Politique et cadre institutionnel pour les enfants qui travaillent

Politique et cadre institutionnel pour les enfants qui travaillent

Au Pérou, les enfants ont de tout temps joué un rôle important, tant dans la production que dans les travaux domestiques. Jusqu’aux années 50, avant la croissance économique et l’urbanisation rapide, ils participaient principalement au travail non rémunéré dans les domaines féodaux et les petites exploitations agricoles.

Entre 1940 et 1972, il se produit un net déclin des travailleurs enfants à plein temps. Selon Scott (Bequele et Boyden, 1990, p. 326), ce phénomène s’explique en grande partie par l’expansion de l’enseignement primaire à cette époque et par l’augmentation des bénéfices que l’on pensait pouvoir retirer de l’instruction.

Il est aussi le résultat du type particulier de développement économique du Pérou dans les années cinquante, tout particulièrement à cause du fossé qui s’est creusé entre un secteur moderne qui recourait à la technologie nouvelle et un secteur traditionnel qui faisait encore appel à une technologie à forte densité de main-d’œuvre. Ainsi, la main-d’œuvre enfantine dans les zones urbaines s’est vue condamnée aux emplois sous-payés et instables du secteur non structuré.

Dans les zones rurales, le déclin du travail des enfants à plein temps a été plus important. Cela a été provoqué par le morcellement des grands domaines, la mécanisation des travaux agricoles saisonniers, l’emploi plus fréquent de main-d’œuvre salariée, la disparition des exploitations familiales et le dépeuplement des campagnes.

Cependant, cette tendance a été renversée par la situation économique décrite dans les pages précédentes. Ainsi, l’ENIV de 1997 estime qu’environ 2 millions de mineurs travaillent dont 25% a moins de 12 ans. D’après la même source, 28% des travailleurs enfants se trouve sous le seuil de pauvreté et 71% provient des foyers pauvres.

En quatre ans, la population des travailleurs enfants de 14 à 17 ans a triplé, passant de 339,000 à 970,000 (OIT, 2000, Estudio Nacional de Niños Trabajadores en el Sector de la Minería Artesanal).

Toutefois, les statistiques officielles sous-estiment considérablement l’ampleur réelle de la main-d’œuvre enfantine car elles ne portent que sur les emplois déclarés et, en général, à plein temps alors que la grande majorité des enfants travaille à temps partiel, tout en fréquentant l’école.

En outre, ils s’appuient sur des définitions très restrictives : les enfants qui sont vendeurs ambulants, par exemple, ne sont pas considérés comme des travailleurs, mais simplement comme faisant des « cachuelos » ou « bricoles », les enfants employés dans le service domestique sont classés dans les recensements comme « sans emploi ».

Etant donné que les chiffres officiels se limitent à une minorité d’enfants qui travaillent à plein temps dans le secteur structuré et, par conséquent, que le nombre total de travailleurs enfants est sous-estimé, la politique et la planification sociales ne reflètent pas, dans l’ensemble, la contribution réelle des enfants à l’économie du pays.

Objectifs et instruments de la politique nationale

Actuellement, la conjoncture politique et économique du Pérou n’est pas favorable à l’amélioration des conditions du travail des enfants. Seuls les adultes les plus qualifiés qui sont employés dans les secteurs de pointe de l’économie sont parvenus à obtenir des avantages sociaux.

Dans l’ensemble, les conditions d’emploi de la main-d’œuvre adulte sont extrêmement insatisfaisantes et les représentants des syndicats soutiennent que dans un tel contexte, on ne peut faire un traitement de faveur aux enfants.

En fait, les syndicats, ainsi que nombre de fonctionnaires du ministère du Travail, considèrent que les jeunes prennent le travail des adultes et plaident pour l’abolition immédiate du travail des enfants dans tous les secteurs de l’économie (Bequele et Boyden, 1990, pp. 327 -328).

Encore très récemment, les organisations gouvernementales, tout comme les organisations privées, répugnaient à aborder les problèmes des travailleurs du secteur non structuré, où la main-d’œuvre enfantine se concentre.

Le gouvernement a financé plusieurs études sur les entreprises urbaines du secteur non structuré, mais n’a pas encore défini une politique déterminée pour ce secteur.

Ce n’est qu’au cours de ces dernières années que les organisations non gouvernementales ont commencé à prendre de l’avance en la matière en élaborant des programmes pilotes, dont seulement quelques-uns concernent le travail des enfants. Cependant, le cadre légal en vigueur limite énormément le travail des ONGs (Bequele et Boyden, 1990, pp. 338-342).

Les principaux instruments légaux qui étayent la politique en matière de travail des enfants sont le Code des mineurs et les lois n° 2851 et 4239 sur le travail, qui concernent les femmes et les mineurs.

L’Etat a deux priorités : premièrement, interdire le travail des enfants dans les secteurs de l’économie qui peuvent nuire à leur santé et à leur développement; deuxièmement, réglementer leur travail dans les emplois non dangereux. A l’heure actuelle, l’âge minimum d’admission à l’emploi va de 14 à 16 ans et dépend essentiellement de l’activité de l’enfant et de sa relation avec l’employeur.

Dans certains cas, la loi permet aussi le travail des enfants de 12 ans, à condition qu’ils sachent lire et écrire et qu’ils fournissent un certificat médical prouvant qu’ils sont aptes à l’emploi auquel ils postulent, qu’ils soient dans le service domestique ou l’agriculture, ou qu’ils travaillent dans une entreprise exclusivement familiale. Aucun enfant de moins de 12 ans n’est autorisé à travailler.

