De plus, les migraines et phobies olfactives étant plus communément constatées, la sollicitation de l’odorat se transforme en un acte particulièrement délicat67.

Ainsi, le recours aux sens peut s’avérer dangereux car un consommateur pourrait ne pas aimer l’univers créé autour du produit. Le marketing traditionnel, bien que moins séducteur, apparaît alors comme moins excluant.

L’Optimal Stimulation Level (OSL)

En plus d’avoir des préférences en fonction de chaque sens stimulé, ce qu’on étudiera dans la troisième partie de ce mémoire, tous les individus possèdent un niveau optimum de stimulation, se définissant comme le seuil global d’activation des sens qui les satisfait.

Le fonctionnement est le suivant : « si le potentiel d’excitation augmente, la valeur hédonique s’accroît, jusqu’à un optimum après lequel elle diminue, pour finalement rejoindre le point d’indifférence »68.

On ajoutera à cela que, chez certains, l’indifférence laissera place au désagrément, rendant la stimulation sensorielle contre-productive.

Ainsi, les personnes qui ont un OSL faible n’apprécieront pas ce qui tend à fortement émouvoir les sujets.

A titre d’exemple, la sur-stimulation provoquée par les magasins Abercrombie & Fitch ne sera pas supportée par un consommateur à l’OSL réduit :

Odeur entêtante, musique de style techno diffusée à un niveau très fort, quasi-obscurité, contacts corporels avec le personnel69… l’exacerbation des stimuli sensoriels sera trop intense pour être tolérée par ce genre de personnes.

A contrario, les personnes ayant un OSL élevé auront tendance à aimer ce type d’expérience. Il convient de souligner que l’OSL n’est pas figé et varie au cours de la vie70.

Pour conclure sur ce point et amener le prochain, on citera ce passage d’un livre consacré à l’étude des sens à des fins marketing :

« Le but n’est pas de surcharger sensoriellement la communication de marque, ce qui peut induire un risque de sur-stimulation.

Mais de trouver les points d’impact pertinents, complémentaires de l’approche traditionnelle, ceux qui vont toucher les consommateurs et faire la différence avec les concurrents »71.

68 MAILLE Virginie. « L’influence des odeurs sur le consommateur : la tendance à la recherche de sensations et au comportement exploratoire comme variables modératrices »,

Revue Française du Marketing, n°194, septembre 2003 (page 52)

69 BADOT Olivier, LEMOINE Jean-François, Décisions Marketing, op. cit. (page 13)

70 DAUCE Bruno et al, Dunod, op. cit. (page 149)

71 BODY Laurence, GIBOREAU Agnès, (2007), op. cit. (page 230)

Recommandations principales

Des études récentes effectuées dans ce domaine, il ressort que les cinq sens sont étroitement reliés et ne peuvent être envisagés de façon isolée.

N’oublions pas, par exemple, que la perte de l’odorat engendre l’amoindrissement de la sensibilité gustative.

Plus largement, la psychologie prouve que notre cerveau est conditionné par certaines sensations à en éprouver d’autres.

Ainsi, les couleurs interviendraient sur notre perception du son : dans une pièce, on supporterait mieux un son très aigu grâce à des couleurs sombres et un son grave avec des tons lumineux72.

De même, il y aurait des associations attendues entre une teinte et une odeur qui, si l’on s’en éloignait, provoqueraient un sentiment d’incohérence.

Ainsi, nous serions prédisposés à attribuer à une odeur de vanille une couleur orangée et y associer du bleu choquerait la population.

Les goûts ne seraient pas épargnés par ce principe, une boisson de couleur verte étant généralement assimilée à de la menthe.

Mettons toutefois ici une objection à ces généralités, compte-tenu des différences de perception qui existent selon les cultures.

L’interaction des stimuli est un facteur dont il faut tenir compte dans toute démarche de marketing sensoriel, pour qu’il y ait une congruence entre les variables et avec le positionnement que veut avoir l’enseigne.

Nous avons évoqué auparavant l’atmosphère holiste que doit concevoir une marque : l’entreprise qui joue sur le « polysensoriel » se doit d’anticiper les effets des stimulations qu’elle veut générer.

« La création d’une atmosphère est plus subtile que l’addition de différentes composantes, musique, senteurs…

Elle doit être pensée de façon globale, traduire un positionnement »73.

Au sein d’un point de vente, toutes les composantes atmosphériques sont à prendre en compte et sont même à reconsidérer selon les moments de la journée.

Les consommateurs sont devenus des « miettes d’individus », cherchant une sensation différente selon la période de sa vie, voire selon l’heure qu’il est.

Lemoine met alors en exergue que les enseignes doivent s’y adapter74 : aux heures de pointe, on préférera recourir à des musiques de variété, des senteurs stimulantes et un personnel formé à orienter efficacement les chalands sur la surface de vente.

Aux heures creuses, on privilégiera une musique lente, des senteurs apaisantes et les employés devront être à la disposition des clients pour leur apporter des conseils sur la marchandise.

72 DAUCE Bruno et al, Dunod, op. cit. (page 147)

73 DUPUIS Marc, LE JEAN SAVIEUX Dominique, op. cit. (page 93)

74 BADOT Olivier, (2005), op. cit. (chapitre écrit par Jean-François Lemoine, page 233)

Tout ceci requiert des études en amont du processus, avant que l’offre ne soit effectivement proposée aux consommateurs.

Ces prétests, dont nous reparlerons plus tard, doivent être menés scrupuleusement, de préférence par des professionnels.

La mise en place d’une atmosphère par un distributeur nécessiterait d’être encadrée d’objectifs préalablement déterminés et mériterait d’être suivie par la vérification de l’adéquation des résultats aux objectifs fixés.

Notons que la conception du nouveau magasin Castorama de la Défense respecte parfaitement ces recommandations : la visée est avant tout le « confort d’achat pour nos clients afin qu’ils restent plus longtemps dans le magasin et qu’ils y reviennent avec plaisir. […]

Nous nous donnons jusqu’à la rentrée de septembre pour en mesurer les retours.

75 Anonyme, « Un équipement dédié au confort des clients », Points de vente, 05/05/2008

Nous verrons alors comment et où utiliser ces dispositifs ailleurs »75.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La fonction Achats au service du Marketing sensoriel
Université 🏫: Université Paris I – Panthéon Sorbonne -Master 2 professionnel - Spécialité Logistique
Auteur·trice·s 🎓:
Claire Pasquier

Claire Pasquier
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin d’études - Année 2009
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top