Effet des caractéristiques de localisation de l’exploitation agricole

IV.3- L’analyse de l’effet des caractéristiques de localisation

Les variables explicatives de localisation que nous avons introduites ont pour but de refléter les opportunités d’emploi de la main-d’œuvre familiale hors de l’exploitation ainsi que la tension sur le marché du travail salarié et les coûts de recrutement des travailleurs salariés saisonniers.

La localisation de l’exploitation dans un pôle d’emploi urbain (relativement à un pôle rural), diminue significativement la propension à être dans des régimes avec travailleurs saisonniers (régimes 101 et 001) et augmente la propension à être dans le régime avec travailleurs permanents (régime 110).

La concurrence inter-secteurs avec les emplois urbains augmente la probabilité du recours à l’emploi salarié permanent et réduit celle du recours à l’emploi salarié saisonnier.

Ceci suggère qu’il existe une substitution entre la main-d’œuvre saisonnière et la main-d’œuvre permanente dans un contexte de concurrence sur la main-d’œuvre salariée.

Dans les pôles urbains, les exploitants chercheraient à fixer la main-d’œuvre salariée par le biais de contrats permanents pour éviter la fuite des travailleurs vers d’autres types d’emploi.

Ainsi, la concurrence sur le marché du travail salarié est susceptible d’accroître les coûts de recrutement des travailleurs salariés et donc de favoriser le recours à l’emploi permanent.

La localisation de l’exploitation dans un pôle d’emploi urbain n’a cependant que peu d’effet sur la probabilité de recours à la main-d’œuvre familiale.

La présence de main-d’œuvre familiale semble, tout de même, renforcer l’effet négatif de la localisation urbaine sur la probabilité des régimes avec du travail salarié saisonnier (effet très négatif sur le régime 101), suggérant, par-là même, une moindre probabilité de travail de la famille sur l’exploitation en contexte urbain.

Cependant, la faiblesse de cet effet nous amène à penser que la variable de localisation choisie est moins pertinente pour l’étude de la main-d’œuvre familiale que pour l’étude de la main-d’œuvre salariée. En effet, nous travaillons sur la maille du bassin de vie.

Cette maille, qui semble pertinente pour capter les caractéristiques du marché du travail salarié agricole souvent géographiquement limité, est peut-être trop petite pour refléter les opportunités d’emploi de la famille hors de l’exploitation.

La spécialisation locale dans la production de fruits et légumes augmente significativement la propension à être dans des régimes avec travailleurs saisonniers (régimes 101 et 001) et diminue la propension à être dans des régimes avec travailleurs permanents (régimes 110 et 010).

La spécialisation régionale crée des conditions favorables à la constitution d’un réservoir de main-d’œuvre temporaire (notamment avec l’accès à des emplois temporaires d’immigration -contrat OMI- différent selon les départements).

Effet des caractéristiques de localisation de l’exploitation agricole

Dès lors, les exploitants ne cherchent pas à fixer la main-d’œuvre salariée et utilisent le réservoir de main-d’œuvre temporaire disponible. Ainsi, la spécialisation locale dans la production de fruits et légumes, en diminuant les coûts de recrutement des travailleurs salariés saisonniers, favorise le recours à l’emploi temporaire.

Les effets de nos deux variables de localisation confirment la proposition de notre modèle théorique : la main-d’œuvre permanente joue un rôle assurantiel par rapport aux coûts de recrutement de la main-d’œuvre saisonnière.

Conclusion du Chapitre 4

Ce chapitre propose une analyse empirique des décisions de demande de travail des exploitations familiales de fruits et légumes françaises.

Notre travail se fonde sur l’estimation de la probabilité d’appartenance des exploitations à différents régimes de travail, c’est-à-dire, à différentes combinaisons de main-d’œuvre sur l’exploitation.

Notre estimation étudie conjointement trois types de travail sur l’exploitation : le travail de la famille (autres que le chef d’exploitation et les co-exploitants), le travail salarié permanent et le travail salarié saisonnier.

Tout d’abord, nos résultats corroborent les résultats des travaux empiriques précédents et confirment nos attentes quant à l’effet de la structure des exploitations sur la demande de travail de celles-ci (taille, niveau de spécialisation…).

De manière plus originale, ils valident notre proposition théorique concernant le caractère assurantiel de la main-d’œuvre salariée permanente par rapport aux coûts de recrutement des travailleurs salariés saisonniers.

Ainsi, nos résultats montrent que la main-d’œuvre familiale (autre que le chef d’exploitation et les co-exploitants) est substitut au travail salarié et notamment au travail salarié permanent.

Ils montrent de plus que la composition de la force de travail sur les exploitations dépend des caractéristiques de celles-ci notamment en termes de taille, de degré de spécialisation ou de structure de commercialisation.

Ce travail met, de plus, en lumière certains résultats originaux allant dans le sens de notre proposition théorique. En effet, toutes choses égales par ailleurs, les caractéristiques de la localisation et du marché du travail salarié d’une exploitation influencent le type d’emploi salarié auquel elle a recours.

Le caractère saisonnier ou permanent de l’emploi salarié n’est donc pas uniquement déterminé par la saisonnalité de l’activité sur l’exploitation : une concurrence sur la main-d’œuvre salariée en contexte urbain renforce le caractère permanent de l’emploi agricole et diminue son caractère saisonnier.

