Intérêts de la continuité du contrat : Cocontractant et Cessionnaire

Les intérêts économiques attachés au sort du contrat – Chapitre 2
Le contrat est un support d’échanges économiques. Les parties y trouvent chacune un intérêt sinon elles ne l’auraient pas conclu. Leur intérêt, d’ordre économique, peut être divergent. Le débiteur ou l’administrateur devra conserver les contrats utiles au redressement de l’entreprise tandis que les cocontractants aimeraient se défaire d’un contrat conclu avec une personne qui connaît à présent des difficultés. Chaque contractant cherche à satisfaire son intérêt personnel, bien que nous ayons vu que la nouvelle conception du contrat intègre la notion de fraternité de sorte que chaque partie devrait se soucier, outre son propre intérêt, de celui de son cocontractant.

302 M.H. MONSERIE, thèse préc., n° 194.

Le contrat est maintenu ou sacrifié en fonction de paramètres d’ordre économique303.
L’intérêt recherché est prioritairement celui de l’entreprise, nous l’avons vu, mais il ne faut pas oublier l’intérêt du cocontractant ou du cessionnaire, dans le cadre d’un plan de cession.
Si a priori le cocontractant espère que son contrat ne sera pas poursuivi, il n’est pas exclu qu’il désire le continuer, et le législateur a pris des dispositions afin d’inciter des personnes à contracter avec le débiteur malgré ses difficultés. Quant au cessionnaire, il espère que les contrats qu’il estime nécessaires à la reprise lui seront cédés. (Section 1)
A contrario, les partenaires du débiteur trouveront un plus grand intérêt dans la rupture du contrat que dans son maintien. (Section 2)
Section 1 Les intérêts de la continuité du contrat
Il appartient au seul administrateur de décider de continuer ou pas les contrats en cours. Les cocontractants sont donc soumis à ce choix. Alors que la plupart d’entre eux espèrent que l’administrateur choisira de rompre leur contrat, d’autres souhaitent inversement que leur contrat soit maintenu. (§1)
Dans le cadre d’un plan de cession, il appartient au tribunal de choisir les contrats qui vont être cédés. Le cessionnaire aura intérêt à ce que certains contrats continuent afin de reprendre l’activité dans les meilleures conditions possibles. (§2)

303 C. BRUNETTI-PONS, op.cit., n°4.

Paragraphe 1 Pour le cocontractant
A partir du moment où l’administrateur a opté pour la continuation d’un contrat en cours, le cocontractant voit son sort s’améliorer en raison de sa participation, forcée, au redressement de l’entreprise. A ce titre, il bénéficie de la priorité de paiement de l’article L621-32 du Code de commerce (A) et peut profiter du transfert de certaines sûretés. (B)
A Bénéfice de la priorité légale de paiement
Il est aisé de comprendre que les créanciers et cocontractants d’une entreprise deviennent prudents si l’entreprise rencontre des difficultés. Ils ne sont pas fervents à faire crédit à l’entreprise ou à maintenir leurs relations contractuelles. Pour pallier ce risque et « appâter » les fournisseurs de crédit304, une priorité de paiement a été instaurée au profit des créanciers postérieurs305. Ils peuvent exiger, dès l’échéance, le paiement intégral de leur créance306. Si tel n’est pas le cas, ils peuvent engager immédiatement tous les recours que leur offre le droit commun alors même que l’article L 621-32 du Code de commerce organise un classement entre créanciers.
Cette priorité de paiement se combine avec le paiement comptant des créances de sommes d’argent307 des cocontractants dont le contrat a été continué. Ils savent qu’à la première difficulté, l’administrateur doit mettre fin au contrat, si au vue de la trésorerie, il sait qu’il ne pourra pas honorer la prochaine échéance. Le cocontractant est en droit de réclamer un paiement complet à l’échéance prévue, faute de quoi, s’il ne désire pas accorder de délai de paiement, le contrat sera résilié de plein droit. Cette rupture facilitée du contrat en cas de non paiement d’une somme d’argent est une disposition favorable aux cocontractants qui savent qu’au moindre problème la rupture du contrat sera souple. C’est une contrepartie à la continuité du contrat qui leur a été imposée.
Grâce à ces dispositions, créanciers et cocontractants sont plus enclins à rester partenaires de l’entreprise et à participer à son redressement.
B Bénéfice du transfert du contrat
Comme nous l’avons vu précédemment, le cocontractant du débiteur peut voir son contrat cédé contre son gré à un tiers repreneur dans le cadre d’un plan de cession. Alors même que cette cession forcée empêche au cocontractant de choisir son cessionnaire, ce qui s’avère fâcheux notamment pour les contrats intuitus personae, il se retrouve néanmoins avec un cessionnaire in bonis. Ainsi la cession d’un contrat ou d’un bien peut être une chance pour le cocontractant qui aura certes un nouveau cocontractant qu’il n’aura pas choisi mais il sera in bonis et mieux à même de remplir ses obligations. D’autant plus que pour les contrats d’une importance financière et économique conséquente, chacune des parties aura intérêt à ce qu’il soit cédé ou maintenu. En effet, la rupture de tout contrat, en particulier les « gros », signifie perte d’un client, de recettes et nécessite la recherche de nouveaux partenaires.