Selon l’article 38 du nouveau Code les enfants d’âge scolaire peuvent travailler avec une autorisation spéciale du juge des enfants, à condition que leur activité soit compatible avec la fréquentation assidue de l’école et qu’elle ne soit, en aucune manière, préjudiciable à l’enfant.

Une politique plus radicale en matière de travail des enfants a été élaboré dans le plan d’action du Conseil National pour les Mineurs et la Famille (Consejo Nacional para el Menor y la Familia), un organisme multisectoriel crée par le gouvernement central dans le but de coordonner l’action en faveur des enfants. L’un des objectifs de ce plan est de « promouvoir, coordonner et renforcer les mesures visant à assister, protéger et former les travailleurs mineurs ».

Le plan énumère un certain nombre de mesures qui s’imposent pour atteindre cet objectif : adapter la législation à la réalité du pays, assurer une meilleure couverture sociale pour les mineurs, créer, pour les enfants, des systèmes de contrôle de la santé et de l’hygiène en milieu professionnel, s’assurer au moyen d’inspections que la législation en matière de travail des enfants est appliquée, élaborer des programmes de formation pour les enfants travailleurs et promouvoir la participation des mineurs à des activités génératrices de revenus dans le cadre de programmes pilotes. Toutefois, cette politique n’a pas encore été mise en oeuvre.

En réalité, l’Etat ne se préoccupe pas de réglementer le travail salarié ou semi salarié des enfants ; il considère que le travail familial, le travail non rémunéré, le travail indépendant et toutes les activités dites “non structurées” ne relèvent pas de sa compétence. Son action se limite aux grandes entreprises commerciales ou industrielles du secteur structuré en zone urbaine. Il ne tente pas de contrôler les innombrables petites entreprises en zone urbaine et il intervient encore moins en zone rurale.

Le problème est que, comme nous l’avons mentionné, dans une économie double telle que celle du Pérou, seul un très petit nombre d’adolescents travaillent en tant que salariés dans l’industrie ou le commerce et y sont dûment autorisés.

La main-d’œuvre enfantine se concentre dans le secteur non structuré et dans l’agriculture et de ce fait la grande majorité des travailleurs enfants du pays ne sont pas visés par la loi.

Cette situation représente un obstacle majeur pour les enfants qui font les petits métiers de la rue, pour les domestiques et les travailleurs du secteur non structuré de l’industrie et des services en zone urbaine, car nombre d’entre eux travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et ont un besoin urgent de protection. Au Pérou, lorsque les enfants travaillent clandestinement, les autorités sont contraintes soit d’ignorer leur existence, soit de prendre des mesures qui se traduiront par leur retrait du marché du travail.

La législation en matière de protection de l’enfance stipule qu’il convient de sauver en priorité les enfants qui sont en situation “irrégulière”. Cela signifie que la réinsertion des enfants qui sont dans des situations extrêmes prime sur la promotion de la protection de l’enfance en général.

Selon la loi, les enfants en danger sont ceux que l’on trouve « moralement » ou « physiquement » abandonnés, ou ceux qui ont commis des actes « antisociaux ». Les enfants qui font les métiers de la rue sont considérés automatiquement comme étant en danger – dans un état d’abandon moral ou physique – et sont, par conséquent, du ressort du juge pour enfants.

D’après la politique relative à la protection de l’enfance, la présence d’enfants dans la rue, même pour ceux qui font les petits métiers, est une preuve de la défaillance des parents et des tuteurs en matière d’éducation (Bequele et Boyden, 1990, p. 334).

Ainsi, les enfants qui font les petits métiers de la rue (dans le commerce ou les services) sont souvent mis en détention par les autorités et présentés au juge pour enfants en tant qu’auteurs d’actes antisociaux, pour cause de vagabondage ou de délinquance. Les enfants en situation irrégulière sont normalement mis sous mandat de dépôt. Cela signifie malheureusement que ces jeunes travailleurs de la rue peuvent être retirés de leur famille et placés en détention.

VIII. Conclusions

Le cadre national présenté ci-dessus montre clairement que la situation des enfants qui travaillent au Pérou est le reflet de l’évolution historique, socioculturelle, socioéconomique, et socio-politique du pays.

Le racisme, produit de la colonisation espagnole, garde des racines profondes dans la société péruvienne. Les péruviens blancs, d’origine étrangère, se trouvent tout en haut de l’échelle sociale, et les indiens et les métis, tout en bas. Le système éducatif reproduit et transmet cet état de fait; ainsi à l’inégale répartition de la richesse correspond l’inégalité des chances à accéder à une éducation de qualité. Ce racisme est aussi un des éléments importants de l’acceptation sociale du travail des enfants « non blancs ».

En effet, les graves problèmes économiques du pays touchent essentiellement les familles les plus défavorisées, cependant la participation des enfants aux travaux productifs de la famille est une caractéristique traditionnelle des familles rurales. Cette pratique a été transposée des campagnes vers les zones pauvres des alentours des villes lors de l’exode rural massif qui a eu lieu au Pérou. Par conséquent, le travail infantile correspond finalement tout autant à des modèles culturaux qu’à la nécessité économique, bien qu’elle existe, elle aussi, de la famille.

La politique adoptée par les gouvernements péruviens au regard du travail enfantin répond plus à une pression idéologique internationale qu’à une recherche réelle de solutions qui pourraient aider à éradiquer cette pratique. La loi est en général répressive et ne cherche pas de solutions alternatives pour améliorer la situation des secteurs les plus pauvres du pays.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La formation professionnelle duale: alternative éducative
Université 🏫: Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Dana Torres & Carmen Vulliet

Dana Torres & Carmen Vulliet
Année de soutenance 📅: Mémoire de licence - Novembre 2001
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