Eviction de la volonté du cocontractant

B Eviction de la volonté du cocontractant
La marge de manœuvre laissée au cocontractant est faible puisqu’elle est limitée à la possibilité de mettre en demeure l’administrateur de faire un choix entre la continuation ou non du contrat en cours (1), l’administrateur étant le seul habilité par la loi à opérer ce choix (2) dans un certain délai qui peut être modifié par le tribunal. (3) 1 L’action du cocontractant limitée à la possibilité de mettre en demeure l’administrateur « L’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours35 ». Nous sommes ici au cœur de l’atteinte à la liberté contractuelle. En effet, le cocontractant peut se voir imposer, contre son gré, par l’administrateur, la continuation d’un contrat qu’il aurait préféré résilier en raison des difficultés financières de son débiteur. Cela est contraire à la force obligatoire de la volonté posée par l’article 1134 du Code civil. L’article 1134 alinéa 1er énonce en effet que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »; l’alinéa 2 précise « qu’elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel. » En conséquence, la volonté unilatérale ne permet pas de rompre le contrat. Donc en principe, le contrat ne peut être unilatéralement révoqué par l’une des parties : ce que le consentement a fait, seul le consentement peut le défaire36.

33 Com. 4 fév. 1986, Bull. civ. IV n°3 p. 2.
34 Com. 20 juin 2000, Bull. civ. IV n° 130 p. 118, JCP E 2000 p. 1403.

Ce principe comporte des limites. Ainsi, et contrairement à ce qu’énonce l’article 1134 al 2 du Code civil, il a toujours été admis que le contrat à durée indéterminée pouvait faire l’objet d’une résiliation unilatérale au nom de la prohibition des engagements perpétuels.
Cette possibilité de rupture unilatérale du contrat à durée indéterminée37 reconnue en droit commun est interdite sous l’égide de la loi de 1985, du moins pour le contractant du débiteur. Le cocontractant ne peut se prévaloir de cette faculté de résolution unilatérale pour inexécution.
A partir du moment où l’entreprise est mise en redressement judiciaire, le cocontractant, dont le contrat (à durée indéterminée ou déterminée) est en cours, ne peut, par sa seule volonté y mettre fin même en cas d’inexécution par le débiteur de ses obligations antérieurement au jugement d’ouverture. Il a seulement la faculté, la possibilité de mettre en demeure l’administrateur afin qu’il fasse un choix à propos du contrat : le continuer ou le rompre. Il est préférable que cette mise en demeure, dans le silence des textes quant à la forme de celle-ci, soit faite par lettre recommandée avec accusé de réception.
On constate alors que le mandataire judiciaire lui, peut rompre ou continuer unilatéralement le contrat38. Cette option est fondée sur des considérations purement économiques, de l’utilité du contrat pour la sauvegarde de l’entreprise. Le cocontractant en est réduit à demander à l’administrateur ou au débiteur en cas de procédure simplifiée, d’opter pour la continuation ou non du contrat. L’accord de volonté du cocontractant n’est pas requis, cette atteinte au principe de l’autonomie de la volonté se trouve justifiée par la finalité de sauvetage de l’entreprise. Cette finalité prime l’intérêt particulier du cocontractant auquel on impose des sacrifices pour satisfaire l’intérêt supérieur de l’entité économique.
La marge de manœuvre du cocontractant est donc très limitée. Le sort du contrat relève exclusivement de l’administrateur judiciaire.

35 Article L 621-28 du Code de commerce.
36 Mutuus consensus, mutuus disensus.
37 D’ailleurs, une jurisprudence récente (Com. 1re civ. 20 fév. 2001, D. 2001 p. 1568) admet la résolution unilatérale du contrat indépendamment de sa durée. Elle semble remettre en cause la distinction contrat à durée indéterminée et contrat à durée déterminée ce qui permettrait une résolution pour inexécution unilatérale d’un contrat à durée déterminée.