304 F. PEROCHON, R. BONHOMME, op.cit., n° 208.
305 Article L 621-32 du Code de commerce.
306 F. PEROCHON, R. BONHOMME, op.cit., n° 216.

Par ailleurs, le cocontractant du débiteur, avec lequel il a conclu un contrat de vente d’un bien à crédit, garanti par une sûreté immobilière ou mobilière spéciale308, voit, en cas de cession du bien à un repreneur, sa sûreté également transférée. La modification de cette disposition en 1994 avait pour objectif d’augmenter la protection des créanciers bénéficiant d’une sûreté. En fait, il s’agit d’une transmission de créance entraînant celle des sûretés l’assortissant309. L’article L 621-96 alinéa 3 du Code de commerce constitue une garantie supplémentaire pour ces créanciers munis d’une sûreté spéciale, une sorte de garantie de deuxième degré310. Leur sûreté ne va pas être purgée, elle va être transmise en même temps que le bien.
Paragraphe 2 Pour le cessionnaire
Le tribunal décide des contrats qu’il cède au repreneur. Il cède ceux qu’il estime nécessaires au maintien de l’activité311.
Il est évident que certains contrats sont plus importants que d’autres pour assurer la continuité de l’entreprise. Tel est le cas par exemple d’un contrat de concession ou de franchise. La cession de ce type de contrat est la condition sine qua non pour que la reprise de l’entreprise soit un succès. S’il est sûr que certains contrats sont plus indispensables que d’autres, la distinction se fait sur des critères économiques, quantifiables. Le choix est fait par le tribunal, aidé par l’avis du repreneur qui a en pratique un pouvoir beaucoup plus décisif que ne le laisse entendre la lettre du texte de loi312. Parce que le contrat cédé doit être nécessaire à la reprise, le contrat s’affirme plus que jamais comme un bien qui doit circuler librement313.

307 Article L 621-28 al 2 du Code de commerce.
308 Article L 621-96 du Code de commerce.
309 P. DUBOIS, G. TERRIER, Réflexions sur l’article 93 alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985, p. 289, n°14.
310 Idem, n° 15.
311 Article L 621-88 du Code de commerce.

Le repreneur profite alors de contrats qu’il n’a pas à renégocier puisque que ces contrats sont en cours, ils ont été conclus par le débiteur ou l’administrateur. Ils doivent être exécutés aux conditions en vigueur au jour de
l’ouverture de la procédure314. L’avantage du choix de la cession par le tribunal est la rapidité et l’efficacité. En effet, la renégociation des contrats par le cessionnaire lui-même serait source de lenteur et le cocontractant pourrait lui imposer des conditions moins favorables315que celles qu’il avait conclues avec le débiteur. Le cessionnaire a tout intérêt à demander dans son offre de reprise les contrats qu’il aimerait se voir céder. Le tribunal doit tenir compte de son avis.
Le cessionnaire voit mieux que quiconque l’intérêt économique que peut avoir un contrat. S’il en demande la cession c’est pour son intérêt économique. La dimension juridique du contrat disparaît.
S’il existe des intérêts dans la poursuite des contrats il y en a aussi dans leur rupture.
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Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
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