À l’inverse, l’existence d’un réservoir de main-d’œuvre temporaire renforce le caractère saisonnier de l’emploi salarié. Nos résultats empiriques mettent donc en lumière l’arbitrage entre coût de thésaurisation et coût de recherche proposé dans le chapitre théorique.

Ce chapitre montre donc que les évolutions récentes qu’a connues la main-d’œuvre dans les exploitations de fruits et légumes peuvent s’expliquer par les modifications des structures de production.

En effet, celles-ci ont conduit au renforcement de la demande de travail salarié et plus particulièrement en travail salarié saisonnier, notamment la concentration et la spécialisation des exploitations.

Cependant, ce chapitre met aussi en lumière que ces évolutions peuvent être liées à des phénomènes de substitution entre les différents types de main-d’œuvre.

Tout d’abord, la moindre implication de la main-d’œuvre familiale dans l’activité agricole expliquerait le développement du travail salarié et plus particulièrement celui du travail salarié permanent.

Ensuite, le fort développement de la place du travail salarié saisonnier pourrait s’expliquer par un phénomène de substitution entre la main-d’œuvre salariée permanente et la main-d’œuvre salariée saisonnière.

Cette substitution serait favorisée par la concurrence exacerbée à laquelle fait face ce secteur, par les exonérations massives qui touchent les contrats courts en agriculture depuis les années 1990 et par le renouveau des contrats OMI depuis les années 2000.

Conclusion de la partie 2

Cette partie a allié un travail théorique et un travail empirique afin d’analyser les déterminants des décisions de travail des exploitations agricoles familiales et de comprendre les mutations qu’a connues la main-d’œuvre agricole au cours des dernières années.

Son objectif était de prendre simultanément en considération les trois types de main-d’œuvre susceptibles d’être mobilisées sur une exploitation : familiale, salariée permanente et salariée saisonnière.

Dès lors, dans le chapitre théorique comme dans le chapitre empirique, et à l’inverse des autres travaux de la littérature, le travail salarié n’a pas été considéré comme une catégorie homogène.

Cette partie a donc fourni, en premier lieu, un cadre d’analyse qui intègre l’ensemble des trois types de main-d’œuvre et qui permet de prendre en compte deux caractéristiques de l’agriculture familiale souvent oubliées : le fait qu’elle puisse avoir recours à une main- d’œuvre salariée et le fait qu’elle soit marquée par la saisonnalité.

La distinction entre le travail salarié permanent et le travail salarié saisonnier dans notre modèle théorique a permis de mettre en évidence le caractère assurantiel du travail salarié permanent vis-à-vis des coûts de recrutement du travail salarié saisonnier et ce, même dans le contexte de l’agriculture familiale.

De plus, cette distinction est apparue pertinente dans l’étude empirique des décisions de travail des exploitations familiales de fruits et légumes. En effet, les déterminants du recours à ces deux formes de travail salarié diffèrent.

Enfin, cette distinction a permis de mettre en évidence qu’il existe une substituabilité entre le travail salarié permanent et le travail salarié saisonnier.

Notre travail permet donc de penser l’augmentation de la place du travail salarié saisonnier dans le secteur agricole. Ainsi, cette augmentation semble relever du désengagement de la main-d’œuvre familiale et d’une accentuation des fluctuations d’activité intra-annuelles liée à la concentration et spécialisation des exploitations.

Cependant, nous avons montré que cette augmentation peut aussi refléter une modification des modes de gestion de main-d’œuvre en réponse à l’accroissement de la concurrence et à la pression sur les coûts.

Comme beaucoup de pays européens, la France a mis en place des politiques favorisant le recours à l’emploi saisonnier en agriculture : les contrats courts sont largement exonérés et les contrats d’immigration temporaire de travail se développent.

Ces politiques se reposent sur une conception particulière de la saison et de l’emploi saisonnier : elles considèrent que l’emploi saisonnier répond à une temporalité qui lui est propre et que la saison est une contrainte exogène.

Cependant, les résultats de notre travail montrent que l’arbitrage entre travailleurs salariés permanents et travailleurs salariés saisonniers n’est pas uniquement lié à la saisonnalité de l’activité mais aussi aux caractéristiques du marché du travail salarié lui- même.

Ainsi, la distinction entre l’emploi permanent et l’emploi saisonnier en agriculture peut varier en fonction des contraintes extérieures et des incitations économiques.

214 Commande STATA margeff [Bartus, 2005].

215 Benjamin et Kimhi [2006] ont reconstruit les intervalles de confiance de la somme des effets marginaux à l’aide d’un bootstrap (technique d’inférence statistique basée sur une succession de ré échantillonnages).

216 La causalité a de fortes chances d’être inverse dans ce cas.

Traiter le travail salarié en agriculture comme une catégorie homogène conduit à occulter le fait que le secteur agricole puisse connaître les mêmes phénomènes que le reste de l’économie (substitution du travail permanent par le travail temporaire…).

Le caractère familial de l’agriculture a souvent empêché d’analyser la place grandissante du salariat dans ce secteur. Or le développement des exploitations familiales de grande taille suggère que la place du salariat est susceptible de se renforcer plus encore dans l’avenir.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement - Centre International d’Études Supérieures en Sciences Agronomiques (Montpellier SupAgro)
Auteur·trice·s 🎓:
Aurélie DARPEIX

Aurélie DARPEIX
Année de soutenance 📅: École Doctorale d’Économie et Gestion de Montpellier - Thèse présentée et soutenue publiquement pour obtenir le titre de Docteur en Sciences Économiques - le 27 mai 2010
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