2 Le sort du contrat soumis au droit d’option de l’administrateur
A partir de la mise un demeure qui lui est adressée, l’administrateur a un mois pour se prononcer sur le sort du contrat. En cas d’absence de mise en demeure, l’administrateur peut faire connaître son choix expressément voire tacitement, ce qui a été admis par la jurisprudence39. Par contre le silence de l’administrateur ne saurait constituer un choix valant continuation puisque l’article L 621-28 du Code de commerce précise que le défaut de réponse dans le délai d’un mois entraîne la résiliation de plein droit du contrat.
En exerçant son droit d’option, l’administrateur agit-il au nom du débiteur ou dans le cadre des prérogatives qui lui sont conférées par la loi ? Selon la doctrine40 et la jurisprudence41, il agit dans le cadre de sa mission puisque s’il fait un choix inopportun il verra sa responsabilité engagée42. Sa responsabilité s’apprécie au jour où il a pris sa décision et non à partir d’éléments postérieurs.43 Le choix de l’administrateur doit se faire avec diligence, il a une obligation de moyen. La loi du 10 juin 1994 a renforcé les conditions d’exercice de l’option. En effet, la continuation d’un contrat en cours doit être justifiée par l’existence d’un financement suffisant, tant pour le paiement comptant que pour les paiements futurs. L’administrateur doit s’assurer, grâce aux documents prévisionnels dont il dispose, qu’au moment où il demande la continuation du contrat, il a les fonds nécessaires pour l’exécuter44.
Le cocontractant a-t-il un recours contre la décision de l’administrateur ? Il convient de distinguer entre les contestations relatives à l’exercice du droit d’option et celles relatives aux conséquences de l’option. Pour les premières, le juge-commissaire est exclusivement compétent sur le fondement de sa mission générale de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence. Ainsi le juge-commissaire sera compétent pour une contestation afférente à la qualification de contrat en cours. Lorsqu’il ordonne la continuation d’un contrat en cours, son ordonnance n’est susceptible d’aucun recours devant le Tribunal de commerce. Le cocontractant est donc désarmé, sa volonté bafouée puisqu’il n’a aucun recours, il ne peut que s’incliner devant ce choix au nom l’objectif de maintien de l’activité. Pour les secondes contestations, par exemple celles relatives aux difficultés d’exécution d’un contrat poursuivi, c’est le juge des référés, juge de droit commun, qui est compétent45.

38 Parce que la loi l’y autorise. (article 1134 al 2 du Code civil)
39 Com. 11 fév. 1997, Dr. et patrimoine juil.août 1997, p.86 n° 1728. Cependant, des décisions contraires ont été rendues dans lesquelles la Cour de cassation affirmait que le paiement des loyers ne pouvait constituer une continuation tacite du contrat, voir notamment Com. 20 fév. 1996 D. 1996, IR 90.
40 F. DERRIDA, P. GODE et J.-P. SORTAIS, Redressement et liquidation judiciaire des entreprises, Dalloz 1991; B. SOINNE, Traité théorique et pratique des procédures collectives, Litec 1995.
41 Com. 27 nov. 1991 RJDA 2.1992 (Cet arrêt concernait l’article 38 de la loi de 1967).
42 Com. 9 juin 1998, D. aff. 1998 p. 1177; CA Versailles 28 mai 1998 D. aff. 1998 p.1589; Com. 6 juill. 1999, Act. pr. coll. 1999.14 n°182.
43 Com. 3 fév. 1998, RJDA 1998 n° 7 p. 885.
44 Article L 621-28 al 2 du Code de commerce.

3 La possible modification du délai d’option par le juge
« Avant l’expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à
l’administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour prendre parti. » (Article L621-28 al 1 du Code de commerce) A compter de la mise en demeure, l’administrateur a donc en principe un mois pour se prononcer sur le sort du contrat sous réserve de demander une prolongation au juge-commissaire. Ainsi le cocontractant ne reste pas dans l’expectative indéfiniment comme cela pouvait l’être sous l’empire de la loi de 1967 qui ne prévoyait aucun délai. D’autre part, la loi du 10 juin 1994 a limité à deux mois la prolongation du délai, prolongation qui ne peut avoir lieu qu’une seule fois46. La décision du juge-commissaire doit intervenir avant l’expiration du délai légal d’un mois de la mise en demeure.
La possibilité de modifier le délai d’option peut être perçue comme une atteinte supplémentaire aux intérêts du cocontractant, atteinte limitée car la prolongation ne peut excéder deux mois, or avant la réforme de 1994 le temps de prolongation n’étant pas limité, celle-ci pouvait durer tout le temps de la période d’observation. En outre, le décret du 27 décembre 1985 modifié par le décret du 21 octobre 1994, prévoit dans son article 61 que le cocontractant doit être informé par le greffier de la décision de prolongation prise par le juge- commissaire.
La volonté du cocontractant, quant à l’avenir du contrat, est limitée à la possibilité qu’il a de mettre en demeure l’administrateur d’opérer un choix dans le délai légal d’un mois ou trois mois au plus en cas de prolongation. L’atteinte à l’autonomie de sa volonté est donc flagrante d’autant plus que le maintien forcé du contrat peut survenir également en cas de liquidation judiciaire.

45 Le juge des référés est compétent pour connaître de la demande d’un crédit-bailleur tendant au paiement des loyers échus postérieurement au prononcé du redressement judiciaire. (CA Aix-en-Provence 6 mai 1997, JCP E 1998 n° 10 p. 38).
46 CA Paris 8 oct 1992, Petites Affiches, 28 avril 1993, p. 13, note F. Derrida.

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Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
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